Présentation du grand témoin, Roger Goetze, directeur du Budget, 1949-1956
p. XXI-XXIII
Texte intégral
1Présenter Roger Goetze, grand témoin et surtout grand acteur, directeur du Budget de juillet 1949 à décembre 1956, en sa présence et en présence de ses collaborateurs et successeurs, est un exercice périlleux que j’écourterai donc et ce, d’autant plus volontiers, qu’il m’est aisé de vous renvoyer à la lecture des entretiens qu’il a bien voulu accorder en 1989 à Florence Descamps, entretiens qu’il m’a laissé toute liberté de recomposer, d’introduire et d’annoter abondamment et qui sont parus cette année.
2J’ai tenu pourtant à vous dire quelques mots au risque d’être lacunaire et de heurter sa modestie, parce que c’est l’occasion pour l’historienne que je suis : d’abord de rendre un hommage reconnaissant à ce grand haut fonctionnaire des Finances et à son soutien total et actif à la recherche historique : sans lui cette journée d’études eut été orpheline et démunie de sources précieuses, orales et archivistiques ; ensuite de puiser dans sa biographie avant 1949 quelques clés pour mieux comprendre son œuvre de directeur ; enfin de vous présenter très brièvement avec quelques chiffres la Direction à son arrivée.
3D’où vient Roger Goetze lorsqu’il est nommé en juillet 1949 à la tête de la Direction par Maurice Petsche, ministre du gouvernement Queuille ?
4Issu de la moyenne bourgeoisie commerçante parisienne, d’origine alsacienne et savoyarde, orphelin de père très jeune, il devient, à sa première tentative au concours en 1937, inspecteur des Finances après une formation littéraire, scientifique et de sciences politiques.
5Après quatre ans de tournées d’inspection effectuées avant la mobilisation et après la défaite il a acquis une bonne connaissance de l’administration financière locale.
6Mobilisé sur le front italien il n’a pas accepté (ni lui, ni son épouse qui compte beaucoup) la défaite et a préféré partir en mission d’inspection en Algérie dans l’espoir d’être utile dans le combat qui doit à ses yeux continuer, plutôt que d’accepter les propositions de Vichy.
7Sa présence à Alger lors du débarquement en Afrique du Nord en novembre 1942 et sa réputation, lui ont donné l’occasion d’exercer très jeune (il a 30 ans) les fonctions de directeur des Finances de l’Algérie. Cette expérience qu’il vivra pendant sept années est essentielle pour comprendre son rôle ultérieurement au Budget. Il n’est pas exagéré de dire qu’il fut alors presque un ministre des Finances. Il y a exercé ses talents d’organisateur et de réformateur dans le domaine de la fiscalité, de la comptabilité publique, du financement de l’économie. Il y a appris à négocier avec les « politiques » des délégations algériennes et à défendre un budget, celui de l’Algérie, devant le pouvoir politique métropolitain.
8Par ailleurs c’est en Algérie qu’il a rencontré Mendès France (et ses collaborateurs keynésiens, Ardant, Largentaye, Boris, Guindey), Mendès France qui au commissariat aux Finances lui a demandé d’assurer (en plus) les fonctions de directeur chargé de préparer la continuité des services financiers à la Libération.
9Couronnant cette expérience déjà riche, Roger Goetze a exercé de septembre 1944 à avril 1945 la responsabilité de direction d’un cabinet et qui plus est dans un ministère difficile et nouveau, celui des Affaires économiques qui tente d’imposer à ses collègues ses nouvelles prérogatives et auprès d’un ministre exigeant, Mendès France, dont il avait pu déjà constater la créativité, la rigueur et l’intransigeance. Ce fut aussi pour lui l’occasion de découvrir l’administration centrale de la rue de Rivoli (même s’il est, lui, au rond-point des Champs-Elysées), de retrouver ses camarades d’Alger et de faire connaissance avec ceux restés en métropole et avec les états-majors des grandes directions.
10Je crois en avoir assez dit pour montrer que lorsqu’il arrive à la Direction, il est déjà un grand patron de l’Administration qui sait à la fois diriger des hommes, défendre des dossiers, innover et faire passer des réformes.
11Est-il besoin de préciser que les responsabilités qu’on lui a confiées et le rayonnement dont il disposait alors sont largement dus à des qualités exceptionnelles soulignées unanimement dans les archives orales. J’épargnerai sa modestie en n’en citant que deux : une indépendance d’esprit qui le conduit à se méfier des théories et à préférer une attitude pragmatique ; un humour toujours courtois qui facilite les relations humaines et l’énoncé des critiques constructives.
12Je ne m’étendrai pas sur la présentation de la Direction qu’il prend en charge à 37 ans, puisque son histoire est justement le but de cette journée d’études et un programme de longue haleine. Je rappelle seulement en quelques chiffres l’organigramme de cette Direction qui n’a alors que 30 ans puisqu’elle date de 1919. Lorsqu’il arrive en 1949, la Direction compte 4 sous-directions : la première aux responsabilités transversales qui s’occupe du budget à proprement parler ; la deuxième qui s’occupe des questions de personnel, le PCM1 ; la troisième qui s’occupe des contrôles extérieurs (entreprises, collectivités locales) et la quatrième sous-direction des affaires sociales. En 1954 est créé le poste de chef de service, Martial-Simon en sera le premier titulaire.
13Si le nombre des directions n’augmente pas jusqu’en 1967, le nombre des bureaux et des effectifs augmente :
11 bureaux en 1945, 12 en 1951, 16 en 19552 (22 en 67, 26 en 75).
« l’équipe budget » en 1950, c’est 104 personnes dont 67 cadres (en théorie), 93 dont 64 cadres en réalité. Par comparaison je rappellerai qu’en 1993 c’était 240 personnes dont 152 cadres3. Un effectif nettement supérieur aux autres directions « d’état-major » du ministère de l’époque mais toujours dénoncé comme insuffisant, notamment au B2 qui pourtant compte entre 12 et 15 administrateurs civils.
14En sept ans et demi, ce que Roger Goetze a accompli avec ses collaborateurs à la tête de la direction du Budget est considérable et je me garderai bien de faire l’inventaire ici de son œuvre administrative (tant il est vrai comme il le dit lui-même que le directeur du Budget est le patron de l’Administration) et de son rôle dans la modernisation de l’économie. Mais je ne crois pas qu’il me démentira si je dis que l’œuvre dont il est le plus fier rétrospectivement, la plus durable et dont nous fêtons aujourd’hui les quarante ans, est la réforme de la procédure budgétaire par le décret organique du 19 juin 1956, réforme qui sera à peine modifiée par l’ordonnance de janvier 1959 mais dans un contexte constitutionnel et politique tout à fait différent. Que d’autres aient contribué à cette « révolution », cela va être dit, mais il a su en faire la synthèse, y apporter sa marque et la faire aboutir. Je laisse aux juristes le soin d’en dire tout l’aspect novateur et efficace.
15On comprend mieux après cette brève biographie comment son capital accumulé de compétence, d’autorité et d’influence a pu convaincre de Gaulle de lui confier en juin 1958 au sein de son cabinet la préparation, « la mise en musique », des mesures financières de décembre 1958, mesures connues sous le nom de plan Pinay-Rueff mais dont il faut bien savoir qu’à l’époque les acteurs l’ont perçu comme le plan Pinay-de Gaulle-Goetze au point que le chef du Gouvernement lui a proposé le portefeuille des Finances, ce qu’il a refusé, poursuivant alors une carrière de pétrolier à la SNREPAL jusqu’en 1966, de banquier au Crédit foncier jusqu’en 1978 (où il était entré en 1957) et puis en 1970 de bâtisseur, comme président du groupe central des villes nouvelles. Mais ceci est une autre histoire pour d’autres journées d’études.
16Aujourd’hui, que ce « Grand Connétable du Budget » soit ici encore une fois, chaleureusement remercié pour son soutien sans faille à la recherche historique et pour sa présence parmi nous dont nous mesurons tous, bien, le prix.
Notes de bas de page
Auteur
Assistante agrégée d’histoire à l’université Paris-X, chercheur associée au Comité pour l’histoire économique et financière de la France. Outre de nombreuses publications sur les inspecteurs des Finances dans la première moitié du xxe siècle et sur les archives orales, elle a réalisé la présentation et l’annotation critique des Entretiens avec Roger Goetze haut fonctionnaire des Finances. Rivoli-Alger-Rivoli. 1937-1958, CHEFF, 1997, 450 p.
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