Chapitre VIII. Les guerres Komenda et les guerres fanti : une autre guerre
p. 199-202
Texte intégral
1Les guerres Komenda que nous avons rapidement résumées, tout comme la guerre de 1694 opposant Fetu à Asebu, s’inscrivent en rupture totale avec les pratiques de la guerre traditionnelle Akan. On assiste en effet à la mise en place, à l’initiative des Européens, de vastes coalitions impliquant des royaumes côtiers et des royaumes de l’intérieur. Ces coalitions ont pour lien l’or qu’Anglais et Hollandais proposent aux Adom, Denkyira, Twifo, Cabesterra, Sabu, Fanti et Akani afin de gagner le concours de leurs armées. Le témoignage de W. Bosman est à cet égard éloquent. Selon W. Bosman, le commandant d’Elmina en 1694 "eut pû mettre une armée en campagne, composée des peuples de Juffer1 et de Cabesterra pour moins de 50 000 francs”2. En 1695, les Hollandais tentent de rallier les Fantin pour la somme de 9 000 florins3 ; malheureusement pour les Hollandais, les Anglais leur versent une somme légèrement supérieure afin de les neutraliser4. De plus, W. Bosman précise que les guerres Komenda ont coûté en quatre ans 6 000 livres sterling, somme répartie entre les cinq alliés des Hollandais5. Il est donc clair qu’à la fin du XVII° siècle, l’argent devient le nerf de la guerre. La place de l’argent dans la guerre semble également devenu déterminant en ce qui concerne les guerres entre Africains. W. Bosman signale à cet égard : "Ceux qui sont attaquez, voulans se venger d’une telle infraction, & n’ayans pas assès de force pour cela, s’adressent à un autre pays & en achètent le secours dont ils ont besoin, ce qu’ils peuvent faire pour moins de vingt mille livres, & ceux qu’ils achètent, sont obligez pour cet argent de se fournir de munitions de guerre"6.
2En ce qui concerne la mobilisation des hommes, W. Bosman précise que les petits royaumes côtiers alignent généralement 4 000 hommes si c’est une guerre offensive, et un peu plus si c’est une guerre défensive ; les royaumes de Fanti et Aquambo pouvant eux aligner chacun 25 000 hommes. En outre, les deux coalitions qui s’affrontaient lors des guerres Komendo auraient regroupé chacune environ 25 000 hommes7. J. Barbot, comme Bosman, insiste sur la faiblesse des effectifs des armées qui constituent les camps adverses lors d’une guerre, et précise que pour 50 marcs d’or, rarement plus, les rois ne peuvent mobiliser une grosse armée8.
3La mortalité due aux guerres semble rester peu élevée. W. Bosman signale en effet que lors des guerres : "il se tue peu de monde de part et d’autrq". Lors de la dernière bataille des guerres Komenda qui eut lieu en 1700 et opposa les Komendo aux Asebu, "il ne resta tout au plus que cent hommes sur la place". Toutefois, W. Bosman avance le chiffre de 1 000 morts lors des combats les plus durs9. La place des provocations reste déterminante, ce qui fait dire à W. Bosman, comme à ses prédécesseurs, "cela semble plus une singerie qu’un combat"10.
4En revanche la durée des guerres a considérablement évolué. Alors que les guerres du début du siècle se résumaient à quelques batailles et trouvaient une conclusion rapidement, les guerres Komenda débutent en 1694 et s’achèvent en 1700. Ceci modifie radicalement la nature de la guerre qui cesse d’être un facteur de paix et de sécurité. Une crise qui s’étale sur plusieurs années constitue un facteur d’insécurité, et a forcément des répercussions sur les activités économiques.
5Il est important de souligner par ailleurs que malgré le développement de la traite négrière sur la Côte de l’Or, il ne semble pas que des guerres aient eu lieu dans le but de se procurer des esclaves. Les guerres fournissent des esclaves, mais l’asservissement des vaincus n’en est ni la cause ni le but.
6Les guerres Fanti, contrairement aux guerres Komenda, sont des guerres courtes. Fetu doit faire face plusieurs fois aux Fantin entre 1679 et 172011. Ces guerres n’ont pas lieu à l’initiative des Européens mais des Fantin qui, contrairement aux Fetu, conservent toute leur indépendance face aux Européens12. J. Barbot insiste sur le fait que les Fantin déclarent rarement la guerre : une fois que les caboceeros et les mancevos ont pris la décision d’agresser un pays voisin, ils font irruption dans ce pays "sans la moindre notification"13. Le plus important est que l’objectif des Fanti est nouveau : alors que dans la première moitié du siècle, l’Etat vainqueur laissait l’Etat vaincu livré à lui-même, pourvu qu’il paie son tribut, les Fanti ont la volonté de contrôler les vaincus (notamment Asebu et Fetu) après leur défaite. Ainsi après leur victoire de 1707 sur Fetu, les Fanti menacent d’installer un nouveau roi à Fetu14. De même, l’attaque de Fetu par les Fanti en 1711 a lieu car les Fanti sont mécontents de l’influence des Anglais à Fetu15. Pour les Fanti, il ne s’agit plus seulement de mesurer le rapport de force afin de modifier la hiérarchie établie entre Etats, il s’agit de constituer un ensemble politique, sur une base culturelle, afin de faire face à la menace Ashanti. Les Fanti, après leurs victoires, proposent aux Fanti occidentaux de lier leurs aristocraties aux leurs et de créer des structures d’intégration fédérale. Ceci modifie la nature et le but de la guerre et indique que les Fanti sont parvenus à un niveau de production et d’accumulation supérieur. La montée en puissance des Etats forestiers a également probablement favorisé l’émergence ou le développement d’une idéologie "pan-Fanti" chez les Fanti Borbor. Le processus de regroupement étatique qui avait lieu dans l’hinterland Akan émerge donc également sur la côte, mais prend une forme sensiblement différente : confédérale.
7La guerre à la fin du XVII° siècle conserve donc son caractère rituel, où la provocation garde une large place, et son caractère aristocratique. Toutefois, la légère augmentation de la mortalité, le rôle considérable que prennent les armes à feu, l’absence de déclaration de guerre et surtout la volonté des Fanti de lier à leur fédération les Etats culturellement proches d’eux, modifient l’enjeu et la nature de la guerre.
Notes de bas de page
1 Kuifor, sur la carte de 1629, luffer ou quiforo sur la carte de 1729.
2 Bosman, W., 1705, p. 37.
3 Soit 27 marcs ou encore 216 onces d’or.
4 Bosman, W., 1705, p. 40.
5 Soit 12 000 marcs ou encore 96 000 onces d’or. Voir Bosman, W., 1705, p. 186.
6 Bosman, W., 1705, p. 184. Selon J. Barbot, promettre l’assistance de son armée à un voisin en guerre ou aux Européens est une source de revenus pour les rois, et "s’il n’y avait ces moyens extraordinaires pour se faire de l’argent pour défrayer les grandes dépenses qu’ils doivent faire, il serait difficile pour eux de subsister". Voir Barbot, J., in Churchill, J., 1732, p. 287.
7 Bosman, W., 1705, p. 186.
8 Soit 400 onces d’or. Barbot, J., in Churchill, J., p. 294.
9 Bosman, W., 1705, pp. 186-187. Voir également Barbot qui reprend les mêmes chiffres. Barbot J., in Churchill, J., 1732, p. 295.
10 Bosman, W., 1705, p. 188.
11 En 1679, 1707, 1711, 1720. Voirpp. 205-206.
12 Voir Bosman qui précise : "les Negres de Fanti tourmentent horriblement les Anglois, et les renferment quelquefois dans leur propre fort". Bosman, W., 1705, p. 63.
13 Barbot, J., in Churchill, J., 1732, p. 294.
14 Van Dantzig, A., 1980, pp. 177-178.
15 Daaku, K.Y., 1970, p. 93.
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