Allocution d’ouverture

Christophe Blanchard-Dignac

p. V-VII


Texte intégral

1Mesdames et Messieurs, je vais m’efforcer, dans l’exercice des remerciements, d’être assez bref car cette journée n’aurait pas lieu sans l’ensemble des participants que je remercie. J’aurai évidemment une pensée toute particulière pour Isabelle Bouillot, mon prédécesseur, qui est à l’origine de cette journée avec Mme Carré de Malberg, comme ceci a été rappelé, ainsi que pour M. Goetze notre « grand témoin ».

2L’époque que nous allons étudier aujourd’hui est une époque assez exceptionnelle, celle de la IVe République, dont on a dit beaucoup trop de mal à mon sens et plus on l’étudiera, plus on rectifiera ce jugement un peu hâtif.

3Sur le plan économique, c’est une époque extraordinaire : début de la reconstruction, puis début de cette période de croissance ininterrompue que nous avons connue, sur fond de guerre coloniale, ce qui explique l’importance du budget militaire qui devait – je l’imagine – désoler mes prédécesseurs. C’est une époque qui se termine par l’ouverture sur le monde extérieur avec la naissance de l’Europe, comme nous avons à relever aujourd’hui le défi de l’union économique et monétaire. C’est donc une page très importante de l’histoire économique, une page que l’on n’a certainement pas assez étudiée du point de vue de l’histoire financière et tout particulièrement budgétaire. Sur ce plan, nous avons la chance de disposer de grands témoins et notamment un grand témoin que je salue particulièrement, M. Goetze qui a été directeur du Budget, le principal acteur de ces sujets pendant une très longue période.

4Alors pourquoi a-t-on jusqu’ici si peu parlé du budget ? Je crois que l’une des raisons tient au fait que les budgétaires sont volontiers modestes et discrets et n’aiment guère que l’on parle d’eux. Aujourd’hui, c’est une « grande première » pour eux. Que vont dire sur ce qui a été fait tous ces chercheurs, toutes ces hautes autorités qui ont travaillé sur l’histoire de la direction du Budget ? C’est moins une appréhension sur le jugement de l’historien qu’une entorse à la discrétion dont je viens de parler.

5Mais la qualité première que l’on prête aux budgétaires est plutôt celle de la ténacité ; je dois dire qu’il fallait avoir une bonne dose de ténacité pour produire le décret de 1956 dont nous célébrons l’anniversaire – comme l’a dit mon collègue Gérard Moulin – avec dix jours de retard, alors que ce texte a été publié avec dix ans de retard. Il fallait vraiment avoir une bonne dose d’optimisme, de courage et de détermination pour faire émerger ce texte fondamental sur lequel nous vivons encore. Si l’on parle de l’ordonnance de 1959, il faut avoir à l’esprit que tout était déjà écrit en 1956. Il ne manquait que la Constitution de 1958 – ce qui n’est pas rien non plus – pour asseoir définitivement ces textes fondateurs ; et puis, chose dont on parle moins, de nombreuses années après, la saisine directe du Conseil constitutionnel qui a fait déférer systématiquement les projets de loi de finances faisant entrer de plain-pied nos textes fondateurs dans le bloc de constitutionnalité, ce qui les rend encore plus « sacrés ». J’ai noté, dans la chronologie qui nous a été donnée, que le budget de 1957 a été le premier budget voté dans les temps, ce qui montrait que ceux qui l’avaient précédé ne l’avaient pas été ; j’ai également noté, en relisant le décret de 1956, que deux des dispositions fondamentales de l’ordonnance de 1959 sont déjà là : l’article 10 qui est l’article 1er de l’ordonnance organique, c’est-à-dire l’interdiction de mettre en œuvre des dépenses si elles ne sont pas financées ; et puis l’encadrement de la procédure parlementaire, l’article 58, qui est notre article 42, la limitation de l’initiative financière du Parlement. Ce sont des points qui aujourd’hui nous paraissent évidents mais qui, à l’époque, marquaient une véritable révolution.

6Si les budgétaires font preuve de ténacité, je crois que personne n’en doute, font-ils aussi preuve de clairvoyance ? Je ne me hasarderai pas à émettre un diagnostic, ce sera le résultat de cette journée qui nous le dira.

7Je ne résisterai pas évidemment à la tentation d’évoquer la situation actuelle de nos finances publiques. Aujourd’hui, comme vous le savez, notre situation budgétaire n’est guère brillante. Ce n’est pas vraiment une question de textes. Nous avons l’ordonnance de 1959 et toute sa sagesse financière. Certes, il faudra certainement un jour ou l’autre l’adapter, notamment lorsque nous passerons à un système de comptabilité patrimoniale, en raison de la règle de l’annualité. Mais faut-il vraiment réformer des textes lorsque déjà bien les appliquer marquerait un progrès important ? Si l’article premier de l’ordonnance organique était respecté tous les jours, c’est-à-dire qu’on ne décide aucune mesure nouvelle sans l’avoir préalablement financée, les « budgétaires » n’auraient plus grand-chose à faire.

8Ce qui m’a frappé en lisant les études qui nous ont été transmises, c’est que le poids des dépenses publiques était déjà considérable sous la IVe République. Je pensais que cette ampleur de la dépense publique datait d’une époque récente. Ce n’étaient pas les mêmes dépenses publiques : il y avait plus de dépenses d’Etat, moins de dépenses sociales. Les dépenses sociales s’accroissaient régulièrement, on voit d’ailleurs qu’elles se sont à ce point accrues maintenant qu’on peine à financer. Il y avait le poids des dépenses militaires : la, dette n’était pas un sujet aussi majeur qu’aujourd’hui : 4 % des dépenses de l’État, aujourd’hui c’est pratiquement quatre fois plus. Nous avions certainement des dépenses beaucoup moins rigides à cette époque qu’aujourd’hui puisqu’il y avait, bien que souvent débudgétisées, des dépenses d’investissements en grande quantité.

9Dans la difficulté qui est la nôtre, le défi qu’est pour nous la réalisation de l’union économique et monétaire ne constitue pas la seule raison pour laquelle nous devons mettre de l’ordre dans nos finances publiques. Quand 20 % des recettes fiscales nettes servent à payer les intérêts de la dette, je crois que, union économique et monétaire ou pas, toute personne avisée sait qu’il faut mettre de l’ordre dans ses comptes.

10Pour mettre de l’ordre dans nos comptes, il nous faudra trois qualités.

11 D’abord, beaucoup de transparence, il faut parler du budget, il faut parler du budget actuel, il faut parler du budget passé et des succès remportés et il faut que le budget ne soit plus un secret ; je rappelle que, grâce aux bons soins de la direction de la Communication, l’exécution du budget est publiée tous les mois dans les Notes Bleues ; c’est avec un décalage d’un mois et quinze jours pour être précis, que chacun peut connaître l’exécution du budget. Ce document simple et public est autrement plus accessible que la situation résumée des opérations du Trésor que ne pouvaient décrypter avec retard que certains fins connaisseurs.

12Ensuite, beaucoup de constance ; il nous faut une action de longue durée, ce n’est pas une année ou deux années mais de nombreuses années qui seront nécessaires pour redresser nos comptes publics. La durée assez exceptionnelle du mandat de M. Goetze à la tête de la direction du Budget – plus de sept ans – correspond à peu près au délai nécessaire.

13Enfin, beaucoup de responsabilité. Je crois que le mot est très important ; il faut maintenant que « la chose budgétaire » devienne l’affaire de tous. Compte tenu du niveau des prélèvements obligatoires, du niveau des dépenses, des difficultés que toute évolution pose, si l’ensemble des ministères, l’ensemble des citoyens français, qui ont droit à « consentir à l’impôt » par l’intermédiaire de leurs représentants, ne s’approprient la problématique budgétaire, ce n’est pas une petite équipe de 240 personnes – effectif actuel de la direction du Budget – qui arrivera à avoir raison seule contre tous.

14Je terminerai ce propos sur le rapport au temps du budgétaire. Si Flaubert disait « l’avenir ne m’offre rien de bon et le passé me dévore », le budgétaire n’a pas du tout ce rapport au temps. Le budgétaire est très pessimiste sur le présent, il est un peu nostalgique du passé – je suis heureux de retrouver notre passé glorieux – et il est très optimiste sur l’avenir, à une seule condition : qu’on suive ses recettes. Je dirai même le budgétaire est le seul qui reste optimiste dans les décombres des déficits, qui a cette capacité de résistance extraordinaire là où chacun doute.

15Alors mettons à profit cette journée, cette leçon d’histoire, qui est aussi une leçon de lucidité, et de courage de la part de ceux qui ont fait tout ce dont aujourd’hui nous profitons. Fortifions nos convictions en voyant que les épreuves traversées par nos prédécesseurs ont été surmontées, ce qui donne de l’espoir face à l’immensité des tâches actuelles. Voltaire disait « nous laisserons le monde aussi méchant et aussi sot que nous l’avons trouvé ». Je suis convaincu que grâce à nos travaux communs nous le laisserons « meilleur » et « plus intelligent ».


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