1Je voudrais consacrer mon intervention à la genèse de la TVA européenne. Cette idée est partie un jour de quelque part et a cheminé à travers quelques esprits avant que ces esprits commencent eux-mêmes à remuer leur environnement. De ce point de vue quelques réalités doivent être mises en évidence :

2La première, c’est que la TVA a été pensée au départ en fonction de nos besoins intérieurs et n’a touché l’Europe que par voie de contagion. Il n’y a pas eu un complot technocratique pour imposer la TVA aux six pays membres.

3Je voudrais dire, à titre préliminaire, que, curieusement, la réforme qui est intervenue en 1966 n’a été inspirée par Maurice Lauré – créateur de la TVA – que très indirectement. En réalité, si vous regardez les ouvrages qu’il a publiés (Au secours de la TVA, par exemple), ou les quelques articles qu’il a écrits après la loi de 1966, on constate qu’il se méfiait d’une généralisation de la TVA. Il craignait la possibilité de l’augmentation considérable de la fraude. En outre c’est lui qui a remis au gouverneur de la Banque de France la note dont celui-ci s’est servi pour obtenir que les « rats de cave » ne pénètrent pas chez les « gens du secteur bancaire », c’est-à-dire pour que les activités financières échappent à la TVA. Incidemment, ce phénomène a dû coûter probablement la bagatelle de 200 milliards de fonds propres au secteur bancaire.

4En fait, la généralisation de la TVA a procédé de la convergence de plusieurs préoccupations.

5Les soucis d’ordre technique ont été certainement les soucis dominants de quelques fonctionnaires des Impôts dont je veux saluer ici les travaux et plus particulièrement MM. Frapsauce, Mespoulhès, Garrigue, Berson. En effet, ils constataient la complexité créée par la coexistence de la TVA issue de la loi de 1954, de la taxe sur les prestations de services, de la taxe locale, et de plus de quarante taxes uniques ou droits indirects. Cette complexité était tout à fait considérable. Je laisse à deviner ce que pouvait être, par exemple, le régime d’un plat préparé comportant de la viande et vendu par une entreprise ayant plus de 4 succursales de vente au détail. De même, j’évoquerai le cas remarquable des tomates qui demeuraient un produit agricole lorsqu’elles étaient vendues en l’état et devenaient un produit agricole légèrement transformé lorsqu’elles étaient coupées en deux et devaient être considérées comme un produit industriel lorsque le découpage allait plus loin. Mais bien entendu lorsqu’elle était transformée par un restaurateur, cette tomate relevait de la taxe locale au taux majoré de 8,50 %. On pourrait citer d’autres exemples. Le plus raffiné était sans doute celui de la culotte de gendarme, dont on se demandait si elle pouvait être considérée comme un objet usuellement fabriqué pour les consommateurs.

6En fait, nous nous trouvions devant des problèmes de frontières très difficiles à résoudre et qui nécessitaient une réglementation continue de la part de la sous-direction 3 D de la DGI chaque fois que des facturations appelaient une jurisprudence nouvelle. De plus, il fallait éviter dans les facturations des désordres qui pouvaient être graves pour les entreprises. Les réponses devaient donc être très rapides, ce qu’elles étaient grâce aux procédures mises en œuvre par Frapsauce. En effet, c’était au moment où un objet était fabriqué ou vendu que sa facturation devait être faite. Ce système ne s’accommodait donc pas, comme en matière d’impôts sur les sociétés, de savantes dissertations dont les résultats pouvaient n’être connus qu’au terme de délais plus ou moins longs.

7Il paraissait donc certain, que la substitution à ce désordre d’un système de taxation unifié apporterait un gros progrès, même si ce système devait être encombré, au départ, par des anomalies farfelues, telles que la règle du décalage d’un mois, du prorata, ou du butoir, qu’il fût physique ou financier. Mais, de toute façon, les simplifications dues à l’unification de la TVA seraient considérables pour les entreprises comme pour le service des Impôts. Cette idée a pénétré les milieux professionnels, comme Delorme vous l’exposera. Un travail psychologique sans précédent a été fait, notamment à travers les Assises nationales du commerce, en 1964. Il a permis de faire accepter les changements même au niveau des petits artisans et des petits commerçants, qui avaient été à l’origine du poujadisme de 1954.

8J’ai un vague souvenir, qui doit remonter à 1961. Je passais chez Frapsauce qui procédait à un échange de vues avec quelques-uns de ses collaborateurs. Frapsauce m’a dit : « Ça a l’air d’un gag, mais je crois qu’on ne s’en sortira qu’en généralisant la TVA ».

9Cette démarche m’avait tout à fait séduit car elle rejoignait un autre axe de recherche, qui était plus intellectuel, plus technocratique, pour reprendre le vocabulaire d’aujourd’hui, et qui était la recherche d’une neutralité économique de l’impôt. Je crois que cette démarche n’était pas du tout étrangère aux préoccupations de Frapsauce, de Berson et de leur équipe, mais elle constituait la préoccupation principale d’un certain nombre d’autres services. En particulier je crois devoir signaler que quelqu’un qui nous a beaucoup aidés moralement. Il s’agit de Gilles de La Perrière, qui était alors en poste au Commissariat général au Plan. Dans ces travaux à la Commission du Financement, il a donné une définition qui n’a jamais été améliorée, parce qu’elle était parfaite, de ce qu’était la neutralité fiscale. Cette idée a été transmise ainsi à quelques milieux professionnels, de manière tout à fait intelligente. C’est dans ce domaine que Lauré a eu une forte influence. C’est parce qu’il avait rédigé Le traité de politique fiscale et que ce traité fiscal faisait également un éloge intelligent de la neutralité fiscale.

10De ce point de vue, la situation des taxes sur le chiffre d’affaires avant la généralisation de la TVA était quelque chose d’extravagant. Certes la plupart des professionnels s’en satisfaisaient : pour un professionnel une réforme simplificatrice est d’abord une complication puisque c’est un changement et toutes les bureaucraties, qu’elles soient patronales ou administratives, se soucient d’abord de conserver leur fond de commerce, donc de ne rien changer aux difficultés dont elles vivent. Mais, ce Traité de politique fiscale – qui avait été lu par Gilles de La Perrière, comme par votre serviteur et par beaucoup d’autres – donnait à penser que la TVA pouvait permettre de résoudre de nombreux problèmes.

11Par ailleurs, la loi de 1966 avait été précédée par une loi de 1963, concernant la fiscalité des plus-values. Là, on s’était trouvé devant un véritable Far West dans le domaine de l’immobilier, avec la coexistence de la TVA et de droits d’enregistrement. En outre, l’impôt s’appliquait dans des conditions différentes selon qu’on se trouvait devant une société anonyme, une société civile ou un propriétaire construisant pour son compte ou en vue de la revente. Aujourd’hui, on a oublié toutes ces complications. À l’époque, elles étaient à la base d’un bon tiers des questions écrites fiscales posées par les parlementaires, parce que ces problèmes étaient insolubles. Or, en 1963, on s’est borné à prévoir l’application ordinaire de la TVA à l’ensemble des opérations de construction. Je me rappelle encore des notaires du Sénat, de droite et de gauche, poussant des cris en disant « toucher à l’enregistrement, ce n’est pas possible ». En définitive pourtant ce qui avait été une catastrophe annoncée est quelque chose qui est entrée dans les mœurs dans des conditions qui devaient être satisfaisantes puisqu’elles n’ont jamais été modifiées depuis. Ce précédent aurait dû être médité.

12D’une manière plus générale, nous étions nombreux à penser qu’il convenait de faire en sorte qu’un produit puisse être fabriqué, commercialisé, vendu, porté à la connaissance du public sans que la localisation d’une fonction économique quelconque ait la moindre incidence sur le coût fiscal final payé par le consommateur. C’était cela, la neutralité économique dans le domaine de la fiscalité indirecte. Et cette innovation changeait la nature même de l’impôt. Du fait du système des paiements fractionnés, la TVA n’était plus qu’une taxe intermédiaire ; elle devenait une sorte de retenue à la source sur un impôt final de consommation, qui était le même quelle que soit l’origine du produit, allemand, français ou belge, quelle que soit également la nature de la production, du mode de la distribution.

13Ce changement permettait aussi la modernisation du secteur du commerce, parce qu’il conduisait à faire porter la concurrence sur les prix en faisant partager les conséquences de cette politique entre le commerçant et le Trésor. Antérieurement, lorsqu’un commerçant baissait de 30 % son prix au détail, l’imposition ne baissait que de 0,85 %, soit 30 % de la taxe locale de 2,75 %. Cette incidence était presque du domaine de l’infiniment petit. Alors qu’avec la TVA généralisée, si vous diminuez vos prix de 30 %, vous réduisiez également la charge fiscale de 30 %. Donc, on rendait plus intéressante la concurrence sur les prix. En deuxième lieu, la réforme permettait de déduire les taxes ayant pesé sur l’investissement : on supprimait la TVA sur les investissements du commerce, qu’il s’agisse des bâtiments, des ordinateurs, des machines comptables, des moyens de manutention ; bref, on ouvrait la voie à la modernisation du secteur. On le faisait même plus qu’on ne l’avait pensé parce que les biens mis en œuvre avant la généralisation de la TVA avaient été grevés de la TVA et étaient amortis TVA comprise, alors que leur coût de remplacement hors taxe était réduit.

14À cette ambition de neutralité économique s’est ajoutée la neutralité sociale. On le constate lorsqu’on mesure l’incidence des impôts indirects. Dans la plupart des cas, en effet, les marges commerciales sur les biens de consommation de luxe sont des marges fortes, alors que celles qui sont pratiquées sur les biens de consommation populaires sont des marges faibles. Il est donc évident qu’en appliquant la TVA à la totalité du prix et pas seulement au prix de production on améliorait l’incidence sociale des taxes au chiffre d’affaires. Indépendamment des différences de taxes, on a supprimé le principal élément régressif qui affectait l’imposition des affaires, ou plutôt de la consommation, par rapport à l’imposition des revenus. Et ceci a été, je crois, un facteur important du point de vue de l’équité.

15Incidemment, il y a eu un cas particulier, c’était l’automobile. Sachez simplement que les marges étaient très faibles dans le domaine de l’automobile. Il fallait donc appliquer un taux hautement majoré aux voitures, pour assurer le maintien de la charge fiscale sur ce secteur.

16J’en profiterai pour dénoncer tout ce qui est dit sur l’injustice de la TVA.

17Vous avez des tas de bêtises et mensonges. J’ai été frappé notamment par l’incompétence d’un journaliste qui a écrit dans L’Expansion un article tendant à montrer que la TVA frappait les revenus du smicard à 9 % et ceux du cadre supérieur à 5 %. Ce rapprochement est simplement dû au fait qu’on a rapproché les revenus avant impôt des deux côtés et qu’il est difficile pour le contribuable dont les impôts directs représentent 50 % de ses revenus d’en consommer 100 %. Cette rectification étant faite, je crois qu’on peut conclure, comme tous les universitaires de haut niveau, je pense en particulier au professeur Bourguignon, que nos impôts indirects sont grosso modo proportionnels aux dépenses, donc à l’essentiel des revenus. Ce résultat constitue un gigantesque progrès par rapport aux anciens impôts spécifiques, dont les incidences ont été parfaitement analysées avant 1914 par Joseph Caillaux.

18J’en reviens maintenant au niveau européen, pour souligner que la TVA a pesé par contagion. D’autres, M. Guieu en particulier, vous expliqueront mieux que moi ce qui s’est passé à Bruxelles. En ce qui me concerne, je me bornerai à vous exposer ce que j’ai vu. Au départ, nous partions d’un texte qui obligeait simplement à fixer des méthodes de calcul communes pour la fixation des restitutions à l’exportation et des impositions forfaitaires à l’importation des pays ayant un système cumulatif de taxes sur le chiffre d’affaires. Il est apparu très vite que tout le monde trichait, sauf ceux qui n’avaient pas de taxes cumulatives, c’est-à-dire nous. Ces manipulations étaient faciles, parce que suivant les taux d’intégration des entreprises on aboutissait à des calculs totalement différents. La réunion des six administrations des Impôts, réunies dans le comité fiscal, s’était transformée très rapidement en un club de pleureurs plus ou moins résignés. Chacun de ses membres a, en quelque sorte, refait, sur le papier, l’histoire de la taxation française du chiffre d’affaires. La France avait connu les taxes cumulatives et les avait tuées en les confiant à l’Enregistrement. Nous avions créé les taxes uniques et constaté les problèmes insolubles qui se posaient dès qu’on mélangeait deux produits soumis à deux taxes uniques différentes. Nous avions ensuite pratiqué la taxe à la production, qui créait des distorsions économiques aux dépens des investissements et des services. Ce système avait été amélioré par l’institution en 1954 de la taxe sur la valeur ajoutée. Nous avons, en quelque sorte, partagé avec nos partenaires l’expérience qui nous conduisait, dans les années 1960 à suggérer la généralisation de la taxe sur la valeur ajoutée. Incidemment, nous avons constaté ensemble que s’ils nous imitaient, les problèmes identifiés par le traité de Rome seraient résorbés.

19C’est comme ça que les choses se sont passées.

20L’administration française bénéficiait à l’époque d’un grand prestige : ses éléments, dans l’ensemble, étaient excellents. Nous disposions aussi d’une avance historique fabuleuse sur des partenaires qui continuaient d’appliquer des taxes cumulatives sur toutes les transactions. Notre avance technique était si forte que nous avons pu faire voter notre réforme avant que la directive européenne soit approuvée.

21À ce sujet, je crois utile de faire part de quelques petits phénomènes d’ambiance. Le comité fiscal n’était pas une réunion de joyeux drilles. Ses attributions, au demeurant, ne se prêtaient guère à des facéties. Il présentait quand même des côtés cocasses.

22 Le représentant du Luxembourg, avant de lire son journal, se lançait dans une déclaration préliminaire pour préciser que son pays adhérait à tout accord conclu entre la France et l’Allemagne dès lors que ces accords ne concerneraient ni les holdings ni le secret bancaire.

23Les deux Belges, l’un Flamand, l’autre Wallon, s’exprimant chacun dans leur langue, précisaient presque toujours qu’ils n’avaient pas compris. Ce que nous avons pris au début pour une preuve de très grande habileté.

24L’Italien allait rarement plus loin. Plus d’une fois, je l’ai entendu dire qu’il n’était pas le fonctionnaire compétent et qu’on avait dû commettre une erreur dans son ministère en le désignant.

25Le Hollandais avait visiblement une instruction de son gouvernement de troubler tout tête-à-tête franco-allemand.

26Instruits par l’expérience, M. Vogel, le responsable allemand, et moi, avions donc décidé de dîner la veille à la Rôtisserie des Ardennes pour faire avancer les choses, le cas échéant en préparant quelques échanges contradictoires de nature à rassurer le représentant des Pays-Bas.

27Tout ça marchait assez bien puisqu’on est arrivé, en définitive, à un système sur lequel nous vivons encore, à quelques détails près.

28Lorsque l’accord est intervenu, le directeur général hollandais a fait une observation tout à fait pertinente. Il admettait que la TVA serait un progrès considérable par rapport aux taxes cumulatives appliquées aux Pays-Bas mais craignait de mettre un impôt aussi perfectionné à la disposition de son gouvernement. Les politiques, selon lui, donc n’avaient qu’une idée : dépenser bêtement l’argent du contribuable. Il prévoyait l’augmentation du taux du nouvel impôt. Alors que tout le monde, en France, soulignait que le taux français était extravagant et qu’il fallait le baisser dans l’esprit de l’harmonisation européenne (qui n’avait jamais prévu ça) on a effectivement vu le taux néerlandais, qui était à 8 %, je crois, monter progressivement à 23, le taux anglais, qui était à zéro, être fixé à 17,5, le taux allemand qui était de 7,5 monter à 14. Est-il donc vraiment utile de faire des harmonisations de taux européens puisque le voisin, dès qu’il en a besoin, augmente lui-même sa TVA et même un peu plus vite que nous ?

29Je vais prendre encore trois minutes pour vous parler des frontières fiscales. Tout s’était très bien passé puisque nous arrivions à ce que la neutralité fiscale soit parfaite non seulement à l’intérieur, sous réserve de quelques rémanences, mais à l’extérieur, puisque lorsqu’on vendait un produit français en Allemagne il subissait le même taux que son concurrent local. Le même acte permettait donc de garantir la neutralité du système et d’attribuer l’impôt au pays du lieu de consommation. Intellectuellement, cette harmonie a été troublée dès le départ par un individu, très sûr de lui-même, très dominateur, le professeur Neumark, président du comité scientifique. Ce comité scientifique, composé d’universitaires et créé en 1960 pour étudier les questions fiscales au sein de la CEE, a prétendu que la TVA frappait le bénéfice brut des entreprises. Pour que sa neutralité soit parfaite il fallait donc, selon lui supprimer les frontières fiscales et taxer les chiffres d’affaires dans le pays d’origine. Le professeur français s’est rallié au point de vue de son président. Cet écart n’a guère contrarié l’évolution de la TVA mais la Commission, pour des raisons que je vous ai expliquées, et les Allemands ont toujours été favorables à la taxation selon le « pays d’origine ».

30Quand je suis revenu de Londres, où quelques désaccords m’avaient envoyé faire un saut en 1967, je me suis préoccupé, ému même, de voir un passage de la première directive TVA recommander une évolution vers un système de taxation selon le pays d’origine. Je me rappelle d’un échange avec mon collègue allemand qui m’a dit alors : « Ne vous occupez de ça. Il n’y a aucune chance qu’aucun Français accepte jamais que le problème soit remis sur le tapis ». Eh bien si ! Jacques Delors a accepté le principe de la suppression des frontières fiscales et dans l’Acte unique un projet de directive prévoyait l’imposition dans le pays d’origine.

31Pourtant presque tout le monde était contre : les praticiens, Uri, Lauré, et même Pierre Bérégovoy, dont un conseiller technique, écrivait, pour parler du pays d’origine : « 100 milliards pour un fantasme », ce qui paraissait clair. M^me Guigou, à l’époque au cabinet du président de la République me demandait même de faire un papier pour défendre cette position. À la vérité, Le Monde a substitué à ma prose un article qui faisait l’éloge des projets fiscaux de la Commission.

32Les risques étaient et demeurent gigantesques. Tout notre contrôle fiscal repose sur des recoupements. S’il fallait que l’inspecteur des impôts de Cintegabelle ou de Lille vérifie la réalité de la facture écrite en grec par un fournisseur de Salonique nous assisterions à des fraudes et des détournements de circuits commerciaux sans précédent ; nous perdrions à peu près 100 à 150 milliards. Le projet de directive de 1991-1992 et le traité de Maastricht ne sont donc pas compatibles.

33Finalement tous les pays, sauf l’Allemagne, ont décidé qu’il ne fallait pas appliquer la directive. Je me méfie toujours néanmoins des réunions au sommet de gens qui veulent se faire plaisir les uns aux autres. Tout peut arriver lorsque des décisions ne sont plus soumises à l’épreuve d’un débat parlementaire.

34Pour conclure, je voudrais évoquer deux points pour vous rappeler ce qu’a été la vie de la DGI pendant cette période.

35En 1965, on ne s’était pas contenté de voter la généralisation de la TVA. On avait aussi voté la réforme de l’impôt sur les sociétés, et pour faire bonne mesure la réforme de la fiscalité des instruments financiers. J’ai laissé le paquet dans un état de désordre total entre les mains de Guy Delorme en partant pour Londres. Il s’est débrouillé avec Philippe Rouvillois, qui, lui, était au cabinet de Michel Debré. À mon retour, il fallait faire rentrer dans les faits la nouvelle TVA et l’étendre à l’agriculture. Cette innovation était exigée par toute la profession. J’entends encore mon cousin Caffarelli, président de la FNSEA, m’expliquer doctement que les vaches modernes mangeaient des aliments composés, alors que les siennes mangeaient de l’herbe comme toutes les autres vaches. Il fallait lancer la fusion des régies et cette fusion a été à peu près la seule réforme administrative de quelque ampleur qui soit intervenue en France. En l’espace de deux ans, 30 000 à 35 000 personnes avaient changé soit de patron, soit de lieu de résidence, soit de service, soit de formation, soit de collaborateur, soit de plusieurs de ces éléments, ce qui ne se fait naturellement pas tout seul dans une administration classique. Alors j’en suis très reconnaissant à tous ceux qui m’ont accompagné à l’époque, notamment à Guy Delorme et à Philippe Rouvillois, parce que je sais que j’aurais été considéré comme coupable ou comme imprudent si cela c’était mal passé...