Rapport de synthèse
p. 3-10
Texte intégral
1C’est sans doute un paradoxe d’avoir confié à un historien du politique un rapport de synthèse sur ce sujet, peut-être pour lui inspirer une salutaire humilité par rapport à son objet d’étude, en mettant en évidence le rôle majeur de l’administration financière sous la forme de la direction du Budget dans la mise en œuvre de l’action gouvernementale. La thématique sous-jacente aux quatre rapports dont j’ai à rendre compte consiste en effet à examiner le poids d’une direction du ministère des Finances chargée de fournir aux différents ministères leurs moyens de fonctionnement et d’intervention, et, partant, de leur permettre ou non de conduire la politique, approuvée par le Parlement, que le suffrage universel les a chargés de mettre en application. En d’autres termes, qui décide vraiment, du Gouvernement, du Parlement ou de l’Administration ? Pour répondre à cette question, quatre approches très différentes :
une réflexion sur la direction du Budget et son rôle de 1949 à 1958 due à Marc Olivier Baruch ;
une étude des fonctionnaires de la direction du Budget au Parlement et spécifiquement à la commission des finances de l’Assemblée nationale, réalisée par Nathalie Carré de Malberg ;
deux examens des problèmes de politique budgétaire vue du côté de présidents du Conseil de la IVe République, Henri Queuille étudié par Olivier Dard et Antoine Pinay analysé par Sylvie Guillaume.
2Pour présenter l’apport de leurs contributions, j’examinerai tout d’abord le contexte nouveau dans lequel s’opère l’action de la direction du Budget au lendemain de la guerre, puis les rapports de cette dernière avec les présidents du Conseil d’une part, le Parlement de l’autre.
I. TRADITION ET NOVATION : LE CONTEXTE NOUVEAU DE L’APRÈS-GUERRE
A. L’héritage de la IIIe République et de Vichy
3L’héritage est ici celui du poids considérable de la direction du Budget, et spécifiquement de son bureau B2, chargé de la négociation de l’ensemble des budgets de l’État, dans la décision politique. Marc Olivier Baruch a mis en évidence le corporatisme de son personnel, élite au sein de l’élite administrative de la France, veillant avec un soin jaloux à écarter de ses rangs les représentants de grands corps rivaux, inspecteurs des Finances ou polytechniciens, et en même temps l’univers mental qui est le sien, fondé sur la conviction qu’il est le défenseur de l’État, le garant de l’intérêt général, face aux ministères « dépensiers », inspirés par la démagogie des intérêts particuliers de leurs ministres, de leur personnel ou des parlementaires.
4Or ce poids traditionnel est encore accru, nous dit Nathalie Carré de Malberg, par la période de Vichy au cours de laquelle la suppression du contrôle parlementaire a fait du ministère des Finances et de sa direction du Budget le seul contrôleur général des dépenses publiques et le seul organe d’examen et de décision des crédits des différents ministères. À cet égard, l’héritage est considérable et fait de la direction du Budget la forteresse financière de l’État.
B. Les problèmes de l’après-guerre
5Toutefois, la période qui suit la seconde guerre mondiale est riche en novations de tous ordres qui placent en porte-à-faux la toute-puissante direction du Budget. Gardienne de l’équilibre budgétaire, elle a pour charge de veiller à mettre en rapport les dépenses et les ressources et, traditionnellement, à limiter les premières de manière à éviter le recours à la fiscalité. Conception qui fait dire à Michel Debré en 1947 : « La France est une entreprise dirigée par son caissier. »
6Or la gravité de la situation de la France au lendemain de la seconde guerre mondiale paraît déborder de toutes parts cette vision traditionnelle qui est celle d’un État minimum gérant les services publics et se gardant d’intervenir dans la vie économique. Sans que nombre d’hommes politiques et de fonctionnaires en aient réellement pris conscience, l’urgence a imposé à l’État des charges dépassant les habituelles dépenses civiles et militaires. Les charges de la reconstruction, l’indemnisation des dommages de guerre, le financement des dépenses d’investissement prévues par le plan Monnet, les comptes spéciaux du Trésor perturbent les pratiques habituelles de la direction du Budget et la vision classique de la politique budgétaire. Du même coup, les acteurs du débat budgétaire s’en trouvent modifiés.
C. Les acteurs du débat budgétaire
7République parlementaire s’il en fut, la IVe République met face à face trois acteurs, eux-mêmes pluriels :
en premier lieu, le Gouvernement auquel il appartient constitutionnellement de proposer une politique dont la traduction budgétaire représente la marque la plus concrète des intentions réelles. Mais, à ce niveau, il faut faire une distinction entre le président du Conseil, responsable de la politique générale, les ministres, détenteurs de portefeuilles qui leur donnent prise sur un secteur de la vie nationale et dont l’intérêt est d’obtenir les crédits nécessaires à la mise en œuvre de leur politique, et les cabinets des uns et des autres, chargés de négocier concrètement les moyens qui leur sont nécessaires ;
en second lieu le Parlement dont l’approbation est nécessaire à la survie du Gouvernement et au vote du budget. Sans l’accord du Parlement, et spécifiquement de l’Assemblée nationale qui, seule détient un pouvoir délibérant, rien n’est possible pour un gouvernement. Or, élus des départements, parfois représentants de groupes d’intérêts puissants, les parlementaires ont à faire valoir les revendications de leurs électeurs et, de ce fait, tentent fréquemment d’obtenir des ouvertures de crédits dont ils pourront se targuer auprès de leurs mandants. Toutefois, là encore, il faut établir des nuances, en mettant en relief le rôle spécifique de la commission des finances dont Nathalie Carré de Malberg nous montre qu’elle dispose d’une compétence quasi illimitée puisque c’est sur son projet budgétaire que le Parlement se prononce, qu’elle tient entre ses mains le sort des gouvernements et qu’à beaucoup d’égards sa puissance au sein du Parlement est comparable à celle de la direction du Budget au sein de l’Administration ;
enfin, troisième acteur, l’administration du ministère des Finances, et spécifiquement la direction du Budget, puisque c’est elle qui prépare le budget de l’État, négocie avec les diverses administrations, prépare les arbitrages. Toutefois, la logique comptable dont elle est la championne se heurte, en raison des nouvelles fonctions de l’État, à des logiques économiques qui mettent en œuvre des conceptions plus modernes de la dépense publique et qui sont portées par d’autres administrations, le plan, le Service des études économiques et financières de Claude Gruson, la direction du Trésor. Toutefois, Marc Olivier Baruch nous met en garde contre la tentation de pousser trop loin l’opposition entre ces deux logiques et les administrations qui en sont les championnes. Il note que, très vite, la direction du Budget et son bureau B2 prennent en compte les nouvelles contraintes que la situation impose au Gouvernement et, d’autre part, que l’arrivée en 1949 de Roger Goetze (qui n’était pas selon François Bloch-Lainé « un budgétaire sans entrailles quand il s’agissait d’investir ») à la tête de la direction du Budget modifie notablement l’attitude de celle-ci vis-à-vis du contexte économique d’ensemble.
8C’est donc entre ces trois acteurs que se joue l’acte budgétaire selon des modalités qu’il convient maintenant d’examiner.
II. LES PRÉSIDENTS DU CONSEIL, LES MINISTRES DES FINANCES ET LA DIRECTION DU BUDGET
A. Un personnel en partie commun
9Si pour tous les moments de l’adoption du budget on retrouve les trois acteurs porteurs de leurs logiques propres, il faut cependant nuancer les oppositions et les possibilités d’affrontement entre le Gouvernement et l’Administration par deux observations. La première est que le Gouvernement est détenteur de la souveraineté nationale et qu’il lui appartient de conduire la politique de la nation, ce dont les fonctionnaires sont parfaitement conscients, et que le rôle de ces derniers est d’exécuter les décisions du pouvoir. Ce principe posé, et il n’est contesté par personne, la technicité dont peut se prévaloir la direction du Budget lui donne des moyens de conseiller, d’avertir, de suggérer qui peuvent infléchir les décisions du pouvoir. Si bien qu’entre la théorie qui réserve la décision au président du Conseil et aux ministres (en particulier au ministre des Finances) et la pratique qui donne une large marge d’initiative aux fonctionnaires, le fossé est parfois assez large. Il l’est d’autant plus que la nécessité de maîtriser les techniques financières et de posséder le détail des différents budgets oblige présidents du Conseil et ministres à recourir largement aux services des fonctionnaires du Budget. Ceux-ci sont présents au sein des cabinets des présidents du Conseil et des ministres (et peu considèrent ces nominations comme des promotions, à preuve le soin que mettent certains d’entre eux à exiger de conserver leurs fonctions à la direction du Budget, compte tenu du caractère limité de la vie d’un gouvernement), et il leur appartient de gérer en fait le budget de leur ministre. Ils sont, nous dit Nathalie Carré de Malberg, les auxiliaires des ministres lors de leur action au Parlement, écrivant leurs discours, répondant pour eux aux questions des parlementaires, les accompagnant lors de leurs auditions en commission, jouant le rôle de commissaires du Gouvernement en séance publique, devenant parfois les conseillers permanents de certains d’entre eux (comme Paul Schwall au bénéfice de Raymond Marcellin)... Et, à leur tête, dans cette fonction d’auxiliaire des ministres, le directeur du Budget lui-même, tenu d’intervenir dans certaines circonstances, voire parfois chargé de rédiger les questions de confiance comme Roger Goetze lors de la chute d’Antoine Pinay en décembre 1952.
10Même si la décision finale reste au ministre, on conçoit sans peine l’influence que cette compétence technique et cette utilité de tous les instants donne aux fonctionnaires de la direction du Budget dans l’élaboration de la politique suivie. Marc Olivier Baruch nous en fournit un excellent exemple en évoquant la présentation par Roger Goetze de la loi de finances pour 1955 à Pierre Mendès France, président du Conseil. Tous les problèmes fondamentaux y sont réglés ; seuls demeurent en litige quatre questions dont l’incidence budgétaire est faible (12,3 milliards, soit 0,7 % du budget) mais qui peuvent avoir de profondes répercussions politiques et dont l’arbitrage est donc laissé au chef du Gouvernement. Il reste que beaucoup dépend de la personnalité du président du Conseil et les deux exemples proposés par Olivier Dard et Sylvie Guillaume sont à cet égard éclairants.
B. Henri Queuille, un président du Conseil de transition ?
11Le portrait que nous dresse Olivier Dard d’Henri Queuille tendrait à faire penser qu’il a représenté un président du Conseil idéal pour la direction du Budget à l’époque de la logique comptable triomphante. Adepte d’un libéralisme tempéré par la nécessité, partisan de l’équilibre budgétaire, adversaire des réformes de structure, il se montre lors de la discussion du budget de 1949, en plein accord avec son secrétaire d’État aux Finances Maurice Petsche, décidé à comprimer au maximum les dépenses d’investissement demandées par le Commissariat au plan, à la grande fureur de Jean Monnet. Il fait adopter par le Parlement qui lui accorde une très large majorité en décembre 1948 un budget qui doit satisfaire consommateurs et électeurs, fondé sur une politique d’économies par la réduction des effectifs d’Électricité de France et des Houillères, un emprunt de 100 milliards et 135 milliards d’impôts nouveaux pour financer les dépenses de reconstruction et indemniser les sinistrés. Quant aux investissements d’équipement, il n’y fait aucune référence, se contentant d’affirmer qu’ils seront partiellement couverts par la contre-valeur de l’aide américaine. On est ici en pleine orthodoxie et en totale logique comptable.
12Or on constate que les choses sont très différentes pour la préparation du budget de 1950 durant l’été de 1949. En premier lieu parce que s’applique la « loi des maxima », c’est-à-dire l’article 16 de la loi de finances de décembre 1948 et que, du même coup, se trouvent soumis au contrôle du Parlement non seulement les dépenses civiles et militaires, mais les charges de la reconstruction, les dommages de guerre, les dépenses d’équipement, les comptes spéciaux du Trésor. Le tournant de 1949-1950 est donc essentiel, le budget jouant désormais le rôle d’instrument de la politique économique. Olivier Dard a raison d’affirmer qu’on voit ainsi naître une nouvelle culture économique d’inspiration keynésienne. Parallèlement, juillet 1949 voit l’arrivée à la direction du Budget de Roger Goetze, convaincu de la nécessité de l’investissement et qui va s’accorder sur ce point avec François Bloch-Lainé, directeur du Trésor. De cette entente résulte la création de la commission des investissements, instrument de la politique d’équipement. Il est caractéristique que, dans une note d’août 1949 sur le budget de 1950, le nouveau directeur du Budget préconise un accroissement de la fiscalité, des économies sur le budget militaire et le reclassement de la fonction publique, mais entend préserver les investissements au détriment des autres postes budgétaires.
13L’impression prévaut dans ce cas que le tournant est sans doute moins dû à un président du Conseil libéral et orthodoxe qu’au directeur du Budget lequel, fort de sa compétence technique et sans doute aussi de ses arguments économiques, a su convaincre le chef du Gouvernement de la nécessité d’une vision plus moderne de l’exercice budgétaire. Mais c’est le cas inverse que paraît présenter l’expérience Pinay.
C. Antoine Pinay ou la victoire du politique
14Sylvie Guillaume ne le dissimule guère. Même si Antoine Pinay et son secrétaire d’Etat au Budget Jean Moreau ont largement fait appel pour les équipes budgétaires de leurs cabinets aux membres de l’administration des Finances, le moins qu’on puisse dire est que l’accueil qui leur est réservé par les hauts fonctionnaires des Finances est marqué par la méfiance et le scepticisme. Outre une certaine condescendance envers deux patrons de PME dépourvus de toute formation théorique, ils se montrent hostiles au programme d’Antoine Pinay, fondé sur la réduction de l’impasse budgétaire, la stabilisation des prix, le recours à l’emprunt plutôt qu’à l’impôt, la volonté de retour aux équilibres au détriment des investissements. À dire vrai, l’hostilité est davantage le fait de François Bloch-Lainé, directeur du Trésor, qui finira par démissionner, que du directeur du Budget qui ne peut qu’approuver la réduction de l’impasse budgétaire. Mais le fait important pour ce qui nous concerne est l’attitude du président du Conseil qui, rencontrant les hauts fonctionnaires des Finances le 12 mars 1952, leur donne le choix entre mettre en œuvre la politique qu’il préconise ou donner leur démission.
15Cette primauté des choix politiques du président du Conseil se retrouve, nous dit Sylvie Guillaume, dans la préparation des budgets de 1952 et 1953. Le maître mot des deux budgets est la volonté de réduction du déficit, but approuvé par le directeur du Budget. En revanche, sur les moyens, le désaccord est total. Antoine Pinay refuse le recours à la fiscalité et décide de recourir à l’emprunt d’une part, à des économies de l’autre, en tranchant dans les crédits de paiement sans remettre en cause les autorisations de programme. Roger Goetze suggère une tout autre politique économique fondée sur la réduction des dépenses d’armement, la réforme des institutions administratives et la diminution de charges d’assistance. Il préconise en outre un désengagement de l’État vis-à-vis des collectivités locales et des entreprises nationalisées, invitées à s’autofinancer. Mais c’est la volonté du président du Conseil qui prévaut sur la direction du Budget. Il en ira de même de la surévaluation des recettes de 20 milliards, imposée par le directeur du cabinet du président du Conseil à un directeur du Budget « fou furieux ».
16On touche ici du doigt les limites du pouvoir de la direction du Budget face à un président du Conseil décidé à imposer ses vues. Même si le directeur du Budget regrette la « politique du court terme » pratiquée par Antoine Pinay et qui a abouti à un coup de frein économique, ce dernier est le chef du gouvernement, disposant d’une majorité au Parlement, appuyé par l’opinion qui lui sait gré d’avoir stoppé l’inflation : la légitimité est dans son camp. Et, prenant l’exemple de la préparation du budget de 1953, Sylvie Guillaume nous rappelle quelles sont les attributions respectives des uns et des autres : la direction du Budget prépare la trame générale ; le ministre des Finances fait appliquer les principes de sa politique ; la direction du Budget et le cabinet procèdent à la mise en œuvre aux différents ministères ; un comité recueille et examine les demandes de dérogation ; la direction du Budget et le cabinet règlent la plupart des demandes ; le ministre arbitre les conflits éventuels. Ensuite, la parole est au Parlement.
III. LE PARLEMENT ET LA DIRECTION DU BUDGET
A. Le poids du Parlement dans la décision budgétaire et le rôle de la commission des finances
17La communication de Nathalie Carré de Malberg nous rappelle que la Constitution de la IVe République dans son article 17 réserve à la seule Assemblée nationale l’initiative des dépenses, tout en précisant que lors de la discussion budgétaire aucune proposition tendant à augmenter les dépenses prévues ou à créer des dépenses nouvelles ne pourra être présentée. Cette limitation dans le temps et concernant les seules dépenses laisse une très large marge d’initiative aux parlementaires, à telle enseigne que tout un arsenal de dispositions réglementaires ou législatives a dû être mis en place pour éviter toute prodigalité (possibilité de disjonction de tout amendement entraînant réduction ou suppression de recette, dépense nouvelle ou augmentation de dépense, « loi des maxima » etc.). C’est que, depuis l’origine, la prérogative fondamentale du Parlement, expression de son caractère représentatif de la souveraineté nationale, est de voter le budget et que là réside l’essence même du parlementarisme.
18Or s’il est un lieu où cette prérogative fondamentale se concentre au maximum, au point qu’elle est souvent considérée comme ayant la puissance d’un ministère et qu’il lui arrive de se substituer à celui-ci, c’est la commission des finances. Constituée des parlementaires les plus en vue, ayant joué un rôle de premier plan ou appelés à le jouer, elle peut dicter sa loi au Gouvernement en matière budgétaire, s’impose à toutes les commissions dont elle fixe les crédits et contrôle ainsi la politique en leur accordant ou en leur refusant les moyens financiers nécessaires, est seule juge de la disjonction ou du renvoi en commission d’un amendement comme de la recevabilité d’une proposition de loi. Il arrive que l’Assemblée lui délègue ses pouvoirs budgétaires. En d’autres termes, c’est dans la commission des finances que se résume le pouvoir budgétaire, en théorie illimité, de l’Assemblée nationale, dépositaire de la souveraineté nationale. Elle est donc, légitimité en plus, un pouvoir parallèle à la direction du Budget, ce qui pourrait supposer entre elles des rapports conflictuels. Or Nathalie Carré de Malberg nous montre qu’il n’en est rien.
B. Les administrateurs du Budget à la commission des finances
19De même que dans les instances gouvernementales ou aux côtés de l’exécutif à l’Assemblée nationale, les agents du Budget en nombre restreint (5 ou 6) sont présents à la commission des finances pour y remplir des fonctions techniques auprès du personnage essentiel qu’est le rapporteur général. Accomplissant les missions dévolues aujourd’hui aux administrateurs de l’Assemblée nationale, ils se partagent la préparation et l’examen de la loi de finances afin de préparer le travail du rapporteur général et des rapporteurs spéciaux. Ils sont ainsi chargés de rédiger les questionnaires adressés aux départements ministériels sur l’exécution du précédent budget, d’examiner les demandes de crédits ou d’effectifs, d’assister les parlementaires lors des séances de la commission, de rédiger leurs discours, de les assister en séance publique et de prendre contact avec les cabinets ministériels pour amorcer la négociation budgétaire.
20Bien qu’ils soient totalement indépendants du ministère des Finances et que leur efficacité soit liée à leur loyauté envers les membres de la commission des finances qu’ils assistent, leur formation professionnelle, leur connaissance des hommes, des habitudes, des réflexes de la direction du Budget en font à la fois des censeurs vigilants et d’utiles conseillers des travaux de la commission des finances, des intermédiaires efficaces entre les parlementaires et les fonctionnaires du Budget, des négociateurs influents entre les unes et les autres. Au total, ils paraissent à la fois avoir intégré les exigences et les contraintes des parlementaires et avoir converti nombre de ceux-ci à un réflexe défensif face aux ministères « dépensiers ». Ils apparaissent clairement comme un élément de fluidité du système complexe de l’adoption d’un budget.
Conclusion
21À l’issue de l’examen des quatre communications qui servent de base à ce rapport, est-il possible de répondre à la question : qui décide, de l’administration du Budget, du Gouvernement, du Parlement ? L’analyse détaillée des processus de fonctionnement conduit, semble-t-il, à privilégier la complémentarité des prérogatives et des compétences, révélant un système qui se met en place autour de 1949-1950 et où se combinent l’initiative du pouvoir exécutif qui décide en dernier ressort, le contrôle et les amendements du Parlement et de sa commission des finances, détenteurs de la souveraineté nationale, la technicité des agents du Budget, la prise en compte des nouvelles données économiques par les experts du plan ou les fonctionnaires du Trésor. Système complexe, aboutissant à un équilibre fragile, et qui est peut-être, après tout, l’expression d’une démocratie moderne.
Auteur
Professeur d’histoire à l’IEP de Paris. Auteur d’un grand nombre d’ouvrages d’histoire, il a publié notamment : La France de l’expansion : la République gaullienne, 1958, 1969, Seuil, 1989 ; Histoire de la France au xxe siècle, vol. III : 1945-1958, vol. IV : 1958-1974, en collaboration avec Pierre Milza, Complexe, 1992, et dirigé des ouvrages comme ; Le MRP et la construction européenne, avec Jean-Marie Mayeur et Pierre Milza, Complexe, 1993 ; Le Monde entre guerre et paix : 1945-1973, avec Gisèle Berstein, Yves Gauthier et Pierre Milza, Complexe 1993.
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