1Le cadastre français a été fondé par une loi napoléonienne du 15 septembre 1807 avec un objet fiscal, dont la matrice cadastrale est le principal instrument. Cet objectif demeure prééminent dans les choix faits pour son évolution, notamment face à la montée des préoccupations de productivité de la gestion publique, mais les usages non fiscaux du plan cadastral ont aussi influencé cette évolution : l’intérêt que l’esprit attache à visualiser s’est traduit par l’utilisation du plan à des fins fiscales, mais aussi par son utilisation par des usagers extérieurs pour des raisons de propriété foncière et bien sûr de cartographie générale.

2Ce sont les évolutions du plan cadastral qui occupent l’actualité, et je parlerai principalement de lui. Pourtant, l’ensemble du cadastre comprend non seulement le plan, mais aussi la matrice, dont je n’évoquerai l’évolution qu’en matière de gestion. Par ailleurs, je n’évoquerai ici que la France de l’Intérieur, sans donc m’arrêter aux particularités historiques d’Alsace et de Moselle.

3Or, le plan cadastral a connu, au XX^e siècle, trois grandes évolutions : une évolution juridique, qui a permis de mettre à jour le plan, une évolution géométrique, qui lui a permis de gagner en précision, et une évolution technique, qui a informatisé sa gestion et sa diffusion.

I. Une évolution juridique : la mise à jour du plan

4Le plan cadastral napoléonien a été dressé presque exhaustivement entre 1807 et 1850, année où une loi en a autorisé la rénovation.

A. La conservation continue du cadastre

5Le plan cadastral n’avait initialement vocation qu’à être établi une fois pour toutes, afin de vérifier que la matrice recensait bien l’ensemble de la matière foncière imposable. La matrice devait suffire à recenser l’ensemble des évolutions ultérieures.

6Pourtant, le plan a toujours été utilisé pour visualiser les réclamations des contribuables, concourant d’ailleurs à diffuser dans la population une culture cartographique. De plus, la révolution industrielle a bouleversé le découpage parcellaire et multiplié les constructions. Aussi, une commission extraparlementaire examina de 1891 à 1905 une éventuelle réforme du cadastre, remettant notamment en cause le principe de fixité du plan, sans aboutir.

7C’est la loi du 16 avril 1930 qui a finalement instauré la conservation du plan, c’est-à-dire la mise à jour en continu du découpage parcellaire et des bâtiments. La charge de cette conservation s’est répartie diversement entre les secteurs public et privé avec le temps. Actuellement, les géomètres-experts ont un monopole de la délimitation foncière en vertu de leur loi statutaire de 1946, qui les oriente naturellement vers la mise à jour du découpage parcellaire. De son côté, le cadastre concentre donc l’activité de ses géomètres sur la mise à jour des bâtiments et de certains détails topographiques, avec l’aide des services de l’urbanisme.

B. Deux archivages exhaustifs

8En prévoyant la mise à jour du plan, la loi de 1930 n’a pas prévu son archivage régulier. Simplement, le plan napoléonien de 1807-1850 a été rénové (selon des techniques que nous présenterons plus loin), et ce plan rénové a ensuite évolué par modification directe (dessin ou grattage). Aussi, le plan napoléonien a constitué une première référence historique exhaustive, quoique chronologiquement peu homogène.

9Par la suite, outre les remaniements ponctuels, une autre opération a conduit à la constitution d’une seconde référence historique exhaustive. L’informatisation, engagée en 1990 sous forme de vectorisation et achevée en 2004 avec le scannage des derniers plans, a conduit à un archivage exhaustif réparti sur une durée de 15 années, sans doute peu homogène elle aussi, quoique moins longue que la quarantaine d’années de la première référence.

II. Une évolution géométrique : une précision croissante

10La précision du plan n’a pratiquement pas d’enjeu fiscal, mais les géomètres du cadastre ont évidemment toujours utilisé les meilleures techniques disponibles pour leurs levés. Or, ces techniques ont progressé, et avec elles la précision des plans ainsi dressés. Aujourd’hui encore, la précision de chaque feuille de plan dépend donc principalement de la technique utilisée au moment où sa géométrie générale a été relevée, mais les progrès techniques permettent désormais d’envisager leur assemblage continu.

A. La précision de chaque feuille : les levés réguliers

11La rénovation exhaustive prévue par la loi de 1930 ne s’est achevée qu’en 2003, à cause de l’obligation en Alsace-Moselle d’abomer chaque parcelle. Cependant, la précision du plan rénové dépend de la méthode retenue :

• soit une mise à jour du plan napoléonien, sur un nouveau support, mais par simple décalque de ce plan et mise à jour des limites parcellaires, et donc sur la base de la géométrie générale d’origine ;
• soit une réfection par levé régulier, c’est-à-dire en reprenant complètement l’élaboration du plan, avec levé d’un canevas de points géodésiques de référence et application de tolérances en vertu d’un arrêté du 20 mai 1948 sur les conditions d’exécution et de publication des levés de plans entrepris par les services publics. Cette méthode reste seule autorisée en vertu de la loi de 1974 instituant les remaniements, qui consistent en de nouvelles réfections pouvant être réalisées là où la surcharge du plan rénové mis à jour, l’inadaptation de l’échelle ou l’imprécision du plan au regard d’enjeux particuliers les rendent nécessaires.

12Entre les deux méthodes, l’écart de précision correspond aux progrès techniques réalisés en un à deux siècles (entre 80 et 196 ans, selon les feuilles).

B. Le positionnement relatif des feuilles : le « géoréférencement »

13Bien que cela n’ait pas d’intérêt fiscal, il est géographiquement utile de positionner les feuilles de plan les unes par rapport aux autres, quelle que soit leur précision intrinsèque.

14Au sein d’une même commune, c’est le rôle, depuis l’origine, du tableau d’assemblage, qui montre schématiquement comment le faire.

15Mais les progrès de la géodésie ont aussi conduit à définir des systèmes universels de coordonnées terrestres. Parmi eux, l’arrêté du 21 janvier 1980 sur les tolérances applicables aux levés à grande échelle entrepris par les services publics a rendu obligatoire le référencement des feuilles de plan dans l’un des systèmes « Lambert » : c’est le « géoréférencement » (ou « lambertisation »).

16Ce travail est grandement facilité depuis 1991 par le système américain de positionnement par satellite dénommé Global Positioning System (GPS). À ce jour, le cadastre a géoréférencé 70 % de ses feuilles de plan. Celles de ces feuilles qui ne seraient pas géoréférencées d’ici à 2007 le seront par l’institut géographique national (IGN) à l’occasion de la réalisation de la composante parcellaire du référentiel à grande échelle (RGE).

C. L’assemblage continu des feuilles : le référentiel à grande échelle

17En effet, l’assemblage des feuilles de plan n’est pas matériellement permis par les tableaux de ce nom. Sa réalisation effective sera l’objet principal de la partie parcellaire du projet de RGE confié à l’IGN par le Premier ministre en février 2001. L’ensemble du projet permettra de superposer les découpages parcellaires aux photographies aériennes ou spatiales rectifiées, aux données topographiques et aux adresses, mais aussi à toute autre donnée référencée dans un système géodésique, le cas échéant au prix d’une conversion des coordonnées respectives dans un même système.

18Cependant, l’assemblage de feuilles comprenant des plans simplement rénovés par mise à jour du plan napoléonien fait apparaître les défauts géométriques de ces derniers par le fait que des points du terrain communs à deux ou plusieurs feuilles peuvent ne pas avoir les mêmes coordonnées selon la feuille où ils sont représentés. Sans être systématiques, ces écarts peuvent être considérables. L’IGN a donc entrepris de déformer les feuilles de plan concernées en les calant sur ses photographies rectifiées, prises comme références, afin de rendre leur assemblage aussi continu – ou au moins continuel – que possible.

19Ces déformations posent au Cadastre des questions cartographiques, juridiques et techniques. Sur le plan cartographique, en admettant la supériorité de la référence photographique de l’IGN, il reste que sa méthode de la triangulation Delaunay peut l’amener à couder des limites parcellaires rectilignes sur le terrain. Sur le plan juridique, de telles déformations peuvent remettre en cause l’accord des propriétaires limitrophes sur la représentation de leur limite parcellaire et provoquer un contentieux fiscal voire civil. Sur le plan technique, à supposer que les autres difficultés soient résolues, les nouvelles modalités de gestion du plan cadastral obligeraient à des développements informatiques relativement longs et coûteux pour envisager de reprendre ces déformations.

III. Une évolution technique : l’informatisation de la gestion

20Naturellement, les progrès techniques n’ont pas entraîné seulement un accroissement de la précision du plan, mais aussi une amélioration de la productivité du Cadastre et du service rendu aux utilisateurs, notamment par l’informatisation de la matrice et du plan.

21Cependant, la matrice devait être la première informatisée, compte tenu d’une part des gains de productivité que son rôle de base fiscale permettait d’en tirer, et d’autre part de l’avance de l’informatique des données numériques et littérales sur l’informatique des données graphiques.

A. L’informatisation de la matrice : l’application MAJIC

22L’informatisation suppose toujours la conception d’un modèle de données rationnel. En matière cadastrale, ce modèle résulte sur le plan logique des décrets n° 55-22 du 4 janvier 1955 réformant la publicité foncière et n° 55- 471 du 30 avril 1955 sur la rénovation et la conservation du cadastre, qui établissent la concordance entre les deux types de données grâce à l’échange de documents (extraits cadastraux et extraits d’actes) entre les services correspondants.

23C’est sur cette base conceptuelle qu’a été développée et mise en service en 1988 l’application de Mise à jour des informations cadastrales (MAJIC), qui a fait l’objet depuis d’une deuxième version (MAJIC 2). MAJIC informatise l’ensemble des tâches non topographiques des services cadastraux : gestion de la documentation littérale, établissement des bases fiscales, comptabilisation des opérations cadastrales, etc. Marquée par son âge en matière d’ergonomie, elle reste très robuste grâce à la rigueur de sa conception.

24Parallèlement, la publicité foncière a été informatisée avec le Fichier informatisé des données juridiques immobilières (FIDJI), installé dans les services des hypothèques de 1999 à 2003. Cela a permis de mettre en service à la fin de 2004 un lien automatique entre FIDJI et MAJIC, qui évite de nombreuses doubles saisies entre les deux applications.

B. L’informatisation du plan : les applications PCI

25L’informatique graphique a évidemment été plus longue à mettre au point. Le plan cadastral informatisé (PCI) a fini par prendre deux formes distinctes : le vecteur et l’image.

26La vectorisation des données graphiques consiste à les insérer complètement dans un système de données structurées, reliant les données proprement géographiques (comme les limites de parcelles, les détails topographiques, etc., notés sous forme de coordonnées géographiques) et les données littérales associées (comme les numéros de parcelles, les signes de mitoyenneté, etc., notés sous forme littérale). Cette technique est la plus riche en potentiel d’utilisation, mais aussi la plus coûteuse en investissement, compte tenu du travail nécessaire pour saisir les données d’une façon aussi structurée. Son atout venant des utilisations nouvelles qu’elle permet, ce sont les utilisateurs de données géographiques qui prennent très majoritairement l’initiative de sa mise en œuvre et qui supportent alors une part prépondérante de l’investissement correspondant. La DGI a défini en février 1990 un cadre conventionnel pour cette mise en œuvre, dont l’équilibre est assuré par sa part d’investissement (contrôles de qualité, établissement des liaisons avec MAJIC, et dans les premières années, cofinancement de la saisie) et par sa prise en charge intégrale de la mise à jour. Environ 40 % du territoire sont actuellement couverts par des conventions de vectorisation ; 15 % sont déjà effectivement gérés par l’application PCI-vecteur, développée à cette fin, auxquels il faut ajouter quelques plans gérés pour des raisons historiques par d’autres applications vectorielles et en voie de conversion à PCI-vecteur.

27Devant la lenteur de la vectorisation, au demeurant parfaitement justifiée par son coût pour chacun des partenaires, y compris pour la DGI elle-même, celle-ci a décidé de la compléter par un scannage de l’ensemble des feuilles non vectorisées. L’image qui en résulte n’est structurée qu’en pixels noirs ou blancs, seulement complétés par la vectorisation des numéros de parcelles, qui permet de naviguer aisément sur le plan. Elle n’ouvre donc pas autant de possibilités d’utilisation que le vecteur, mais il faut remarquer que le scannage constitue le plus souvent la première étape du processus de vectorisation, dont il allège le coût d’autant. L’ensemble des feuilles concernées ont été scannées en 2003 et 2004, et sont désormais gérées par l’application PCI-image, achevant la dématérialisation du cadastre.

*

28La date d’aujourd’hui paraît idéale pour dresser un bilan des évolutions du XX^e . Pourtant, nos successeurs historiens du cadastre voudront peut-être étendre ce siècle aux sept premières années du suivant. En effet, les évolutions de ce siècle appellent des prolongements, dont deux se sont vus assigner 2007 pour échéance.

29Le premier est l’achèvement de la composante parcellaire du RGE, déjà évoqué. Quoique décidé dans le deuxième mois du XXI^e siècle, il apparaît bien comme prolongeant des évolutions antérieures : d’une part le classement de la cartographie parmi les données publiques, concrétisé par la création de l’IGN au milieu du XX^e siècle ; d’autre part, depuis lors et notamment grâce aux recherches de l’IGN, les progrès de l’informatique graphique et notamment géographique. L’un et l’autre ont logiquement conduit à apporter les données cartographiques cadastrales à l’opérateur national chargé d’intégrer l’information géographique, même si les recherches de ce même opérateur montrent aussi que l’esprit humain appréhende la cartographie différemment selon les gammes d’échelles.

30Le second est la mise en ligne du cadastre, rendue possible par l’achèvement de sa dématérialisation, rendue souhaitable par la banalisation de la toile, et rendue obligatoire par la transparence s’imposant à tout service public et spécialement à la mission de publicité foncière, à laquelle le cadastre peut ainsi concourir. Il faut en effet rappeler que, loin de porter atteinte à la vie privée (Cour de cassation, 1993), la publicité foncière protège non seulement l’acheteur potentiel contre un vendeur sans titre de propriété, mais aussi le propriétaire contre l’occupation d’un tiers. La consultation du plan cadastral sur l’Internet devrait être généralisée en 2007.

31Un troisième prolongement paraît enfin se profiler. L’achèvement de la composante parcellaire du RGE offrira aux utilisateurs, à dater de 2007, une seconde représentation cadastrale publique, légèrement différente du cadastre lui-même, dont elle est pourtant issue. Les différences de représentation du découpage parcellaire se fondent sur une différence entre les objectifs poursuivis, tous deux légitimes : l’IGN vise à faire concorder cette représentation avec celle que d’autres sources lui donnent du terrain, pour des raisons de cohérence cartographique, tandis que le cadastre vise à la faire concorder avec celle sur laquelle a été sollicité l’accord des propriétaires, pour des raisons de sécurité juridique. Mais ces deux représentations se réfèrent bien ultimement à la même réalité du terrain, et l’incompréhension actuelle des utilisateurs sur ces différences paraît elle aussi légitime. Elle pourrait donc finir par déboucher sur un aménagement législatif dont le plus logique paraîtrait être qu’il permette au cadastre de reprendre les déformations appliquées à son plan par l’IGN. Quoi qu’il en soit, il paraîtrait opportun que l’incompréhension actuelle soit dissipée pour la même échéance de 2007 !