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Henri Queuille face aux questions économiques et budgétaires : principes, contraintes et action
p. 11-42
Texte intégral
1Traditionnellement raillé pour son « immobilisme »1, Henri Queuille (1884-1970) a été redécouvert depuis une douzaine d’années à l’occasion de différents travaux. Deux colloques tenus en 1984 à Tulle et au Sénat ont surtout mis en valeur sa dimension de notable républicain et de spécialiste de l’agriculture2. Entre 1993 et 1995, ses journaux tenus de 1939 à 19443 ont été édités et ont révélé, notamment pour le Journal de guerre rédigé à Londres puis à Alger en 1943-1944, le gaullisme très particulier d’Henri Queuille fait de fidélité sans faille à la personne du Général mais aussi de raison et même de réserve devant les idées et les méthodes de celui-ci. Enfin, Francis de Tarr a publié à l’hiver 1995 la première biographie consacrée à Henri Queuille, qui relate avec minutie les étapes successives de sa carrière locale et nationale4.
2La multiplicité de ces travaux et leur diversité n’épuisent cependant pas l’intérêt que l’on peut retirer de la connaissance du personnage, en particulier sur le plan économique et financier. En effet, Henri Queuille, lors de son premier passage à la présidence du Conseil en 1948-1949, dut affronter des difficultés économiques et financières redoutables. Au surplus, il cumula les deux charges de président du Conseil et de ministre de l’Économie et des Finances. D’apparence, l’homme ne paraissait avoir aucune compétence particulière en la matière, n’ayant jamais occupé aucun de ces postes. Comment aborda-t-il ces nouvelles fonctions ? Comment s’entoura-t-il ? Quelle politique mena-t-il ? C’est à ces différentes questions qu’il importe d’essayer de répondre.
I. LES. ANTÉCÉDENTS D’HENRI QUEUILLE : LIBÉRALISME TEMPÉRÉ ET REFUS DU DIRIGISME
3Si Henri Queuille, malgré une carrière ministérielle bien remplie pendant T entre-deux-guerres (il fut 19 fois ministre), n’a jamais été en charge de l’Économie, il ne faudrait pas voir en lui un homme ignorant et dépourvu d’idées sur cette question. Sans avoir reçu la moindre formation en la matière (à l’instar des hommes politiques de sa génération), Henri Queuille s’est intéressé aux questions économiques et financières et s’est constitué sur le sujet un bagage de principes qui font de cet admirateur de Poincaré, en qui il voit un « modèle5 » sur le plan financier, un libéral convaincu, un partisan de l’équilibre budgétaire et un adversaire résolu des novations des années trente, qu’il s’agisse du planisme ou de l’économie dirigée. Trois exemples permettent d’appréhender l’approche par Henri Queuille des questions économiques et financières avant son arrivée au pouvoir : ses réactions devant la crise des années trente à partir notamment de l’éclairage que fournit sa politique face à la crise agricole, son attitude en matière de ravitaillement en 1939-1940 et enfin, ses réactions face aux projets de rénovation prévus pour l’après-guerre.
A. Le patriarche de l’Agriculture face à la crise des années trente : un rejet de principe de la protection et de la réglementation... mais une pratique empreinte de souplesse
4Il ne saurait être question d’évoquer ici pour elle même l’action d’Henri Queuille rue de Varenne, où cette figure de proue des « agrariens français » a joué un rôle capital pendant l’entre-deux-guerres, établissant dans ce poste un record inégalé de longévité (85 mois au total)6. Cette présence aux commandes de l’Agriculture doit cependant être prise en considération sur un point : l’attitude d’Henri Queuille face à la crise des années trente et à la remise en cause du libéralisme. Cet examen est d’autant plus nécessaire que ce domaine est le seul sur lequel Henri Queuille ait publié des articles, lesquels ont été repris dans un ouvrage paru en 1932, Le drame agricole7.
5Si la crise des années trente, prise dans sa globalité, n’appelle pas chez Henri Queuille de réflexions particulières, ses implications en matière agricole le soucient au premier chef, comme « technicien » de l’agriculture. De fait, les analyses qu’il propose et surtout les solutions qu’il préconise sont révélatrices de certaines de ses options fondamentales en économie.
6Comme beaucoup de ses contemporains, Henri Queuille est soucieux d’inscrire la crise des années trente dans l’histoire et de lui chercher des correspondances avec des crises antérieures, notamment celle qui a secoué l’Europe au lendemain du traité de Vienne et celle des années 1880 marquée par l’opposition entre protectionnistes, libre-échangistes et partisans du monopole du commerce du blé8. Il n’y a pas lieu de discuter ici de la pertinence de tels parallèles mais de prendre en considération les conclusions qu’Henri Queuille en retire face à la crise des années trente.
7La première chose qui frappe chez lui tient à un double rejet, celui de la protection et celui de la réglementation. Henri Queuille se pose en effet en adversaire déterminé de « l’économie fermée », ce qui signifie à la fois un rejet du protectionnisme entendu dans son sens classique (majoration des droits de douane, etc.) mais aussi dans une perspective « impériale », idée très à la mode dans les années trente où « l’autarchie (sic) impériale » compte de nombreux adeptes9. Adversaire de « l’économie fermée », Henri Queuille l’est tout autant de l’économie « dirigée » ce qui le conduit à s’opposer très vivement à l’idée de la création d’un office du blé réclamé notamment par les socialistes, dont il s’emploie à démontrer, exemples pratiques à l’appui, qu’il ne permettrait aucunement de remplir les missions qui lui seraient dévolues : « organiser le marché du blé, afin de stabiliser les cours, d’éviter les manœuvres spéculatives et d’assurer le ravitaillement régulier du pays »10.
8Ce double rejet ne fait pourtant pas d’Henri Queuille un partisan pur et simple du statu quo car il est conscient des limites du système et souhaite des solutions nouvelles pour sortir de la crise agricole. Elles tournent autour d’une idée forte : la mise en place d’une « union européenne ». Convaincu que « l’Europe devrait s’organiser sur le terrain économique » et que « l’organisation de l’Europe peut seule nous empêcher de succomber », il souhaite au plus vite l’avènement de cette dernière « pour assurer, sur les marchés de notre continent, une priorité aux produits européens et pour garder à l’agriculture française les possibilités d’exportation qui lui sont indispensables11 ».
9En attendant la mise en place d’une union européenne, il faut s’adapter aux circonstances et on trouve ici un autre trait essentiel d’Henri Queuille, une souplesse et un sens du compromis, qu’ont déjà soulignés Isabel Boussard comme Pierre Barral. Ainsi, s’il est en principe un adversaire du protectionnisme, il peut s’y résoudre « un peu à contre-cœur, tout en l’estimant inévitable12 » au vu des circonstances et compte tenu des politiques menées par les autres États. Il explique ainsi : « il importe que nous ne soyons pas victimes des changements survenus dans l’attitude des différents pays. Aussi, ne comprenons nous pas que certains d’entre eux critiquent des mesures susceptibles de défendre notre production nationale quand ces mesures sont prises par nous à leur exemple13. » De même, il adopte après son retour rue de Varenne en 1938 une attitude très conciliatrice face à l’office du blé, et « pratiquant une politique souple », il parvient à se faire respecter de l’ensemble des institutions agricoles et bénéficie ainsi « d’une grande autorité14 ».
10Cette position de principe (refus du dirigisme et défense du libéralisme), ajoutée à un indéniable sens du compromis et une volonté de voir avancer les choses sur le plan concret, sont un trait fondamental de la personnalité d’Henri Queuille que l’on retrouve dans son approche des questions du ravitaillement.
B. Un ministre du Ravitaillement adversaire du rationnement organisé
11Comme pour l’Agriculture, le ministre entend laisser le marché jouer son rôle et limiter autant que faire se peut le dirigisme. Ses multiples interventions sur le sujet et les nombreuses notations que contient son Journal de guerre sont toutes de la même veine. Ainsi, lors de la discussion budgétaire le 9 décembre 1939, il défend et justifie la liberté du commerce en soulignant qu’il « croi (t) avoir [...] donné au commerce, au commerce contrôlé comme l’impose l’état de guerre, une liberté dont espère (t-il), il n’abusera pas et une preuve de confiance qui se traduira par une collaboration loyale15 ». De même, le 17 janvier 1940, il intervient devant la sous-commission permanente de la commission du commerce et de l’industrie pour rappeler le sens de sa politique et souligner qu’il a souhaité « essayer de laisser subsister [...] tous les modes de répartition normale des produits » et n’a envisagé une intervention de la puissance publique « que dans la mesure où c’était absolument indispensable16 ». Ces affirmations de principe, souvent réitérées, sont suivies d’effet notamment à propos d’une question qui mobilise la classe politique et la presse : la mise en place de cartes d’alimentation. Hostile dès septembre 1939 à leur institution, Henri Queuille ne démord pas de son refus, même en février 1940 lorsqu’il est mis « sur la sellette » à ce sujet par la presse, de nombreux parlementaires et par le président du Conseil Edouard Daladier ainsi que certains de ses collègues lors d’un conseil de cabinet17. Il allume même des contre-feux en allant « dans les couloirs promener (son) dégoût d’appartenir à un gouvernement qui ne sait pas ce qu’il veut18 », en suscitant habilement un article intelligemment hostile à la carte dans Le Matin du 4 février 194019 et en adressant sur le sujet à ses collègues ministres des notes claires, documentées, et à l’occasion teintées d’ironie, où il explique que son destinataire, trouvera « une démonstration de cette triple vérité que la carte de rationnement n’est pas une panacée, qu’elle est mal adaptée aux conditions de l’économie française et qu’en tout état de cause elle n’est applicable que pour le pain et le sucre20 ». Le résultat lui est favorable puisque l’entrée en vigueur de la carte de rationnement s’est faite très tardivement (le 1er juin 1940 pour le sucre21).
12La convergence des politiques menées en matière de ravitaillement et d’agriculture n’est pas seulement le produit d’une attitude pragmatique. Elle traduit d’abord le souci d’Henri Queuille de préserver au maximum le libéralisme, ainsi que l’avait déjà souligné Isabel Boussard en qualifiant Henri Queuille de « défenseur du libéralisme, d’un libéralisme mesuré et contrôlé, certes, mais qui néanmoins maintient la liberté, tant que cela est possible22 ».
C. L’ennemi des réformes de structure
13La défaite et l’occupation n’ont pas ébranlé les convictions d’Henri Queuille dans les vertus du libéralisme économique. Non compromis avec le régime de Vichy, retiré chez lui à Neuvic d’Ussel et reconverti en exploitant forestier, Henri Queuille en contact avec la Résistance depuis de longs mois, a choisi de rejoindre le général de Gaulle à Londres en avril 1943. Son rejet catégorique de Vichy, son admiration et sa fidélité pour Charles de Gaulle n’empêchent pas Henri Queuille de demeurer envers et contre tout un partisan convaincu du « modèle républicain23 » de la IIIe République, qu’il s’agisse du régime parlementaire ou surtout en l’occurrence, d’un modèle économique fondé sur un libéralisme tempéré. De ce point de vue, son Journal de guerre de 1943-1944, notamment dans sa partie londonienne est riche d’enseignements. Si, comme l’a noté Serge Berstein, les projets politiques et constitutionnels de certains milieux résistants « épouvantent le vieux républicain légaliste qu’il demeure24 », c’est également avec effroi et consternation qu’il entend ceux qu’il appelle les « doctrinaires de la politique de gauche » (Georges Boris, Pierre Brossolette ou André Philip) lui brosser les contours d’une nouvelle France refondue en matière économique et sociale grâce au dirigisme et à l’interventionnisme. Certains échanges, comme celui qui oppose Henri Queuille à Georges Boris lors d’un déjeuner le 25 juin 1943 sont à cet égard révélateurs. À Queuille qui lui fait observer : « si votre programme comporte la taxation sévère des produits agricoles, la propriété des fonds de commerce à l’État, et certaines mesures financières, faites le compte de ce qui restera d’électeurs favorables à vos thèses », Boris lui aurait répondu : « Mais le petit commerce a disparu !! ». La conclusion d’Henri Queuille est sans appel : c’est « invraisemblable !! ». Ces gens sont à ses yeux des « astrologues » dépourvus de tout sens des réalités et leur projet s’apparente à une forme de « néofascisme » : ils feraient « du national-socialisme avec un pouvoir fort25 ». Assurément, il préfère la compagnie de Robert Spear Hudson, le ministre de l’Agriculture britannique qui l’a reçu le 9 juin « comme un vieux garçon reçoit un copain » et avec lequel il a eu « une conversation intéressante »..., ce dernier « se méfi (ant) lui aussi des grands plans26 ».
14Ce refus profond et même viscéral des réformes de structure n’est pas indifférent à l’éclipse provisoire d’Henri Queuille à la Libération et ce, en dépit de son action à Londres et surtout à Alger où il a tout de même assuré l’intérim de la présidence du gouvernement provisoire de la République française. Au surplus, refusant de s’associer à une critique générale de la IIIe République qui pour lui n’aurait aucunement failli, de renier les valeurs radicales et d’envisager une alliance électorale avec les communistes, Henri Queuille est battu de façon cinglante aux élections à la première constituante en octobre 1945. Il doit batailler ferme pour opérer sa « remontée politique27 » et se faire élire, de justesse, à l’Assemblée nationale lors des élections législatives du 10 novembre 1946. De nouveau remis dans le bain de la politique active, il devient président du groupe radical-socialiste à l’Assemblée (après l’élection d’Herriot à la présidence de cette dernière) et président de l’intergroupe du Rassemblement des gauches républicaines28, fonctions qui lui permettent de rencontrer régulièrement le président de la République Vincent Auriol. Les difficultés de l’année 1947 (éclatement du tripartisme, montée en puissance du RPF) et l’affirmation de la troisième force font d’Henri Queuille un acteur incontournable de la vie politique française. Entré comme ministre d’État dans l’éphémère gouvernement d’André Marie (24 juillet-28 août 1948), il est resté sans interruption au gouvernement pendant six ans. Il a occupé surtout à trois reprises la présidence du Conseil : 13 mois de septembre 1948 à octobre 1949, trois jours en 1950 (2-4 juillet) puis une dernière fois en 1951 (10 mars-10 juillet). Lors de son premier passage au pouvoir, et notamment en 1948-1949, les questions économiques et budgétaires furent d’une importance essentielle.
II. HENRI QUEUILLE, PRÉSIDENT DU CONSEIL, FACE AUX QUESTIONS ÉCONOMIQUES ET BUDGÉTAIRES
A. Le « moment » Queuille
15L’arrivée aux commandes d’Henri Queuille se fait dans des conditions difficiles qui suscitent colère et angoisse chez Vincent Auriol qui note crûment dans son Journal à la date du 30 août que « ce pays “fout le camp”29 ». Parmi ses motifs d’inquiétude majeurs (outre la situation internationale), on, trouve la question financière que n’a su résoudre Paul Reynaud à la tête de l’Économie et des Finances dans le gouvernement Marie. Ce dernier parti, Robert Schuman ne s’imposant pas (il reste en poste du 5 au 7 septembre 1948), il faut trouver un successeur capable de rassembler et d’inspirer confiance non seulement à la classe politique et à l’opinion publique française (dont les sondages soulignent qu’elle rejette massivement la troisième force30), mais aussi aux Américains, très préoccupés par la situation financière nationale. Pour les États-Unis en effet, ainsi que l’indique Henri Bonnet depuis Washington dans une dépêche du 27 août 1948, « la préoccupation dominante [...] va, avant toute autre, à notre situation financière. Une monnaie stable, l’équilibre budgétaire commandent, à leurs yeux, tout le problème de notre redressement31 ». La situation qui attend Henri Queuille est donc complexe et les chausse-trappes ne manquent pas.
16C’est sans enthousiasme qu’Auriol a fait appel à Queuille après qu’Herriot s’est récusé en lui conseillant d’« appeler » Queuille, ce que le président de la République fait immédiatement en lui recommandant de constituer une « équipe robuste et peu nombreuse32 ». Henri Queuille, manifestement satisfait qu’on l’ait sollicité, relève le défi non sans habileté car il n’entend pas se présenter à l’Assemblée sans avoir obtenu des garanties de la part des forces politiques. Comme l’a souligné avec justesse Jules Moch, à la différence de ses prédécesseurs, il « range les problèmes à résoudre non dans l’ordre “Déclaration, investiture, gouvernement”, mais dans l’ordre “Gouvernement, déclaration, investiture”. Il recherche donc d’abord ses futurs collaborateurs33 ». En 48 heures, il parvient à composer un gouvernement en prenant pour lui-même le seul poste dont personne ne veut : l’Économie et les Finances pour lequel il a enregistré les refus de Pierre Pflimlin, René Mayer et de Pierre Mendès France, candidats qui lui avaient été suggérés par Vincent Auriol34. Le 9 au soir, le président du Conseil désigné peut donc annoncer au président de la République qu’il est en mesure de se présenter à l’Assemblée dès le lendemain pour lui soumettre son programme et lui demander la confiance. Vincent Auriol est à la fois surpris et satisfait d’avoir choisi « un homme très fin, sérieux, ayant une volonté patiente, tenace et réfléchi » avec lequel il pense que les « rapports seront très faciles35 ».
B. Les idées et les mesures d’Henri Queuille
17Le discours d’investiture prononcé par Henri Queuille le 10 septembre 1948 permet de se faire une idée assez précise de son programme économique et financier. Conscient de ses atouts et à peu près certain d’être investi36, le futur président du Conseil entend mettre les choses au point en soulignant qu’il ne vient pas « solliciter [...] un témoignage de sympathie ou d’estime37 ». Son objectif est autre : il est là pour obtenir « un engagement réciproque d’aller en commun jusqu’au bout d’une tâche dont dépend le salut de la nation » et l’avenir du « régime républicain ». Son programme ne possède selon lui « aucune solution inédite » et il entend simplement « appliquer immédiatement les mesures qui s’imposent aujourd’hui comme elles s’imposaient hier à (ses) prédécesseurs, comme elles s’imposeraient demain avec l’aggravation du temps perdu à (son) successeur » si la confiance lui était refusée. Ce discours sans emphase et volontairement en retrait ne doit pas être pris au pied de la lettre car Henri Queuille ne manque pas tout au long de son intervention de rappeler un certain nombre de principes qui depuis son entrée en politique ont structuré ses prises de position en matière économique : la défense de l’équilibre budgétaire et du libéralisme économique.
18Comme par le passé, l’équilibre budgétaire reste pour Henri Queuille un objectif majeur et il n’est pas étonnant de le voir insister sur la nécessité que « l’ensemble des dépenses publiques » soit « couvertes par les ressources normales de l’État ». Pour satisfaire à cet « impératif catégorique », le président désigné propose des mesures marquées sous le signe des « disciplines et des sacrifices » qui se déclinent en deux parties : la réalisation d’économies « substantielles » (aucun chiffre n’est avancé) et « la création de 80 milliards de ressources nouvelles pour assurer d’ici la fin de 1948 l’équilibre budgétaire ».
19Cette défense acharnée de l’équilibre budgétaire n’a rien de surprenant dans la bouche d’Henri Queuille qui, par-delà les circonstances, reprend à son compte (mais comment pourrait-on s’en étonner ?) le discours radical classique en matière économique et financière. Dans la même perspective, il est tout à fait symptomatique de le voir stigmatiser la « course entre les prix et les salaires » et les dangers inflationnistes qui l’accompagnent en prenant la défense de catégories sociales qui ont, des décennies durant, formé la clientèle des radicaux. Ainsi, c’est au nom de la défense « des petites gens, rentiers, modestes propriétaires, retraités, économiquement faibles, qui ont droit, eux aussi, à la protection des pouvoirs publics » qu’Henri Queuille entend lutter pour la défense de l’équilibre budgétaire et l’assainissement de la situation financière. Président du Conseil à l’aube des années cinquante, Henri Queuille demeure le représentant et le porte-parole de la France du « modèle républicain ».
20La défense du libéralisme est un autre principe fondamental mis en avant par Henri Queuille. L’entre-deux-guerres qui l’avait pourtant mis à mal n’avait pas entamé la confiance d’Henri Queuille dans ses vertus. En 1948, ce dernier lui reste fidèle et l’exprime sans ambiguïté : il est « trop libéral de tempérament et de doctrine pour (s’) engager systématiquement dans la voie de la coercition ». Ainsi, en bon radical, si le futur président du Conseil veut bien corriger certains « abus trop criants », il est hors de question pour lui de s’engager dans une politique dirigiste à laquelle il répugne par principe38.
21À défaut d’être originales ou brillantes39, les idées qui guident Henri Queuille en matière économique et financière ont le mérite de la clarté. Il faut ajouter que le bagage de principes d’Henri Queuille constitue dans son esprit un horizon indépassable et que sa formule selon laquelle « la situation commande » de l’« empirisme » ne doit pas être prise au pied de la lettre. En vieux routier des joutes parlementaires, Henri Queuille est capable de souplesse et d’accommodements40 mais, malgré une certaine bonhomie naturelle, il ne saurait transiger sur ses principes.
C. Les collaborateurs d’Henri Queuille
22Le choix des hommes en charge des questions économiques est de ce point de vue très révélateur et c’est « une équipe orthodoxe » qui s’installe aux commandes41. Si le président du Conseil s’est conservé le portefeuille de l’Économie et des Finances, il s’est entouré de personnalités appelées à jouer dans les années à venir un rôle capital dans les questions économiques et financières.
23Il faut d’abord évoquer Maurice Petsche nommé secrétaire d’État aux Finances et promu ministre en janvier 1949. Âgé alors de 52 ans, député conservateur de l’action paysanne, Maurice Petsche avait déjà un bagage et une expérience remontant à l’entre-deux-guerres. Fils d’un grand entrepreneur de constructions électriques, reçu à la Cour des comptes en 1920, cette figure éminente du Redressement français avait publié en collaboration avec Jacques Donge un livre remarqué en 1928 et préfacé par André Tardieu42. Non content de défendre ses idées par la plume, Maurice Petsche s’était lancé dans une carrière politique et avait été élu député pour la première fois en 1925 avant de devenir sous-secrétaire d’Etat à la Guerre en 1930 dans le deuxième cabinet Tardieu. À la tête de son secrétariat d’État, Maurice Petsche, dépeint souvent comme une personnalité fantasque, qualifié par Louis Franck d’« homme le plus gratuitement truculent43 » qui soit, et comparé par Edgar Faure au « père Ubu » d’Alfred Jarry, se montre un partisan résolu de l’orthodoxie, habité par un « obsessionnel [...] souci [...] de l’équilibre budgétaire » et comme Henri Queuille un adepte du poincarisme44.
24Pour épauler Maurice Petsche, Queuille a fait appel à trois autres secrétaires d’État : deux MRP, Alain Poher, au Budget et Yvon Coudé du Foresto au Ravitaillement (ils ont démissionné au bout de quelques semaines) et surtout, Antoine Pinay qui fait ses débuts ministériels comme secrétaire d’État aux Affaires économiques45.
25Dans l’entourage immédiat d’Henri Queuille, la continuité prédomine. Selon son habitude, il s’est adjoint le concours de gens sûrs.
26Il y a d’abord Paul Devinat, nommé secrétaire d’État à la présidence du Conseil et qui pour la première fois entre dans un gouvernement. Il avait avant la guerre servi Henri Queuille comme directeur de cabinet, été sous l’occupation directeur des Affaires économiques au ministère des Colonies (jusqu’en juin 1941) puis nommé par Yves Bouthillier conseiller-maître à la Cour des comptes (ce qui ne l’avait pas empêché de fonder un petit réseau au ministère des Colonies en relation notamment avec Jacques Chaban-Delmas)46.
27Pour la présidence du Conseil, Queuille a formé un cabinet restreint (une douzaine de personnes47) et choisi pour sa direction Pierre Chaussade, qu’il avait rencontré comme sous-préfet à Brive en 1945 (et qui venait de passer préfet), tandis que son ami Guy Boursiac (qui a appartenu à tous ses cabinets depuis 1926, en charge notamment des « questions corréziennes ») occupe les fonctions de directeur-adjoint48. Boursiac est assisté de deux chefs adjoints : Guy Canteloube, administrateur à l’Office des changes et Jean Coudert, officier de justice maritime. Concernant les autres membres, il faut constater le peu de place accordé aux conseillers techniques (on n’en trouve que deux : Charles Brasart au Ravitaillement49 et un autre corrézien déjà employé à Alger, René Plas) et surtout l’absence de spécialiste des questions économiques et financières. En dehors de Paul Devinat, les seuls spécialistes qui ont alors entouré Queuille se trouvent dans son cabinet du ministère des Finances.
28Pour le diriger, Henri Queuille a appelé Claude Tixier, inspecteur des Finances, directeur-adjoint des prix sous l’Occupation, chef du service d’expertise économique à partir de 1946 puis directeur-adjoint du cabinet de René Mayer. Fort éclairant, le témoignage de Claude Tixier50 permet d’apprécier la façon dont Queuille a assumé ses fonctions de ministre de l’Économie. Dès leur première rencontre, Henri Queuille lui a expliqué qu’« il ne connaissait pas du tout les Finances » et « ne pouvait pas aller très souvent rue de Rivoli » ; il le chargeait donc de « faire en sorte que tout se passe comme s’il était toujours là-bas ». Absent physiquement de la rue de Rivoli, Henri Queuille n’en a pas moins suivi au quotidien l’évolution du ministère puisque Claude Tixier venait le voir chaque matin.
29À côté de Claude Tixier, Henri Queuille s’est appuyé sur Jean Filippi qu’il avait déjà pris à ses côtés en 1937 avec Jean Bichelonne lors des négociations sur la SNCF. D’après le témoignage de Jean Filippi51, Henri Queuille aurait souhaité l’avoir comme directeur de son cabinet pour l’Économie et les Finances mais celui-ci l’en avait dissuadé, ayant été sous l’occupation le directeur de cabinet d’Yves Bouthillier52. Néanmoins, Henri Queuille l’a très régulièrement consulté (ils se promenaient ensemble quotidiennement dans les jardins de Matignon), et a fini par le prendre officiellement comme conseiller technique à partir du premier mars 194953.
30Ce choix des hommes est doublement révélateur. D’abord, d’un tempérament et d’un style de gouvernement puisqu’Henri Queuille entend avoir auprès de lui une équipe restreinte composée d’hommes qu’il connaît souvent de longue date et en qui il a confiance. Ensuite, d’une orientation car le passé des hommes choisis, qu’il s’agisse de Claude Tixier ou de Jean Filippi font d’eux des « orthodoxes » convaincus.
D. Des principes aux réalités, la politique budgétaire d’Henri Queuille
31La politique menée par Henri Queuille ne saurait cependant s’analyser uniquement à T aulne des quelques principes qui guident son action. La situation dont il hérite, notamment en matière économique et financière, doit être considérée, au regard des circonstances exceptionnelles de la France des années 1948-1949, de la masse des contraintes pesant sur le président du Conseil et de la marge de manœuvre dont ce dernier dispose. La contrainte intérieure est forte car la déception et les frustrations de l’opinion sont profondes devant la lenteur du retour à la normale, tandis que la pression est entretenue par les gaullistes et les communistes. À cela, il faut ajouter la contrainte extérieure liée avant tout au montant futur de l’aide américaine. Comme l’a souligné Gérard Bossuat, « la grande question [...] est de savoir combien la France disposera d’aide américaine pour l’année suivante. La détermination finale de la somme étant du ressort du congrès des États-Unis, il faut se tourner vers Washington et influencer les commissions parlementaires54 ».
32Le poids des contraintes rend par conséquent la marge de manœuvre étroite et Henri Queuille comme n’importe quel autre président du Conseil à sa place doit s’employer à parer aux urgences. Sa première priorité est de sonder les intentions américaines.
1. Le bon vouloir des Américains
33Dès son investiture, Henri Queuille s’est soucié de rencontrer David Bruce, chef de la mission du plan Marshall en France pour lui exposer son projet de stabilisation et d’assainissement. Cet entretien du 13 septembre se passe fort bien si on en juge par la réaction de David Bruce, qui exprime sa satisfaction à Washington devant ce programme considéré « du point de vue fiscal comme le plus courageux et satisfaisant qui puisse être proposé dans les difficultés présentes55 » et pousse son gouvernement à débloquer immédiatement la contrevaleur. C’est chose faite dès le 16 septembre et Henri Queuille, surpris lui-même de la rapidité de la décision américaine, téléphone à Vincent Auriol pour lui exprimer son contentement. Le président de la République est également soulagé et estime que ce déblocage « sauve la Trésorerie et rétablit un climat de confiance, avec les économies et les impôts56 ».
34Cependant, ce déblocage est « politique57 » et repose sur la confiance inspirée par Queuille et les pesanteurs d’une situation internationale dominée par le blocus de Berlin. Il n’est d’ailleurs que la première étape d’un dispositif plus lourd, puisqu’aux 45 milliards de francs débloqués dans l’urgence, doivent s’ajouter 45 autres milliards en octobre après la mise en route du programme de Queuille.
35C’est à cette tâche que ce dernier s’emploie en proposant dès le 18 septembre à l’Assemblée nationale un ensemble de mesures. Comme lors de son discours d’investiture, Henri Queuille dresse un tableau sans concession de la situation et annonce pour la fin de l’année un déficit budgétaire de 114 milliards et un déficit de trésorerie « plus considérable encore58 ». Dans ces conditions, afin de faire face à un « déficit qui tend à devenir mortel », de défendre le franc et de juguler au maximum les menaces d’inflation, il propose, dans la droite ligne de son discours du 10, non seulement des réductions de dépenses (qui passent entre autres par des compressions d’effectifs à EDF et dans les Houillères), mais surtout un ensemble de textes visant à créer des ressources nouvelles pour un montant de 80 milliards. La discussion est âpre puisque le président du Conseil doit enregistrer les critiques de la droite, développées en l’occurrence par Édouard Frédéric-Dupont qui entend exprimer la « stupeur » des contribuables devant ce « tour de vis fiscal59 », mais également celles des communistes qui par-delà les mesures prises dénoncent l’ingérence américaine. Henri Queuille fait front, et pour ce qui est de la mise en cause des États-Unis, s’abrite derrière le « contrat » liant la France aux autres nations ayant accepté le plan Marshall. Le vote acquis, il peut reprendre ses contacts avec les Américains. Le 25 septembre 1948, il écrit au « patron » de l’ECA60, Paul Hoffman, pour lui présenter ses réformes et lui annoncer la rentrée de 80 milliards supplémentaires obtenus ainsi que la suppression de 135 000 emplois publics61. Ces mesures satisfont les autorités américaines et le 27 septembre, Bruce peut écrire à Queuille que l’accord américain est donné « en considération des résultats qui pourront être obtenus par le nouveau programme de stabilisation ainsi que par les projets de développement, au financement desquels les fonds seront spécialement utilisés62 ».
36L’avenir se présente donc sous le signe d’une certaine espérance pour le gouvernement Queuille. Le choix fait par ce dernier de cumuler la charge de ministre de l’Économie et des Finances et de président du Conseil s’avère diplomatiquement payant car les Américains n’ont devant eux qu’un seul interlocuteur qui se montre capable de leur inspirer confiance. Si le poids du contexte international est essentiel, la part de la personnalité d’Henri Queuille, les principes qu’il développe en matière économique et son souci de ménager les Américains doivent être pris en considération. Cette volonté conciliatrice à leur égard n’est pas nouvelle car déjà pendant la guerre, Henri Queuille s’inquiétait des conséquences fâcheuses de l’intransigeance des hommes de la France libre vis-à-vis des États-Unis... sans pour autant professer une haute estime pour les Américains qui selon lui « connaissent mal la France, et sont de grands enfants63 ». Cette volonté d’une conciliation imposée par les nécessités de l’heure se retrouve à cette époque : pour Henri Queuille, sa politique est la seule possible et c’est celle du moindre mal. Comme il l’explique à la tribune de l’Assemblée le 18 septembre, les « dangers qui [...] menacent [...] risqueraient de mettre la France dans une situation tellement dramatique que toutes les conséquences possibles du projet que nous discutons sont tout de même moins graves que les dangers que nous essayons d’éviter64 ». Pour réussir, il doit impérativement passer par une entente avec les Etats-Unis, ce qui explique le soin particulier qu’il met à informer les représentants américains de ses intentions et à satisfaire leurs revendications. La politique économique et financière ne saurait être en effet limitée à des enjeux franco-français et Henri Queuille, plus que l’homme d’un programme économique est d’abord celui d’une situation que personne ne voulait affronter. Elle est indiscutablement meilleure trois semaines après sa prise de fonction mais les difficultés intérieures contrarient rapidement les espoirs du mois de septembre.
2. La crise de l’automne 1948
37Henri Queuille, conscient de la difficulté de sa tâche, s’est employé à obtenir une accalmie sur le front de la politique intérieure en faisant repousser les élections cantonales prévues pour octobre au mois de mars 1949. Par ailleurs, si les élections au Conseil de la République ont été maintenues, les règles en ont été changées, le nouveau système électoral devant avantager le Gouvernement65. Néanmoins, la situation politique est profondément perturbée à partir de grèves déclenchées dans les Houillères le 4 octobre 1948 et qui durent « officiellement » jusqu’au 29 novembre. Devant l’étendue du mouvement, Henri Queuille décide de prendre la parole le 9 octobre et de lancer un appel solennel aux mineurs66 pour souligner que « si le droit de grève est un droit sacré [...] le droit de vivre pour la nation est un droit non moins sacré » et que « le premier devoir du Gouvernement (étant) d’assurer la vie de la nation [...] il n’y faillira pas ». Plus explicitement, le président du Conseil dénonce « les préoccupations politiques de certains » en trouvant « inadmissible que l’on puisse demander à la classe ouvrière de prendre parti contre l’aide généreuse que nous apportent les États-Unis d’Amérique et que le droit de grève puisse servir à exercer sur la politique extérieure du pays une intolérable pression. » Son appel s’achève sans surprise sur une mise en garde sévère : « le Gouvernement [...] ne tolérera pas de pareilles menaces pour le régime républicain qu’il est résolu à défendre. Il usera des moyens nécessaires pour faire cesser une agitation qui prend un caractère insurrectionnel. »
38Par-delà la question de leur « caractère insurrectionnel », ces grèves sont essentielles à cause de leurs implications économiques et diplomatiques. Comme l’a souligné Jean-Jacques Becker, « la crainte de cette insurrection que le parti communiste n’avait pas voulu faire en réalité continua à peser sur la confiance que les puissances occidentales pouvaient avoir en la France », au point d’ailleurs que L’Observer de Londres lâchait au début de novembre 1948 : « La France est une alliée sur laquelle nous ne pouvons plus compter. »67
39Ces grèves engendrent en effet une déception profonde et des doutes de plus en plus sérieux de la part de la presse et d’une partie des autorités américaines vis-à-vis des capacités de la France à surmonter ses difficultés. De ce point de vue, le mémorandum de Labouisse rédigé à la mi-octobre et intitulé « La crise française » est sans aménité. Le constat effectué est brutal : la situation française est particulièrement préoccupante et par là même compromet l’avenir de l’ensemble du plan Marshall, ce qui inquiète non seulement les Américains mais aussi les Européens regroupés dans l’OECE. Pour les premiers, il n’est pas question de réduire brutalement l’aide mais il paraît nécessaire d’obtenir des garanties sérieuses, notamment quant au budget de 1949 dont la présentation va conditionner l’attitude du congrès. De leur côté, les seconds s’impatientent, à commencer par Paul-Henri Spaak, le président du Conseil de l’OECE. La délégation française y est donc en mauvaise posture et les services d’Hervé Alphand ne peuvent que le souligner explicitement au gouvernement dans une note sans ménagement : « il est clair que l’organisation européenne comme l’administration américaine attachent une importance toute particulière à voir l’équilibre économique et financier de la France rétabli dans les délais les plus courts68. »
40Du côté de la présidence du Conseil, on voit les choses sensiblement différemment, Henri Queuille poursuivant son action dans la voie qu’il s’est tracée : l’assainissement et des rencontres périodiques avec les représentants américains. L’étroitesse de sa marge de manœuvre ne saurait occulter la volonté du président du Conseil d’essayer de faire triompher ses principes d’orthodoxie.
41On peut d’abord citer les « instructions » d’Henri Queuille envoyées à la commission des investissements réunie le 1er octobre 1948 qui sont notamment de poursuivre un objectif d’équilibre des échanges extérieurs pour 1952 et de juguler le risque d’inflation provenant du déséquilibre des dépenses publiques. Par ailleurs, les programmes prévus par la commission doivent « être maintenus dans la limite des ressources financières qui peuvent être escomptées avec certitude. » À cet égard, Maurice Petsche, présent à la réunion, recommande « une extrême prudence, étant donné les incertitudes et les difficultés de la situation économique et financière »69.
42Plus significative encore est la réunion du Comité économique interministériel du 5 octobre 1948 qui rassemble outre Henri Queuille qui la préside, les différents secrétaires d’Etat chargés des questions économiques (Petsche, Pinay et Poher), mais aussi Hervé Alphand et Jean Monnet. À l’ordre du jour, le « Programme à long terme » destiné à l’OECE70. Riche de contenu, cette séance met clairement en lumière l’opposition entre les vues de Jean Monnet et celles des ministres chargés des questions économiques. Henri Queuille et Maurice Petsche s’accordent pour mettre en doute les prévisions retenues en matière d’exportation, notamment de produits agricoles. De même, le secrétaire d’Etat critique la façon dont est abordée la question des investissements. Celle-ci est pour lui « le problème central » et il se demande comment le financement des investissements prévus est possible « sans stériliser toute possibilité de crédit pour l’économie privée ». Une telle perspective est également d’après lui porteuse d’une charge fiscale à venir qui paraît discutable et même inopportune car il déclare ne pas apercevoir « d’une manière très claire les bénéfices que l’on peut attendre de ces investissements sur l’augmentation de la production et surtout sur le développement des exportations ». La conclusion de Maurice Petsche est sans surprise : « le programme des investissements doit être sensiblement réduit ». Cette démonstration du secrétaire d’État est reprise à son compte par Henri Queuille qui s’inquiète des « lourds sacrifices » que le programme d’exportations jugé « trop ambitieux, fera supporter [...] aux consommateurs », tout en craignant « que dans le même moment on ne puisse encore imposer aux Français un effort fiscal écrasant pour financer des investissements dont la cadence de réalisation peut paraître trop rapide ». Acculé à la défensive, soutenu seulement par Pierre Pflimlin (sur ses objectifs agricoles, ce qui d’ailleurs a peu de poids face à Henri Queuille), Jean Monnet s’emploie à défendre son projet mais son résumé des trois questions (investissements, exportations et équilibre budgétaire par la réforme fiscale) à « résoudre simultanément » laisse de marbre Henri Queuille et Maurice Petsche.
43Cette réunion est révélatrice des priorités et des préoccupations des acteurs. Pour Michel Margairaz, elle permet de poser les termes du débat : « prélever davantage pour dépenser plus en faveur de l’équipement et exporter sans abaisser le niveau de vie, ou bien prélever moins, en restreignant les crédits d’investissements, et ne pas trop exporter afin d’épargner la consommation71 ». Par-delà ces questions, cet échange de vues permet de mesurer le fossé qui sépare les politiques et les experts : le président du Conseil songe d’abord aux consommateurs et donc aux électeurs et se préoccupe de ce qui lui paraît politiquement acceptable par ceux-ci au lendemain de grèves très dures, tandis que Jean Monnet raisonne d’abord en fonction des besoins de « l’économie française », des exigences liées à la contrainte extérieure et de l’impératif de modernisation. On est bien dans deux logiques différentes. Enfin, il est intéressant d’évoquer l’épilogue de cette réunion. Elle se termine pour Jean Monnet dans le bureau de Vincent Auriol qui le reçoit le 6 octobre72 . Le président de la République le trouve « très pessimiste ». Au vu de l’entretien, il paraît surtout furieux. Il enrage en effet contre le personnel politique puisque « personne ne veut revenir devant le Parlement pour réclamer des impôts nouveaux » (Henri Queuille et Maurice Petsche ne sont pas nommés mais l’allusion est transparente) mais aussi contre l’Administration sur laquelle il porte un jugement dénué de toute nuance : « il n’y a plus d’Administration ; les inspecteurs des Finances dominent et ils sont médiocres. » La conclusion est donc sans appel : « Personne ne veut d’impôts, personne ne veut d’efforts. » En fait, Jean Monnet est mécontent de voir que ses idées ne sont pas prises en considération et que sa « révolution » largement inspirée de l’exemple anglo-saxon n’éveille pas d’écho favorable. Son dernier argument concerne la « réaction américaine », jugée « très mauvaise » devant les atermoiements de la politique française. Ceci étant, il y a urgence dans le choix de solutions car les Américains s’impatientent. Le budget de 1949 représente en effet dans leur esprit un indicateur décisif des intentions françaises.
3. L’heure de vérité : le budget d’Henri Queuille
44À l’heure où il boucle son budget, Henri Queuille doit faire face à une triple contrainte. Deux d’entre elles sont immédiates, quotidiennes et convergentes : celle des experts et notamment du commissariat au plan de Jean Monnet et celle des Américains. Leur importance ne saurait conduire Henri Queuille à en négliger une troisième, la contrainte parlementaire car le vote du budget est une épreuve de vérité pour son gouvernement qui dispose d’une majorité très fragile.
45Secoué par la grève des mineurs, Henri Queuille connaît un mois de décembre très difficile et se présente même à Vincent Auriol comme relativement « découragé », songeant à démissionner « s’il n’obtient pas l’adhésion de la majorité73 ». Il a cependant dépensé toute son énergie à bâtir et à faire adopter un budget.
46Peut-on parler d’un budget Queuille ? La question pourrait sembler incongrue quand on songe au poids des contraintes pesant sur le président du Conseil et à l’image de falot communément donnée de lui. En réalité cependant, malgré l’étroitesse de sa marge de manœuvre, le budget porte l’empreinte des idées du président du Conseil. Elles ont, en effet, guidé les arbitrages et fait plier, malgré une opposition tenace, le point de vue des experts.
47Michel Margairaz a retracé avec beaucoup de précision « la bataille des investissements pour 1949 » mettant aux prises le groupe de travail restreint de la commission des investissements et le tandem Petsche-Queuille. Les conclusions des réunions du groupe de travail s’articulent autour de deux principes : une augmentation des prélèvements fiscaux et une volonté de privilégier l’Equipement aux dépens de la Reconstruction74. Pour Henri Queuille comme pour Petsche, c’est inacceptable et leur désaccord avec les experts, et en particulier avec Jean Monnet est patent. Le début du mois de décembre marque sur ce point un paroxysme.
48Faute d’avoir pu convaincre ses interlocuteurs, Jean Monnet, pour faire triompher ses vues, utilise ses relations privilégiées avec les Américains. Il ne fait d’ailleurs guère de doute qu’il ait « soufflé un certain nombre d’informations, sinon d’arguments, au chef de la mission de l’ECA pour sa rencontre avec Maurice Petsche, le 30 novembre75 ». Cette attitude de Monnet agace au plus haut point le personnel gouvernemental et le « cas Monnet » fait l’objet d’un débat serré à l’occasion du Conseil des ministres du 1er décembre. D’après les notes de Vincent Auriol76, « Monnet est très vivement attaqué » et certains l’accusent « de soutenir les Américains et de les documenter ». Pour Robert Bétolaud, ministre PRL des Anciens combattants et Victimes de la guerre, il faudrait même le révoquer. Sans aller jusqu’à une telle extrémité, Henri Queuille reste, comme quelques semaines plus tôt, cantonné à son leitmotiv : « Il faut faire des économies » et par conséquent, il se méfie comme par le passé des propositions de Monnet.
49Le problème majeur cependant, c’est que les idées de Monnet sont reprises au moins en partie par les autorités américaines, Henri Queuille recevant à cet égard une lettre éloquente de David Bruce77. D’abord, le chef de la mission du plan Marshall prend le soin de préciser qu’il a longuement discuté avec ses collègues et que son opinion est partagée par d’autres ; ensuite, cette lettre étant une « opinion inofficielle », il s’exprime avec « une entière liberté ». Deux conclusions se dégagent de son propos. En premier lieu, une certaine chaleur à l’égard d’Henri Queuille, cette lettre louant « les efforts sérieux qui ont été faits en France, plus particulièrement depuis que (son) gouvernement a été formé ». Cette sympathie affichée n’exclut cependant pas une indéniable fermeté. Selon David Bruce : « les chances pour la France d’obtenir des crédits adéquats du prochain Congrès américain sont manifestement faibles, à moins qu’un programme fiscal et financier réaliste pour 1949 soit adopté par le Parlement français ». Suit ensuite une liste d’objectifs à atteindre où l’accent est mis sur l’effort fiscal à entreprendre et son adéquation nécessaire avec le programme d’investissements à mettre en œuvre. À l’évidence, la convergence de vues avec Jean Monnet est nette et la mise en garde sévère, ce qui a fait dire à François Bloch-Lainé que « la grandiloquence diplomatique [...] était une politesse de convenance78 ».
50Face aux demandes de Monnet et aux mises en gardes américaines, la marge de manœuvre gouvernementale est à l’évidence étroite d’autant que Jean Monnet ne relâche pas la pression lors des ultimes arbitrages. Les premiers jours de décembre sont très mouvementés et Jean Monnet s’efforce de faire prévaloir ses vues en s’appuyant sur les Affaires économiques et l’Industrie, en sollicitant le Trésor et en venant rencontrer Vincent Auriol le 8 décembre79. Ce dernier vient de voir Henri Queuille qui lui a dit rester « persuadé que tout s’arrangera » avec Monnet. Vincent Auriol trouve cependant le commissaire au plan « très découragé », lui confiant « qu’il cherche à s’en aller ». Pour l’heure, il s’estime dans l’impasse car si « sur la demande de Queuille [...] il a comprimé au maximum », il ne peut à présent « faire l’effort exigé » car accepter une nouvelle réduction des crédits d’équipement « réduit à néant nos chances de redressement ». Face à cette situation, Vincent Auriol se propose de jouer les intermédiaires. Il téléphone ainsi à Petsche et lui « demande de faire des efforts ». Ce dernier se montre conciliant, lui affirme qu’il « a fait examiner les chiffres de Monnet » et « croit qu’il pourra lui donner satisfaction ». Au cours du Conseil des ministres qui se déroule l’après-midi même, Maurice Petsche présente le budget en affectant 264 milliards au fonds de modernisation et d’équipement. Ce chiffre rend Jean Monnet furieux et la séance de la commission des investissements du 11 décembre est particulièrement tendue80, Jean Monnet prétendant qu’il est « impossible » de répartir le chiffre gouvernemental tandis que Maurice Petsche lui répète à quatre reprises que le rôle de la commission doit se borner à cette tâche d’exécution et qu’« il n’y a pas lieu de revenir sur une décision gouvernementale ». En définitive, le montant attribué au Fonds de modernisation et d’équipement (FME) est fixé à 269 milliards. Les politiques ont eu le dernier mot, au grand dam de Gérard Bossuat qui déplore qu’il se soit trouvé « un président du Conseil et son ministre des Finances pour préférer à l’effort de la modernisation un équilibre budgétaire au moindre coût81 ». En fait, cette réaction traduit à la fois un rejet explicite des options de Monnet et une volonté des politiques de rester maîtres de la situation.
51Il leur faut d’ailleurs affronter une ultime contrainte, celle du Parlement. Il ne pouvait en effet être seulement question de bâtir un budget acceptable par les Américains et le Plan, mais il fallait aussi affronter la discussion et le vote de l’Assemblée nationale. C’était bien sûr un impératif constitutionnel et politique mais dans l’esprit d’Henri Queuille, c’était davantage encore, cette sanction parlementaire étant la source même de sa légitimité et l’une des raisons d’être du Parlement. Comme l’a expliqué le président du Conseil lui-même à la tribune de l’Assemblée nationale, « vieux parlementaire », il « souhaite que l’on en revienne dans cette Assemblée, à ce qui était la pratique des assemblées de la IIIe République, en sorte que chacun puisse, ici, donner le meilleur de son temps à l’examen d’un budget préparé à date utile82 ». Cependant, de cet idéal à sa réalisation, il y a loin et la discussion du budget de 1949 doit se faire selon une procédure exceptionnelle et rapide, ce qui ne manque pas de susciter des grincements de dents.
52En habitué des joutes parlementaires, Henri Queuille sait à quoi s’en tenir, et vu l’étroitesse et la fragilité de sa majorité, il a pris ses précautions. D’abord, au niveau gouvernemental, et il est frappant de voir qu’à l’occasion du Conseil des ministres du 8 décembre où Maurice Petsche présente le budget83, l’intervention majeure d’Henri Queuille concerne l’attitude à venir du Parlement dont il craint la lenteur et les réticences devant la procédure budgétaire retenue et la décision de reporter la discussion de la réforme fiscale. Henri Queuille demande et obtient dans ces conditions, l’autorisation de poser la question de confiance en cas de nécessité sur ces deux points. Le 10 décembre, une première discussion a lieu à l’Assemblée sur la procédure retenue qui doit être une procédure accélérée (les crédits doivent être votés par ministères et non par chapitres). Le moment marquant est cependant la discussion générale qui dure du 20 au 24 décembre. Les échanges sont âpres et Henri Queuille montre à cette occasion tout son savoir-faire parlementaire. Sa présentation du budget84 prend en effet en compte les attentes des parlementaires qui sont fort différentes de celles des experts. Alors que ces derniers, raisonnant sur le moyen et le long terme, entendaient voir l’équipement pris en compte, les députés soucieux d’abord du présent (et des réactions de l’opinion) se préoccupent avant tout des économies à réaliser et de la question fiscale. Le président du Conseil, dans ces conditions, commence par passer en revue, chiffres à l’appui, les économies réalisées par le Gouvernement (grâce à la réduction des crédits de paiement comme d’engagement, à la baisse du nombre des fonctionnaires, etc.) et les ressources qui ont pu être obtenues (ventes des biens de l’État dont les chevaux de l’armée). Le résultat pour Henri Queuille est évidemment satisfaisant mais... insuffisant car il faut demander des ressources supplémentaires. Celles-ci sont en effet indispensables à la reconstruction. C’est le cœur du discours d’Henri Queuille : il faut prélever des ressources pour reconstruire. Comment s’y prendre ? D’abord, en recourant à un emprunt et le président du Conseil ne doute pas que « l’appel à la solidarité française pour reconstruire la France blessée est l’un de ceux que les Français entendent toujours ». À l’appui de sa démonstration, il cite les « emprunts locaux de sinistrés » qui « en l’espace de huit jours [...] ont été couverts trois fois ». Pour le président du Conseil, un tel exemple est probant et « c’est sur cet esprit de solidarité » qu’il compte « pour faire réussir les emprunts que nous voulons émettre pour un montant total d’environ 100 milliards de francs ». L’emprunt, malgré ses vertus ne saurait suffire à financer la reconstruction : il faut donc y ajouter des nouveaux impôts, à hauteur de 135 milliards. « Absolument indispensable à la vie du pays », cette somme doit permettre de poursuivre les travaux en cours et d’en entamer d’autres. Pour s’imposer face à une majorité globalement rétive en matière fiscale, Henri Queuille fait de nouveau jouer la corde sensible en invoquant les « sinistrés » qu’on ne saurait « abandonner [...] et continuer de [...] laisser vivre dans des baraques ou dans des caves ».
53Dominée par le double impératif de la rigueur budgétaire et de la reconstruction, la discussion budgétaire a fait l’impasse sur la question de l’équipement qui avait pourtant largement occupé les esprits et mobilisé les énergies lors de la préparation de la loi budgétaire. Henri Queuille s’est en effet contenté d’indiquer le 20 décembre à l’Assemblée nationale qu’il « n’insist (ait) pas sur les dépenses d’équipement, parce que nous espérons qu’elles seront, au moins partiellement, couvertes par la contre-valeur de l’aide américaine85 ». On pourrait voir ici une marque supplémentaire de désaccord vis-à-vis des projets de Monnet ou celle d’un désintérêt profond. En fait, le président du Conseil, qui est loin d’être convaincu de leurs vertus entend régler les problèmes l’un après l’autre et son double souci est ici de sauvegarder l’unité de sa majorité et d’obtenir des ressources fiscales nouvelles pour la reconstruction. Tout en ne minimisant pas les réticences des parlementaires, il sait aussi que l’impératif de la reconstruction peut trouver chez eux un écho certain car une partie de leurs électeurs attend avec impatience cette reconstruction qui est d’ailleurs, comme l’a bien senti Henri Queuille, une idée assez facilement défendable au nom de la solidarité nationale. En serait-il de même pour l’équipement ? Rien n’est moins sûr car de telles perspectives paraissent beaucoup plus lointaines voire aventurées. Le président du Conseil sait parfaitement que sa majorité se cabrerait s’il fallait voter des ressources fiscales supplémentaires pour cette matière. Ignorant le montant à venir de la contre-valeur américaine, Henri Queuille préfère se concentrer sur les enjeux immédiats, non sans avoir pris soin d’assurer ses arrières en déclarant pouvoir espérer une couverture partielle... mais sans toutefois préciser ce qu’il adviendrait en l’absence de celle-ci.
54La modestie apparente des objectifs du président du Conseil ne signifie pas que la discussion budgétaire s’est faite dans la facilité. Au contraire, Henri Queuille a payé de sa personne, répondant sur des points très précis86 et intervenant surtout à plusieurs reprises pour mettre les parlementaires en garde et leur demander de prendre leurs responsabilités : « si vous ne vous mettez pas d’accord dans les jours qui viennent, ce sont les destinées prochaines du pays qui seront définitivement sacrifiées ». Pour Henri Queuille les choses sont simples : il importe avant tout « d’assurer la vie de la République » et donc de « trouver ici même une majorité gouvernementale87 ». La vivacité d’Henri Queuille étonne d’ailleurs les participants et Pierre-Olivier Lapie qui rend hommage dans ses mémoires à son énergie pense même qu’il avait été « un peu dopé88 ». Le résultat est à la hauteur des efforts du président du Conseil : le budget est adopté après un ultime débat de 15 heures le 24 décembre par 323 voix (141 MRP, 98 SFIO, 32 radicaux, 13 UDSR, 12 indépendants d’outre-mer, 9 UDI, 9 indépendants) contre 260 (dont les 180 communistes, le groupe PRL, le groupe d’action paysanne et des gaullistes)89.
55Vincent Auriol est très satisfait et rend hommage au « cran d’Henri Queuille qui décidément se surclasse chaque jour davantage. Il est admirable90 ». C’est effectivement sur le plan de la politique intérieure un indiscutable succès qui n’a pas échappé aux rédacteurs de l’ Année politique, qui rendent un hommage appuyé « à l’habileté et à la combativité du président du Conseil dont l’autorité sort grandie du débat91 ». Reste cependant à savoir ce que lui réserve 1949.
E. La stabilisation de 1949
1. L’éclaircie de 1949
56Mise en parallèle avec la précédente, l’année 1949 est sur le plan économique et financier infiniment plus calme que la précédente. Les indicateurs économiques deviennent progressivement satisfaisants : redressement de la production agricole, relèvement significatif de l’indice de la production industrielle et amélioration notable des comptes extérieurs (qu’il s’agisse de la balance commerciale ou de celle des paiements). Dans le même temps, la stabilisation promise par Vincent Auriol à Henri Bonnet au début décembre 194892 se confirme progressivement tant sur le plan des salaires que sur celui des prix, ce qui permet à Antoine Pinay d’entreprendre une libération progressive de ceux-ci93.
57Cette amélioration générale de la situation économique se retrouve en matière de finances publiques. L’emprunt national à 5 % émis par décret le 21 janvier 1949 rapporte 109 milliards de francs94 (100 étaient attendus) ce qui permet de couvrir près de 40 % de « l’impasse ». « Très satisfait de l’emprunt », Henri Queuille peut donc étaler son optimisme devant Vincent Auriol95. Cette amélioration de la situation a des conséquences politiques et institutionnelles puisque Henri Queuille abandonne la charge de ministre de l’Économie confiée dès lors à Maurice Petsche. Pour l’épauler, le président du Conseil nomme un nouveau secrétaire d’État aux Finances, Edgar Faure qui reprend le poste de Petsche et aussi celui d’Alain Poher. Dans la nouvelle combinaison, Henri Queuille se tient beaucoup plus en retrait tandis qu’Edgar Faure se voit confier le département du Budget mais aussi le ministère de « la parole » pour la politique économique et financière96.
58L’amélioration de la situation ne fait pas disparaître les difficultés. Les équilibres demeurent fragiles et la Trésorerie est un souci constant des gouvernants. François Bloch-Lainé a évoqué « l’air anxieux de Maurice Petsche, guettant (sa) mine, quand chaque soir, vers 17 heures, (il) ouvrai (t) sa porte pour lui apporter la situation de trésorerie97 ». Divers incidents ont d’ailleurs généré l’inquiétude des responsables au cours du premier trimestre de 1949 et notamment durant la deuxième quinzaine d’avril. Edgar Faure a raconté avec truculence son retour des vacances de Pâques et les inquiétudes de Maurice Petsche devant les dépassements de crédits98, soucis réels qui tenaillent également Henri Queuille, lequel s’inquiète devant Vincent Auriol « des ennuis causés par la situation de la Trésorerie » à cause de « la guerre et de la SNCF (qui) pompent à tour de bras, et évidemment finissent par épuiser le Trésor99 ». Par ailleurs, il ne faut pas oublier le recours constant au déblocage de la contre-valeur. L’ECA en a accepté un cinquième déblocage au début avril et au cours des mois suivants, Maurice Petsche écrit à plusieurs reprises aux responsables de l’ECA pour en obtenir de nouveaux. L’ECA les consent jusqu’en octobre où le treizième déblocage est refusé, au moins temporairement, à cause du départ d’Henri Queuille100.
59Quoi qu’il en soit, la nouvelle conjoncture de 1949 laisse augurer davantage d’optimisme et une marge de manœuvre moins étroite pour les dirigeants à l’occasion de la préparation du budget de 1950, dont on commence à poser les bases dès la fin du printemps. Cependant, alors que les travaux préparatoires sur le budget vont débuter, le gouvernement Queuille commence à connaître des difficultés sérieuses sur le plan politique.
2. Le commencement de la fin
60Une première alerte sérieuse est survenue à la fin du mois de mai où un rude débat eut lieu à l’Assemblée du 23 au 25 sur les questions financières et le « plan Petsche » proposé pour les résoudre, débat qui s’était focalisé sur le prix de l’essence et qui avait surtout tourné à la mise en cause du Gouvernement en particulier de la part des modérés. À cette occasion, le président du Conseil fut durement attaqué, notamment par Paul Reynaud. Face à ces critiques, Henri Queuille est intervenu à plusieurs reprises et s’est employé à défendre davantage l’esprit général de son action et sa réputation qu’il estimait mise à mal, que le contenu des mesures proposées.
61Deux reproches de Reynaud l’ont particulièrement blessé : sa prétendue « habileté » et l’accusation d’absence de « courage ». Répondant directement le 24 mai à son « ami » Paul Reynaud, Henri Queuille récuse l’« habileté » que ce dernier lui a prêtée car il estime qu’elle ne « réside » que dans sa volonté d’avoir « essayé d’être loyal à l’égard d’une majorité qui rassemble des hommes de partis différents » et de leur avoir « toujours dit [...] qu’ils devaient s’unir, leur union étant une des conditions qui nous permettraient d’atteindre certains objectifs, peut-être même de sauver le régime101 ». Pour ce qui est du « courage », il souligne que « son gouvernement a [...] semble-t-il montré qu’il était capable de courage, puisque avec M. le ministre de l’Intérieur, nous avons alors triomphé d’un mouvement révolutionnaire qui comportait quelques risques et que nous avons pu résoudre le conflit dans des conditions heureuses pour la nation102 ». Au surplus, songeant sans doute à l’échec de Paul Reynaud de l’été précédent, il lui adresse une pique teintée d’ironie en lui rappelant l’avoir « entendu l’autre jour affirmer avec force que l’équilibre budgétaire devait à tout prix être assuré » et qu’il était « prêt, (lui) homme courageux, à voter des mesures même impopulaires » : c’est d’excellente augure estime le président du Conseil qui espère « qu’autour de lui on entend(e) l’appel qu (’il a) lancé », car « ce n’est pas seulement au gouvernement qu’il faut du courage ; il en faut également sur les bancs de l’assemblée ». La conclusion de son discours est dans la droite ligne de son argumentation et Henri Queuille ne mâche pas ses mots : « Un vote étant un choix, je vous demande de ne pas vous borner à repousser les propositions du Gouvernement, si telle est votre intention, mais d’y substituer d’autres propositions, si vraiment vous considérez comme nous qu’il est indispensable d’assurer l’équilibre du budget et l’aisance de la trésorerie au moyen de ressources nouvelles. » Et Henri Queuille, ne manquant pas l’occasion de se référer à l’héritage de la IIIe République en appelle « au soin avec lequel les assemblées d’autrefois veillaient sur les finances de la France [...] et n’acceptaient pas que les propositions qu’elles présentaient pussent mettre en péril la monnaie ou l’équilibre budgétaire ». Le lendemain, les débats sont encore plus aigres et l’échange avec Reynaud très violent. Ce dernier a demandé au président du Conseil de sortir du domaine des déclarations et de s’engager sur trois points précis : vote de lois sur les entreprises publiques et la SNECMA avec engagement de la responsabilité gouvernementale, dépôt avant le 30 juin d’un « projet de mise en ordre de la sécurité sociale », et réformes de la SNCF103. Piqué au vif, Henri Queuille fait une réponse cinglante en soulignant qu’il n’a rien à ajouter à son discours de la veille, qu’il n’a « à recevoir aucun ultimatum d’où qu’il vienne, pas plus (qu’il) n’attend une indication venue d’Amérique par l’intermédiaire de Paul Reynaud », lequel ajoute-t-il ironiquement ne lui « en a d’ailleurs donné aucune, car il n’en avait pas à (lui) transmettre104 ». Par-delà cette passe d’armes, cette séance à l’Assemblée révèle le déficit de soutien de la majorité au centre droit, ce qui conduit Henri Queuille à conclure son ultime intervention par une mise en garde claire : « Pour continuer notre tâche, nous avons besoin de la confiance de l’Assemblée. Nous n’avons pas posé la question de confiance constitutionnelle, mais vous vous rendez bien compte que si aujourd’hui une majorité ne se dégageait pas, nous serions obligés de considérer que notre autorité n’est plus entière105. »
62En définitive, si le gouvernement parvient à passer cette épreuve en obtenant, le 26 mai, un vote favorable sur les mesures financières proposées, le total des suffrages (324 contre 351 en mars) traduit un effritement de la majorité lié à la défection d’une partie des modérés. Au surplus, il lui faut de nouveau batailler quelques jours plus tard car le Conseil de la République s’est opposé au texte voté par l’Assemblée, et comme lors de la séance du 25 mai, Henri Queuille a le 2 juin mis de nouveau sa démission dans la balance en lançant aux députés qu’un rejet de leur part du texte adopté la semaine précédente conduirait le gouvernement à en tirer les conséquences106. Le président du Conseil est cette fois encore entendu et l’ensemble du plan Petsche voté en seconde lecture le 3 juin.
63L’assaut suivant est donné par les socialistes à la fin du mois de juillet. Vincent Auriol est réveillé en pleine nuit par Henri Queuille qui lui demande s’il peut poser la question de confiance dans un débat en cours à l’Assemblée. Les socialistes présents en séance (ils sont deux dont l’ancien ministre de l’Agriculture François Tanguy-Prigent) veulent en effet s’opposer à un projet fiscal en matière agricole. Auriol ulcéré par l’attitude « pitoyable » de ces « deux démagogues agricoles » donne son aval à Henri Queuille en lui rappelant que « le Conseil des ministres avait décidé que, pour toutes questions mettant en cause l’équilibre du budget, le président du Conseil était une fois pour toutes autorisé à poser la question de confiance107 ». Cependant, si cette menace suffit à dissuader les députés concernés, la crise avec les socialistes n’est que partie remise.
64Le matin même en effet (23 juillet), la presse révèle que Daniel Mayer a accordé aux employés de la Sécurité sociale une série d’avantages financiers (prime mensuelle, indemnité de vacances, etc.). Une telle décision est lourde de conséquences car outre les demandes en cascade qu’elle va générer et ses implications budgétaires, elle entraîne des complications politiques sérieuses au sein de la majorité, aiguisant les tensions déjà vives entre modérés et socialistes. Dès le 25, Henri Queuille est chez Vincent Auriol pour lui expliquer qu’il est « dans la situation de l’homme qui va mal tourner » et lui annoncer qu’il entend démissionner si les socialistes retirent leurs ministres. Après discussion, il accepte sur l’insistance du président de la République, le principe de refuser la démission des ministres et de poser la question de confiance constitutionnelle108. Au cours des journées suivantes, la situation s’alourdit et lors du Conseil des ministres du 27 juillet, Henri Queuille parle de nouveau de la démission du ministère, ce qui provoque une mise au point ferme de Vincent Auriol qui « déclare nettement » qu’il entend la refuser et que « c’est une question pour (lui) de principe ». Finalement, le Conseil des ministres arrive à une solution : une réunion des chefs de groupes est prévue pour l’après-midi même et « ensuite on décidera une interpellation sur la politique générale du gouvernement à la suite de quoi serait posée la question de confiance constitutionnelle109 ». Organisé le 29 juillet, jour de la séparation des chambres, le vote sur la question de confiance révèle l’amenuisement de la majorité puisqu’elle tombe à 289 voix, soit une marge de seulement trois voix. Son aile droite (PRL, indépendants, paysans) a clairement fait défection et le gouvernement est sauvé par l’entrée en vacances des chambres. Cependant, chacun s’accorde à penser que la rentrée risque d’être difficile et que le gouvernement risque de ne pas passer l’automne.
65Ces complications de la vie politique et les difficultés croissantes de son gouvernement, ajoutées il est vrai à l’entière confiance que le président du Conseil porte à Maurice Petsche, expliquent sinon le désintérêt du moins le net retrait d’Henri Queuille face à la préparation du budget de l’année 1950 pourtant riche en enjeux.
3. Les nouvelles données du budget de 1950
66L’amélioration de la situation économique et les possibilités qu’elle ouvre ne sont pas les seuls éléments de nouveauté par rapport à 1948-1949. En effet, la loi dite des « maxima » qui soumet dorénavant au contrôle parlementaire, non seulement les dépenses civiles et militaires du budget mais aussi les charges liées à la reconstruction, aux dommages de guerre et à la réalisation du plan, (sans oublier les nombreux comptes spéciaux du Trésor inscrits dorénavant dans la loi de finances), a des conséquences qui dépassent le seul domaine du droit des Finances publiques. En effet, comme l’a noté Michel Margairaz, « la notion traditionnellement financière de budget se trouve désormais dépassée, du fait de ses incidences économiques et sociales110 ». Le budget est ainsi à même de changer de nature et de jouer le rôle nouveau d’instrument de la politique économique. C’est sur fond de développement du « keynésianisme », entendu comme « l’expression économique d’une culture politique réformiste et moderniste111 », le souhait d’un groupe de jeunes hauts fonctionnaires dont François Bloch-Lainé, Claude Gruson, etc. que l’on trouve aux commandes du Trésor ou du Service des études économiques du ministère des Finances. Comment réagit sur ce point la direction du Budget ? Elle connaît en juillet 1949 un changement capital avec l’arrivée aux commandes de Roger Goetze. Inspecteur des Finances, ancien du cabinet de Pierre Mendès France à Alger, directeur des Finances de l’Algérie de 1945 à 1949, Roger Goetze est décrit par François Bloch-Lamé, alors directeur du Trésor comme un homme qui « n’était pas un budgétaire sans entrailles quand il s’agissait d’investir ». Leur convergence de vues était certaine et leur « accord, que facilitait l’amitié, se faisait généralement en privé et à l’amiable, malgré des intérêts professionnellement contraires, du fait de (leurs) responsabilités respectives112 ». Il faut souligner que cette notation générale de François Bloch-Lainé trouve sa traduction pratique dès l’été 1949. En effet, une note importante du 25 août 1949 établie par Roger Goetze pour le compte de Maurice Petsche se conclut dans les termes suivants : « la présente note a été établie en liaison avec les services de M. Bloch-Lainé et [...] peut être considérée dans ses grandes lignes, comme un exposé de la situation fait en commun par la direction du Trésor et la direction du Budget.113 »
67Cette note détaillée de Roger Goetze permet d’abord de faire le point sur la situation à la fin du mois d’août. On y constate d’emblée que l’embellie de la situation économique est sérieusement contestable du strict point de vue budgétaire puisqu’il souligne qu’« il ne semble pas que le budget de 1949 doive s’exécuter conformément aux prévisions ». En effet, si le budget avait été arrêté par la loi des maxima à 1 870 milliards, il faut considérer que « les charges totales des Finances de l’État [...] risqueront de s’élever à la fin de 1949 à 2 050 milliards » ce qui signifie « pratiquement un découvert de 180 milliards ». Pour ce qui est des perspectives du budget de 1950, la situation est délicate car « en supposant que le volume des investissements, qui en 1949 a été réalisé sur les comptes spéciaux d’investissements doive demeurer inchangé, le total des charges de l’exercice qui va s’ouvrir pourrait être arbitré à 1 646 milliards, pour le budget à proprement parler et 610 pour les opérations hors budget soit un total de 2 250 milliards ». Comme l’année précédente, le problème majeur concerne la couverture des dépenses. Pour ce qui est de la fiscalité, il faut savoir que les recettes attendues sont estimées entre 1 430 et 1 475 milliards alors qu’il faudrait qu’elles puissent se chiffrer à 1 786 milliards. Comment dans ces conditions combler ces insuffisances ? Il serait possible de jouer sur les dépenses et Roger Goetze insiste en particulier sur la question du budget militaire en s’abritant derrière les propos d’Henri Queuille lui-même qui avait fixé le chiffre de 300 milliards pour les dépenses militaires alors que, d’après les prévisions, elles s’élèveront à 450 milliards. Il recommande par conséquent de « procéder à une nouvelle fixation autoritaire du plafond à ne pas dépasser par les budgets militaires, en y comprenant, bien entendu, l’intégralité de la charge des opérations d’Indochine ». Toutefois, même en comprimant les dépenses militaires ainsi que d’autres postes (à l’exclusion d’après lui des entreprises nationalisées) et notamment, les dépenses relatives à l’exécution d’une troisième tranche de reclassement de la Fonction publique – qui s’élèvent à 74 milliards et qu’il propose de ramener à 30-40 –, « il semble impossible d’éviter de recourir à des ressources fiscales nouvelles pour un montant de l’ordre de 160 milliards ». Pour le directeur du Budget, si une telle éventualité sera « fort mal accueillie, il ne semble pas toutefois qu’elle soit illégitime ». Au surplus, elle ne saurait régler à elle seule la question des finances publiques car le problème des investissements, qui avait déchaîné les passions et alimenté la polémique entre Henri Queuille, Maurice Petsche et Jean Monnet reste entier. Si « le chiffre net à envisager pour 1950 par simple reconduction des crédits de 1949 est [...] de 610 milliards », les recettes « vraisemblables » se montent à 25 pour les recettes fiscales et entre 200 et 250 pour la contre-valeur. Il faut donc envisager une diminution des dépenses. Néanmoins, et c’est de ce point de vue que sa convergence avec François Bloch-Lainé est importante, Roger Goetze souligne que cette baisse « ne peut manquer de poser un grave problème à la commission des investissements et au-delà de cet organisme, de remettre en cause tout le développement économique et toute la reconstruction de la métropole et des territoires de l’Union française ».
68Le gouvernement doit donc opérer des choix et le directeur du Budget demande expressément à Maurice Petsche de lui fournir ses « directives » sur « les conditions dans lesquelles doit être réalisé l’équilibre de ce budget » et sur le « chiffre de disponibilités probables à consacrer aux investissements », lequel doit être communiqué au comité spécial de la commission des investissements créé le 6 juillet 1949114. Le contenu de la note montre aussi que le nouveau directeur n’entend pas rester inerte dans la préparation et la mise au point de la loi de finances. Sa demande de « directives » s’accompagne en effet de recommandations précises qui révèlent chez leur auteur non une volonté de proposer le choix entre différentes options mais plutôt le désir d’orienter la politique budgétaire dans une direction bien déterminée. Sachant que pour l’essentiel elle coïncide avec les souhaits du Trésor, elle met les politiques en demeure de réagir, et vite.
69Quelles sont les intentions du gouvernement de Maurice Petsche mais aussi d’Henri Queuille ? De quelle marge de manœuvre disposent-ils ? Comment vont s’articuler leurs relations dans le cadre de la préparation du budget ?
70En fait, la situation du Gouvernement met Maurice Petsche en première ligne et il apparaît assez clairement que c’est le ministre de l’Économie qui assume l’essentiel des arbitrages. Michel Margairaz a retracé en détail leur historique, notamment en matière d’investissements, et a montré que les choses s’étaient infiniment mieux passées que l’année précédente. Assurément, l’attachement de Maurice Petsche à « l’orthodoxie » budgétaire et sa méfiance à l’égard des « investissements » n’ont pas disparu, ce qui l’a conduit le 30 juillet, dès la première réunion du comité spécial, à demander que le programme d’investissements soit soumis « à une critique extrêmement sérieuse115». Néanmoins, en partie parce que ce comité spécial a été créé à son initiative116 mais aussi car ses relations avec Jean Monnet paraissent s’être améliorées depuis l’hiver précédent117 et que celui-ci a pris les devants en réduisant drastiquement les dépenses projetées118, il n’y a pas eu d’affrontements violents, nécessitant comme par le passé des discussions en Conseil des ministres et un arbitrage ultime du président du Conseil. À dire vrai, le conflit aurait eu du mal à se dénouer à ce niveau, l’affaiblissement du président du Conseil, se confirmant dès la mi-septembre119.
4. La fin du gouvernement Queuille
71La dévaluation de la livre sterling le 19 septembre est le détonateur qui précipite la crise. Elle débute véritablement à l’occasion d’un Conseil des ministres extraordinaire qui se déroule le 19 septembre120. La discussion porte essentiellement sur les conséquences que doit avoir la dévaluation anglaise sur la situation du franc et le problème de son niveau sur le marché des changes. Face à Maurice Petsche qui souhaite s’écarter au minimum de la parité franc-dollar, les socialistes veulent (pour Jules Moch) une dévaluation du franc alignée sur celle de la livre et surtout (pour Daniel Mayer) une libération des salaires. Longtemps silencieux, Henri Queuille prend la parole pour souhaiter une « dévaluation modérée pour des raisons tirées à la fois des nécessités d’une coopération européenne, de la continuité de notre politique économique et de la situation parlementaire ». Par ailleurs, il est impératif pour le président du Conseil de « maintenir les prix » et il s’oppose clairement à la libération des salaires. Il est donc clairement du côté de Petsche et contre les socialistes.
72Déjà très critique, la situation du Gouvernement devient alarmante quelques jours plus tard et Henri Queuille en informe Vincent Auriol le 23 septembre121. La veille en effet, le comité directeur du parti socialiste s’est prononcé pour la liberté des salaires. Le président du Conseil qui ne « l’accepte pas » car il y voit une menace pour son action de stabilisation entend dénouer la crise au plus vite et « tenir un Conseil de cabinet avant ou après le Conseil des ministres », et annonce son départ « si les ministres socialistes insistent pour l’augmentation des salaires ». Ce scénario envisagé par le président du Conseil déplaît foncièrement à Vincent Auriol. Celui-ci refuse en effet d’accepter une « dislocation interne du gouvernement » au nom de la défense du régime parlementaire mais aussi pour ne pas donner prise au discours gaulliste sur le « régime des partis ». Par conséquent, comme en juillet, il ne cesse de réclamer le respect de la procédure prévue par la constitution. Cette question envenime d’ailleurs les relations longtemps harmonieuses entre le président de la République et le président du Conseil, le premier accusant le second d’être « très nerveux », « loin d’avoir du sang-froid » mais aussi d’être influencé par Petsche qui « le pousse dur, ainsi que les inspecteurs des Finances122 ».
73Cette dernière accusation est largement injustifiée car Henri Queuille ne fait que tenir le même discours depuis un an. Il ne manque d’ailleurs pas de le souligner lors du Conseil des ministres du 28 septembre en rappelant qu’« il est commandé par le mandat précis qu’il a reçu lors de son investiture » et que la politique salariale préconisée « est une politique différente de celle sur laquelle le gouvernement est constitué ». Par ailleurs, il relève avec raison que l’attitude des socialistes a « brisé » la « cohésion gouvernementale ». Néanmoins, si tous ces éléments sont indiscutables, il n’en demeure pas moins qu’Henri Queuille est assez clairement décidé à démissionner et n’a aucune intention d’être renversé par l’Assemblée. Dès que la crise de septembre s’aggrave, sa décision paraît irrévocable et nonobstant les injonctions et les rappels à l’ordre constitutionnel de Vincent Auriol, il entend organiser à sa façon sa sortie du Gouvernement. Il accepte certes le principe d’une transaction suggérée par Vincent Auriol mais ne se fait guère d’illusions sur ses résultats. A sa demande, un nouveau Conseil des ministres est réuni le 1er octobre où l’on constate qu’en dépit de certaines avancées, la discussion « longue et confuse123 » d’après Vincent Auriol achoppe toujours sur la question salariale, ce qui conduit le président du Conseil à maintenir son projet de démission malgré une nouvelle exhortation du président la République. La démission d’Henri Queuille est effective le 5 octobre. Lorsqu’il vient l’apporter à Vincent Auriol à Rambouillet, la discussion entre les deux hommes est « très vive » et même marquée par une « violente “attrapade” », chacun restant sur ses positions124.
Conclusion
74L’examen de sa politique économique et financière permet comme cela avait été le cas pour d’autres domaines précédemment étudiés de corriger l’image d’« immobilisme » généralement attachée à la personnalité et à l’action d’Henri Queuille sous la IVe République. Divers historiens, de Jean-Pierre Rioux à Jean-Jacques Becker avaient déjà souligné la dimension injuste et caricaturale d’une telle dénomination125. La recherche historique épouse par conséquent ici le point de vue développé par certains acteurs de la période, à l’instar de Jules Moch (qui a insisté sur sa « grande volonté » et son sens des responsabilités126) ou encore d’Edgar Faure, qui avec son lyrisme habituel, a ironisé sur « le prétendu immobilisme de M. Queuille » qui avait permis de gagner « la Marne du franc127 »). Nettement moins emphatique, mais tout aussi instructif est le regard que portaient à l’époque les Américains sur Henri Queuille. Ils n’ont jamais cessé de l’appuyer et le 4 avril 1949 dans un télégramme destiné à Hoffman, Bruce estimait « qu’en ce moment, aucun gouvernement (ne) pourrait faire mieux » et « dout (ait) qu’il aurait le courage de faire autant d’efforts128 ».
75Ceci étant, que peut-on, retenir de la politique économique et financière d’Henri Queuille ? D’abord, une cohérence certaine entre ses principes et la politique qu’il a menée. Sans voir en Henri Queuille un doctrinaire du libéralisme (cela n’aurait aucun sens), il n’en est pas moins vrai que chez lui les idées ont une importance souvent sous-estimée. Si l’homme est capable d’inflexions et de temporisation, il sait également rester inflexible sur ce qu’il estime être l’essentiel, en l’occurrence la nécessité de la stabilisation. Dans ces conditions, et malgré la multiplicité des contraintes qui ont pesé sur son gouvernement, il n’est pas exagéré de voir dans le budget de 1949 la marque du président du Conseil.
76Cela est au demeurant logique vu l’importance revêtue alors par les questions économiques et financières sur le plan de la politique générale, et la place que s’était réservée Henri Queuille dans le dispositif gouvernemental. Il était en effet délibérément situé au carrefour des trois contraintes majeures qui pesaient sur l’avenir de l’Économie et des Finances, lequel était conditionné par la question budgétaire. On le trouve ainsi en première ligne dans la négociation avec les États-Unis (dont il a su gagner la confiance), dans certains arbitrages essentiels avec les experts, (au prix d’une controverse assez vive avec Jean Monnet) et enfin lors du vote de la loi de finances qui fut une véritable bataille parlementaire.
77De manière plus générale, se pose la question du rôle et du poids des experts, soucieux d’expansion et de modernisation, dans la préparation et la définition de la politique économique et de l’utilisation du budget à cette fin. Leur confrontation avec les dirigeants politiques est riche d’enseignements, notamment dans le cas d’Henri Queuille qui, à l’image des hommes de la IIIe République, n’a reçu aucune formation économique. L’étude révèle qu’en dépit de tensions parfois vives, on assiste à travers l’exemple des investissements à une « conversion » au demeurant limitée des gouvernants par les experts. En revanche, il existe un important déphasage entre les experts et les parlementaires. On a vu comment Henri Queuille s’est employé lors de la discussion budgétaire à en écarter la question des investissements et combien chaque demande, notamment de ressource fiscale, qui paraît parfaitement logique aux experts qui la réclament est fort difficile à faire admettre aux parlementaires. On observe donc à partir du cas de Queuille (et celui-ci ne peut manquer d’être confirmé par d’autres) que la contrainte des gouvernants vis-à-vis des parlementaires est profonde en matière budgétaire, infiniment supérieure d’ailleurs à ce que peuvent (ou veulent bien) reconnaître les experts. On retrouve ici de façon tout à fait classique les difficultés de la IVe République (questions institutionnelles, état des forces politiques).
78Soulignons encore la difficulté fondamentale qui sous la IVe République fausse les rapports entre les présidents du Conseil et la direction du Budget : le décalage chronologique existant entre l’annualité budgétaire et la situation cahotique de la présidence du Conseil. Il est ainsi révélateur que Queuille, virtuellement démissionnaire depuis l’été, ne prenne guère part à la préparation du budget de 1950 tandis que son successeur, Georges Bidault doit s’employer à faire voter une loi de finances déjà prête, ce qui limite d’autant sa possibilité d’influence en la matière129. Il est significatif enfin que le changement essentiel que constitue l’arrivée de Roger Goetze à la tête de la direction du Budget et qui augure chez cette dernière une nouvelle approche des questions budgétaires, ait complètement échappé au président du Conseil.
Notes de bas de page
1 On se contentera de rappeler le portrait sans concessions qu’en dresse Jacques Fauvet (La IV République, Le Livre de Poche, p. 190-191) : « président du Conseil à l’éloquence et à la démarche incertaines, il réussira ô merveille, à donner une apparence d’équilibre, à conférer même un air de stabilité au régime. Avec lui, tout paraît réglé ; plus exactement rien n’est plus posé. C’est le docteur tant mieux, le président “pas de problème” ».
2 Les actes de ces deux colloques ont été publiés : Henri Queuille et la Corrèze : actes du colloque de Tulle, Limoges, Souny, 1986 et Henri Queuille et la République, Limoges, Trames, 1987.
3 Les presses universitaires de Limoges ont publié en 1993 le Journal de guerre, 7 septembre 1939-8juin 7940 présenté et annoté par Isabel Boussard. En 1995, les éditions Plon et la Fondation Charles de Gaulle ont publié le Journal de guerre, Londres-Alger, avril 1943-juillet 1944, présenté et annoté par Hervé Bastien et Olivier Dard et préfacé par Serge Berstein. Sur la période, algéroise d’Henri Queuille, voir aussi Hervé Bastien, Henri Queuille à Alger ou la République en exil, thèse Ecole nationale des Chartes, 1989.
4 Francis de Tarr, Henri Queuille en son temps, La Table Ronde, 1995.
5 Francis de Tarr, op. cil, p. 165.
6 On se contentera de renvoyer sur ce point à la communication d’Isabel Boussard, « Henri Queuille et la France rurale » in Henri Queuille et la République, op. cit., p. 69-114 et aux pages que lui consacre Pierre Barral in Les Agrariens français de Méline a Pisani, Armand Colin, 1968.
7 Henri Queuille, Le drame agricole, Hachette, 1932, 191 p.
8 Henri Queuille, op. cil., p. 9-13.
9 Sur ces différents points, Ibid., p. 37-42.
10 Ibid., p. 155-156.
11 Ibid., p. 55, p. 113 et p. 41-42. Il faut préciser que si cette idée européenne est très présente chez Henri Queuille, c’est chose courante à la charnière des années vingt-trente (Elisabeth du Réau, L’idée d’Europe au xxe siècle, Complexe, 1996), et que chez Queuille (comme chez la plupart de ses partisans) elle ne dépasse pas la pétition de principe.
12 Isabel Boussard, « Henri Queuille et la France rurale » op. cil., p. 92.
13 Henri Queuille, Le drame agricole, op. cit., p. 60-61.
14 Pierre Barral, Les Agrariens français de Méline à Pisani, op. cit., p. 253.
15 Cité in Journal de guerre, 7 septembre 1939-8 juin 1940 p. 125, note 59.
16 Cité par Isabel Boussard in « Henri Queuille et la France rurale » op. cit., p. 104-105.
17 Journal de guerre, 7 septembre 1939-8 juin 1940, op cit., p. 205.
18 Ibid., p. 207.
19 Se reporter sur ce point au Journal de guerre, 7 septembre 1939-8 juin 1940, op cit., p. 208 et p. 210 où Le Matin est reproduit en fac-similé.
20 Lettre adressée à Paul Reynaud (avec lequel ses relations sont alors exécrables) le 27 février 1940. Cité in Journal de guerre, 7 septembre 1939-8 juin 1940, op. cit, p. 229, note 39.
21 Se reporter au Journal de guerre, 7 septembre 1939-8 juin 1940, op. cit, p. 336-337.
22 Isabel Boussard in « Henri Queuille et la France rurale, » op. cit, p. 105.
23 Au sens où il est analysé in Serge Berstein, Odile Rudelle, (dir.), Le modèle républicain, PUF, 1992.
24 Serge Berstein, Préface au Journal de guerre, Londres-Alger, avril 1943-juillet 1944, op. cit., p. XIV.
25 Journal de guerre, Londres-Alger, avril 1943-juillet 1944, op. cit, p. 54-55.
26 Ibid., p. 48.
27 Pour des détails sur celle-ci, se reporter à Francis de Tarr, op. cit., p. 468-521.
28 Sur le radicalisme des débuts de la IVe République et sur le RGR, voir Gilles Le Béguec et Eric Duhamel (dir.), La reconstruction du parti radical, 1944-1948, L’Harmattan, 1993, 255 p.
29 Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome II (1948), version intégrale établie par Edmond Mouret et Jean-Pierre Azéma, introduite et annotée par ce dernier, Armand Colin, 1974, p. 404.
30 Interrogés sur leurs opinions sur la meilleure formule gouvernementale seuls 13 % des répondants choisissent la troisième force (Francis de Tarr, op. cit., p. 523).
31 Cité in Michel Margairaz, L’État, les Finances et l’Économie, Histoire d’une conversion, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1991, tome II, p. 1104.
32 Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome II (1948), op. cit., p. 429-430.
33 Jules Moch, Une si longue vie, Robert Laffont, 1976, p. 326.
34 Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome II (1948), op. cit., p. 433.
35 Ibid., p. 433.
36 Il a expliqué la veille à Vincent Auriol qu’il pouvait compter sur les socialistes, le MRP, les radicaux et l’UDSR (Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome II (1948), op. cit, p. 434).
37 Les citations qui suivent sont extraites, sauf précision contraire du discours d’investiture prononcé par Henri Queuille. JORF, Assemblée nationale, séance du 10 septembre 1948, p. 6472-6473. On relèvera que cette remarque d’Henri Queuille rejoint une réflexion de René Pleven à Vincent Auriol où il déplorait le dévoiement du vote d’investiture qui n’est plus qu’un « vote de politesse » alors qu’il devrait être « un vote clair fait sur un programme » (Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome II (1948), op. cit., p. 421).
38 JORF, Assemblée nationale, séance du 10 septembre 1948, p. 6472-6473.
39 Dans le portrait qu’elle brosse d’Henri Queuille (au demeurant assez réducteur), Georgette Elgey (La République des illusions, 1945-1951, Fayard, 1993, p. 385) en a même fait l’une de ses caractéristiques majeures. Pour elle, « Henri Queuille ne se préoccupe pas des idées originales ; (...) Il gère les affaires de la France en chef de famille, prudent et économe de ses deniers, obsédé par l’équilibre de son budget. »
40 Il le démontre (si besoin était) en composant un gouvernement nombreux et savamment dosé, n’hésitant pas à créer de toutes pièces un sous-secrétariat à l’intérieur confié à l’Union démocratique des Indépendants (UDI). Le récit de Jules Moch (Une si longue vie, op. cil, p. 326-327) est à cet égard édifiant : tandis qu’il renâcle, Henri Queuille lui explique qu’il a « promis à l’UDI, un strapontin » et qu’il ne peut « l’accrocher » que chez lui. Le poste échoit a Raymond Marcellin que Jules Moch charge... de la Défense passive !
41 Michel Margairaz, op. cit., p. 1104.
42 Maurice Petsche, Jacques Donge, Signe positif, À la recherche des temps nouveaux, Hachette, 1928.
43 Louis Franck, 697 ministres, Souvenirs d’un directeur général des Prix, 1947-1962, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, p. 42. Pour un portrait moins lyrique de Maurice Petsche, voir François Bloch-Lainé, Profession fonctionnaire, Editions du Seuil, 1976, p. 103-104.
44 Edgar Faure lui consacre deux chapitres (XIII « Le Joffre de la rue de Rivoli » et XIV « La Marne du Franc ») du premier tome de ses Mémoires, Avoir toujours raison... c’est un grand tort, Plon, 1982, p. 210-224. Edgar Faure a pris la place de secrétaire d’État au Budget quand Petsche est devenu ministre. Pour les citations, voir p. 212 et p. 214.
45 Selon son témoignage, Antoine Pinay fut amené à Henri Queuille par Maurice Petsche (Antoine Pinay, un français comme les autres, entretiens avec Antoine Veil, Belfond/Jean-Cyrille Godefroy, 1984, p. 39-40).
46 Pour une biographie détaillée de Paul Devinat, voir Journal de guerre, Londres-Alger, avril 1943-juillet 1944, on. cit., p. 183, note 193 et p. 261 note 320.
47 Pierre Chaussade a donné son témoignage sur le fonctionnement de ce cabinet dans le cadre d’un numéro de la revue Administration, n° 125, 1984, p. 93-94 qui a consacré un dossier à la carrière d’Henri Queuille.
48 On trouve une notice sur Guy Boursiac dans le numéro précité d’Administration, p. 85.
49 Ingénieur agronome de formation, il était déjà secrétaire général du Ravitaillement en 1939 (Pour une biographie détaillée de celui-ci, se reporter au Journal de guerre, 7 septembre 1939- 8juin 1940, p. 15, note 2.
50 Claude Tixier nous a très aimablement autorisé à utiliser son entretien réalisé avec Aude Terray dans le cadre du Comité d’histoire économique et financière de la France (entretien n° 7, cassette n° 11).
51 Entretien de Jean Filippi avec Aude Terray, Comité d’histoire économique et financière de la France, 10 mai 1989, cassette n° 10.
52 Depuis la Libération, Jean Filippi a été directeur économique de la zone française d’occupation (1946-1948) puis, à partir de 1948, directeur des Relations économiques extérieures.
53 Le 3 novembre 1949, encouragé par Henri Queuille, Jean Filippi est devenu directeur de cabinet de Maurice Petsche.
54 Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1992 (réédition 1997), tome I, p. 353.
55 Télégramme de Bruce à Hoffmann cité in Michel Margairaz, op. cit., p. 1105.
56 Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome II (1948), op. cit., p. 442.
57 Gérard Bossuat, op. cit., p. 454.
58 JORF, Assemblée nationale, séance du 18 septembre 1948, p. 6626.
59 Ibid., p. 6601.
60 L’Economie, Coopération Administration est dirigée par Averell Harriman pour l’Europe et par Paul Hoffman pour les États-Unis.
61 En fait, comme l’indique Henri Queuille aux députés, ce licenciement de 135 000 fonctionnaires, qui doit représenter une économie située entre 35 et 40 milliards de francs, est « l’œuvre de (ses) prédécesseurs », qu’il « s’engage » d’ailleurs « à suivre et même à dépasser » (JORF, Assemblée nationale, séance du 18 septembre 1948, p. 6601).
62 Cité in Gérard Bossuat, op. cil, p. 453.
63 Journal de guerre, Londres-Alger, avril 1943-juillet 1944, op. cit., p. 106.
64 JORF, Assemblée nationale, 2e séance du 18 septembre 1948, p. 6614.
65 Par une loi votée le 23 septembre, l’élection se déroule dès lors au scrutin majoritaire et non plus proportionnel ce qui désavantage les gaullistes (qui ne progressent pas comme ils l’auraient souhaité) et les communistes (qui passent de 84 élus à 21). Sur cet aspect, voir Francis de Tarr, op. cit. p. 555-556.
66 Ibid., p. 561-562.
67 Jean-Jacques Becker, Le parti communiste veut-il prendre le pouvoir ? Éditions du Seuil, 1981, p. 237.
68 Cité in Michel Margairaz, op. cit., p. 1104.
69 Sur ce point, se reporter à Michel Margairaz, op. cit., p. 1115-1116.
70 Compte rendu de cette réunion, 5 pages dactylographiées in AEF, 1 A 405 (fonds Petsche). Les citations qui suivent sont extraites, sauf précision contraire, de ce compte rendu.
71 Michel Margairaz, op. cit., p. 1 118.
72 Les citations qui suivent sont extraites de Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome II (1948), op. cit., p. 4o8.
73 Vincent Auriol, op. cil., p. 558. On ne peut s’empêcher de penser à la lecture de ce compte rendu, sinon à une mise en scène de Queuille, du moins a une volonté de tester son interlocuteur. Si Vincent Auriol est tout heureux d’avoir ragaillardi son président du Conseil, ce dernier sait pouvoir compter sur l’appui du président de la République.
74 Sur les arbitrages du groupe de travail, voir Michel Margairaz, op. cil., p. 1118-1122.
75 Michel Margairaz, op. cit., p. 1124.
76 Les citations qui suivent sont extraites de Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome II (1948), op. cit., p. 551.
77 Cette lettre est reproduite en annexe (n° 2) dans l’ouvrage de François Bloch-Lainé et Jean Bouvier, La France restaurée, 1944-1954, Fayard, 1986, p. 303-305. Il s’agit d’une réponse à des « conversations » tenues entre David Bruce, Henri Queuille et Maunce Petsche au cours desquels ces derniers l’ont « inform (é) des lignes générales de (leur) programme budgétaire » et lui ont demandé son « avis en ce qui concerne le rôle que la contrepartie américaine pourrait jouer dans ce programme ».
78 François Bloch-Lainé et Jean Bouvier, La France restaurée, 1944-1954, op. cit, p. 177.
79 Sur cet entretien, voir Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome II (1948), op. cit., p. 566-567.
80 L’importance de cette réunion a déjà été soulignée par différents historiens. Michel Margairaz, op. cit., p. 1127-1129 parle d’une « séance houleuse » tandis que Gérard Bossuat, op. cit., p. 468-470 évoque « le combat de Monnet contre Petsche ».
81 Gérard Bossuat, op. cit., p. 470.
82 JORF, Assemblée nationale, 2e séance du 10 décembre 1948, p. 7541.
83 Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome II (1948), op. cit., p. 573.
84 L’intervention marquante se déroule à l’Assemblée nationale le 22 décembre (JORF, Assemblée nationale, 2e séance du 22 décembre 1948, p. 7865-7868).
85 JORF, Assemblée nationale, 2e séance du 20 décembre 1948, p. 7768.
86 Henri Queuille répond du tac au tac sur des sujets aussi variés que les résultats des entreprises nationales, les taxes locales et bien sûr les inévitables questions sur l’agriculture.
87 JORF, Assemblée nationale, 2e séance du 23 décembre 1948, p. 7895.
88 Pierre-Olivier Lapie, De Léon Blum à de Gaulle, Fayard, 1971, p. 181.
89 Il faut ajouter que le Conseil de la République (où les gaullistes ont un poids déterminant) ayant émis le 30 décembre un avis négatif sur le budget et l’Assemblée ayant le 31 repoussé cet avis, le projet voté en première lecture le 24 avait dès lors force de loi.
90 Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome II (1948), op. cit., p. 585.
91 Cité in Francis de Tarr, op. cit. p. 542.
92 Le président de la République lui a fait parvenir une lettre dans laquelle il lui indique que « la situation n’est pas mauvaise » et que « nous ne sommes pas loin de la stabilisation économique et financière » (Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome II (1948), op. cit., p. 559).
93 Pour des chiffres précis, se reporter à Michel Margairaz, op. cit., p. 1137-1150.
94 Ibid., p. 1152.
95 Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome III (1949) présenté et annoté par Pierre Kerleroux, Armand Colin, 1977, p. 126-127 (23 février).
96 Edgar Faure, op. cit., p. 210-211.
97 François Bloch-Lainé, Profession fonctionnaire, op. cit., p. 115.
98 Edgar Faure, op. cit., p. 242-244.
99 Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome III (1949), op. cit., p. 205 (22 avril).
100 Sur ces déblocages, voir Michel Margairaz, op. cit., p. 1192-1196 et Gérard Bossuat, op. cit., p. 460-463.
101 JORF, Assemblée nationale, 2e séance du 24 mai 1949, ibid., p. 2869.
102 Ibid., p. 2870. Les citations qui suivent sont extraites de la même page.
103 JORF, Assemblée nationale, 2e séance du 25 mai 1949, p. 2890.
104 Ibid, p. 2890.
105 JORF, Assemblée nationale, 2e séance du 25 mai 1949, p. 3904.
106 JORF, Assemblée nationale, séance du 2 juin 1949, p. 3049.
107 Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome III (1949), op. cit., p. 306.
108 Ibid., p. 307-308.
109 Vincent Auriol, op. cit., p. 311-312.
110 Michel Margairaz, op. cit., p. 1152.
111 Pierre Rosanvallon, « Histoire des idées keynésiennes en France », Revue française d’économie, volume II, 4, automne 1987, p. 46. Sur ce point, nous nous permettons également de renvoyer à Olivier Dard, « Économie et économistes des années trente aux années cinquante : un tournant keynésien ? », Historiens et géographes, n° 358, 1997, p. 265-288.
112 François Bloch-Lainé et Jean Bouvier, La France restaurée, 1944-1954, op. cit., n. 172.
113 AEF, B 33 455, « Note pour le ministre », confidentiel, 25 août 1949, 10 pages dactylographiées. Les citations qui suivent en sont extraites.
114 Présidé par Wilfried Baumgartner (gouverneur de la Banque de France), il se compose de Jean Monnet, Roger Goetze, ainsi que d’un représentant du MRU et du ministère de la Défense nationale. Il a notamment comme mission de « définir la consistance du programme de Reconstruction et d’Equipement de 1950 à 1952 », de « chiffrer les engagements du Trésor nécessaire à son exécution » et de « déterminer le montant et la répartition des investissements à la charge de l’État pour 1950, compte tenu de l’ensemble des ressources et des dépenses du Trésor » (Michel Margairaz, op. cit., p. 1154).
115 Cité in Michel Margairaz, op. cit, p. 1156.
116 Le procès-verbal officiel du Conseil des ministres du 6 juillet 1949 reproduit in Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome III (1949), op. cit., p. 284 souligne bien qu’il s’agit d’une initiative de Maurice Petscne.
117 À titre d’exemple, les Mémoires de Jean Monnet (Fayard, 1976, p. 329) font état d’un dîner privé chez le ministre en mars 1949 et qui a réuni, outre les deux hommes, sir Stafford Cripps, le ministre des Finances britanniques en vue d’évoquer l’harmonisation des plans soumis par chacun à l’OECE. Jean Monnet a joué comme souvent les intermediaires et appliqué sa « méthode d’asseoir les gens autour de la table ».
118 À la mi-septembre, et ceci en vue de sauvegarder ce qu’il estimait être l’essentiel, le commissaire au Plan a comprimé les dépenses d’environ 18 % ce qui désoriente ses services techniques. Sur ces points, se reporter à Michel Margairaz, op. cit., p. 1157-1160. Il faut ajouter que Jean Monnet a bénéficié de l’appui du comité spécial qui a repris à son compte ses arguments en soulignant qu’une réduction massive des investissements « risquerait de ralentir dangereusement, voire de briser le mouvement continu d’expansion connu par notre pays depuis quatre ans : les conséquences dommageables de ce renversement risqueraient de se faire sentir, jusque dans les Finances publiques, par une réduction sensible des rentrées fiscales. Ainsi, des efforts qui prétendraient par cette voie rétablir l’équilibre des comptes du Trésor pourraient aboutir, en fait, à le remettre en cause. » (Premier rapport du Comité spécial, octobre 1949, cite in Michel Margairaz, op. cit., p. 1161-1162). On constate dans ces conditions que lors de la présentation du budget au Conseil des ministres le 17 novembre, Maurice Petsche a repris à son compte les propositions du comité spécial et par conséquent suivi les options définies par Jean Monnet.
119 Il faut savoir qu’Henri Queuille a passé des vacances corréziennes qui l’ont tenu loin des préoccupations budgétaires (Francis de Tarr op. cit., p. 607-608). S’il a pu confier à Vincent Auriol au début du mois de septembre que pour l’heure, « rien n’était grave dans la situation » (Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome III (1949), op. cit., p. 323) et même fêter l’anniversaire de son arrivée à Matignon (Edgar Faure, op. cit., p. 254, Jules Moch, op. cit., p. 348, Francis de Tarr op. cit., p. 608), les tensions dans la majorité n’attendent que la première occasion pour se réveiller.
120 Sur ce conseil, voir Vincent Auriol, Journal du septennat, 1947-1954, tome III (1949), op. cit., p. 325-329 et pour les citations de Queuille, p. 328-329.
121 Vincent Auriol, op. rit., p. 332. Les citations qui suivent en sont extraites.
122 Ibid., p. 333.
123 Ibid, p. 346.
124 Vincent Auriol, op. cil., p. 348-349. Les arguments échangés sont les mêmes que précédemment et Vincent Auriol est furieux contre Queuille qui « veut partir et ne plus avoir ni débats ni soucis » et contre ses camarades socialistes.
125 Jean-Jacques Becker, Histoire politique de la France depuis 1945, Armand Colin, 1992, p. 51-52. Pour Jean-Pierre Rioux, se reporter à La IVe République, tome I, Éditions du Seuil, 1980, p. 222 et au portrait qu’il dresse de Queuille in Jean-François Sirinelli, (dir.). Dictionnaire de la vie politique française, PUF, 1995, p. 885.
126 Jules Moch, op. cil, p. 326.
127 Edgar Faure, op. cit., p. 249.
128 Cite in Michel Margairaz, op. cit., p. 1192.
129 Le cas est loin d’être isolé du fait de l’instabilité gouvernementale et se retrouve pour Henri Queuille lui-même en 1951 où les quelques mois qu’il passe à la tête du gouvernement sont dominés par la préparation des élections bien davantage que par celle du budget de 1952.
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