L’Europe face à la mondialisation. Quelles politiques communautaires pour demain ? 50 ans de construction européenne
Les politiques de demain, pour agir sur la mondialisation
Débat avec la salle
Texte intégral
1 Un intervenant
2Entre Bordeaux et une autre ville, on voulait introduire le biocarburant pour le transport dans la ville, et on s’est heurté à un règlement national français. J’aimerais bien que l’on m’explique comment cela est possible car cette décision était en accord avec les règles de l’Europe. Le règlement européen ne prime-t-il pas celui de l’Etat ?
3 Claude MANDIL
4Cette histoire ne me dit rien, mais j’essaye d’imaginer ce que vous avez en tête. Pour introduire les biocarburants, une décision n’est pas nécessaire parce qu’ils sont déjà introduits, ils existent, et sont utilisés dans les transports publics et privés dans des proportions significatives en France. En revanche, vous ne pouvez pas mettre n’importe quoi dans une pompe, car le client moyen ne sait pas ce qu’il a dans sa pompe. Des réglementations doivent donc donner les spécificités d’un carburant. Il est possible que ce maire ait eu envie de mettre un biocarburant qui ne répondait pas aux spécifications et aux normes qui étaient décidées. Mais s’il met un biocarburant qui répond aux spécifications, je vous garantis qu’il n’aura aucune difficulté.
5 Un intervenant
6Ce n’était pas pour le grand public, mais pour ses propres bus et pour les agriculteurs.
7 Claude MANDIL
8C’est la même chose, la pollution faite par le bus est respirée par tout le monde.
9Nicolas THÉRY
10Il existe effectivement une directive sur la qualité du carburant, notamment parce que, selon la quantité de biocarburant que vous mettez, c’est plus ou moins corrosif pour la pompe et les moteurs. La Commission européenne vient de proposer, il y a deux mois, une nouvelle directive sur la qualité du carburant qui demande une réduction de 10 % de la teneur en carbone du carburant utilisé en Europe, dans les dix prochaines années. Libre aux industriels de définir la manière dont ils vont y arriver. Est-ce par intégration de biocarburants ? Est-ce par amélioration du processus de raffinage ? Est-ce par de nouveaux procédés technologiques ? Il y a bien des règles européennes, mais qui tiennent notamment à ce que les effets du carbone soient les plus limités possibles et les plus compatibles avec les infrastructures. Vous ne pouvez pas faire rouler des bus avec du carburant à 60 % d’éthanol et des voitures à 20 % sans avoir des conséquences très concrètes, par exemple sur les pompes à essence et les mélanges proposés.
11 Un intervenant
12Généralement, lorsqu’on ouvre un marché, c’est pour avoir de nouveaux entrants. Madame Morgan pense-t-elle que la libéralisation de la production énergie nucléaire aura pour effet qu’il y aura un new comer ? Est-ce ce qu’elle en attend ?
13Le second effet est de baisser les prix, faut-il encore qu’on connaisse le prix pour l’électricité nucléaire. Compte tenu des incertitudes sur la durée, sur le coût pour désassembler les usines, il me semble que les incertitudes sont encore très grandes. D’un point de vue économique, nous sommes plutôt dans un cas de monopole. Que faire pour améliorer ce monopole, étant entendu que pour la propriété du monopole, que cela soit public ou privé n’a aucune importance ? En effet, le problème est que nous sommes devant une espèce d’activité économique qui fait qu’on peut difficilement y entrer, et que l’on ne sait pas quel est le juste prix. Pensez-vous que, depuis dix ans, nous avons beaucoup progressé avec une approche uniquement de marché par les prix dans ce domaine ?
14Eluned MORGAN
15L’Union européenne n’indique pas s’il faut que ce soit privé ou nationalisé. Les deux peuvent vivre ensemble, et il n’y a pas monopole en Europe pour l’énergie nucléaire.
16 Une intervenante
17Nous avons vu le nombre important de facteurs environnementaux qui influent le marché énergétique. Pourtant, vous n’avez pas parlé de votre politique extérieure européenne, c’est-à-dire la dépendance de plus en plus accrue des régions extérieures dont la stabilité politique et économique reste très fragile. Concrètement, je parle des régions de Russie, de la mer Caspienne ou d’Asie centrale. En quoi consiste votre politique de sécurisation de l’approvisionnement de ces régions ?
18 Jean-François CIRELLI
19Je fais partie des gens qui pensent que c’est un problème, devant être résolu, d’être dépendant à 70 % de son énergie vis-à-vis d’autres. C’est un cas unique pour les grands pays, les Américains seront beaucoup moins dépendants que nous puisqu’au maximum, leur dépendance sera de 30 % dans une vingtaine d’années.
20Comment y répondre ? Il faut poursuivre la diversification des routes et des pays. Il faut chercher le pétrole et le gaz là où il est. Le gaz est en Russie, en Iran, en Azerbaïdjan, dans des pays à qui il faut aller expliquer que nous avons intérêt à y être, et que c’est leur intérêt. Le succès de la politique d’approvisionnement, de notre diversification, sera aussi la capacité que nous aurons à avoir des liens interdépendants. Je pense que, pour nous l’Europe, l’important est que si nous avons un problème énergétique avec la Russie, ils en souffrent autant que nous. Tout ce qui peut développer l’interdépendance entre nos pays (accession à l’OMC, commerce en général) réduira les risques liés à la sécurité d’approvisionnement. La question sera surtout celle du prix des énergies, notamment si un cartel arrive à se former dans le gaz. Nous en connaissons un dans le pétrole.
21Un intervenant
22On parle justement de l’OPEP du gaz en ce moment, y croyez-vous ?
23 Jean-François CIRELLI
24Qui dit OPEP dit cartel, et qui dit cartel dit vouloir réguler la demande et la production. Or, dans le gaz, nous fonctionnons avec des contrats qui stipulent que les producteurs sont obligés de nous fournir. De plus, c’est plus difficile car qui dit cartel dit capacité d’envoyer votre pétrole ailleurs, alors que, quand il y a des tuyaux, le gaz doit bien aller là où débouchent les tuyaux. Il est donc beaucoup plus difficile d’imaginer le fonctionnement économique d’une OPEP du gaz.
25C’est sûr que, politiquement, cela fait parler, mais cela veut bien dire que l’Europe doit avoir une politique extérieure, et ne peut pas reposer uniquement sur des sociétés comme Gaz de France ou d’autres. Nous devons être soutenus pour avoir une vision réelle de là où nous devons aller, et comment nous sommes aidés. Nous explorons en Algérie et les gens autour de nous sont les Chinois. On pourrait se demander ce que vient faire la Chine en Algérie pour prendre du pétrole, alors que, nous, nous sommes à 300 kilomètres des côtes. Derrière tout cela, il y a une vraie lutte aujourd’hui, qui va s’accroître dans les années qui viennent, pour l’accès à la ressource énergétique, entre les grandes zones de consommation qui sont les grandes économies du monde (Asie, Amérique du Nord et Europe), et il faut être armé dans cette lutte.
26 Un intervenant
27La Russie n’est pas vraiment une démocratie, donc elle s’inquiète moins de l’opinion publique qui pourrait s’opposer si cela ne plaisait pas aux consommateurs. De plus, ils ont pour tradition de rejeter les fautes sur les autres si quelque chose ne fonctionne pas. Ce n’est pas tout à fait le même cas que nous, démocraties, ici en Europe centrale et de l’Ouest. Je m’étonne toujours que nous mettions toujours nos œufs dans ce même panier russe.
28Claude MANDIL
29Effectivement, il y a une asymétrie mais je ne la vois pas tout à fait de la même façon. L’asymétrie provient du fait que nous, Européens, donnons un signal à la Russie qui est de lui dire que nous ne pouvons pas nous passer de son gaz, que si elle décidait de réduire de 5 % ses envois de gaz à l’Europe, ce serait une catastrophe. Nous donnons cette image à la Russie, et elle est très asymétrique et déplorable. Il serait bien meilleur que nous puissions dire à la Russie que nous aimons beaucoup son gaz, que nous les aimons beaucoup, mais que nous n’aimons pas sa façon de gérer son système électrique et énergétique et que, par conséquent, nous allons essayer de réduire un peu nos enlèvements de gaz de chez elle, en étant plus efficace sur le plan énergétique, en développant le gaz naturel liquéfié afin d’avoir d’autres approvisionnements. Cela me paraît possible, et c’est un peu ce qu’essaye de faire le paquet de l’Union européenne, cela me parait aller dans le bon sens.
30 Nicolas THÉRY
31Sur cette question des relations avec la Russie, un rappel historique : la Russie a accepté de ratifier Kyoto car la Commission européenne, notamment Pascal Lamy, commissaire au Commerce à l’époque, a mis cette question en balance avec son adhésion à l’OMC. Dans la politique énergétique européenne, il y a aussi une dimension de politique extérieure qui est importante et qui, dans le cas de Kyoto, a été décisive. Cela a été fait de manière délibérée pour que, d’un point de vue global, la voix de l’Europe soit entendue à la fois sur l’OMC, et sur Kyoto. C’est une situation que nous pouvons reproduire dans d’autres circonstances.
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