De l’estime au cadastre en Europe. Les systèmes cadastraux aux XIXe et XXe siècles
| , ,Première partie. Les cadastres européens
Les cadastres italiens avant et après l’unité
Texte intégral
- 1 Voir à ce sujet Renato Zangheri, « I catasti », AAVV, Storia d’Italia, Turin, Einaudi, 1973 ; voir (...)
- 2 R. Zangheri, « I catasti », art. cité, p. 767.
1L’introduction progressive du système cadastral dans les principaux États européens à partir du début du XVIIIe siècle1 a été le prélude, notamment en matière de fiscalité, à la montée en puissance de la bourgeoisie qui s’est manifestée au début du XIXe siècle, pendant la période napoléonienne. Le développement de la nouvelle propriété foncière s’est alors fait au détriment des anciens privilèges féodaux et ecclésiastiques, et l’affirmation de la possession libre et entière de la terre, à l’encontre de la conception selon laquelle la propriété foncière échappe aux lois du marché. Même en Italie, le cadastre a représenté, dans les cas les plus significatifs, une aspiration à un nouvel ordre social propre à encourager l’industrie et la productivité. Pendant tout le XVIIIe siècle, la mobilisation s’est faite autour de ce thème, devançant parfois de quelques décennies – comme pour les cadastres de Savoie et du Milanais – l’adoption des nouveaux systèmes qui devaient être mis en place sous l’Empire. Il convient toutefois de rappeler que, contrairement à des pays comme la France et l’Angleterre, dans lesquels l’élaboration d’un nouveau cadastre résultait tout naturellement d’un changement radical des structures politico-administratives et/ou des rapports de propriété, la précocité des idées éclairées en matière financière ne s’est pas accompagnée dans les États italiens pré-napoléoniens d’un mouvement « révolutionnaire », et les programmes de réforme ont été lancés directement par les gouvernements absolutistes pour répondre aux besoins croissants des finances publiques ; ils ont donc été imposés par les classes dirigeantes, généralement en dehors de toute participation directe des milieux intellectuels et de tout développement réel du capitalisme foncier2.
- 3 Ibid., p. 768-806, pour une présentation extensive des systèmes cadastraux de l’Italie pré-unitaire (...)
2Après avoir analysé la situation des principaux États de la péninsule italienne3 aux XVIIIe et XIXe siècles, nous nous intéresserons au royaume de Naples et aux initiatives prises dans l’Italie post-unitaire.
I. Les cadastres italiens avant l’unité
3Dans le Piémont, Victor-Amédée II a introduit dès 1738 un cadastre de type géométrique et parcellaire de conception moderne et inspiré des principes qui se propageaient déjà à l’époque, comme nous le verrons, dans le Milanais, mais dont la mise en œuvre se heurtait aux événements politiques. Ces principes étaient le mesurage et l’estimation directe par des experts, après abandon du système incomplet fondé sur les « déclarations » des propriétaires. Un règlement de 1775 devait ultérieurement fixer les méthodes de mesurage et d’élaboration des plans. S’agissant de la Savoie, un nouveau système de cadastre avait déjà été mis au point aux alentours de 1750 : outre son caractère technique irréprochable, même sur le plan de la cartographie, ce dernier témoignait de progrès notables en matière de généralisation de l’impôt, sans équivalent en Europe, même en France. Mais dans d’autres territoires du Royaume, en particulier à Turin, le cadastre géométrique n’est apparu qu’entre 1804 et 1813, époque de la domination napoléonienne et, le premier relevé s’étant révélé imparfait, un nouveau cadastre parcellaire allait être élaboré entre 1820 et 1830 et complété peu de temps avant l’Unité italienne (voir planche 1).
Planche 1
Plan cadastral de Turin, 1823

A. Gatti, Mappa catastale diparte della città di Torino, 1823. Torino, Archivio storico del Comune, de Connoli-Manchacci.
Planche 2
Plan cadastral de Milan, 1722

G. Filippini, Mappa catastale della città di Milano, 1722.
Milan, Direzione dell’Ufficio Tecnico Erariale (de Gambi-Gozzoli).
4Mais venons-en à cet événement important qu’a été le cadastre milanais, décidé dès 1713 par Charles VI de Habsbourg : les travaux réalisés d’abord sous la direction du Napolitain Vincenzo de Miro, puis du Florentin Pompeo Neri, ont duré de 1718 à 1757 et consisté principalement en l’établissement de plans parcellaires précis selon la méthode de la « table prétorienne ». Ce cadastre (voir planche 2), fondé sur des critères de péréquation et de stabilité de l ’ impôt, et surtout sur l’exemption fiscale dont bénéficiait la progression en valeur de la production (en application des principes économiques prônés par les physiocrates), devait constituer un modèle pour toute l’Europe. Il s’est heurté toutefois à l’opposition des milieux privilégiés qui ont tenté d’empêcher ou de retarder l’application de cette entreprise louable du gouvernement autrichien et n’a pas bénéficié du soutien direct des milieux lombards éclairés et réformateurs. Ce n’est que dans les années soixante-dix, sous le règne de Marie-Thérèse d’Autriche, qu’ont été enfin abordées les questions de description physique des sols au regard des principes d’égalité de traitement des propriétaires et de proportionnalité et d’universalité de l’impôt, et que les pouvoirs locaux ont finalement renoncé à leur fonction de perception. Encore restait-il à définir les critères d’exonération, l’Église continuant à bénéficier de privilèges particuliers. En 1782 seulement, Joseph II a pu assurer l’égalité des propriétaires fonciers au regard de l’impôt et vaincre la plupart des résistances des patriciens lombards. Si, comme on a pu le dire, les travaux d’élaboration ont pâti, surtout dans le Milanais, des retards consécutifs aux événements politiques et aux guerres, toutes les autres provinces de l’État lombardo-vénitien encore privées d’un cadastre moderne en seront dotées sous le gouvernement napoléonien.
5Parmi les autres États de la péninsule, le cas de l’État pontifical est significatif : en 1777, le pape Pie VI y avait entrepris la création d’un nouveau cadastre. Mais les travaux de relevés et d’élaboration des plans, commencés seulement sous le Royaume français d’Italie, avaient été interrompus à la chute des Français et repris par Pie VII. Conclus en 1835, sous le pontificat de Grégoire XVI, ils ont abouti à la création de splendides plans résultant de la réutilisation partielle de ceux de l’époque de la domination française (voir planche 3).
6En ce qui concerne l’État pontifical, il convient de rappeler également la tentative, elle-même inspirée des modèles milanais et savoyard, faite à Bologne à partir de 1780 par le cardinal Boncompagni, qui ne put être menée à terme du fait des fortes résistances des propriétaires terriens et de l’absence de soutien de la part du pape : il avait été proposé également dans ce cas de recourir aux méthodes des physiocrates et de lier le calcul du montant de l’impôt aux progrès de l’agriculture. Boncompagni s’était inspiré directement des thèses du français Quesnay et de l’expérience menée avec succès, dans le Limousin, ici encore fondée sur un cadastre à caractère descriptif. S’il avait été appliqué, le système préconisé aurait porté un coup très dur aux privilèges de l’aristocratie terrienne, en contraignant quasiment les propriétaires à adopter les techniques de culture les plus propices à la production.
Planche 3
Cadastre-plan de Rome, 1819-1824

Cadastre-plan de Rome, 1819-24 ; f° relatif à Rione Campitelli. Rome,
Archivio di Stato.
7Ce sont des idées progressistes comme celles de Boncompagni qui ont également inspiré la malheureuse tentative menée entre 1781 et 1786 par Caracciolo, vice-roi de Sicile, revenu d’un voyage en France avec la conviction que les idées des physiocrates constituaient le remède contre les privilèges et les exonérations. Sur le fondement des thèses des Napolitains Broggia et Genovesi et en s’inspirant du modèle milanais, il avait tenté de convaincre le roi de Naples, Ferdinand IV, de l’utilité de ce système. Comme nous le verrons plus en détail, le cadastre mis en place par Charles de Bourbon n’a nullement été apprécié des milieux intellectuels napolitains. En l’espèce, les résistances des Siciliens au projet de Caracciolo finirent par trouver des soutiens, au-delà de l’enceinte du parlement de Palerme, au sein de la cour de Naples. C’est ainsi qu’après l’échec de cette tentative méritoire, la Sicile chercha, sous la domination française et pendant la Restauration, à mettre de l’ordre en la matière, avant que l’Unité italienne ne se fasse sans qu’un système fiscal satisfaisant ait été créé.
II. Les expériences dans le Royaume de Naples
- 4 Giancarlo Alisio, Alfredo Buccaro, Napoli millenovecento. Dai catasti del XIX secolo ad oggi : la c (...)
- 5 Voir, en particulier, la documentation conservée, pour l’ensemble du territoire du Royaume, dans le (...)
8Pour ce qui est de l’histoire cadastrale du Royaume de Naples, à laquelle nous avons consacré, il y a quelques années, un volumineux ouvrage4, on sait que la capitale, à la différence d’autres villes européennes, a joui d’un régime fiscal favorable, du début de l’ère moderne à l’arrivée de Joseph Bonaparte. Ce privilège fut, au demeurant, une des principales causes de son essoufflement au cours des XVIe, XVIIeet XVIIIe siècles. Et lorsque le roi Charles introduisit, en 1741, dans le Royaume, le cadastre connu sous le nom de « catasto onciario »5, Naples était de nouveau exemptée.
Planche 4
Cadastre « onciario » de Caserte, 1749

Catasto onciario della cittá di caserta, 1749, Naples,
Archivio di stato.
9Après des velléités de création d’un impôt foncier basé sur le modèle déjà adopté dans le Piémont par Victor-Amédée II, le cadastre de Charles de Bourbon opta pour un impôt à la fois réel et personnel, dont l’assiette était constituée par les revenus des biens mobiliers et immobiliers et qui tenait compte, pour les produits de la terre, de leur qualité et de leur quantité. Le cadastre était dit « onciario », car la valeur du patrimoine y était exprimée dans cette monnaie ancienne qu’était l’once (voir planche 4). La méthode de calcul des revenus était, de ce fait, quelque peu confuse, ce qui finissait par porter préjudice aux contribuables les plus pauvres, les classes privilégiées ayant davantage la possibilité d’échapper à l’impôt : au demeurant et conformément aux dispositions du concordat de 1741, seule une partie des biens de l’Église était soumise à imposition, les biens féodaux restant quant à eux totalement exonérés. En outre, comme l’a souligné l’économiste Antonio Genovesi, les terres des pauvres se voyaient attribuer une plus grande valeur que celles des riches et la libre industrie était soumise à l’impôt. Parmi les opposants à ce système, il convient de citer Carlo Antonio Broggia qui, tout d’abord dans son Trattato dei tributi de 1743, puis dans un mémoire imprimé en 1754, faisait observer que les règles adoptées ne tenaient pas compte de la prééminence des revenus fonciers sur toute autre source de revenus. Il estimait toutefois satisfaisante la description des biens établie sur la base des « déclarations » anciennes, sans voir apparemment l’utilité du mesurage sur place. Mais ces économistes se rendaient bien compte qu’il n’était plus possible de lier les impôts aux personnes, et qu’il n’était pas pertinent d’imposer les activités productives. Étant donné le décalage qui subsistait entre la recherche scientifique et le réformisme des Bourbons, il n’est pas étonnant que leurs idées n’aient pas du tout été prises en considération.
- 6 R. Zangheri, « I catasti », art. cité, p. 768.
10Aussi, dans la plus grande partie du Royaume et en particulier dans les centres secondaires, le nouveau système n’a jamais été appliqué, tant en raison de l’incompétence ou de la corruption des fonctionnaires que de l’absence de structures administratives adéquates. Il n’y avait pas de réelle volonté de changement au sein du pouvoir absolutiste et, en dehors des sphères de ce pouvoir, les œuvres de l’esprit étaient destinées à rester dans le domaine des bonnes intentions6.
- 7 Voir à ce sujet Teresa Colletta, « Napoli. La cartografia pre-catastale », Storia della Città, nos (...)
11L’absence à Naples, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, de tout instrument cadastral, même de type géométrique et parcellaire, fait que, pour étudier les processus de transformation du tissu urbain et donc de la ville historique au cours des siècles de la vice-royauté et de la première période bourbonienne, il convient de se référer à l’iconographie urbaine établie au cours de la période allant du XVIe au XVIIIe siècle, aux plans « pré-cadastraux » ou aux inventaires des biens de la noblesse et du clergé dressés à l’initiative de particuliers7.
- 8 AS Na, Atti superstiti della decima, fasc. 4 à 16, plusieurs feuillets. Voir également Alfredo Bucc (...)
- 9 Umberto Bile, « Luigi Marchese, Ingegnere Camerale », Napoli 1804. I siti reali, la città, i casali (...)
12Il faudra attendre 1796 pour que soit introduite également dans la capitale la taxe dénommée « decima », égale à un dixième des revenus tirés du foncier bâti et non bâti8. Aux fins d’application de cette taxe, dont étaient exonérés les revenus déjà soumis au cadastre onciario, le géomètre Luigi Marchese entreprit le relevé des hameaux napolitains (voir la planche dans le cahier couleur) et des centres urbains autour de Caserte, dont les plans ont été retrouvés récemment9. Malheureusement, les biens ecclésiastiques étaient de nouveau exonérés, alors que les maisons de Naples, imposées pour la première fois, bénéficiaient des exonérations pour les résidences principales et les logements en sous-sol. Une fois ces dispositions adoptées, le gouvernement des Bourbons a tenté à plusieurs reprises de réorganiser l’ensemble du système fiscal, sans toutefois déboucher sur des innovations importantes, en particulier du fait du coup d’arrêt entraîné par la révolution de 1799.
13Avec l’arrivée des Français, l’adoption d’un nouveau mode de contribution foncière s’est inscrite dans le cadre de l’ambition politique plus large d’une réorganisation complète du Royaume menée par les Napoléonides et portant, notamment, sur le découpage du territoire en provinces, l’abandon de la féodalité et la suppression des ordres religieux. En ce sens, les deux initiatives parallèles qu’ont été la rédaction du Catasto provvisorio de 1806 à 1814 et l’élaboration de la Statistica du Royaume, en 1811, devaient concourir à l’acquisition d’une meilleure connaissance, à la fois statistique et socio-démographique, du territoire méridional.
14S’inspirant du modèle cadastral français, Joseph Bonaparte a introduit en 1806, en lieu et place du système en vigueur, un impôt réel unique frappant à la fois la propriété terrienne et urbaine, ainsi que les revenus tirés des placements en bons de l’État ou de la vente des charges et les produits des investissements en capital dans le commerce ou l’élevage du bétail. Ces dispositions avaient pour but de réformer le système des impôts directs au moyen de l’élaboration d’un cadastre provisoire (catastoprovvisorio) nominal dans toutes les communes du Royaume, y compris sa capitale, qui aurait été suivie d’un relevé géométrique. Cette initiative devait permettre non seulement un prélèvement plus efficace de l’impôt, mais aussi le lancement d’un recensement précis de la population. De fait, un service régulier d’état civil a été institué peu de temps après et une enquête démographique a été conduite entre 1809 et 1813.
- 10 A. Buccaro, « Il sistema catastale… », art. cité, p. 25 et suiv.
15Le nouveau système fiscal mis en place classait les impôts selon la nature des propriétés et l’importance des revenus en découlant, mais ne distinguait pas encore les terrains nus des immeubles bâtis : l’impôt concernait tous les biens soumis aux contributions directes, qu’il s’agisse des terres, même non cultivées, des maisons situées en ville ou à la campagne, affectées à l’habitation ou aux services, des fabriques, etc. La contribution était calculée sur le « produit net », c’est-à-dire, s’agissant des terres, ce qui restait au propriétaire une fois déduits les frais de mise en culture et de main-d’œuvre. La loi ne fixait pas un taux d’impôt uniforme, mais un montant annuel global au niveau du Royaume. En vue de l’adoption de nouveaux critères de détermination des revenus, la réglementation a confié à une commission présidée par le maire la tâche de définir des sezioni (sections) de communes et de décrire les caractéristiques physiques et toponymiques de chacune d’entre elles. Les stati delle sezioni (registres des sections) devaient mentionner le nom, la profession et le lieu de résidence des propriétaires, le numéro du lot correspondant au bien, la désignation des biens, la nature et le type de chaque immeuble, la superficie et la catégorie des fonds ruraux, ainsi que le revenu net imposable10.
16L’ancien système du catasto onciario, dans lequel les estimations étaient effectuées sur la base des déclarations spontanées des propriétaires, s’est trouvé ainsi remplacé par la méthode moderne des relevés directs. Dans la détermination des taux applicables, une véritable inversion de tendance s’était produite par rapport au cadastre précité : alors que celui-ci avait, dans l’ensemble, frappé dans une moindre mesure les immeubles par rapport aux autres catégories de biens, on en venait désormais à imposer davantage les revenus immobiliers, favorisant ainsi les activités liées à la libre industrie ; les taux étaient modulés selon les différentes provinces du Royaume, en tenant compte du degré de richesse des habitants et de la fertilité des terres. Le nouveau système contenait donc, pour la première fois, des données précises sur les caractéristiques physiques des immeubles, l’évolution de leur valeur et leurs mutations, de même que sur la condition sociale de leurs propriétaires et il pouvait par ailleurs se fonder sur le premier recensement des biens ayant appartenu aux seigneurs féodaux.
17En 1809, des dispositions plus précises furent introduites dans l’évaluation des biens fonciers, afin d’éviter les abus et les fraudes. La répartition globale de l’impôt déclencha un mécanisme de contrôle réciproque des communes, mais, d’un autre côté, si les nouvelles règles encourageaient la productivité, l’allotissement des domaines privés et la vente des biens des ordres religieux supprimés allaient avoir pour effet de favoriser les grands propriétaires fonciers et les spéculateurs locaux. En 1813, les défauts de la première opération de cadastre apparaissaient donc à tous, appelant impérativement une inflexion des travaux en cours et, surtout, la réalisation des plans géométriques annoncés.
- 11 AS Na, Catasto provvisorio della Città di Napoli, « Stati delle Sezioni ». Pour une description pré (...)
18S’agissant de Naples, on comprit, surtout après les travaux publics de grande envergure entrepris par les Napoléonides sur les anciens biens féodaux et religieux, que la ville et le régime foncier étaient profondément transformés par rapport aux premières années du règne des Français. Aussi a-t-on commencé à rédiger, à partir de 1814, de nouveaux registres de sections faisant la distinction entre immeubles bâtis et terrains nus, dans le but de réglementer la contribution relative au foncier bâti de la ville. De tels registres sont particulièrement intéressants11 pour l’objet de notre étude, dans la mesure où ils comportent des descriptions précises de l’agencement interne des édifices à leurs différents niveaux et donc des types d’architecture antérieurs aux vastes interventions urbanistiques des XIXe et XXe siècles. Ces informations, qui concernent la totalité du patrimoine urbain de la ville, sont également disponibles, au demeurant, pour les autres centres du sud de l’Italie, par le biais des sources locales du cadastre « provisoire ».
19Après la Restauration en 1817, Ferdinand Ier, soucieux de continuer à encourager dans le Royaume la production agricole et les revenus immobiliers urbains, alla jusqu’à décider le gel des valeurs imposables jusqu’à 1860. En 1818, une mise à jour des cadastres de toutes les communes fut entreprise, le besoin urgent de disposer de plans géométriques ayant été enfin perçu, mais il était encore fait référence aux registres de sections établis sous le gouvernement des Français, comme cela fut fait à l’occasion du dernier relevé cadastral effectué sous les Bourbons, commencé en 1840. La situation du Mezzogiorno devait cependant rester inchangée jusqu’aux années suivant l’Unité : les régions méridionales se caractérisaient encore à cette époque par des structures fiscales gravement lacunaires, qui continuaient à refléter les rapports de force entre les classes détentrices du pouvoir, et les moyens administratifs insuffisants.
III. Les cadastres d’après l’unité
20En 1860, les disparités entre les systèmes de cadastre hérités des États pré-unitaires étaient soudain devenues évidentes : plusieurs étaient en vigueur dans un même État et moins de la moitié des communes de la péninsule étaient dotées de planches graphiques. Aussi la répartition du montant du produit attendu de l’impôt entre les différentes parties du pays avait-elle fait surgir de graves difficultés : en 1864, il fallut promulguer une loi pour instaurer un système provisoire de péréquation et l’année suivante, la loi dite « loi Minghetti » unifia les impôts sur les immeubles bâtis et les distingua de ceux frappant les terrains nus. Même si l’on considère depuis lors que cette loi a consacré le cadastre des immeubles bâtis dans le Royaume d’Italie, elle n’a fait, en réalité, que fixer un impôt basé sur de simples matrices et non sur des registres ou des plans cadastraux. En 1870, le ministre Quintino Sella réussit à faire approuver un règlement concernant l’élaboration d’un véritable cadastre des immeubles bâtis : un relevé des principaux centres urbains a enfin été entrepris dans les provinces dépourvues de cadastre géométrique, même si les méthodes employées étaient encore hétérogènes et ne recouraient pas aux techniques les plus récentes.
- 12 Pour un exemple d’application de l’outil cartographique cadastral post-unitaire, voir Alfredo Bucca (...)
21À ce stade, la restructuration de l’impôt frappant les terrains ne pouvait être plus longtemps différée. Aussi, après la présentation et la discussion devant le Parlement de divers projets, la loi du 1er mars 1886 sur la péréquation en matière foncière fut-elle finalement approuvée. Cette loi poursuivait deux objectifs principaux : évaluer les propriétés immobilières de toute nature, en tenant compte de leurs mutations successives et, comme l’indique l’intitulé même de la loi, établir une péréquation de l’impôt entre les différents territoires du Royaume. À ces fins, elle prévoyait la rédaction d’un nuovo catasto terreni de nature géométrico-parcellaire, s’appliquant de façon uniforme à toutes les communes du Royaume et fondé sur des opérations de mesurage et d’évaluation, sur le modèle du cadastre milanais décrit supra. La planimétrie établie conformément aux dispositions de la loi de 1886 constitue pour de nombreuses communes italiennes la première représentation intégrale de leur territoire et conserve de nos jours un intérêt majeur, tant pour la détermination précise du périmètre des centres historiques, à la suite des bouleversements et agrandissements du XXe siècle, qu’en tant qu’instrument d’étude des différents types d’urbanisme, des phases de développement de l’habitat et de la toponymie historique12.
- 13 Pour approfondir la question ou trouver la reproduction intégrale des planches d’origine du cadastr (...)
22S’agissant de Naples, la réalisation des planches de mise à jour du catasto fabbricati (cadastre des immeubles bâtis) fut confiée de 1894 à 1905 au bureau technique des Finances, sur la base des planches déjà établies de 1865 à 1871 (voir planche 5). Entre-temps, l’établissement du nuovo catasto terreni avait été entrepris. Ce document, publié dans son intégralité dans notre ouvrage, fut complété entre 1892 et 1900 par un relevé géodésique au théodolite puis par l’élaboration de feuilles de plan à l’échelle 1/1000 ou 1/200013 (voir planche 6). Les planches du cadastre des immeubles bâtis n’ont cessé d’être consultées qu’après la Seconde Guerre mondiale, à la suite de la mise en place du nuovo catasto edilizio urbano, alors que le cadastre des terrains nus est toujours consultable : il s’agit, dans les deux cas, de cartes dignes de figurer en bonne place au répertoire de la cartographie historique de la ville.
Planche 5
Naples, cadastre des immeubles bâtis

Ufficio Tecnico di Finanza, Naples, cadastre des immeubles bâtis (1905) quartier Montecalvario. Naples, Agenzia del Territorio del Ministero delle Finanze.
Notes
1 Voir à ce sujet Renato Zangheri, « I catasti », AAVV, Storia d’Italia, Turin, Einaudi, 1973 ; voir également « Documenti », ibid., p. 762 et suiv. ; Massimo Olivieri, « I catasti all’Unità d’Italia », Carlo Carozzi, Lucio Gambi (sous la direction de), Città e proprietà immobiliare in Italia negli ultimi due secoli, Milan, Franco Angeli, 1981, p. 47 et suiv.
2 R. Zangheri, « I catasti », art. cité, p. 767.
3 Ibid., p. 768-806, pour une présentation extensive des systèmes cadastraux de l’Italie pré-unitaire et des débats à ce sujet aux XVIIIe et XIXe siècles. Voir également M. Olivieri, I catasti, op. cit., p. 47-61.
4 Giancarlo Alisio, Alfredo Buccaro, Napoli millenovecento. Dai catasti del XIX secolo ad oggi : la città, il suburbio, le presenze architettoniche, Naples, Electa Napoli, 2000. Voir Alfredo Buccaro, « Recenti acquisizioni per una storia dei catasti a Napoli e nel Mezzogiomo : dalla descrizione alla rappresentazione del tessuto urbano », L’Europa moderna. Cartografia urbana e vedutismo, Cesare de Seta et Daniela Stroffolino (sous la direction de), Naples, Electa Napoli, 2001 et Alfredo Buccaro, « Città ed evoluzione della consistenza immobiliare tra Sette e Ottocento : i catasti napoletani », Città e storia, n. s., a. I, 2004, n. 0, Actes du 2e Congrès de l’Associazione italiana di Storia urbana (Rome, 24-26 juin 2004).
5 Voir, en particulier, la documentation conservée, pour l’ensemble du territoire du Royaume, dans les Archives d’État de Naples (Archivio di Stato di Napoli, ci-après AS Na), Catasto onciario.
6 R. Zangheri, « I catasti », art. cité, p. 768.
7 Voir à ce sujet Teresa Colletta, « Napoli. La cartografia pre-catastale », Storia della Città, nos 34 et 35 (1987), p. 5-177.
8 AS Na, Atti superstiti della decima, fasc. 4 à 16, plusieurs feuillets. Voir également Alfredo Buccaro, « Il sistema catastale nello Stato napoletano e in Italia : dal metodo " descrittivo " murattiano al rilevamento geometrico-particellare postunitario », Giancarlo Alisio, Alfredo Buccaro, Napoli millenovecento, op. cit., p. 22.
9 Umberto Bile, « Luigi Marchese, Ingegnere Camerale », Napoli 1804. I siti reali, la città, i casali nelle piante di Luigi Marchese, Catalogue de l’exposition (Naples, 21 décembre 1990-3 mars 1991), Naples, Electa Napoli, 1990, p. 22. Les plans des hameaux établis par Marchese sont conservés par le Musée Campano de Capoue et publiés dans Napoli-Spagna, Archittetura e Città nel XVIII secolo, Alfonso Gambardella (sous la direction de), Naples, Ed. scientifiche italiane, 2003 : voir en particulier Omella Cirillo, « "A Nord del Vesuvio" : i casali di Somma nelle piante di Luigi Marchese. Insediamenti rurali e monastici », p. 293-315.
10 A. Buccaro, « Il sistema catastale… », art. cité, p. 25 et suiv.
11 AS Na, Catasto provvisorio della Città di Napoli, « Stati delle Sezioni ». Pour une description précise du contenu et de l’utilité de ces registres, voir A. Buccaro, « Il sistema catastale… », art. cité, p. 30-31. Pour une utilisation de cette source aux fins de l’analyse sociologique de la noblesse urbaine des XVIIIe et XIXe siècles, voir A. Buccaro, « Modelli funzionali della residenza nobiliare napoletana : le fonti catastali », L’uso dello spazio privato nell’età dell’Illuminismo, G. Simoncini (sous la direction de), t. II, Florence, Olschki, 1995, p. 455-475.
12 Pour un exemple d’application de l’outil cartographique cadastral post-unitaire, voir Alfredo Buccaro (sous la direction de), Le città nella storia d’Italia. Potenza, Rome-Bari, Laterza, 1997, pas sim.
13 Pour approfondir la question ou trouver la reproduction intégrale des planches d’origine du cadastre des terres post-unitaire, voir G. Alisio, A. Buccaro, Napoli millenovecento, op. cit., passim. Cet ouvrage présente des superpositions graphiques réalisées par ordinateur à partir des plans cadastraux de la fin du XIXe siècle et le relevé actuel des quartiers urbains, outre des photographies aériennes à caractère historique et un index toponymique accompagné d’une liste complète des éléments naturels, architecturaux et industriels relevés sur les cartes.
Table des illustrations
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Titre | Planche 1Plan cadastral de Turin, 1823 |
Crédits | A. Gatti, Mappa catastale diparte della città di Torino, 1823. Torino, Archivio storico del Comune, de Connoli-Manchacci. |
URL | http://books.openedition.org/igpde/docannexe/image/10918/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 146k |
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Titre | Planche 2Plan cadastral de Milan, 1722 |
Légende | G. Filippini, Mappa catastale della città di Milano, 1722.Milan, Direzione dell’Ufficio Tecnico Erariale (de Gambi-Gozzoli). |
URL | http://books.openedition.org/igpde/docannexe/image/10918/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 128k |
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Titre | Planche 3Cadastre-plan de Rome, 1819-1824 |
Légende | Cadastre-plan de Rome, 1819-24 ; f° relatif à Rione Campitelli. Rome, |
Crédits | Archivio di Stato. |
URL | http://books.openedition.org/igpde/docannexe/image/10918/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 117k |
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Titre | Planche 4Cadastre « onciario » de Caserte, 1749 |
Légende | Catasto onciario della cittá di caserta, 1749, Naples, |
Crédits | Archivio di stato. |
URL | http://books.openedition.org/igpde/docannexe/image/10918/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 128k |
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Titre | Planche 5Naples, cadastre des immeubles bâtis |
Légende | Ufficio Tecnico di Finanza, Naples, cadastre des immeubles bâtis (1905) quartier Montecalvario. Naples, Agenzia del Territorio del Ministero delle Finanze. |
URL | http://books.openedition.org/igpde/docannexe/image/10918/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 151k |
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Titre | Planche 6Naples, nouveau cadastre (1895-1900) |
Légende | Ufficio Tecnico di Finanza, Naples, nouveau cadastre (1895-1900). Quartier Vicaria. Naples, Agenzia del Territorio del Ministero delle Finanze. |
URL | http://books.openedition.org/igpde/docannexe/image/10918/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 112k |
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