Conclusion
p. 211-215
Texte intégral
1L’histoire du royaume de Fetu est l’histoire d’un micro-Etat maritime, déjà puissant et intégré aux réseaux commerciaux longue-distance avant l’arrivée des Portugais. Le commerce transsaharien apportait à l’aristocratie du pays les produits de prestige qui lui servaient à matérialiser son prestige et son pouvoir, et contribuait à son enrichissement. L’arrivée des Européens – qui proposent leurs tissus et leurs minerais contre l’or abondant que produit la zone forestière – à la fin du XV° siècle, place soudainement ce petit royaume au cœur des échanges commerciaux transatlantiques entre puissances européennes et le monde Akan.
2Aux XV° et XVI° siècles les Portugais, isolés sur la frange, côtière dans leur forteresse, dépendent des Africains pour leur approvisionnent en eau et en vivres, et doivent déployer une intense activité diplomatique dans la région afin d’assurer l’arrivée régulière de l’or à la factorerie et de réfréner le trafic interlope. Les Fetu, qui entendent défendre leurs intérêts et non ceux des Portugais, font rapidement le choix interlope et sont au coeur d’un grand nombre de crises avec les Portugais, crises qui se dénouent parfois par un affrontement armé. La situation écologique de la Côte de l’Or qui empêche l’implantation de chevaux, la forêt, qui neutralise l’efficacité des armes à feu, enfin la combativité des Africains qui s’adaptent aux pratiques européennes de la guerre totale en adoptant des pratiques de la guérilla, permettent aux Fetu de défendre farouchement leur indépendance et de garder le contrôle des routes qui passent par leur territoire. Les Fetu échappent ainsi à la domination sociale qui caractérise la situation coloniale. Cette situation permet au commerce atlantique de s’épanouir sur ces côtes africaines de manière à ce que chaque partie y trouve son compte, tandis que les akanistes, ces puissants commerçants de l’intérieur, relient le trafic côtier au commerce longue-distance et acheminent les produits européens dans la zone forestière.
3La guerre que mènent les Etats côtiers pendant cette période apparaît comme une modalité relationnelle régulière qui vise à établir une hiérarchie entre Etats et qui, fortement reliée à un arrière-plan religieux, limitée dans le temps et dans l’espace, assure, entre de courts affrontements, des périodes de paix et de sécurité. Cette guerre est également le fait de sociétés aristocratiques au groupe dirigeant étroit. Si les causes de la guerre sont toujours d’ordre politique, les pratiques guerrières visent à l’accaparement des richesses des voisins : la compétition qui dresse régulièrement les Etats Akan les uns contre les autres vise à l’accumulation des richesses.
4Les Portugais qui n’ont d’autre moyen d’action que la corruption et la diplomatie, perdent peu à peu prise sur le trafic de l’or sur cette côte ; le rejet des Portugais par les royaumes côtiers précipite leur éviction de la Côte de l’Or au profit des Hollandais, Danois, Suédois et Anglais, et des commerçants interlopes qui continuent à affluer sur cette côte.
5Intermédiaire obligé entre Européens et royaumes de l’intérieur producteurs d’or, grâce à son ouverture sur la mer et à l’implantation du fort de Saint Georges de la Mine sur sa frontière occidentale, puis des forts de Cape Coast et Frederiksborg sur son littoral. Fetu prospère sur le commerce d’un or qu’il ne détient pas pour l’essentiel. L’aristocratie de Fetu, les ofan, devient une sorte d’"aristocratie-courtière" en faisant des fructueuses activités commerciales son privilège, et en intégrant les roturiers enrichis. L’aristocratie neutralise ainsi les risques de déstabilisation des structures traditionnelles du pouvoir par un enrichissement anarchique d’une partie de la population et s’approprie une grande partie des bénéfices du commerce atlantique.
6L’enrichissement de Fetu, les activités commerciales et diplomatiques de ses princes-marchands et notamment des dey, les liens de ce royaume avec l’Akani et Accra, avec les animateurs des circuits commerciaux de la Côte de l’Or, les akanistes, des victoires militaires enfin, font de Fetu un des pôles politiques et économiques de cette côte dans la deuxième moitié du XVH° siècle. Puissance politique régionale. Fetu contribue largement à exacerber la concurrence entre Européens, ce qui lui permet de se poser en arbitre entre les compagnies commerciales européennes en ce qui concerne leurs activités sur son littoral jusque dans les années 1670.
7 La montée en puissance des princes-marchands dans les années 1640 et leur contrôle du trafic commercial mené avec les Européens, au détriment de la monarchie, contribue toutefois à affaiblir cette dernière qui dispose d’un faible pouvoir de coercition et ne peut plus remplir sa fonction de redistributrice des richesses. Ceci se traduit par une perte de prestige et une instabilité sociale.
8La guerre connaît durant cette période des évolutions qui traduisent l’évolution du contexte régional. Il s’agit de guerres plus longues, sans doute plus meurtrières, et qui sont un facteur d’insécurité, contrairement aux guerres du début du XVII° siècle. Les guerres qui opposent les Etats côtiers aux Etats de l’intérieur durant cette période sont plus radicales et ne trouvent pas de conclusion rapidement ; la guerre qui oppose Fetu à l’Akani en 1666 dure deux ans et reste, après le retour des akanistes à Fetu, un facteur de troubles. En rendant vital l’accès au littoral et en orientant une grande partie des flux commerciaux vers la côte, le commerce transatlantique semble être le grand responsable de cette évolution. L’enjeu n’est plus dans ce cas d’établir une hiérarchie entre Etats, mais d’assurer un accès aux marchandises européennes et l’écoulement de l’or, enjeu considérable qui impose une solution radicale.
9La guerre Fetu-Asebu de 1694 ainsi que les guerres Komenda qui débutent la même année et embrasent toute la partie centrale de le Côte de l’Or, traduisent quant à elles une modification des relations afro-européennes. Les Européens, qui paient des ligues d’Etats côtiers et de l’immédiat hinterland afin de mobiliser des armées qui défendent leurs intérêts, établissent un type de rapports nouveau avec les Etats de la Côte de l’Or et renforcent leur emprise sur ceux-ci. Il est clair que l’or est le nerf de ces guerres, or versé par les Européens pour constituer des coalitions qui défendent leurs alliés, ou par les Etats côtiers qui cherchent à se venger de l’attaque d’une coalition ou d’un voisin. Ces guerres sont, de 1694 à 1700 un facteur d’insécurité considérable et sont en grande partie responsables de la réorientation du commerce atlantique vers la traite négrière.
10La chute du royaume de Fetu frappe par sa soudaineté : à l’apogée de sa puissance dans les années 1660, Fetu n’est plus qu’une puissance mineure trente cinq ans plus tard. Cette chute est indirectement liée à la présence des Européens sur la Côte de l’Or. C’est la modification du contexte politique régional qui va balayer l’équilibre qui permettait à Fetu de tirer profit, sur les plans politique et économique du commerce atlantique. La menace Denkyira, de plus en plus impliqué dans les affaires côtières à partir des années 1680, va pousser la monarchie à se lier aux Hollandais en 1688, en échange de leur protection. Dès lors la position de Fetu est fragilisée vis-à-vis des Européens qui voient enfin ce partenaire difficile entrer dans un lien de dépendance avec eux. Dans le même temps, l’instabilité sociale qui transparaissait dès les années 1660 et s’exprimait par une opposition des dey à la monarchie, s’exacerbe et s’exprime par une opposition entre pro-Hollandais et pro-Anglais, puis débouche sur la guerre civile et la sécession des Cape Coast. La puissance d’Edward Barter et ses liens avec les caboceeros de Fetu à la fin du XVII° siècle, montrent que la monarchie avait à cette époque perdu toute prise sur les acteurs du commerce atlantique. Le clientélisme mis en place par les Anglais par l’intermédiaire de ce précieux allié et l’annexion des flux commerciaux passant par Cape Coast au profit des Anglais, closent définitivement l’époque où le pouvoir politique à Fetu contrôlait l’activité des Européens sur le littoral du royaume. Plus grave, la monarchie perd également toute prise sur les acteurs africains du commerce atlantique et sur une partie de la population qui prend les armes contre elle. La monarchie doit dès lors faire face à une instabilité sociale et à l’interventionnisme des Européens qui jouent sur cette instabilité sociale. A ces difficultés s’ajoute la menace Fanti.
11Les guerres Fanti, qui débutent dans la première décennie du XVIII° siècle, ne sont pas les guerres de la première moitié du XVII° siècle axées sur le pillage, la destruction des richesses de l’adversaire, et la perception du tribut. Elles sont également différentes des guerres Komenda, guerres longues, qui étaient basées sur la constitution de ligues d’Etats africains, ligues qui se défaisaient aussi rapidement qu’elles se constituaient. Les Fanti ne déclarent pas la guerre car ils n’ont pas pour objectif de mesurer leurs forces avec celles de leurs voisins : ils ont un projet confédéral. Ils veulent contrôler les Etats Fanti occidentaux qu’ils combattent et lier leurs aristocraties aux leurs dans le but de défendre des intérêts communs et de faire face à la menace Ashanti. Ceci montre que les Fanti, comme les Etats Akan de l’intérieur, Denkyira et Ashanti, étaient parvenus à un niveau d’accumulation et de production supérieur, ce qui nécessitait l’adoption de structures politiques différentes et de dépasser le cadre trop étroit des micro-Etats. Fetu, qui était un des plus petits de ceux-ci, a, plus que tout autre, souffert de cette nouvelle conjoncture. La chute de Fetu, son affaiblissement progressif, puis sa disparition totale nous semblent donc être, avant tout, le fruit des profondes évolutions sociales et politiques régionales qui ont bouleversé la nature des liens tissés entre les Etats de la Côte de l’Or, ainsi que le type de relations établies avec les Européens.
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