Les dynamiques économiques de la Révolution française
| , ,Les mutations de la propriété
La terre, valeur refuge ? La bourgeoisie d’affaires et l’expérience des biens nationaux en Bretagne
Texte intégral
- 1 Georges Lecarpentier, La vente des biens ecclésiastiques pendant la Révolution française, Paris, A (...)
- 2 Martine Lapied et Christine Peyrard, La Révolution française au carrefour des recherches, Aix-en-P (...)
- 3 Michel Vovelle, Combats pour la Révolution française, Paris, La Découverte, 1993, p. 119. L’auteur (...)
- 4 Bernard Bodinier et Éric Teyssier, L’événement le plus important de la Révolution. La vente des bi (...)
- 5 M. Lapied et C. Peyrard, La Révolution française au carrefour des recherches, op. cit. Récemment, (...)
1Qualifiée par Georges Lecarpentier dans les années 1930 d’« événement le plus important de la Révolution1 », la vente des biens nationaux en tant qu’objet de recherche a longtemps influé sur le débat politique et historiographique français. Considérée au xixe siècle comme un sujet controversé, les premières études quantitatives sont menées au tournant du xxe, complétées par les séries documentaires publiées par la Commission d’histoire de la Révolution française (Commission Jaurès)2. Dans les années 1940-1970, les historiens de l’École des Annales investissent ce champ d’étude et renouvellent les approches sur les questions de la répartition foncière, du prélèvement seigneurial et des mutations de la société paysanne. Objet historique complexe, les biens nationaux se situent à la jonction des questions agraires, foncières, sociales, financières et politiques et semblent délaissés à la veille du Bicentenaire, dans un contexte historiographique marqué par un intérêt plus vif porté à l’idéologie ou l’imaginaire révolutionnaire3. Il faut attendre le début du xxie siècle pour que soit publié l’immense travail de Bernard Bodinier et d’Éric Teyssier qui contribue, par l’analyse systématique et globale de près de 850 monographies, à rendre intelligibles les modalités et les résultats de cette vaste opération foncière4. Cette synthèse inédite invitait alors à explorer de nouvelles perspectives, soulignant en creux les disparités régionales dans le traitement des sources et les questionnements laissés en suspens5.
- 6 Roger Dupuy, « Les paysans et la politique (1750-1850) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Oue (...)
- 7 M. Vovelle, Combats pour la Révolution française, op. cit., p. 259.
- 8 Suite aux journées d’étude sur « Les biens nationaux ont-ils encore quelque chose à nous apprendre (...)
2En ce sens, la Bretagne offre un cadre d’étude original dans un contexte de recul historiographique depuis les travaux menés par Roger Dupuy sur le ralliement des Bleus de Bretagne et les formes de résistance au processus révolutionnaire6. La démarche, qui consistait alors à associer étude de cas et sociologie, a ainsi permis de mettre en lumière les stratégies de la bourgeoisie urbaine, les attitudes des groupes populaires et l’existence dans les campagnes d’îlots patriotes attachés à la République. Précoce, le ralliement à la Révolution en Bretagne est loin d’être unanime : sa remise en cause s’opère dès les années 1791-1792 dans une chronologie et une géographie différenciées à l’échelle régionale7. Dépassant la dichotomie simpliste entre Blancs et Bleus de Bretagne, le colloque qui se tenait à Saint-Brieuc en 1989 invitait alors à poursuivre ces réflexions et les chantiers ouverts lors de débats riches et féconds. On peut déplorer que la dynamique du Bicentenaire se soit essoufflée et n’ait pas accompagné la production d’une recherche scientifique sur les mutations et les transferts de la propriété foncière sous la Révolution. C’est dans cet environnement historiographique lacunaire et daté que s’inscrit cette contribution8, qui porte sur la bourgeoisie d’affaires et l’expérience des biens nationaux dans les principaux ports bretons.
- 9 Cette présentation est issue de nos travaux de doctorat : « Les négoces portuaires bretons sous la (...)
3Acteurs majeurs des villes portuaires dans le dernier tiers du xviiie siècle, les négociants, qui constituent la frange supérieure de cette bourgeoisie urbaine, sont engagés dans des activités économiques nombreuses et différenciées (armement, construction, affrètement, course, négoce des denrées et de produits ultramarins, crédit). Néanmoins, la révolte de Saint-Domingue puis l’entrée en guerre conduisent à un ralentissement des activités, nettement observable dès 1792. La législation adoptée le 2 décembre 1789 et le 27 juillet 1792 apparaît dès lors comme une formidable opportunité de placement. Près d’un millier d’adjudications de première et seconde origine ont été réalisées au sein de ce groupe social composite, dont nos recherches s’attachent à décrypter le comportement et les logiques d’adaptation. S’agit-il pour les négociants d’une stratégie de transfert du capital marchand vers le capital foncier ? D’investissements temporaires avant une réinjection dans le circuit économique ? Quel est le dynamisme du marché nationalisé en comparaison du marché ordinaire ? L’acquisition d’un bien aliéné traduit-elle une forme de ralliement ou d’opportunisme ? À partir de l’exploitation des lots vendus, cette étude vise à analyser le comportement de cette bourgeoisie urbaine face à l’opportunité procurée par la mise sur le marché des biens nationaux9.
I. Périodisation, dépréciation et capitalisation : l’hétérogénéité des comportements des milieux d’affaires bretons
- 10 B. Bodinier et É. Teyssier, L’événement le plus important de la Révolution…, op. cit., p. 11. Le f (...)
- 11 Nous avons identifié près de 650 négociants dans ce travail doctoral qui alterne démarche quantita (...)
4Près d’un millier d’adjudications ont été recensées par croisement des sources de la sous-série 1Q qui centralisent les inventaires, les expertises, les tables de mutation des biens, les procès-verbaux d’adjudication ainsi que les dossiers individuels et les listes d’émigrés. Néanmoins, nous observons à la suite de Bernard Bodinier et d’Éric Teyssier que la richesse et la conservation des fonds départementaux sont inégales10. Ces lacunes ont été partiellement corrigées par l’exploitation des tables de mutation (sous-série 3Q), qui ont permis l’identification de près de 200 lots supplémentaires : au total, l’étude porte sur un ensemble de 908 lots constitués de biens de première et seconde origines acquis par 148 négociants, soit 22 % du corpus initial11 (voir tableau 1).
Tableau 1. Tableau synthétique des acquisitions de biens nationaux par les milieux d’affaires en Bretagne, 1791‑1812

- 12 Les montants réels ont été calculés à partir du travail de Pierre Caron, Tableau de dépréciation d (...)
- 13 K. Audran, Les négoces portuaires bretons sous la Révolution et l’Empire, op. cit., vol. 1, p. 310
- 14 Olivier Pétré-Grenouilleau observe le même ratio pour le cas nantais dans L’argent de la traite. M (...)
5148 négociants opérant dans les ports de Saint-Malo, Morlaix, Brest et Lorient se sont rendu acquéreurs de 908 lots pour une capitalisation de près de 20 millions de livres assignats, représentant 9,2 millions de livres valeur réelle, compte tenu de la dépréciation, soit 46 % du montant initial12. Par comparaison, l’activité corsaire pratiquée à Saint-Malo sous la Révolution et l’Empire correspond à une mobilisation de capital d’un montant de 18,5 millions13. Suivant le cas malouin, l’expérience des biens nationaux équivaut approximativement à un sixième des investissements maritimes placés dans la course14.
- 15 Suivant nos calculs, nous évaluons l’armement moyen d’un navire corsaire malouin à environ 60 000 (...)
- 16 L’analyse porte sur les résultats établis à partir du dépouillement des sources des ports de Saint (...)
6La valeur réelle médiane d’acquisition d’un bien national toutes origines confondues est d’environ 10 000 L. valeur numéraire, montant inférieur à l’armement d’un navire à la course15. En moyenne, chaque négociant réalise six acquisitions et consacre une enveloppe globale d’environ 60 000 L., ce qui ne rend pas compte de la stratégie d’investissement massive adoptée par certains. Cette présentation sectorielle donne surtout à voir des comportements hétérogènes16 et des capacités variables.
- 17 Les sources de l’enregistrement étant lacunaires jusqu’en l’an II, il est impossible de vérifier s (...)
7Les acteurs morlaisiens réalisent en valeur 2 % de la capitalisation bretonne, pourcentage dérisoire, qui témoigne d’investissements tardifs. Les acquisitions négociantes ne débutent en effet qu’en l’an IV et les mois de vendémiaire, messidor et thermidor polarisent 88 % des ventes adjugées au négoce17. Un bien aliéné est adjugé pour un montant médian de 3 725 L. et les négociants morlaisiens mobilisent 15 500 L. en moyenne en valeur foncière.
- 18 L’investissement réalisé par un négociant brestois représente en moyenne 58 % des capacités d’un n (...)
8Avec 2 millions (valeur réelle) de biens aliénés, les négociants brestois représentent près d’un quart de la mobilisation totale. On observe une prédominance des Brestois pour des acquisitions tardives (45 % de celle-ci sont enregistrées en l’an IV). Le prix moyen d’une acquisition – 6 161 L. – est deux fois supérieur au montant médian enregistré à Morlaix, mais inférieur à la moyenne globale. La capitalisation individuelle moyenne est également plus élevée – 39 300 L. Elle demeure toutefois inférieure aux capacités déployées par les Malouins et les Lorientais18.
9Les Malouins capitalisent 2,7 millions valeur réelle, mais leur singularité se caractérise par la précocité de leurs acquisitions : 57 % des adjudications sont enregistrées avant la fin de l’an II. La valeur des lots adjugés est nettement supérieure à celle des autres zones portuaires. Ce phénomène s’explique en partie par la période d’investissement et l’âpreté des négociations qui fait s’envoler les prix. L’investissement moyen consenti aux biens nationaux s’élève à 66 462 L. Enfin, les négociants lorientais mobilisent une somme supérieure à 4 millions de livres, soit 47,3 % de la somme globale investie par l’ensemble des négociants bretons. À Lorient, les ventes se concentrent en l’an VI (pour les deux tiers des lots adjugés), c’est-à-dire après l’épisode des assignats et des mandats territoriaux. En moyenne, le prix des biens est deux fois plus élevé qu’à Brest et le revenu médian du négociant lorientais le plus élevé de nos estimations, soit 100 988 L.
10Ce bilan brossé à gros traits témoigne de l’adoption de comportements collectifs différenciés face à cette « extraordinaire aubaine » que constitue la mise sur le marché des biens nationalisés. Alors qu’un nombre à peu près équivalent de négociants y sont intéressés – entre 40 et 50, exception faite des Morlaisiens –, les attitudes des acteurs du commerce sont hétéroclites : achats précoces et prix élevés pour les négociants malouins ; acquisitions nombreuses et tardives pour les Brestois et les Lorientais ; investissements tardifs et modiques de la part du négoce morlaisien. Mais peut-on corréler ces placements à une forme d’adhésion ou de défiance d’une partie des négociants bretons face à la Révolution ?
- 19 Jean-Pierre Hirsch, Les deux rêves du commerce. Entreprise et institution dans la région lilloise (...)
- 20 Cette distinction en trois phases de ventes qui suit l’évolution des législations a été établie da (...)
11Pour tenter de répondre à cette question et reprenant l’idée de Jean-Pierre Hirsch selon laquelle « la datation des achats des uns et des autres […] peut être révélatrice d’attitudes et de fluctuations politiques tout autant que d’événements commerciaux et financiers19 », le graphique 1 permet de décomposer les adjudications en trois périodes d’acquisition20.
Graphique 1. Périodisation et capital mobilisé en valeur réelle entre janvier 1791 et novembre 1799 (en millions de livres)

12On observe ainsi un relatif désintérêt des milieux d’affaires bretons pour les biens mis en vente dans la première période (71 lots pour 600 000 L.). Entre 1791 et l’été 1793, ce sont les Malouins qui se distinguent avec 44 lots acquis. Contrairement aux observations faites par Jean-Pierre Hirsch à Lille, les négociants acquièrent ces biens avant le printemps 1792. Peut-on lier ce phénomène à la révolte de Saint-Domingue et la volonté du négoce de transférer ses capitaux ? Cette hypothèse mériterait d’être creusée.
- 21 La famille de Lorgeril est une famille subsistante de la noblesse française, originaire de Bretagn (...)
- 22 Ancien terme breton, « manale » désigne ce qui se rapporte à un manoir. Une maison manale correspo (...)
- 23 Archives départementales du Finistère (désormais AD Finistère), 1 Q 734, op. cit., et 3 Q 534, tab (...)
- 24 La dévaluation a atteint dans le Finistère 60 livres numéraires pour 100 livres assignats en prair (...)
- 25 Nous touchons ici à la complexité des mesures de surface agraires, dont les unités sont variables (...)
13La seconde période correspond aux ans II et III durant lesquels 84 négociants se rendent propriétaires de 333 biens pour un capital réel de 2 millions de livres. La mise sur le marché des biens des émigrés profite à certains et la dépréciation galopante amplifie le mouvement, même sous la Terreur, rendant ces lots attractifs. Le négociant brestois Borgnis-Desbordes Père (né en 1769) se rend ainsi acquéreur d’une vingtaine de lots provenant de l’émigré Lorgeril21 entre prairial et thermidor an II (été 1794). Il devient dès lors propriétaire d’un manoir, quatre maisons manales22, cinq parcs de terre chaude, quatre parcs et quatre garennes de terre froide, de deux courtils, un jardin et un chemin de servitude23 – le tout situé à Gouesnou (à 9 km au nord de Brest) pour une somme réelle de 143 682 L. (251 590 L. assignats)24. Un second exemple est fourni par Léonard Michel Louis Coespel (1745-1824), négociant malouin qui, en frimaire et nivôse an III (décembre 1794-janvier 1795), se rend acquéreur de dix lots situés à Meillac à 35 km au sud de Saint-Malo. Ces biens à usage agricole se composent de deux métairies, une rangée de masures, deux chanvrières et 10 pièces de terre labourables pour une superficie de 114 journaux et 332 cordes25. L’ensemble des biens, estimé à 26 685 L. assignats, est acquis pour un montant de 90 000 L. Malgré les enchères, l’opération est une bonne affaire car le rapport livre assignat-livre numéraire n’est plus que de 1 pour 5 en nivôse an III en Ille-et-Vilaine : les dix lots adjugés à Coespel correspondent en réalité à 18 000 L., valeur réelle. Au total, durant cette seconde période, les acquisitions contractées équivalent à 2,3 millions de livres (pour 7,3 millions assignats).
- 26 Après la disparition des assignats, le Directoire propose le 19 ventôse an IV (9 mars 1796) l’émis (...)
14Enfin, l’époque directoriale qui correspond à la troisième période est marquée par l’adjudication de 477 lots, soit 52,5 % des biens nationaux acquis par 81 négociants (55 % de l’ensemble). Il convient toutefois de distinguer deux temps. Une première phase, en l’an IV, coïncide avec la fin du papier-monnaie et la suppression des enchères. Les 173 lots vendus alors sont littéralement bradés (6,5 millions, soit 773 000 L. en valeur réelle). Certains négociants semblent d’ailleurs profiter de l’occasion pour acheter massivement à l’été 1796, dans le moment le plus critique correspondant aux mandats territoriaux26. Les Brestois obtiennent ainsi 40 % de leurs biens (130 lots). Le négociant Jean François Riou-Kerhallet (né en 1755 et originaire de Brest) achète dans ces conditions très favorables la métairie de Kernalien à Guilers (située à 7 km au nord-ouest de Brest) pour un montant de 460 500 livres assignats, 6 447 livres valeur réelle (le cours de l’assignat est alors tombé à 1,4 livre en octobre 1795). Après l’épisode du papier-monnaie, on observe une seconde phase marquée par la vente de 304 biens correspondant à une période tardive pour un montant non dévalué de 5,6 millions. C’est le fait des Lorientais, qui acquièrent 220 biens pour une valeur de 3,5 millions, et des Malouins, qui achètent 17 biens pour 2 millions. En réalité, 50 % des acquisitions de l’époque directoriale sont contractées dans les huit premiers mois de l’année 1798.
15On peut retenir de ce bilan rapide que les achats ne commencent finalement qu’à une époque avancée (an II) et se prolongent tardivement bien après la fin de l’épisode du papier-monnaie. 50 % des biens acquis par les milieux d’affaires sont contractés sous le Directoire. Un lot sur trois est enregistré après l’épisode du papier-monnaie, avec une capitalisation de 5,5 millions dans la seule année 1797-1798. Mais quelle interprétation donner à ces observations ? Il est sans doute abusif d’interpréter l’intérêt tardif des acteurs du commerce pour la mise sur le marché des biens de première et de seconde origines comme une frilosité de leur part face au gouvernement révolutionnaire. Néanmoins, le contexte breton, caractérisé par la faiblesse des biens de première origine mis en vente, ainsi que la ligne de fracture qui s’opère dès 1791-1792, alimentant la contestation paysanne qui se mue bientôt en chouannerie, ne sont pas non plus des facteurs à négliger. Si certains négociants profitent pleinement de lots liquidés en l’an IV, la corrélation entre dépréciation galopante du papier-monnaie et impulsion d’achat n’est pas clairement établie, puisqu’un tiers des lots sont adjugés en l’an V et VI, soit après l’abandon de l’assignat et des mandats territoriaux. Après l’esquisse rapide de cette typologie, il convient de se pencher dès lors sur la nature de ces biens, leur localisation et leurs acquéreurs.
II. Nature des biens adjugés, localisation et acquéreurs
16908 adjudications de biens aliénés ont été identifiées dans les sources des fonds départementaux. En réalité, dans une soixantaine de cas, les lots regroupent plusieurs biens que l’on a volontairement fractionnés pour permettre une statistique de leur répartition en fonction de leur usage. L’ensemble des lots constitue ainsi un répertoire de près de 1 260 biens dont la ventilation est présentée dans le tableau 2.
Tableau 2. Ventilation des biens nationaux sous la Révolution et l’Empire
- 27 Près de 10 % des biens sont indéfinis, car reportés dans les sources sous le terme générique de « b (...)
Saint-Malo |
Morlaix |
Lorient |
Brest |
Total |
% |
|
Nature indéfinie27 |
18 |
19 |
– |
81 |
118 |
9,3 |
Habitations |
60 |
8 |
37 |
117 |
222 |
17,6 |
Biens à usage agricole |
138 |
19 |
306 |
369 |
834 |
66,4 |
Biens économiques et industriels |
7 |
5 |
20 |
17 |
49 |
4 |
Édifices servant au culte |
10 |
– |
2 |
9 |
21 |
1,7 |
Autres |
– |
4 |
7 |
3 |
14 |
1 |
Total |
235 |
55 |
372 |
596 |
1 258 |
100 |
17Les achats portent massivement sur des biens à usage agricole (66,4 %) constitués de métairies, pièces de terre, prés, bois, landes, écuries, courtils et appentis. 42 % de ces lots correspondent à l’acquisition de terres, une pratique particulièrement répandue parmi les négociants lorientais. L’investissement foncier traduit les intérêts et les opportunités propres à chacun. Est-ce à dire que les Lorientais sont délibérément plus intéressés par des investissements fonciers que leurs collègues malouins ou brestois ? Rien n’est moins sûr. Ce constat est à mettre en lien avec la législation et l’importance des terres d’émigrés aliénées par l’État dans le Morbihan.
- 28 Jean Sentou, La fortune immobilière des Toulousains et la Révolution française, Paris, Bibliothèqu (...)
18Un second poste de dépenses porte sur les biens à usage d’habitation (17,6 %), c’est-à-dire les biens immobiliers. On recense ainsi l’adjudication de 148 maisons et 31 manoirs qui font le bonheur des négociants malouins et brestois. Ce pourcentage est nettement inférieur au regard des 18,4 % de domaines et châteaux acquis par les négociants toulousains et aux 23 % de maisons d’habitation28.
19Les biens à usage économique et industriel (moins de 4 %) représentent le troisième type de biens acquis par les membres du négoce. L’essentiel de ces acquisitions porte sur des moulins (41, soit 83 % de l’ensemble, dont 9 moulins à eau et 6 moulins à vent), acquis par les négociants de Lorient et Brest. On trouve également mention de deux chanvrières, de trois boutiques et d’une auberge. Un exemple intéressant est celui de l’acquisition en vendémiaire an V (septembre 1796) par le négociant lorientais Laurent Magloire Bisson (1756-1823) d’une verrerie située au Kernevel, face au Port-Louis (voir carte 1), pour 29 000 F., affaire dans laquelle il s’associe en nivôse an XI (janvier 1803) à Bertrand Villemain (1775-1858), industriel indiqué maître de forges.
- 29 Source : Détail du Nouveau Plan de L’Orient, du Port-Louis et de leurs rades, avec tous les bancs (...)
Carte 1. Localisation de la verrerie située au Kernevel près de Lorient adjugée à Laurent Magloire Bisson (vendémiaire an V)29

20Les deux entrepreneurs investissent pour un capital global de 100 000 F., offrant le cas singulier d’une reconversion industrielle. En réalité, la verrerie est une manufacture à l’abandon depuis trente ans qui nécessite de lourds investissements pour sa réhabilitation. La manufacture emploie près d’une quarantaine d’ouvriers qui fabriquent des bouteilles et des verres à vitre. Toutefois, les difficultés d’approvisionnement en matières premières, particulièrement le charbon et la soude, la perte du débouché majeur qui représentait la Compagnie des Indes et le décès du directeur des travaux mettent en péril la production. Finalement, les affaires périclitent et la verrerie cesse ses activités au printemps 1811.
21Enfin, on recense 21 édifices servant au culte (1,7 %), provenant pour moitié du district de Saint-Malo. Ces lots se composent de six chapelles, deux prieurés, deux églises, trois cloîtres, une abbaye, cinq presbytères, ainsi que deux cimetières. La faiblesse des biens de première origine s’explique en partie par les achats tardifs effectués par les négociants lorientais et brestois, à l’inverse de leurs homologues malouins.
- 30 Jean Tanguy, « L’émigration en Ille-et-Vilaine et la vente des biens nationaux de deuxième origine (...)
22En définitive, 42 % des biens acquis par les acteurs du négoce portuaire concernent l’achat de terre et plus globalement des biens agricoles à usage locatif. La faiblesse des investissements « ostentatoires » (moins de 15 %) n’est pas une surprise dans un territoire où la noblesse est essentiellement terrienne. D’autre part, Jean Tanguy, qui a étudié l’émigration et la vente des biens nationaux en Ille-et-Vilaine au début du xxe siècle, observe également dans ce département la conservation par leurs propriétaires des plus grands domaines, qui échappent ainsi à la confiscation30.
III. La localisation des biens nationaux
23La localisation des lots vendus est en revanche plus délicate à déterminer, car les sources fournissent des informations assez inégales. Elles sont particulièrement lacunaires dans le district de Lorient où la situation des biens n’est mentionnée que dans 40 % des cas. L’étude porte donc sur les acquisitions enregistrées dans les districts de Saint-Malo et de Brest. On observe ainsi une forte concentration des acquisitions dans un rayon proche de ces villes portuaires.
24À Brest, les 298 indications géographiques couvrent 87,6 % de l’échantillon disponible. 46 localisations ont été recensées dans les procès-verbaux d’adjudication de lots aliénés. Les deux biens les plus éloignés se situent à 35 km au nord de Brest (Guisseny, sur la côte du Léon) et 87 km au sud (Elliant en Cornouaille), c’est-à-dire sur une large bande allant du nord au sud du Finistère. Bon nombre de localisations n’apparaissent que de manière sporadique – quatre mentions pour Bohars au sud de Brest, quatre également pour Brélès au nord, deux seulement pour Goulven sur la côte nord. La carte 2 localise ces biens en fonction de leur fréquence. Plus de la moitié des biens acquis par des négociants se localisent dans un rayon de 25 km autour du port, mais peu à Brest même (vingt lots), compte tenu de la nature des biens adjugés. Les communes les plus proches de Brest concentrent ces achats : le Bourg-Blanc, Plouzané, Gouesnou, Plabennec et Guipavas.
Carte 2. Localisation des biens nationaux acquis par les négociants de Brest dans le Finistère, 1791‑an IV

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25Le phénomène est encore plus prégnant à Saint-Malo où les lots sont acquis dans une vingtaine de localités situées dans un rayon de 15 km (Cancale, Coulomb, Paramé, Port-Suliac, Saint-Servan). Les plus éloignées (Meillac, Tinténiac) se situent à 40 km du Rocher. Un tiers des biens se situent à Saint-Malo et Saint-Servan, en lien avec l’acquisition de biens de première origine comme les communautés des Capucins, du Bon Pasteur et de la Croix de Saint-Servan, du chapitre de Saint-Malo, mais également de quelques maisons provenant d’émigrés.
IV. Des stratégies diversifiées d’investissement
- 31 Avec 340 biens acquis par les négociants lorientais et 345 par les brestois.
26Comme on l’a vu, 148 négociants bretons sont recensés comme bénéficiaires des 908 biens nationaux mis sur le marché sous la Révolution, correspondant à une capitalisation de 9 millions de livres (valeur réelle). Une quarantaine de négociants y est intéressée dans chaque port, exception faite de Morlaix (douze acteurs du commerce). Les Lorientais et les Brestois sont les plus dynamiques31. Les Malouins investissent moins en quantité, mais davantage en valeur car leurs acquisitions plus précoces sont tournées vers des biens de première origine. Le comportement individuel de ces hommes d’affaires traduit dans les faits un éventail de pratiques qui va de l’expérience sans lendemain à l’opportunisme le plus débridé. Ainsi, 59 négociants ne font qu’une ou deux acquisitions représentant moins d’un million de livres, ce qui semble indiquer que près de 40 % de cette bourgeoisie d’affaires identifiée n’a qu’un rapport très éloigné avec la mise sur le marché des biens aliénés. 42 négociants se rendent acquéreurs de trois à cinq lots (valeur 1 million). Dans les ports, les deux tiers des négociants effectuent moins de cinq adjudications. 23 membres réalisent de six à neuf adjudications pour une valeur globale de 2,4 millions de livres. 18 négociants, remportent de dix à vingt lots. Enfin, cinq acteurs du commerce ont acquis chacun plus de vingt lots. Ces deux dernières catégories rassemblent 24 négociants, qui concentrent 485 adjudications pour un montant de 4,7 millions. Pour le dire autrement, un sixième des négociants bretons polarisent 54 % des adjudications, représentant 4 % de la capitalisation totale.
- 32 Archives départementales du Morbihan (désormais AD Morbihan), 3 M 34, Collège électoral du départe (...)
- 33 Tableau des acquisitions de biens de première et de seconde origine, district de Lorient, annexe n (...)
- 34 AD Morbihan, 3 M 8, Listes des 500 plus imposés, des 600 plus imposés, an XI.
- 35 Ibid., 3 M 29, Collège électoral du département, listes des 600 plus imposés, 1812.
- 36 Ibid., 3 M 34.
27Parmi eux, citons Joseph Bondeville, négociant lorientais et ancien député extraordinaire du commerce, qui offre le cas singulier d’un créancier de l’État remboursé en biens nationaux. Le créancier, qualifié parfois de « rentier de l’État32 », s’adjuge ainsi, entre janvier et juillet 1798, 122 lots pour un montant de près de 900 000 livres33. Les biens acquis se composent de cinq maisons, quatre métairies et moulins, deux domaines, un bois et un pourpris. Les terres ou « tenures » représentent 86 % de ses adjudications. Ces investissements font de lui un des plus gros contribuables du département. L’état des 600 plus imposés du département du Morbihan34l’enregistre en nivôse an XI (janvier 1803) à plus de 3 300 F., dont 3 000 F. en contributions foncières. En 1812, il est ainsi le premier contribuable du Morbihan35. La même année, une liste des personnes les plus marquantes du département le crédite d’une fortune personnelle estimée à 19 000 F36. Sans préjuger de l’état de la fortune de Bondeville avant la Révolution, sur lequel nous manquons d’éléments, il est néanmoins permis de penser que ses créances honorées en biens nationaux n’ont pas été une mauvaise affaire pour lui, tant s’en faut.
- 37 Gérard Béaur, L’immobilier et la Révolution. Marché de la pierre et mutations urbaines (1770-1810)(...)
28Un dernier point reste à explorer : celui du « marché ordinaire », selon l’expression de Gérard Béaur37. Comme le rappelle l’historien, les ventes des biens nationaux n’ont représenté qu’une part minoritaire des biens en circulation. Comparer ce second marché au premier permet de mesurer l’intérêt financier qui lui est porté, les transferts de propriété et la signification de ces investissements.
V. Biens nationaux et marché ordinaire : essai de comparaison, transfert de propriété et crédit
- 38 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (désormais AD Ille-et-Vilaine), 3 Q 752-753, Tables des (...)
29La comparaison entre biens nationaux et marché ordinaire peut être opérée à partir des sources des archives des bureaux de l’enregistrement de Saint-Malo et Brest. Cinq tables ont été exploitées, permettant l’identification de plus de 5 000 actes de mutation38. Le graphique 2 représente les acquisitions sur le marché ordinaire et sur le marché des biens aliénés, ainsi que le mouvement des ventes.
- 39 K. Audran, Les négoces portuaires bretons…, op. cit., vol. 1, p. 331.
30On observe nettement dans ces deux ports un nombre d’acquisitions très inférieur sur le marché ordinaire, en comparaison des biens aliénés de première et seconde origine. 65 biens ordinaires représentant 545 353 L. et 173 biens nationaux correspondant à 2,7 millions ont été comptabilisés sur le marché malouin. À Brest, les 125 biens privés équivalent à un montant de 4,2 millions et les 340 lots nationalisés à une capitalisation de près de 2 millions de livres39.
- 40 C’est le cas en l’an II à Saint-Malo ou en l’an IV à Brest.
- 41 Les biens sont vendus au chef-lieu de district jusqu’en décembre 1795, puis au chef-lieu de départ (...)
- 42 J. Sentou, La fortune immobilière des Toulousains…, op. cit., p. 22 : « En effet, autant il ne peu (...)
31En moyenne, les négociants malouins et brestois contractent entre 2,5 et 2,7 fois plus d’acquisitions sur le marché d’État entre 1791 et 1798-1799. Certaines années, cette proportion varie de un à six, voire de un à sept40. Si l’on prend en considération la valeur des biens, les situations apparaissent plus contrastées. Ainsi, en l’an III dans le district de Saint-Malo, les onze lots ordinaires inventoriés équivalent à un investissement de près de 200 000 L., alors que les 41 biens nationaux acquis par 12 négociants malouins correspondent en valeur réelle à une dépense inférieure à 116 000 L. À Brest, les 26 adjudications réalisées en 1794-1795 atteignent près d’un million de livres, supérieures aux 101 lots vendus sur le marché national. On peut s’interroger sur ce différentiel tenant à la nature des lots vendus et à l’évolution législative41, qui conduisent à une fragmentation des biens sur le marché national dans le but d’accélérer le processus de transfert de propriété. Mais il faut aussi garder à l’esprit la mise en garde de Jean Sentou à propos de la fraude possible sur les prix des biens vendus sur le marché ordinaire42.
32La question de la redistribution de la propriété par la revente et, donc, de la circulation du crédit se pose également. Le graphique 3 représente les flux financiers générés par les mutations opérées par ces mêmes négociants en valeur réelle sous la Révolution.
Graphique 3. Balances financières des mutations : Saint-Malo et Brest, 1791-an VII (en millions de livres)

33Sur le graphique des négociants brestois, l’impact financier de la capitalisation combinée des biens aliénés et ordinaires et des reventes est très net : les investissements fonciers sont systématiquement supérieurs aux liquidations. Avec plus de 6 millions de livres mobilisés contre 1,6 million décapitalisés, l’enrichissement global du négoce brestois dans la période 1791-1798-1799 s’élève à plus de 4,5 millions de livres. 77,5 % de cette somme – soit 3,5 millions – sont réalisés en l’an III et IV, c’est-à-dire au plus fort des acquisitions de biens nationaux. Mais ne nous y trompons pas : l’enrichissement est principalement dû aux acquisitions réalisées sur le marché ordinaire – 3,6 millions contre 1,3 million pour les lots issus des nationalisations. Rapporté à la cinquantaine de négociants recensés, cela correspond à un enrichissement moyen de 87 245 L. La balance des investissements malouins offre en revanche un profil en dents de scie. Les années positives en termes de bilan foncier alternent avec des années déficitaires. Quatre années sont ainsi marquées par les vagues inégales du désinvestissement : en 1793, le montant global des ventes est supérieur à celui des acquisitions de près de 10 000 L. ; en l’an III, de 46 684 L. ; en l’an IV, de plus de 400 000 L. et en l’an V, de 16 777 L. La période 1794-1796 marque le pic des ventes dans le port malouin. Le montant de la soixantaine d’acquisitions contractées par les négociants locaux ne suffit pas à compenser le poids des ventes. En trois ans, ce sont ainsi 16 biens qui changent de mains pour une somme globale proche des 800 000 L. Au total, l’enrichissement global s’élève à 2,2 millions et les ventes à près d’un million de livres. Est-ce à dire pour autant que les négociants brestois s’enrichissent quand leurs homologues malouins s’appauvrissent ? Rien n’est moins sûr, tant est complexe la signification du placement immobilier.
- 43 Louis Bergeron, « À propos des biens nationaux : la signification économique du placement immobili (...)
34Mais quel sens donner aux investissements massifs des négociants brestois en l’an III et IV ? S’agit-il d’une mise en sommeil des affaires commerciales renforcée par l’aubaine que constitue la mise sur le marché des biens nationalisés ? L’une n’empêche pas l’autre. À Saint-Malo, le mouvement timide des ventes constaté en 1793 et en l’an III et celui plus global de l’an IV, d’un montant de 400 000 L., annoncent-ils la fin de la veille économique de la période révolutionnaire ? S’il demeure complexe de corréler vente massive de biens et réinjection de capitaux vers une activité commerciale, en l’absence de sources complémentaires, on observe néanmoins une reprise progressive des armements corsaires en l’an IV, après deux années de suspension en l’an II et III, puis des investissements plus massifs de l’ordre d’une trentaine d’armements annuels entre l’an V et l’an VIII, correspondant aux maxima de la période révolutionnaire. L’assise foncière acquise par quelques-uns, en partie grâce aux lots mis en vente sur décision gouvernementale, constitue un gage supplémentaire indéniable de crédit. Néanmoins, comme le souligne Louis Bergeron, la signification du placement immobilier reste toujours une entreprise complexe43.
Conclusion
35Que retenir au terme de cette étude ? 148 négociants représentant un cinquième du corpus initial se sont portés adjudicataires de 908 biens aliénés situés pour l’essentiel dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour des villes portuaires. Ces acteurs ont capitalisé 9 millions de livres, témoignant d’une stratégie de transfert du capital marchand vers le capital foncier. Cependant, la mise sur le marché des biens nationaux rend compte de comportements collectifs et individuels différenciés en fonction des époques, de la nature des lots confisqués et de stratégies spécifiques. Mais en réalité, 40 % de ces acteurs du commerce n’ont qu’une expérience éphémère des biens nationaux, de l’ordre d’une à deux adjudications sur l’ensemble de la période, alors que les 24 plus gros acheteurs accaparent plus de la moitié des lots, pour une capitalisation de 4,5 millions de livres. La mise en perspective des biens nationaux et des lots issus du marché ordinaire atteste du dynamisme du marché foncier et immobilier pendant la Révolution. Plus attractif aux yeux des investisseurs, compte tenu de la dépréciation des assignats, le marché ordinaire semble mobiliser davantage de capitaux. Pour une minorité, les biens nationaux sont une opportunité qui témoigne de la mise en œuvre de stratégies et de logiques d’adaptation. Mais quelle signification donner à ces placements ? Le débat ne peut s’enfermer dans une vision manichéenne du ralliement au processus révolutionnaire ou de l’opportunisme. Il reste donc ouvert.
Notes
1 Georges Lecarpentier, La vente des biens ecclésiastiques pendant la Révolution française, Paris, Alcan, 1908, p. 4.
2 Martine Lapied et Christine Peyrard, La Révolution française au carrefour des recherches, Aix-en-Provence, PUP, 2003, p. 87.
3 Michel Vovelle, Combats pour la Révolution française, Paris, La Découverte, 1993, p. 119. L’auteur évoque ainsi « un des chantiers les plus productifs de la recherche, dans le domaine des études révolutionnaires et ceci bien au-delà de nos frontières ».
4 Bernard Bodinier et Éric Teyssier, L’événement le plus important de la Révolution. La vente des biens nationaux (1769-1867) en France et dans les territoires annexés, Paris, Société des études robespierristes, Éd. du CTHS, 2000.
5 M. Lapied et C. Peyrard, La Révolution française au carrefour des recherches, op. cit. Récemment, le dossier a été rouvert par Anne Jollet lors de deux journées d’étude organisées par le Centre de recherche interdisciplinaire en histoire, histoire de l’art et musicologie (Criham) et la SER à Poitiers en novembre 2018 intitulées « Les biens nationaux ont-ils encore quelque chose à nous apprendre ? » Les échanges nombreux et riches autour des thèmes de la patrimonialisation, des changements dans l’espace urbain, des enjeux politiques et socio-politiques de la propriété foncière ont mis en lumière la vitalité de questions ouvertes et les chantiers restés inexploités.
6 Roger Dupuy, « Les paysans et la politique (1750-1850) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, vol. 89, n° 2, 1982 ; Alain Droguet, Les Bleus de Bretagne. De la Révolution à nos jours, Saint-Brieuc, Presses bretonnes, 1991.
7 M. Vovelle, Combats pour la Révolution française, op. cit., p. 259.
8 Suite aux journées d’étude sur « Les biens nationaux ont-ils encore quelque chose à nous apprendre ? », un projet de production d’un bilan historiographique sur la question de la terre en Bretagne sous la Révolution est en préparation.
9 Cette présentation est issue de nos travaux de doctorat : « Les négoces portuaires bretons sous la Révolution et l’Empire. Bilan et stratégies. Saint-Malo, Morlaix, Brest, Lorient et Nantes, 1789-1815 », sous la direction de Gérard Le Bouédec, université de Bretagne-Sud, 2007, 2 vol.
10 B. Bodinier et É. Teyssier, L’événement le plus important de la Révolution…, op. cit., p. 11. Le fonds malouin distingue ainsi les acquisitions de première origine et celles de seconde origine, alors que les archives du Finistère et du Morbihan rassemblent le produit de ces deux aliénations sous les mêmes cotes. Certaines sources sont parfois d’un intérêt, sinon nul (faute de pouvoir être utilisables), du moins limité : l’état alphabétique des acquéreurs de biens de première origine du district de Brest référence ainsi l’identité des acheteurs sans mentionner leurs acquisitions. En conséquence, seuls les fonds malouin et lorientais ont permis l’exploitation des procès-verbaux d’enchères et d’adjudication de l’ensemble des biens nationaux. Pour les ports de Brest et Morlaix, nous avons eu recours aux états généraux de ventes.
11 Nous avons identifié près de 650 négociants dans ce travail doctoral qui alterne démarche quantitative et prosopographique.
12 Les montants réels ont été calculés à partir du travail de Pierre Caron, Tableau de dépréciation du papier-monnaie avec une introduction, Paris, Leroux, 1909.
13 K. Audran, Les négoces portuaires bretons sous la Révolution et l’Empire, op. cit., vol. 1, p. 310.
14 Olivier Pétré-Grenouilleau observe le même ratio pour le cas nantais dans L’argent de la traite. Milieu négrier, capitalisme et développement : un modèle, Paris, Aubier, 1996, p. 172.
15 Suivant nos calculs, nous évaluons l’armement moyen d’un navire corsaire malouin à environ 60 000 F. (réarmements compris). Pour Annick Martin-Deidier, celui-ci s’élève à 44 000 F. Cependant, notre statistique porte sur l’ensemble de la période – grâce notamment aux données issues des imprimés de liquidations particulières et générales –, alors que l’auteur de La guerre de course à Saint-Malo de 1688 à 1814 n’indique pas de montants de mise-hors pour les armements enregistrés de l’an VIII à 1814.
16 L’analyse porte sur les résultats établis à partir du dépouillement des sources des ports de Saint-Malo, Morlaix, Brest et Lorient.
17 Les sources de l’enregistrement étant lacunaires jusqu’en l’an II, il est impossible de vérifier si des biens nationaux ont été acquis par des négociants originaires de Morlaix avant cette date.
18 L’investissement réalisé par un négociant brestois représente en moyenne 58 % des capacités d’un négociant originaire de Saint-Malo et 38 % de celles d’un Lorientais.
19 Jean-Pierre Hirsch, Les deux rêves du commerce. Entreprise et institution dans la région lilloise (1780-1860), Paris, Éditions de l’EHESS, 1992, p. 215.
20 Cette distinction en trois phases de ventes qui suit l’évolution des législations a été établie dans les années 1920 par Georges Lefebvre et appliquée par Jean-Pierre Hirsch dans sa thèse, citée par B. Bodinier et É. Teyssier, L’événement le plus important de la Révolution…, op. cit., p. 71.
21 La famille de Lorgeril est une famille subsistante de la noblesse française, originaire de Bretagne. Il pourrait s’agir de Louis Pierre Marie de Lorgeril (1744-1799), indiqué enseigne des vaisseaux du roi. Émigré sous la Révolution, il se réfugie en Angleterre où il décède en 1799.
22 Ancien terme breton, « manale » désigne ce qui se rapporte à un manoir. Une maison manale correspond donc à une maison d’habitation en rapport avec le manoir à laquelle elle est rattachée.
23 Archives départementales du Finistère (désormais AD Finistère), 1 Q 734, op. cit., et 3 Q 534, table des vendeurs, 1788‑an III.
24 La dévaluation a atteint dans le Finistère 60 livres numéraires pour 100 livres assignats en prairial, et 55 en thermidor an II.
25 Nous touchons ici à la complexité des mesures de surface agraires, dont les unités sont variables selon les régions et correspondent à des pratiques agricoles différentes en fonction du milieu, de la saison et des capacités de production utilisées. Il est admis que le journal correspond à la quantité de terres qu’un homme peut labourer en un jour avec des chevaux ou avec des bœufs. La corde est, en revanche, une mesure utilisée essentiellement en Armor (Bretagne). Sur ces aspects, on peut consulter l’article précieux de Pierre Morlon, « Mesures de surface agraires », dans Les mots de l’agronomie. Histoire et critique, 28 mai 2013, https://lorexplor.istex.fr/mots-agronomie.fr/index.php/Mesures_de_surface_agraires.
26 Après la disparition des assignats, le Directoire propose le 19 ventôse an IV (9 mars 1796) l’émission d’une nouvelle monnaie, le mandat territorial, qui connaît le même sort que les assignats, car ils en sont au fond une réédition sous un autre nom. Les Conseils autorisent une émission immédiate d’un montant de 1 200 millions de livres, dont 600 millions doivent être échangés contre les assignats devenus inutiles. Mais le taux fixé pour l’échange avec les assignats les dévalorise et leur valeur s’effondre rapidement. Le 23 juillet, la liberté des transactions en métal est rétablie et la Compagnie de Dijon est chargée de liquider les mandats moins de cinq mois après leur création. Pour plus de détails, voir l’article de François Hincker, « Mandats territoriaux », dans Albert Soboul, Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF, 1989, p. 706-707.
27 Près de 10 % des biens sont indéfinis, car reportés dans les sources sous le terme générique de « biens », « du lieu de » ou « des lieux de ». Il semble même exister une sémantique propre à chaque administration, le premier terme étant employé à Saint-Malo, alors que les seconds ne se retrouvent que dans le Finistère.
28 Jean Sentou, La fortune immobilière des Toulousains et la Révolution française, Paris, Bibliothèque nationale, Commission d’histoire économique et sociale de la Révolution française, Mémoires et Documents, t. 24, 1970, p. 74‑75.
29 Source : Détail du Nouveau Plan de L’Orient, du Port-Louis et de leurs rades, avec tous les bancs de sable, vases, rochers et écueils…, gravé par Nicolas Chalmandrier, 1771, disponible sur le site Gallica de la BnF, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53025192j/f1.item.
30 Jean Tanguy, « L’émigration en Ille-et-Vilaine et la vente des biens nationaux de deuxième origine », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, vol. 21, n° 2, 1905, p. 163. « Ce qui est certain, c’est que les parents des émigrés rachetèrent directement un huitième des biens mis en adjudication, et que bien d’autres lots encore furent achetés, pour leur compte, par des intermédiaires, de sorte qu’une bonne partie des grandes fortunes foncières qui existaient dans l’Ille-et-Vilaine en 1789, se retrouvèrent reconstituées en 1815, lorsqu’au retour des Bourbons tous les biens non aliénés furent rendus à leurs anciens propriétaires ».
31 Avec 340 biens acquis par les négociants lorientais et 345 par les brestois.
32 Archives départementales du Morbihan (désormais AD Morbihan), 3 M 34, Collège électoral du département, candidats aux diverses fonctions, renseignements, 1812.
33 Tableau des acquisitions de biens de première et de seconde origine, district de Lorient, annexe n° 50, p. 294.
34 AD Morbihan, 3 M 8, Listes des 500 plus imposés, des 600 plus imposés, an XI.
35 Ibid., 3 M 29, Collège électoral du département, listes des 600 plus imposés, 1812.
36 Ibid., 3 M 34.
37 Gérard Béaur, L’immobilier et la Révolution. Marché de la pierre et mutations urbaines (1770-1810), Paris, Armand Colin, coll. « Cahiers des Annales », 1994, p. 12.
38 Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (désormais AD Ille-et-Vilaine), 3 Q 752-753, Tables des acquéreurs, 1788-an VIII ; AD Finistère, 3 Q 534-536, Tables des vendeurs, 1788-an XIII. Les tables des acquéreurs du bureau de l’enregistrement de Brest sont indisponibles.
39 K. Audran, Les négoces portuaires bretons…, op. cit., vol. 1, p. 331.
40 C’est le cas en l’an II à Saint-Malo ou en l’an IV à Brest.
41 Les biens sont vendus au chef-lieu de district jusqu’en décembre 1795, puis au chef-lieu de département. Ces biens sont vendus aux enchères, sauf pendant la période régie par la loi de ventôse an IV. Les fermes sont d’abord vendues d’un seul tenant jusqu’au printemps 1793, puis les lots sont divisés, avant abandon du lotissement en 1796. B. Bodinier et É. Teyssier, « Les biens nationaux en France : état de la question », dans M. Lapied et C. Peyrard, La Révolution française au carrefour des recherches, op. cit., p. 88‑89.
42 J. Sentou, La fortune immobilière des Toulousains…, op. cit., p. 22 : « En effet, autant il ne peut subsister de doute sur la véracité des prix des achats des biens nationaux, puisqu’il s’agit d’adjudications, autant on pourrait émettre des réserves sur l’exactitude des déclarations des prix des achats des biens privés, qui résultent toujours d’une tractation secrète effectuée dans l’étude du notaire ».
43 Louis Bergeron, « À propos des biens nationaux : la signification économique du placement immobilier », compte rendu de la thèse de Jean Sentou, Annales Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 26, n° 2, 1971, p. 418.
Table des illustrations
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Titre | Tableau 1. Tableau synthétique des acquisitions de biens nationaux par les milieux d’affaires en Bretagne, 1791‑1812 |
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Titre | Graphique 1. Périodisation et capital mobilisé en valeur réelle entre janvier 1791 et novembre 1799 (en millions de livres) |
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Titre | Carte 1. Localisation de la verrerie située au Kernevel près de Lorient adjugée à Laurent Magloire Bisson (vendémiaire an V)29 |
URL | http://books.openedition.org/igpde/docannexe/image/12795/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 353k |
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Titre | Carte 2. Localisation des biens nationaux acquis par les négociants de Brest dans le Finistère, 1791‑an IV |
Crédits | ©commersis.com |
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Titre | Graphique 2. Marché ordinaire, marché aliéné et les ventes : Saint‑Malo et Brest, 1791‑an VII |
URL | http://books.openedition.org/igpde/docannexe/image/12795/img-5.jpg |
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Titre | Graphique 3. Balances financières des mutations : Saint-Malo et Brest, 1791-an VII (en millions de livres) |
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