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Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire (III)

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Guy Antonetti
, 
Fabien Cardoni
, 
Matthieu de Oliveira

Vuitry (Adolphe)

Texte intégral

1Né à Sens (Yonne) le 31 mars 1813
Décédé à Saint-Donain, cne de Marolles-sur-Seine (Seine-et-Marne) le 23 juin 1885
Fils de Julien Marin Paul VUITRY (1786-1879)
Et d’Amable Louise HARDY (1791-1817)

2Sous-secrétaire d’État aux Finances du 26 avril au 26 octobre 1851 (adjoint de FOULD)
Ministre présidant le Conseil dÉtat du 28 septembre 1864 au 17 juillet 1869

© Photographie (vers 1863) Collection Banque de France.

I. LA FAMILLE

FAMILLE PATERNELLE

3Les VUITRY sont une famille de la bourgeoisie ardennaise dont on peut suivre la généalogie depuis la fin du xviie siècle.

41. [trisaïeul] Pierre VUITRY (1672-1732), « laboureur » [c’est-à-dire paysan aisé] à Machault-en-Champagne, près de Vouziers (Ardennes) ; il épouse Julienne BUNEAUX, d’où :

  1. Jean-Baptiste, procureur fiscal de la justice et vicomté de Machault, décédé en 1736.

  2. Pierre, qui suit en 2.

52. [bisaïeul] Pierre VUITRY, baptisé le 25 juillet 1707 à Machault et décédé à Machaut le 27 octobre 1782. « Laboureur » puis successeur de son frère comme procureur fiscal de la justice et vicomté de Machault vers 1736, il épouse Marguerite VIELLARD, d’où :

  1. [aïeul] Paul, qui suit en 3.

  2. [grand-oncle] N, procureur fiscal de la justice et vicomté de Machault.

  3. [grand-tante] Marie Françoise, épouse le 19 novembre 1773 à Reims (Marne), par. Saint-Hilaire, Pierre DAUPHINOT.

63. [aïeul] Paul VUITRY, né et baptisé le 28 avril 1746 à Machault, décédé des suites d’un accident de chasse le 13 mai 1805-23 Floréal an XIII à Bois-Bouzon, commune de Farges (Cher). Avocat puis procureur au parlement de Paris en 1776, il épouse à Paris, psse Saint-Cosme, le 5 août 1778 Jeanne Victoire VAUFROUARD, née vers 1754 et décédée à Paris (Xe arrondissement ancien) le 26 octobre 1817, fille de Jean VAUFROUARD et de Marie Simone CAROUGE. Le couple a deux enfants :

  1. [père] Julien Marin Paul, qui suit en 4.

  2. [tante] Marie Maxime, épouse à Paris le 27 août 1814 Claude Antonin BELLAIGUE, avant de décéder, sans postérité, le 15 mai 1819. Son époux, né à Moulins (Allier) le 3 août 1787, est avocat à Sens puis élu député du 4e arrondissement de l’Yonne le 5 juillet 1831 avant de céder son siège à son beau-frère ; il décède à Paris le 12 mars 1873.

74. [père] Julien Marin Paul VUITRY, né à Paris (psse Saint-Nicolas-du-Chardonnet) le 24 février 1786 et décédé à Saint-Donain, cne de Marolles-sur-Seine (Seine-et-Marne) le 14 juin 1879. Il intègre successivement l’École polytechnique (23 novembre 1803) et celle des Ponts et Chaussées (22 novembre 1805) avant d’être nommé ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées, en poste dans l’Yonne (1810) où il se fixe.

8Démissionnaire le 1er mars 1823, il succède à son beau-frère comme député de Sens le 21 juin 1834, réélu le 4 novembre 1837, le 9 juillet 1842 et le 1er août 1846 ; il apparaît comme « un des membres du Parlement les plus influents, les plus laborieux et les plus éclairés » et fait figure de « député ministériel très dévoué, et par conséquent très en crédit auprès du roi et de M. GUIZOT ». Il vote constamment avec la majorité, intervient sur les routes et les caisses d’épargne, est rapporteur du budget du ministère du Commerce et des Travaux publics en 1839 et du budget en 1841. Notable en son département et membre du conseil général de l’agriculture, il est également maire de Sens et membre des conseils d’arrondissement puis général (1841) de l’Yonne, assemblée qu’il préside bientôt. Dès 1838, il participe activement aux travaux d’études du tracé du Paris-Lyon, appartenant à un comité souhaitant faire de Dijon un nœud ferroviaire entre le Paris-Lyon et le Paris-Strasbourg. Il quitte la vie publique après la Révolution de 1848.

9Il épouse à Sens le 21 juillet 1812 Amable Louise HARDY, d’où :

  1. [sujet de cette notice] Adolphe.

  2. [sœur] Eugénie, née à Sens le 7 septembre 1815 et décédée à Corcelles-les-Monts (Côte-d’Or) le 23 décembre 1906 ; elle épouse à Sens le 7 juin 1836 Hugues Iéna DARCY, né le 29 octobre 1807 à Arcis-sur-Aube (Aube) et décédé le 4 juin 1880 au château de Gouville à Corcelles-les-Monts (Côte-d’Or). Conseiller de préfecture de la Côte-d’Or (1830), sous-préfet de Sens (1834), préfet de Tarn-et-Garonne (1839), de l’Aube (1839), du Gard (1843, révoqué en 1848),de la Moselle (1849) et du Rhône (1849), il est sous-secrétaire d’État à l’Intérieur du 17 novembre 1849 au 14 mars 1850 ; il abandonne ensuite la politique pour les affaires et siège comme administrateur, aux côtés d’Henri GERMAIN, le futur gendre de VUITRY [voir infra], dans diverses sociétés dont le « trust » marseillais abandonné par MIRES ou la Compagnie des forges de Châtillon et Commentry.

10Le couple a un fils : [neveu] Henri, né à Troyes (Aube) le 21 octobre 1840 et décédé à Sèvres (Hauts-de-Seine) le 25 novembre 1926, auditeur au Conseild’État puis chef de cabinet de son oncle Adolphe VUITRY alors ministre président du Conseil, maître des requêtes (1870) puis préfet (1873-1877), enfin président de la Compagnie des forges de Châtillon, Commentry et Neuves-Maisons puis du Comité central des houillères et fondateur de la Confédération générale de la production française. Commandeur de la Légion d’honneur, il est l’époux d’ElisabethHÉLY D’OISSEL, sœur de Paul Frédéric, autre gendre de VUITRY [voir infra].

FAMILLE MATERNELLE

11Les HARDY sont issus d’une vieille lignée de la bourgeoisie de robe sénonaise.

121. [trisaïeul] Edme HARDY, décédé le 12 novembre 1762, épouse Anne Jeanne Claude HOLLIER, baptisée à Sens (Yonne) le 14 février 1681 et décédé le 25 février 1724, d’où douze enfants parmi lesquels Edme Héracle qui suit en 2.

132. [bisaïeul] Edme Héracle HARDY, baptisé à Sens (Yonne) le 14 janvier 1718 et décédé à Sens le 11 février 1783 ; « avocat au Parlement et conseiller du roy en l’élection de Sens », il épouse à Sens le 8 février 1757 Marie Anne Elisabeth JOLLY, décédée le 4 juillet 1789, d’où :

  1. [grand-oncle] Edme Héracle, né à Sens le 13 mai 1760.

  2. [grand-tante] Catherine Elisabeth Victoire, baptisée à Sens le 13 septembre 1761.

  3. [aïeul] Marie Sulpice-Héracle, qui suit en 2.

  4. [grand-tante] Anasthasie Françoise Colombe (Sens, 11 janvier 1765-5 juin1850), épouse à Sens le 23 avril 1782 Étienne Charles Blaise GAULTHIER (Sens, 6 février 1765-14 février 1837), d’où trois enfants :

    • Étienne Charles Blaise François Héracle (1783-1846).

    • Colombe Elisabeth Catherine Mathie (1785-1844).

    • Etienne Charles Julien Blaise (1789-1862).

  1. [grand-tante] Anne (Sens, 14 juillet 1767-1er juin 1792).

143. [aïeul] Marie Sulpice-Héracle HARDY (Sens, 31 juillet 1763-5 février 1810), épouse Amable Geneviève GAILLARD, née à Valléry (Yonne) le 14 mai 1773 et décédée à Sens le 25 janvier 1847, d’où :

  1. [mère] Amable Louise HARDY, qui suit en 3.

  2. [oncle] Héracle (Sens, 24 juin 1795-16 octobre 1834), épouse Julie Marie Rose Fortunée de RICHEMONT, d’où deux enfants :

    • [cousine] Geneviève Fortunée Caroline, née en 1825, épouse Pierre Jules COLLOT.

    • [cousin] Charles, né en 1827.

  1. [oncle] Adrien (Sens, 22 mars 1799-18 juin 1889), épouse en 1825 Elisabeth MAILLIER, d’où :

  • [cousine] Cécile Pauline, née en 1826.

154. [mère] Amable Louise HARDY, née à Sens le 19 août 1791 et décédée dans la même ville le 2 novembre 1817.

MARIAGE ET DESCENDANCE

16Le 6 juillet 1840, à Colmar (Haut-Rhin), Adolphe VUITRY épouse Marie Caroline « Jenny » BRET, née à Melle (Deux-Sèvres) le 1er octobre 1820.

17Elle est la fille de Charles Wangel BRET, né à Lyon, psse Sainte-Croix (Rhône), le 24 février 1791 et décédé à Précieux (Loire) le 14 septembre 1860, et de Marie Anne Eudoxie de LAUBIER BEAUCHAMPS (décédée en 1820). Son père est successivement sous-préfet de Melle (1819-1822) puis de Sens (1830), préfet de la Loire (1832), du Haut-Rhin (1833-1848), de la Loire (1851), de la Haute-Garonne (1852) et du Rhône (1852) ; nommé sénateur le 4 mars 1853, il soutient en toute occasion le Gouvernement impérial et vote en particulier la loi de sûreté générale (1858) que critique son gendre. En poste à Lyon au moment du coupd’État, il raye de la liste des personnes à arrêter le nom du futur gendre de son propre gendre, H. GERMAIN [voir infra].

18Veuf, il avait épousé en secondes noces à Montbrison (Loire) le 4 novembre1832 Jeanne Marie Armande LACHÈZE, née à Montbrison le 28 octobre 1802 et décédée à Prétieux le 2 février 1892, d’où :

  1. [demi-sœur] Jeanne Marie Amélie, née en 1833, épouse René CHASSÉRIAU, consul de France.

  2. [demi-sœur] Caroline, née en 1835, morte au berceau.

  3. [demi-frère] François (1841-1889), conseiller de préfecture (1863-1865, 1872-1877 puis 1879-1888) et secrétaire général (1865-1870 et 1877-1879) de l’Ardèche ; épouse Mlle de ROMIEU et autorisé à porter le nom de BRET DE ROMIEU par décret du 21 janvier 1865.

19Du mariage d’Adolphe VUITRY et de « Jenny » BRET naissent trois filles :

201. [fille] Blanche, née à Paris (Ier arrondissement ancien) le 22 octobre 1841 et décédée à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) le 5 octobre 1913 ; elle épouse à Paris (VIIe arrondissement) le 2 mars 1869 Antoine Marie Henri GERMAIN, né à Lyon (Rhône) le 19 février 1824 et décédé à Paris (VIIIe arrondissement) le 2 février 1905, fils de Jean Marie GERMAIN (1784-1865) et de Claudine Aimée LUPIN (1790-v. 1840), veuf de Laure Clotilde DUMOY (décédée en 1867) qui en a fait son légataire universel. Selon J. BOUVIER, c’est sur les instances d’H. DARCY que se fait ce mariage. Le marié, successivement agent de change à Lyon puisinitiateur, avec ARLÈS-DUFOUR, du Magasin général des soies, est surtout le fondateur (1863) puis le président du Crédit lyonnais ; élu député en 1869 et signataire de l’Interpellation des 116, il est réélu à l’Assemblée nationale de 1871, siège à la Chambre jusqu’en 1885 puis de 1889 à 1893, se distingue par ses connaissances dans le domaine financier et refuse le poste de ministre des Finances proposé par GAMBETTA. Le Musée d’Orsay conserve un portrait de Mme H.GERMAIN, née Blanche VUITRY, par Jacques Émile BLANCHE. De leur mariage naissent trois enfants :

  1. [petite-fille] Marie Henriette (1869-1952), épouse le 24 février 1896 Edmond FABRE-LUCE (1864-1926), secrétaire d’ambassade puis administrateur (1898), directeur général (1905) et vice-président (1918) du Crédit lyonnais, d’où postérité.

  2. [petite-fille] Marie Thérèse (1875-1935), épouse à Paris (VIIIe arrondissement) le 14 septembre 1897 Louis Charles Georges, baron BRINCART (1871-1953), polytechnicien (1892), lieutenant d’artillerie puis administrateur (1899), directeur délégué (1905) et président (1922-1945) du Crédit lyonnais, d’où [arrière-petit-fils] Charles Henri, baron BRINCART (1899-1970).

  3. [petit-fils] André (1882-1971), homme de lettres, épouse en 1906 Edmée DAUDET (1886- ?), fille d’Alphonse DAUDET (1840-1897) et de Julie ALLARD (1844-1940).

212. [fille] Marie, née à Paris (Ier arrondissement ancien) le 2 novembre 1842 et décédée à Paris (VIIIe arrondissement) le 5 avril 1931, épouse à Paris (Ier arrondissement) le 31 mai 1864 Adolphe Charles CHEVRIER (1832-1905), avocat général près la Cour de cassation et conseiller général du Loiret. Le contrat de mariage du 28 mai 1864 porte la signature d’une cinquantaine de parents et d’amis parmi lesquels les ministres BAROCHE (garde des Sceaux) et BÉHIC (Agriculture, Commerce et Travaux publics), le président de section au Conseild’État et ancien ministre des Finances FORCADE LA ROQUETTE et des conseillers d’État, ainsi que cinq membres du conseil de régence de la Banque de France ; il est également accompagné d’un « acte d’agrément par Leurs Majestés » au mariage. Le couple a un enfant :

22– [petit-fils] Pierre (1865-1938), polytechnicien (1885), officier d’artillerie puis administrateur de sociétés.

233. [fille] Cécile, née à Paris le 10 janvier 1847 et décédée le 9 octobre 1868,épouse le 6 juillet 1865 Paul Frédéric HÉLY D’OISSEL (1840-1898), fils dubaron Antoine Pierre HÉLY D’OISSEL (1806-1868), président de chambre à la Cour de cassation, président de la Compagnie de Saint-Gobain de 1852 à 1865, etde Sophie Mélanie FIRINO ; polytechnicien (1860) puis élève de l’École des mines de Paris (1862), ingénieur civil des mines, vice-président de Saint-Gobain, vice-président de la Société des sciences morales et politiques ; le couple demeure sans postérité, sans doute en raison du décès prématuré de l’épouse.

II. LE PERSONNAGE

Les études

24Le jeune VUITRY se distingue par ses brillantes qualités intellectuelles : externe au lycée de sa ville natale puis au collège Sainte-Barbe et au lycée Louisle-Grand, à Paris, il suit parallèlement les cours de mathématiques spéciales et ceux de la faculté de droit.

25Contrairement à ce qu’indiquent la plupart de ses biographes, il ne semble pas mener de front ses études juridiques et scientifiques (sans doute CUCHEVAL-CLARIGNY, qui est à la source de cette erreur, a-t-il voulu ainsi augmenter le mérite de VUITRY). Il passe son premier examen de droit en juillet 1831 puisintègre l’École polytechnique le 30 octobre 1832 suivant en cela les traces de son père. Classé 6e sur 167, il en sort 5e sur 150 en 1834, ce qui lui permet de poursuivresa scolarité à l’École des Ponts et Chaussées, qu’il intègre 5e sur 20 le 28 octobre 1834, avant d’obtenir le 3 novembre suivant un congé d’un an qu’il justifie par des « motifs puissants » dans la lettre qu’il fait parvenir au directeur général des Ponts et Chaussées (CUCHEVAL-CLARIGNY met en avant son désir de ne pas quitter la capitale).

26Il reprend alors son cursus juridique qui le mène à la licence le 17 septembre 1835, démissionne du corps des Ponts et Chaussées le 5 novembre 1835 (il se voit cependant accorder le titre d’ingénieur honoraire le même jour) et « conquiert avec éclat le titre de docteur en droit » le 31 août 1838.

La religion

27Agnostique, il est « d’un gallicanisme modéré, craignant de réduire de façon trop radicale l’influence du clergé dans l’enseignement supérieur, car, disait-il : « On craint les Jésuites, cela est fort bien ; mais je ne me préoccupe pas seulement des soutanes noires, nous avons les soutanes rouges », selon V. DURUY [Notes et souvenirs, 1811-1894, t. II, p. 34].

Les domiciles et résidences

28Officiellement domicilié à Sens lors de son entrée à l’École polytechnique, VUITRY est en fait installé à Paris depuis quelques années et y demeure pendant toute sa carrière.

29Domicilié au N° 12 rue de Castiglione (Ier arrondissement) en 1839, il quitte le centre de la capitale pour l’actuel VIIe arrondissement dans lequel il loge jusqu’en 1863, successivement 18 rue Lavoisier dans les années 1840, 19 rue de la Pépinière de 1852 à 1857 puis 7 rue de Penthièvre jusqu’en 1863.

30Installé à l’hôtel de la Banque de France au 3 rue de la Vrillière (Ier arrondissement) en 1863-1864, il demeure sur la rive gauche, au 62 rue Saint-DominiqueSaint-Germain (VIIe arrondissement) de 1865 à 1867 puis 78 rue de Varennes (VIIe arrondissement) en 1868-1869. Il revient ensuite dans le VIIIe arrondissement, au 46 de la rue de Lisbonne en 1870 puis 9 rue de Téhéran (VIIIe arrondissement) jusqu’à la fin de sa vie en 1885.

31Ce domicile est également celui de sa fille Marie et de son gendre CHEVRIER, qui en est propriétaire pour un quart.

32En 1862-1863, VUITRY se fait également construire sur le domaine familial de Saint-Donain, cne de Marolles-sur-Seine, près Montereau (Seine-et-Marne) une maison surnommée Le Chalet et y réside l’été. Le domaine provient de son père qui le tient lui-même de la succession de sa sœur, Mme BELLAIGUE, décédée en 1819. Il y a vécu de 1848 à sa mort en 1879 dans une partie des bâtiments de l’ancien prieuré de Saint-Donain, appelée Le Pavillon.

Le portrait

33Son dossier d’ancien élève de l’École polytechnique le décrit ainsi : « Cheveux bruns ; Front découvert ; Nez droit ; Yeux bruns ; Bouche moyenne ; Menton rond ; Visage ovale ; Taille 165 ».

34Les portraits de VUITRY semblent bien rares : la Banque de France conserve dans ses collection une héliographie par DUJARDIN de son éphémère gouverneur, datée de 1863 (il a alors 50 ans), le représentant de face et qui orne cette notice. On la retrouve en frontispice de ses Rapports et discours. Une autre héliographie du même auteur se trouve dans le Livre du centenaire de l’École polytechnique (entre les p. 332 et 333), le représente assis, de profil.

35Pour C. GUYHO, « il avait l’aspect d’un gentleman anglais ayant blanchi sur les livres : le front bombé, un nez aquilin très fortement prononcé, les sourcils d’ordinaire froncés comme s’il était à la recherche de quelque problème, les lèvres mobiles de l’homme d’étude qui sait parler, au fond n’ayant plus d’illusions, sinon sur les choses, du moins sur les hommes, mais cachant ce dédain secret sous un air aimable, bien que sans chaleur » ; Études d’histoire parlementaire, Paris, C. Lévy, 1889-1892, t. I, p. 186. « Le zèle du bien public était chez lui, dit Léon AUCOC lors de ses obsèques, inséparable du respect scrupuleux de la règle, de la loi ; il ne soutenait que les solutions les plus correctes et les plus prudentes. Il n’hésitait jamais à dire l’opinion que lui dictait sa conscience, alors même qu’elle était de nature à déplaire. Sa parole nette, sobre, élégante, animée, selon les circonstances, par la finesse ou par une émotion contenue, mais toujours exempte d’apprêt, jetait la lumière dans les discussions ».

36Pour Alfred de FOVILLE, « il était de l’école des grands debaters anglais et sa parole si sobre, mais si claire, si sûre d’elle-même et si bien appropriée à son but, eût été applaudie à Londres comme elle l’était à Paris ».

37Pour Charles CHESNELONG, « les questions d’affaires étaient son véritable élément. Il y apportait des aptitudes de premier ordre, un bon sens supérieur, une sagacité expérimentée, une netteté lucide qui faisait la lumière sur les sujets les plus complexes, un talent de vulgarisation et une élégance facile qui donnaient de l’attrait même aux matières d’une spécialité une peu aride. Il ne s’occupait de politique que contre son goût et n’en supportait pas les émotions sans souffrance. Nature nerveuse et impressionnable, la responsabilité lui pesait et les orages de la tribune lui causaient plus d’angoisses que ses succès lui donnaient de joie. Modéré d’esprit et de caractère, il soutenait avec une mesure parfaite et une fermeté ingénieuse une politique qui n’aurait pas toujours été celle de ses préférences M. VUITRY était, en effet, un type de véritable honnête homme. Intègre et bon, doux et bienveillant, admirable à voir dans son intérieur de famille, il portait l’éclat d’une situation élevée avec une dignité sans faste, une distinction modeste et une gracieuse simplicité » (Les derniers jours de l’Empire et le Gouvernement de Monsieur Thiers, Paris, Perrin, 1932, p. 28).

Les distinctions honorifiques

38Chevalier de la Légion d’honneur le 29 janvier 1851 ; officier le 23 mai 1858 ; commandeur le 1er septembre 1860 ; grand-officier le 13 août 1864 ; grand-croix le 4 août 1867.

39Grand-croix de l’ordre des Saints-Maurice-et-Lazare en 1863.

40Grand-croix de l’ordre du Lion-et-du Soleil de Perse en 1874.

41Grand-croix de l’ordre de l’Aigle blanc de Russie en 1875.

42Protégé par la duchesse DECAZES et GUIZOT, il aspire à être élu à l’Académie des sciences morales et politiques. Dans une lettre publiée par la Revue hebdomadaire du 13 juillet 1912, ce dernier craint qu’on ne lui reproche son manque de publication et propose qu’il écrive un mémoire sur les octrois pour renforcer sa candidature ; il redoute surtout celle, concurrente, de MAGNE, « l’ancien chef de M. VUITRY, qui l’est bien encore un peu », mais celui-ci ne postule finalement pas.

43Et « quoiqu’il n’ait rien publié » [Dictionnaire des contemporains de Vapereau, éd. 1870, p. 1831], VUITRY est finalement élu (au second tour) par 17 voix sur 32 votants et rejoint la section Administration et finances, le 15 mars 1862, enremplacement de GRÉTERIN, directeur général des Douanes. Passé à la sectionÉconomie politique, statistique et finances en 1866, il devient président de l’Académie des sciences morales et politiques en 1877 et c’est son gendre H. GERMAIN qui lui succède à sa mort.

44Membre de la Société d’histoire de France, il succède à GUIZOT à sa présidence en 1877.

La sépulture

45Ses obsèques ont lieu le 27 juin 1885, à 12 heures, en l’église Saint-Augustin à Paris, et il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise.

III. LA FORTUNE

46Adolphe VUITRY vient d’une famille de la bourgeoisie aisée : les VUITRY sont officiers de justice depuis le xviiie siècle et son père, électeur et éligible sous la monarchie de Juillet, acquitte 2 402 F de cens en 1847.

47Membre d’un grand corps de l’État puis appelé aux plus hautes fonctions, il dispose de revenus importants, d’autant que sous le Second Empire, les membres duConseil d’État sont parmi les hauts fonctionnaires les mieux rémunérés, avec 25 000 F de traitement annuel pour les conseillers d’État (1852-1857), 35 000 F pour les présidents de section (1857-1863). Devenu ministre président le Conseild’État, il perçoit 100 000 F par an (septembre 1864-juillet 1869).

48Son traitement de gouverneur de la Banque de France (mai 1863-septembre 1864) s’établit à 60 000 F par an. Devenu sénateur, il dispose d’une dotation annuelle et viagère de 30 000 F.

49En 1852, ses revenus sont estimés à 20 000 F par an et ils atteignent 50 000 F à la chute du Second Empire. Il laisse une succession qui dépasse les 2 millions de francs.

Le contrat de mariage

50Il est établi par devant Me Mathieu Saint-Laurent, notaire à Colmar (Haut-Rhin) le 4 juillet 1840. Les époux sont mariés sous le régime de la communauté d’acquêts, chacun des deux époux mettant 3 000 F dans la communauté. Le premier mourant dispose d’un préciput lui permettant de prélever sur la succession tous les meubles et objets mobiliers. L’apport de la future se compose d’un trousseau pour 7 000 F et ses droits dans les successions de sa mère, dont elle est la seule héritière, et de ses aïeux maternels [voir infra].

51Celui du futur se compose de mobilier pour 11 000 F, ainsi que de la dot que lui constitue son père, soit 6 000 F en meubles, objets mobiliers et deniers comptants ; s’y ajoutent ses droits dans la succession de sa mère, dont il était l’héritier pour moitié avec sa sœur [voir infra]. En 1847, son père lui lègue (en avances d’hoiries ?) des immeubles sur les communes de Marolles et de Courcelles (Seineet-Marne) pour 112 673 F.

Successions reçues par le mari

52Ses droits non liquidés dans la succession de Mme VUITRY, sa mère, décédée le 1er novembre 1817, dont il était l’héritier pour moitié avec sa sœur, se composent de :

  • une ferme dite Monglas vendue en 1851 pour 135 000 F (67 500 F) ;

  • un corps de ferme à Villiers Bonneux (Yonne) vendu en 1855 pour 11 031 F (5 517,50 F) ;

  • un corps de ferme à Mailly (Yonne) vendu en 1856 pour 4 500 F (2 250 F), Total 1 : 75 267,50 F.

53La succession de son père, partagée par acte du 28 juillet 1879, se compose de ses droits dans la succession de la veuve HARDY, son aïeule maternelle, partagée suivant acte du 16 août 1848, ses droits et ceux de sa sœur ont été fixés à 110 919,93 F, pour lesquels il leur a été abandonné conjointement :

  • pour 3 300,30 F de mobilier ;

  • pour 3 663,82 F de deniers comptants ;

  • pour 47 742 F de créance sur Julien Marin VUITRY, recouvrée depuis ;

  • pour 885,61 F en 3 rentes perpétuelles et leurs arrérages, remboursées depuis ;

  • pour 19 704,20 F provenant de la vente de divers bois ;

  • pour 30 000 F provenant de la vente en 1850 d’autres immeubles ;

  • pour 1 567,94 F de fermages dus par divers ;

  • pour 5 060,28 F de soulte reçue depuis de Mme COLLOT et Charles HARDY, ses cousins.

54Total : 111 924,15 F – 3 337,17 F de fruits = 108 586,98 F à partager entre lui et sa sœur à hauteur de 54 293,49 F chacun.

55Il a été compris dans l’indivision deux maisons à Sens, 27 rue Beaurepaire et rendues par licitation à Mme Héracle HARDY [sa grand-mère maternelle] contre 39 409,50 F, dont le sixième revient à M. VUITRY, soit 6 568,25 F.

56Le passif et les droits de succession ont été réduits de l’actif ; quant aux frais de partage, ils ont été laissés en dehors et le tiers supporté par M. VUITRY et sa sœur Mme DARCY se monte à 898,87 F. Les créances entrées dans le lot des copartageants étaient irrécouvrables et par suite de la garantie, MM. VUITRY et DARCY ont remboursés à M. Louis HARDY 2 540,61 F soit un total, avec les 898,87 F, de 3 439,48 F dont la moitié est de 1 719,74 F.

57Par le partage de la succession de son père, il est attribué à M. VUITRY :

  • le domaine de Saint-Donain, com. de Marolles-sur-Seine, et il a été chargé d’une soulte de 3 500 F ;

  • deux parcelles du domaine de Saint-Donain, vendues en 1880 pour 830 F. Il a été laissé dans l’indivision pour 32 112,25 F, se composant de :

  • quatre parcelles de bois, terroir de Marolles, vendues en 1880 pour 660 F ;

  • une pièce de friche, terroir de Courcelles, vendue en 1880 pour 2 100 F ;

  • des valeurs mobilières recouvrées et réalisées depuis pour 29 352,25 F ; dont la moitié, soit 16 056,13 F, lui revient.

58VUITRY acquitte dans le cadre de cette succession la moitié des droits et frais de partage, soit 3 029,87 F qui s’ajoutent aux 1 719,74 F de frais sur la succession HARDY, soit 4 749,61 F + 3 500 F de soulte = 8 249,61F.

59Total 2 : 69 498,26 F.

60Total 1 + 2 des successions reçues : 144 765,76 F.

Successions reçues par la femme

61Ses droits dans la succession de Mme BRET, sa mère, dont elle est la seule héritière et de Mme Louise ORILLAT, épouse de Charles Louis de LAUBIER BEAUCHAMPS, son aïeule (récompense) : par acte par devant Me DELORD, notaire à Melle, du 23 janvier 1845, il a été procédé au partage des immeubles dépendants de la communauté LAUBIER BEAUCHAMPS et il est échu à Mme VUITRY différents immeubles vendus entre 1859 et 1864, pour 123 250 F.

62Ses droits dans la succession de Charles Louis LAUBIER BEAUCHAMPS son grand-père, décédé à Melle le 17 décembre 1846 et dont elle était la seule héritière, divers valeurs mobilières s’élevant à 21 300 F ainsi que des immeubles :

  • la métairie du Petit Beauvais, cne de Mazières, vendue le 29 juin 1855 pour 69 660 F ;

  • une autre métairie vendue le 3 décembre 1854 pour 57 039 F ;

  • deux prés, cne de Mazières, vendus en 1854 pour 8 200 F ;

  • une maison à Melle, rue du Soleil, vendue en 1854 pour 17 500 F.

63Soit un total de 173 699 F – 1 132,88 F de droits acquittés = 172 566,12 F.

64Total des successions : 295 816,12 F.

Les dots des filles

65Sa fille Marie est la première à se marier, en 1864, avec le magistrat Adolphe CHEVRIER. Sa dot se chiffre à 160 000 F, principalement composée d’obligations du PLM et complétée de ses biens personnels, à hauteur de 5 000 F.

66Blanche, l’aînée et la dernière à se marier, épouse en 1869 Henri GERMAIN : elle lui apporte 3 000 F d’économies et 240 000 F provenant de ses parents, soit 80 000 F de donation et 160 000 F de dot, encore une fois formée de titres du PLM. Les biens du futur sont en regard estimés à près de 3,5 millions de francs, en plus du château de la Pape (Ain), mais amputés d’un passif de 225 000 F.

67Le montant des apports de Cécile, la seconde fille de VUITRY, qui épouse PaulFrédéric HÉLY D’OISSEL en 1865, demeure en revanche inconnu.

La fortune au décès

68D’après la déclaration parisienne, la communauté des époux VUITRY se compose de :

  • Argent comptant pour 4 779,50 F ;

  • Compte courant au Crédit lyonnais pour 11 688,85 F ;

  • Compte courant à la Société générale pour 30 179,35 F ;

  • 4 bons de la société du Crédit lyonnais (soit 40 000 F) et les intérêts au décès, pour 40 572,25 F ;

  • Fermages de la ferme de Saint-Donain et prorata pour 1885 pour 9 595,95 F ;

  • Prorata de pension pour 1 883,35 F ;

  • Jetons de présence comme président honoraire du PLM pour 1 580 F ;

  • Indemnité de membre de l’Institut de France pour 207,25 F ;

  • 100 actions du PLM pour 125 250 F ;

  • 400 obligations de PLM pour 151 900 F ;

  • 100 actions de la Société des forges de Châtillon et de Commentry pour 60 000F ;

  • 400 obligations lombardes anciennes pour 125 550 F ;

  • 200 obligations foncières 1883 pour 73 450 F ;

  • 10 actions de la compagnie d’assurance sur la vie La Nationale pour 133 000F ;

  • 500 F de rente 3 % déposés en garantie pour 13 566,65 F + 125 F de coupon détaché au décès ;

  • 10 actions de la compagnie d’assurance incendie La Nationale pour 159 500F ;

  • 500 F de rente 3 % déposés en garantie pour 13 566,65 F + 125 F de coupon détaché au décès.

69Total 1 : 956 519,80F.

70Récompenses dues par la succession à la communauté en raison des dots constituées par imputation sur la succession du premier mourant et subsidiairement celle du survivant :

  • Mme CHEVRIER par CM du 28 mai 1864 pour 160 000 F ;

  • Mme GERMAIN par CM du 1er mars 1869 pour 160 000 F.

71Les ¾ indivis avec M. CHEVRIER propriétaire pour ¼ d’une maison à Paris, 13 rue de Téhéran d’un revenu de 48 400 F soit au denier 20, un capital de 968 000 F ; les ¾ sont de 726 000 F ; prorata de loyer de cette maison au décès : 4 651,50 F.

72Total 2 : 1 050 651,50 F.

73Total 1 +2 : 2 007 171,30F.

74Reprises :

  • de la veuve : 299 816,12 F, composés des successions reçues de sa mère et de ses aïeux maternels [voir supra] et de son trousseau (7 000 F), amputés des 3 000 F mis en communauté ;

  • du défunt : 271 438,76 F, composés de ses droits dans les successions de ses mère et père [voir supra], de son apport au mariage (6 000 F), de la dot constituée par son père à l’époque de son mariage (11 000 F + 112 673 F), moins les 3 000 F mis en communauté.

75Total 3 des reprises : 571 254,88 F.

76Total 1+2 – 3 = 1 435 916,42 F.

77Dont la moitié va à la succession soit 717 958,21 F + 271 438,76 F de reprises en deniers, soit 989 396,97 F, dont il y a lieu de déduire le montant des dots constituées soit 320 000 F ; restent 669 396,97 F à partager entre les deux héritières.

78S’y ajoutent les biens que VUITRY possédait à Saint-Dodain, consistant en :

  • au titre de la communauté, 16,3464 ha de terre et de bois divers sur la cne de Marolles-sur-Seine, soit 3,4755 ha annexée au domaine familial et 12,8609 ha loués à un tiers ;

  • au titre de la succession, une ferme à Marolles comprenant les bâtiments d’exploitation et 121,2837 ha loués à un tiers et le domaine de Saint-Dodain, comprenant maison d’habitation, communs et parc, le tout contenant environ [sic] 7,6551 ha.

79Le revenu annuel des terres est de 6 786,75 F, soit au denier 25 un capital de 154 668,75 F et celui du domaine, de 1 527,50 F, soit au denier 20, un capital de 30 550 F, le tout ensemble 185 218,75 F.

IV. LA CARRIERE

AVANT LE SOUS-SECRETARIAT D’ETAT AUX FINANCES

80Avocat à la Cour royale de la capitale dès le 7 novembre 1835, il est « attaché au cabinet de M. TESTE, qui tenait alors la première place au barreau de Paris » et devient, une fois docteur en droit (1838) l’un des secrétaires de la conférence des avocats (novembre 1838). S’il plaide fort peu [il n’est mentionné dans la liste des avocats à la Cour royale de Paris que dans l’Almanach royal et national de 1839], ses plaidoiries sont remarquées et il s’attire un jour les compliments dupremier président de la Cour d’appel SÉGUIER.

81Il abandonne pourtant bien vite le prétoire pour faire carrière au service del’État. Brillant sujet, il bénéficie également des relations de son père dans la haute administration des années 1840. TESTE, devenu ministre de la Justice et des Cultes, l’appelle à son cabinet (30 juin 1839) et il demeure en fonction lorsque le portefeuille passe à VIVIEN, « l’un des meilleurs amis » de son père, en 1840 puis à MARTIN DU NORD en 1841 : chef de cabinet du premier, il est nommé chef de la 1re section de la Direction des cultes par le second, placé sous la houlette de DESSAURET, futur directeur général du Contentieux au ministère des Finances (1847). Promu sous-directeur en 1844, il démissionne en 1846 pour intégrer leservice ordinaire du Conseil d’État.

82Nommé maître des requêtes en service extraordinaire le 26 octobre 1842, il participe dès lors aux délibérations du Conseil et aux travaux du Comité de législation. Passé au service ordinaire le 19 juillet 1846 et rattaché à la section du Contentieux, il est maintenu en 1848 puis élu maître des requêtes en 1849, toujours au Contentieux où il occupe les fonctions de suppléant du commissaire du Gouvernement. Son ancien protecteur VIVIEN, alors président de la section de Législation lui confie la rédaction d’un important Rapport sur l’organisation communale (1850).

83La révolution de Février, qui lui cause de « vifs regrets », n’interrompt donc pas sa carrière qui se poursuit sous la protection d’Achille FOULD, qui l’appelleauprès de lui. Il abandonne donc le Conseil d’État quelques mois pour rejoindre le ministère des Finances.

SOUS-SECRETAIRE D’ETAT AUX FINANCES

84Il n’a que 38 ans (contre 43 à MAGNE) lorsque FOULD l’appelle auprès de luicomme sous-secrétaire d’État aux Finances, du 26 avril au 26 octobre 1851 ; il est alors le premier polytechnicien nommé à ces fonctions, LACAVE-LAPLAGNE ayant été ministre des Finances en 1837.

85Les anciennes relations qui unissaient FOULD et VUITRY père à la fin de la monarchie de Juillet ont sans doute joué en sa faveur lorsque, pour son second passage rue de Rivoli, le ministre cherche un successeur à MAGNE qui occupait les mêmes fonctions entre novembre 1849 et janvier 1851 [voir les notices FOULD, second ministère, et MAGNE]. C’est le début d’une « amitié », ou plus vraisemblablement d’une relation forte de protection de la part d’un ministre de premier plan à l’égard d’un technicien dont il reconnaît la très grande valeur et qui partage ses idées, économiques et politiques.

86Il n’a pas le temps de marquer la fonction de son empreinte, se chargeant seulement, à la demande du ministre, de prononcer devant l’Assemblée législative deux discours, l’un consacré aux caisses d’épargne (séance du 16 juin) et qui permet l’adoption de la loi du 30 juin suivant, l’autre à la concession des paquebots de la Méditerranée (3 juillet) [voir la notice FOULD, second ministère].

87Sans doute ces questions ne relèvent-elles pas de ses domaines de prédilection, mais lors de ce bref passage rue de Rivoli (six mois seulement), selon son biographe FOVILLE, « il appris beaucoup en peu de temps ». Il devient dès lors aux yeux de l’opinion et du monde politico-administratif du Second Empire un authentique spécialiste des Finances.

APRES LE SOUS-SECRETARIAT D’ETAT AUX FINANCES

88Par arrêté du 13 décembre 1851, Adolphe VUITRY est nommé membre de la Commission consultative, section d’Administration, comité des Finances, en compagnie de quelques anciens, actuels ou futurs ministres des Finances : le gouverneur de la Banque de France d’ARGOUT, l’ancien ministre des Travaux publics BINEAU, CASABIANCA qui vient de quitter la rue de Rivoli au profit de FOULD, ministre en titre, MAGNE ancien ministre des Travaux publics et ROUHER, garde des Sceaux, ministre de la Justice [voir leurs notices].

89Il participe également aux travaux d’une commission nommée dès le lendemaindu coup d’État et chargé de rédiger les statuts du Crédit foncier de France, autorisé par décret du 28 février 1852.

90Par décret du 25 janvier 1852 qui reconstitue le corps, VUITRY est nomméconseiller d’État, attaché à la section des Finances. L’une des premières affaires sur lesquelles il doit se déterminer est l’affaire des biens de la famille d’Orléans, confisqués par décrets présidentiels du 22 janvier. En effet, à la suite de la saisie par le fisc du domaine de Neuilly, les princes d’Orléans portent plainte contre lui, le 13 avril, auprès du tribunal de la Seine, qui se déclare compétent dix jours plus tard en dépit d’un recours du préfet du département ; le Gouvernement saisit alorsle Conseil d’État pour trancher ce conflit de juridiction. En dépit de ses déclarations d’indépendance, le vice-président du Conseil d’État BAROCHE tente defaire pression sur les conseillers d’État en charge du dossier et qu’il sait favorables à une décision en faveur du tribunal de la Seine, comme anciens membres du Conseil d’État de Louis-Philippe, allant jusqu’à dessaisir le commissaire du Gouvernement primitivement nommé. Lorsque le cas est présenté devant l’assemblée du Conseil d’État au contentieux, les voix se partagent et c’est celle du président de séance, BAROCHE lui-même, qui fait pencher la balance en faveur de la position gouvernementale, entraînant l’exécution des décrets.

91Appelé à juger comme conseiller d’État délibérant au contentieux, VUITRY se prononce pour le droit commun et fait partie de la minorité de huit membres qui vote contre la suspension de la loi civile. Ce faisant, il risque l’exclusion duConseil d’État, ce que réclame vigoureusement le maréchal LEROY DE SAINT-ARNAUD en Conseil des ministres, mais ne fait que calquer sa position sur celle de son protecteur FOULD qui vient de démissionner de ses fonctions de ministre des Finances.

92VUITRY est d’ailleurs tout au long de sa carrière postérieure à 1852 soupçonné de conserver une fidélité certaine à la monarchie de Juillet. Au-delà de sa prise de position sur la question des biens de la famille d’Orléans, il conserve des amitiés fidèles parmi les figures du régime déchu, en particulier GUIZOT qui, on l’a vu, joue un rôle important au moment de son élection à l’Académie des sciences morales et politiques (1862), alors que THIERS tient ses compétences financières en haute estime. Il est également l’ami intime de Prosper HOCHET et de Victor MASSON, deux personnalités de l’opposition orléaniste à l’Empire, et fréquente selon X. MAMIER le salon orléaniste de Mme MOLLIEN, la veuve du ministre des Finances de Napoléon Ier (Journal, t. I, p. 191). Lors des obsèques de sa fille Cécile en 1868, A. DARIMON note enfin qu’« il y avait là, entassé dans la petite église de Chaillot, [au-delà du] ban et l’arrière-ban du monde officiel, un certain nombre de personnages du monde orléaniste » [Histoire d’un parti. Les irréconciliables sous l’Empire (le 19 janvier, les lois libérales, les élections) (1867-1869), Paris, Dentu, 1888 (2e édition.), p. 303].

93Libéral en économie, VUITRY n’en reste pas moins un conservateur qui s’accommode bien des tendances autoritaires du bonapartisme alors que « les aspects trop démocratiques et vaguement socialistes de la doctrine » lui déplaisent. Peu apprécié des bonapartistes convaincus, il n’en demeure pas moins un serviteur fidèle et consciencieux du régime, au service duquel il met ses compétences. Cela ne l’empêche pas à l’occasion de s’opposer à des mesures qu’il juge répréhensibles ou contraires au droit, telle que la loi de sûreté générale de 1858.

94Il n’en est pas moins une des hommes les plus respectés de l’Empire, aucun scandale financier ou rumeur de népotisme ne venant ternir sa réputation et les jugement de ses contemporains sont louangeuses [voir la rubrique Portrait].

95Ses fonctions de conseiller d’État à la section des Finances font de lui le rapporteur tout désigné de la plupart des projets de loi financiers, et en particulier lebudget, lors des discussions parlementaires. À ce titre, il apparaît comme signataire de l’exposé des motifs des principales lois financières entre 1855 et 1863.Comme ses collègues du Conseil d’État, il ne goûte que peu les joutes parlementaires, leur préférant le dialogue courtois entre hauts fonctionnaires, et manifeste une certaine appréhension à l’idée de se présenter devant les ténors du Corps législatif, mais on estime au ministère que son expérience de sous-secrétaire d’État passé par la tribune lui donne un avantage que sa clarté d’exposition renforce.

96Dès le 23 juin 1852, il prononce devant le Corps législatif un discours sur la situation financière dans le cadre de la discussion générale du budget 1853 puis présente l’exposé des motifs du projet de loi relatif à la refonte des monnaies de cuivre ; lors de la session de 1853, il défend le projet de loi relatif aux pensions civiles (interventions des 12, 14 et 16 mai) et se trouve confronté à l’activité des « budgétaires », ces députés spécialistes des finances qui réclament des économies et bataillent sur le terrain technique. À chaque fois, VUITRY répond avec précision et conviction. En 1854 encore, il intervient dans le débat relatif à la régularisation des crédits supplémentaires et extraordinaires qui font l’objet d’un affrontement lors de la discussion du budget [sur tous ces textes, voir la notice BINEAU].

97Sous le ministère de MAGNE [voir sa notice], il demeure très actif : il rédige et défend le projet de loi sur la prorogation du privilège de la Banque de France lors d’un discours remarqué (18 mai 1857), fait des observations sur le règlement définitif du budget de 1855 et sur la formation d’une commission chargée d’établir le compte des dépenses de la guerre de Crimée (8 avril 1858), intervient sur le budget de 1858 (26 avril 1858) et les patentes (29 avril 1858 et 24 mai 1859), puis de nouveau lors de la discussion relative au règlement définitif du budget 1857 (4 juin 1860), l’affectation du reliquat de l’emprunt de 1859 à des travaux d’utilité générale (26 juin 1860), lors de la discussion générale sur le budget de 1861 (11 juillet 1860).

98Cette intense activité lui vaut d’être promu président de la section des Finances le 24 juin 1857, encore une fois sur proposition de FOULD, devenu ministred’État, qui aurait soumis son nom à l’Empereur. Et c’est encore FOULD qui, de retour aux Finances en novembre 1861 [voir sa notice, quatrième ministère], fait appel à lui lorsqu’il s’agit de défendre ses projets de loi devant le Sénat et le Corps législatif, avec le titre de commissaire du Gouvernement.

99Dès avant le retour de son protecteur, il rédige l’exposé des motifs du projet de sénatus-consulte portant modification des articles 2 et 4 de celui du 25 décembre 1852 et dont l’adoption le 31 décembre 1861 entraîne le retour au vote du budget par sections.

100C’est toujours lui qui présente les 7 et 8 février 1862 aux députés le projet de conversion (facultative) de FOULD en mars 1862, tâche dont il s’acquitte « habilement mais sans conviction » selon B. GILLE [Histoire de la maison Rothschild, t. II, p. 390]. Et le 23 avril 1863, il intervient une nouvelle fois, lors dela discussion générale consacrée au budget de 1864. À chaque fois, il se fait remarquer des parlementaires par ses rares qualités de financier et de jurisconsulte

101Ses compétences financières en font un candidat naturel au poste de ministre des Finances, et à chaque crise ministérielle, son nom est cité pour remplacer le ministre en fonction. C’est le cas en 1854, 1857, 1861, 1862 et 1863, pour succéder à BINEAU, MAGNE, FORCADE LA ROQUETTE ou FOULD. On parle également de lui pour le gouvernorat de la Banque de France auquel il accède finalement le 15 mai 1863 en remplacement de LEBÈGUE DE GERMINY [voir sa notice].

102VUITRY est alors déjà au fait des questions relatives à la Banque de Francepuisqu’il avait été le rapporteur au nom du Conseil d’État du projet de loi prévoyant la prorogation de son privilège. La nomination à la tête de l’institut d’émission d’un homme qui « présente toutes les garanties de capacité et d’honorabilité désirable » est « très bien accueillie par le monde de la banque », assuré que « le Gouvernement de la Banque ne dérogera pas dans ses mains » selon La Finance du 3 juin 1863 ; pour L’Indépendance belge du 6 avril 1865, « M. VUITRY est peut-être de tous nos financiers l’homme d’État qui, mis à part le ministre actuel [FOULD], est le plus sympathique à nos hommes d’affaires et à nos spéculateurs ». Ce dernier est semble-t-il une nouvelle fois à l’origine de sanomination et en espère une meilleure coordination de l’action financière de l’État, si bien que selon A. PLESSIS, « jamais durant le Second Empire la collaboration entre la rue de Rivoli et la rue de la Vrillière n’a dû être si poussée ».

103Haut fonctionnaire marqué par un passage de plus de vingt ans au Conseild’État, il reconnaît bien volontiers qu’il n’a pas l’expérience de son prédécesseur et sollicite en prenant ses fonctions « un accueil favorable » de la part des régents : « Plus qu’un autre, j’ai besoin de votre appui et des conseils de votre sagesse ;presque toute ma carrière s’est établie au sein du Conseil d’État ; j’y ai vu les affaires, même celles de finance, de commerce et de crédit surtout au point de vue législatif et réglementaire. J’ose compter sur votre expérience pour m’en enseigner la pratique. » Il n’en reste pas moins à leurs yeux comme le représentant du ministre des Finances et sans doute leurs rapports ont-ils été moins courtois qu’ils ne l’étaient sous GERMINY.

104VUITRY poursuit l’action de son prédécesseur, ajustant le taux de l’escompte à l’environnement économique et en l’occurrence le portant progressivement de 3,5 à 7 % sur injonction du ministre des Finances pour faire face à la crise de 1863-1864. Il joue également de son autorité lorsqu’il s’agit d’offrir des facilités particulières au Trésor ou de débloquer une aide longtemps retardée à la Banque d’Algérie, de mettre en circulation les billets de 50 F, de rendre publique la situation hebdomadaire de l’institut d’émission ou encore d’assurer sa défense auprès de l’opinion en recourant à la plume de CUCHEVAL-CLARIGNY.

105C’est enfin lui qui est en fonction au moment du règlement définitif de l’affaire de la Banque de Savoie qui, à l’initiative des PEREIRE, tente de remettre en cause le monopole d’émission de la Banque de France. L’opposition conjointe de la Banque, gouverneur et conseil de régence associés, et du ministre des Finances sonne le glas de ses espérances fiduciaires. Après encore une année de tergiversations, la Banque de France rachète pour 4 millions le privilège de la Banque de Savoie et ouvre à Annecy et Chambéry deux succursales (automne 1864), ainsi qu’à Lons-le-Saulnier (1863).

106Tout en exerçant les fonctions de gouverneur à la Banque, VUITRY conserve des attaches institutionnelles avec son corps d’origine en demeurant conseillerd’État en service ordinaire hors section et plus encore à partir du 18 octobre 1863,lorsqu’il est promu au rang de vice-président honoraire du Conseil d’État.

107Moins d’un an plus tard, il quitte la rue de la Vrillière pour succéder à ROULAND – qui le remplace à la Banque – aux fonctions de ministre présidantle Conseil d’État (28 septembre 1864). Son départ ne suscite aucune émotion parmi les régents, au point de n’être même pas mentionné dans les procès-verbaux du conseil général.

108Sa nomination au Quai d’Orsay (où siégeait alors le Conseil d’État) déclenche en revanche, selon son biographe A. de FOVILLE, « comme une fête » parmi les membres du corps alors que L. AUCOC insiste sur le fait que « pour la première fois, un membre du Conseil, parti des rangs inférieurs, arrivait par son seul mérite à présider ce grand corps. Il y eut dans tous les rangs de la hiérarchie une vive émotion, une satisfaction profonde ; chacune des phrases du discours d’installation fut saluée par des applaudissements unanimes. Le nouveau ministre n’avait pas besoin de parler longuement pour dire quelle serait sa ligne de conduite. Sa carrière toute entière était la plus éloquente des professions de foi. Tout le monde avant confiance en lui, confiance dans son savoir, dans son caractère, dans son indépendance, dans sa bonté ». En poste cinq années durant, VUITRY s’attache à défendre les intérêts et l’indépendance de ses collègues, essayant de favoriser la libre discussion et de concilier les vues des juristes du Conseil avec celles de l’Empereur.

109En prenant ses fonctions à la tête du Conseil d’État, il expose à ceux qui deviennent ses « collaborateurs » sa conception du fonctionnement de l’institution : « Nous sommes chargés de préparer les lois et après les avoir préparées, nous sommes chargés de les défendre. De ce double mandat découlent des obligations et des responsabilités diverses. Nous devons examiner librement les projets qui nous sont soumis et les discuter avec une respectueuse indépendance. Il est bon que toutes les critiques se produisent. Il est utile que le Gouvernement trouve dansles loyales appréciations (du Conseil dÉtat) un premier reflet de l’accueil qui sera fait ensuite à sa pensée par les représentants du pays et par l’opinion publique. Mais il faut aussi que cette discussion vive et animée ne devienne pas plus tard une gêne et une entrave pour la défense de la loi qui sort de nos délibérations ».

110Sensible à la dignité du corps qu’il préside, il s’assure que la moitié des postes vacants de conseillers dÉtat revienne aux maîtres des requêtes au titre de l’ancienneté ; ce faisant, il participe à une forme d’émancipation progressive du Conseil envers le pouvoir politique, mais toujours de façon loyale. Parmi les manifestations de cette émancipation, la proposition de trois noms pour occuper les fonctions de présidents de trois des sections du Conseil, vacantes toutes les trois en 1867 ; s’inquiétant des candidatures improvisées, il soumet à l’Empereur qui les accepte, les noms de LAVENAY pour l’Intérieur, de MARCHAND pour le Contentieux, et de CORNUDET pour les Travaux publics, rendant ainsi justice aux deux derniers, stigmatisés en 1852 pour avoir voté contre la confiscation des biens de la famille d’Orléans (CORNUDET, ancien rapporteur du dossier, avait même été destitué avant d’être réintégré au bout de quelques mois).

111Ses nouvelles fonctions le ramènent devant les deux assemblées pour y défendre les projets financiers du Gouvernement. Trois mois à peine après sa nomination, il prononce un discours sur la dette flottante, les découverts et les bons du Trésor dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif à un emprunt de 300 millions (24 décembre 1863), puis défend – entre autres – le budget de 1865 (9 mai 1864), celui de 1866 (6 juin 1865) et le retour à une politique d’amortissement sous l’égide de la Caisse créée à cet effet (9 juin 1866), avant d’intervenir sur les crédits supplémentaires de 1866 (22 juin 1867), les budgets rectificatifs (5 juillet) et le budget de 1868 (12 juillet).

112Dans un billet retrouvé dans les papiers de ROUHER, alors ministre des Finances en titre, et daté (sans plus de précision) de 1867, on retrouve bien toute l’activité d’un VUITRY qui demande : « Désirez-vous qu’au lieu de venir au Corps législatif pour le budget, j’aille aussi au Sénat ? » [AN, 45 AP 4].

113Mais son intervention la plus marquante est sans doute celle du 9 janvier 1864, lorsqu’il prononce, dans le cadre de la discussion de la loi relative aux suppléments de crédits de l’exercice 1863 (adoptée le 3 février suivant) un Discours sur la conduite des finances dans les dix premières années de l’Empire [on en trouvera le texte intégral dans ses Rapports et discours, p. 215-245]. Il y répond plus particulièrement aux attaques de BERRYER qui, la veille, « a tracé de nos finances un bien sombre tableau [estimant que] la conduite de nos finances depuis douze ans a été mauvaise ». Il passe alors en revue « ce que l’Empire a donné à la France » depuis 1852 et en premier lieu la réduction du déficit, de 100 millions en 1851, jusqu’à une situation excédentaire en 1859, même s’il reconnaît que les choses se sont un peu dégradées depuis 1860. Il chiffre également les ressources extraordinaires venues alimenter le Trésor entre 1852 et 1860 au « chiffre vrai, je ne veux pas le dissimuler », de 2 milliards 803 millions mais insiste surtout sur ce le régime en a fait : les expéditions militaires (Crimée, Chine et Cochinchine, Kabylie, Syrie, Italie) à hauteur de près de 2 milliards mais aussi des « travaux extraordinaires de toute nature » pour près de 800 millions. En somme, les recettes extraordinaires ont couvert les dépenses du même ordre, ce qui lui apparaît comme un gage de bonne gestion financière.

114Il réfute également les critiques relatives à la prorogation du privilège de la Banque de France (1857), à la conversion de 1862, au règlement de l’indemnité espagnole (1862), à l’amortissement, à la situation du Trésor à l’égard des caisses d’épargne, enfin au budget en discussion, celui de 1865.

115De même, toujours lors de la discussion du budget de 1865, il prend la parole après les députés CALLEY SAINT-PAUL et O’QUIN, pour répondre aux attaques de THIERS et se plait rappeler son discours du 25 janvier 1848 dans lequel l’ancien ministre avait dressé un réquisitoire des finances de la monarchie de Juillet finissante et déclaré qu’avec un budget de 1 580 millions, on courait à l’abîme. Par ailleurs, le chiffre avancé par THIERS – 2 300 millions ! – relevaient de la pure rhétorique, même en y incluant les dépenses du Mexique et si les crédits supplémentaires persistaient, ils tendaient à se réduire depuis 1861, alors que les ressources de l’amortissement, certes affectées à d’autres usages que le rachat de rentes (comme sous la monarchie de Juillet !), finançaient désormais des dépenses extraordinaires, et non plus ordinaires, preuve que la situation s’améliorait et que la richesse du pays s’accroissait.

116VUITRY demeure à la tête du Conseil d’État jusqu’au 17 juillet 1869, date à laquelle il quitte définitivement ce corps et le Gouvernement, en désaccord avec l’évolution libérale du régime. Il accompagne dans cette retraite le ministre d’État ROUHER, alors que le ministre des Finances MAGNE se voit confirmé dans ses fonctions. Le 31 juillet suivant, un décret impérial l’appelle au Sénat (en compagnie de V. DURUY) et il prend officiellement sa retraite de ministre le 3 novembre 1869.

117De 1852 à 1870, il siège également au conseil général de l’Yonne comme représentant du canton nord de Sens et préside cette assemblée à partir de 1865. Après l’Empire, il refuse d’être de nouveau candidat, écrivant à ses électeurs une lettre ouverte publiée dans Le Sénonais du 20 septembre 1870 : « Depuis le 4 septembre, je me suis résolu à m’éloigner de la vie publique […] J’ai servi honnêtement l’Empire, dans la mesure de mes forces et des fonctions qu’il m’avait confié ; je lui reste attaché par des sentiments de gratitude personnelle. Ce n’est pas que je méconnaisse le devoir de dévouement et d’union que les malheurs de la France imposent à tous les bons citoyens ; ce n’est pas que je me désintéresse de mon pays. Soumis à la volonté nationale, je fais des vœux sincères pour que ses mandataires puissent mener à bonne fin l’œuvre difficile et patriotique qu’ils ont entreprise. Mais ma conscience ne peut concilier ce qu’elle doit au passé et ce qu’elle ne saurait refuser aux douloureuses nécessités du présent qu’en s’enfermant, sans amertume et sans bruit, dans la vie privée ».

118Dégagé de ses fonctions officielles, VUITRY préside du 25 août 1871 au 15 novembre 1878 le conseil d’administration de la Compagnie du Paris-Lyon-Méditerranée avant d’en devenir le président honoraire, et siège comme administrateur de la compagnie d’assurances La Nationale. Il consacre enfin les dernières années de sa vie à ses travaux historiques, estimant que : « L’homme qui, dès le début de sa vie, a dû se vouer tout entier aux labeurs et aux soucis incessants des fonctions publiques et pour lequel l’heure de la retraite a sonné avant qu’il ait perdu toute faculté de travail et toute activité d’esprit, vient demander à l’histoire un utile emploi de ses loisirs. L’étude et la contemplation du passé peuvent lui donner le moyen de vérifier, de contrôler l’opinion qu’il s’est faite des choses et des hommes de son temps ; et l’expérience pratique qu’il a pu acquérir de l’administration, du Gouvernement, de tous les grands intérêts sociaux, lui permet de pénétrer plus profondément le sens des institutions détruites, d’en juger plus sainement le caractère et le fonctionnement ».

119La biographie que publie son épouse en 1887 se termine sur les mots suivants : « M. Adolphe VUITRY est mort dans la soirée du 23 juin 1885 […] Bien que [sa] santé fût ébranlée depuis plusieurs années, aucun symptôme n’a fait prévoir sa fin soudaine ; il a été frappé debout, dans la pleine possession et dans toute la vigueur de son intelligence ».

V. LES SOURCES

ÉCRITS

120Souvenir. M. Adolphe Vuitry, Paris, A. Hennuyer, 1887 [BN : 8° Ln27 37 100]

121En dépit de ce qu’on pouvait espérer, il ne s’agit pas là des Souvenirs [de] M. Adolphe Vuitry, mais d’un ouvrage en Souvenir [de] M. Adolphe Vuitry, tiré à 100 exemplaires On y trouve en revanche une « biographie » de la famille VUITRY, par Mme Jenny VUITRY qui édite l’ouvrage, ainsi que les quatre discours prononcés à l’occasion des funérailles du sous-secrétaire d’État [voir infra].

122Rapports et discours de M. Adolphe Vuitry, ancien ministre présidant le Conseild’État, membre de l’Institut, Paris, A. Hennuyer, 1887 [BN : 8° Le1 98]

123Cet ouvrage constitue en quelque sorte la « version longue » de l’ouvrage précédent, augmenté du texte de ses interventions publiques.

124On en retrouve la plupart dans le Catalogue des imprimés de la BN, tome 215, colonnes 911-916, prononcés en tant que rapporteur de projets de lois financiers,conseiller d’État, gouverneur de la Banque de France, membre de l’Institut, etc.

125Adolphe VUITRY s’est également distingué au cours des dernières années de sa vie comme un historien des finances médiévales et modernes, publiant sur le sujet un grand nombre d’études :

126Les impôts romains dans la France du vie au xe siècle, Orléans, Impr. A. Colas, 1873, 152 p. [BN : 8° Lf76 175]

127Les monnaies et le régime monétaire de la monarchie féodale, de Hugues Capet à Philippe le Bel (687[sic]-1285), Orléans, Impr. A. Colas, 1876, 80 p. [BN : 8° Lj22 65]

128L’aide féodale sous Philippe le Bel et ses trois fils, 1285-1328, Orléans, Impr. A. Colas, 1879, 31 p. [BN : 8° Lf88 121]

129Les monnaies sous Philippe le Bel et ses trois fils, 1285-1328, Orléans, Impr. A. Colas, 1879, 61 p. [BN : 8° Lj27 66]

130Le Gouvernement royal et l’administration des finances sous Philippe le Bel et ses trois fils (1285-1328), Orléans, Impr. A. Colas, 1880, 90 p. [BN : 8° Lb20 29]

131Les monnaies sous les trois premiers Valois, 1328-1380, Orléans, Impr. A. Colas, 1881, 140 p. [BN : 8° Lj27 74]

132L’origine et l’établissement de l’impôt pour les trois premiers Valois (1328-1380), Orléans, Impr. A. Colas, 1883, 76 p. [BN : 8° Lf82 20]

133Études sur le régime financier de la France avant la Révolution [on trouve parfois avant 1789], Paris, Guillaumin, 1878-1883, 3 vol. [BN : 8° Lf76 179], ouvrage regroupant I -Les impôts romains dans la France du vie au xe siècle et Le régime financier de la monarchie féodale aux xie, xiie et xiiie siècles ; II - Philippe le Bel et ses trois fils, 1285-1328 ; III - Les trois premiers Valois, 1328-1380.

134Le désordre des finances et les excès de la spéculation à la fin du règne de Louis XIV et au commencement du règne de Louis XV, Paris, C. Lévy, 1885, XVIII-462 p. (recueil d’une série d’articles parus dans la Revue des deux mondes en 1884) [BN : 8° Lf76 195]. Selon Aug. GEFFROY, président de l’Académie des sciences morales et politiques au moment de sa mort, VUITRY a étudié dans cette dernière étude « la fortune inespérée et la chute rapide de Law » et estime que son goût pour l’histoire financière visait à cerner « ce problème, à savoir si l’abîme est insondable entre la vieille France et la France nouvelle ».

ARCHIVES

Archives de l’École polytechnique

135Dossiers d’anciens élèves d’Adolphe VUITRY et de son père.

Archives nationales

136LH 2742/43 : dossier de Légion d’honneur.

137F1423411 : dossiers d’ingénieurs des Ponts et Chaussées d’Adolphe VUITRY et de son père.

138F1b I 156/44 : dossier de préfet de Charles Wangel BRET.

139F1b I 158/3 : dossiers de préfets de Hugues Iéna DARCY et de son fils Henri DARCY.

140F1b I 312 (2e série) et 262/8 : dossiers de conseiller de préfecture et de secrétaire général de François BRET DE ROMIEU.

Archives nationales, Minutier central des notaires de Paris

141XIII/708 : contrat de mariage de sa fille Marie, 28 mai 1864.

142En dépit de nos recherches, il n’a pas été possible de retrouver le testament et l’inventaire après décès de VUITRY : sa déclaration de succession parisienne ne mentionne que le nom d’un clerc de notaire, Ernest DESMARET, « domicilié » 11 rue Auber ; on trouve bien à cette adresse l’étude de Me DELEPALME (étude XCIII), mais son répertoire ne mentionne aucun acte relatif à VUITRY entre son décès le 23 juin 1885 et la déclaration au 7e bureau le 9 décembre suivant.

Archives de Paris

143DQ7 12 175, 7e bureau, n° 1610 : déclaration de succession du 9 décembre 1885.

Archives départementales de Seine-et-Marne

144212 Q 56 : déclaration de succession du 14 décembre 1885.

Archives municipales de Sens

145État-civil.

Bibliothèque de l’Institut de France

146Dossier 2171, pièces 158 à 204 : lettres de VUITRY, 1845-1879.

Bibliographie

COUGNY, V, 551 et I, 242 (BELLAIGUE)

TULARD, Second Empire, 1325-1326

VAPEREAU (1858) 1747 et (1870) 1831

YVERT, 313-314

GEFFROY Auguste, BOISSIER Gaston, AUCOC Léon et PICOT Georges, « Funérailles de M. Vuitry, membre de l’Académie, le 27 juin 1885. Discours », Institut de France, Académie des sciences morales et politiques, Paris, Firmin-Didot, 1885 [BN : 4° Ln27 35 967].

PICOT Georges, Notice sur la vie et les travaux de M. Adolphe Vuitry, Paris, Alcan, 1886 [BN : 8° Ln27 36 375].

CUCHEVAL-CLARIGNY Philippe Athanase, Notice sur la vie et les travaux de M. Adolphe Vuitry, Paris, Picard, 1887 [BN : 8° Ln27 37 181].

FOVILLE Alfred de, « Notice sur la vie et les travaux de M. Adolphe Vuitry, 1813-1885 », Institut de France. Académie des sciences morales et politiques, Séance publique annuelle du 7 décembre 1912, Paris, Firmin-Didot, 1912 [BN : 4° Z 1617 (1912, 22)].

DURUY Victor, Notes et souvenirs, 1811-1894, Paris, Hachette, 1901, 2 vol.

MARMIER Xavier, Journal, publié et annoté par Eldon Kaye, Genève, Droz, 1968, 2 vol.

TUDESQ André-Jean, Les grands notables en France (1840-1849). Étude historique d’une psychologie sociale, Paris, PUF, 1964, p. 644 (VUITRY père).

École polytechnique. Livre du centenaire, 1794-1894, t. III : Services civils et carrières diverses, Paris, Gauthier-Villars & fils, 1897, p. 332-337 [BN : 4° Lf210 33 (3)].

CALLOT Jean-Pierre, Histoire de l’École polytechnique, Paris-Limoges, Ch. Lavauzelle, 1982.

Le Conseil d’État : son histoire à travers les documents d’époque, 1799-1974, Paris, Éd. du CNRS, 1974, p. 525-526.

Dictionnaire biographique des membres du Conseil d’État, p. 200 (DARCY), 525 (HÉLY D’OISSEL) et 379-380 (VUITRY).

WRIGHT Vincent, Le Conseil d’État sous le Second Empire, Paris, A. Colin, 1972.

PLESSIS Alain, Régents et gouverneurs de la Banque de France sous le Second Empire, Genève, Droz, 1984.

PLESSIS Alain, La politique de la Banque de France de 1851 à 1870, Genève, Droz, 1985.

ANCEAU Éric, Dictionnaire des députés du Second Empire, Rennes, PUR, « Carnot », 1999, notice 265 (son gendre H. GERMAIN).

BOUVIER Jean, Le Crédit lyonnais : les années de formation d’une banque de dépôts, 1863-1882, Paris, SEVPEN, 1961, t. I, p. 189.

CAYEZ Pierre et CHASSAGNE Serge, Les patrons du Second empire. vol. 9 : Lyon et le Lyonnais, Paris, Picard, 2006, p. 150-162 (H. GERMAIN).

Table des illustrations

Légende © Photographie (vers 1863) Collection Banque de France.
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