Chapitre VI. Un monde qui change, la guerre en mutation
p. 167-179
Texte intégral
Dans la seconde moitié du XVII° siècle, tandis que le contexte politique régional se modifie, les pratiques guerrières des Fanti évoluent. Plusieurs facteurs entrent en jeu, en ce qui concerne la cause de ces évolutions. Nous proposons ici en premier lieu de souligner quelles sont ces évolutions puis de les mettre en relation avec l’évolution du contexte régional.
1. LE SYSTEME DES ASAFO
Le rôle et l’organisation des asafo
1Un asafo1 est "l’organisation des hommes valides capables de combattre2". Il s’agit de compagnies militaires dont le recrutement s’effectue sur une base territoriale (village, ville, quartier. Etat) et au sein desquelles la transmission des pouvoirs s’effectue en ligne patrilinéaire. De plus, un fils appartient en principe à l’asafo de son père. Les Fanti disent que cela s’explique par le fait qu’un individu hérite de l’Egyabosom3 de son père, c’est-à-dire qu’il hérite des qualités de son père, ainsi que des mêmes interdits (alimentaires par exemple)4, et honore le même Obosum. L’egyabosom et les asafo renforcent donc la composante patrilinéaire dans une société au mode de parenté matrilinéaire. Le système des asafo permettait aux Fanti de mobiliser très rapidement une armée organisée et hiérarchisée malgré l’absence d’armée permanente. Le rôle des asafo est avant tout de faire la guerre pour défendre l’Etat d’une agression extérieure5.
2Le XVII° siècle est marqué par le développement dans les Etats Fanti de la Côte de l’Or du système des asafo. Les asafo ont progressivement pris une importance de plus en plus grande en pays Fanti, surtout dans les villes côtières où ils imprègnent, au moins depuis le XVIII° siècle, toute la vie sociale. En temps de paix, ils servent de police intérieure, peuvent réaliser des travaux d’utilité collective comme la construction d’une route ou d’un édifice public, organiser des activités récréatives et intervenir pour la tenure et l’utilisation du sol6. En outre, des asafo sont créés afin d’accueillir uniquement les proscrits ou les condamnés pour faute grave7, ce qui permet à ces derniers de rester socialement intégrés. Il existe par ailleurs des asafo regroupant les métis, comme c’est le cas à Cape Coast où l’asafo des métis s’appelle Akrampa8, et certains asafo accueillent des femmes.
3Par ailleurs la participation des asafo est indispensable lors des grandes fêtes annuelles et lorsqu’un omanhene entre en fonction, l’approbation des asafo est également indispensable afin que sa légitimité soit établie. Les asafo des Etats côtiers ont également un rôle important à jouer dans le processus de la déposition d’un omanhene9.
4Le chef des asafo d’un Etat est le tufohin ; à Fetu, c’est le braffo qui occupe cette fonction. Un asafo est commandé par le supi et peut être composé de plusieurs compagnies (etsikuw), chaque compagnie ayant à sa tête un safohen. Le safohen, le supi et d’autres officiers de l’asafo comme l’abrafo (le bourreau) et l’okyeame (qui parle au nom du supi) entrent en charge à l’issue d’un rituel spécifique10. Les asafo se distinguent les uns des autres par l’adoption de couleurs, de musiques, d’instruments de musique, de drapeaux, de tambours, de divinités tutélaires, de devises et même de structures internes spécifiques11. Ils sont traditionnellement en rivalité les uns avec les autres.
Le problème de l’origine des asafo
5L’origine des asafo et la date à laquelle ils sont apparus pose problème. Il semble certain que les Européens n’ont joué aucun rôle dans leur formation et leur développement ; l’origine des asafo serait donc purement endogène12. Aucun auteur européen n’a parlé d’asafo avant le XIX° siècle, bien qu’ils existaient probablement bien auparavant. Il est remarquable à cet égard que dans les années 1660, W.J. Müller ne parle aucun moment d’asafo. Toutefois dans la liste de mots utilisés par les Fetu relevés par W.J. Müller, on trouve le mot "Assqffù" traduit par soldat13. Il est donc probable que les asafo existaient à cette époque à Fetu, mais qu’ils n’avaient pas encore pris l’importance qu’ils auront au XIX° siècle et conservent jusqu’à ce jour.
6En assimilant les mancevos aux membres des asafo, A.K. Datta et R. Porter formulent l’hypothèse que les asafo existaient dès la période portugaise, sinon avant14. Il est remarquable à cet égard que selon O. Dapper, les Hollandais prirent le fort d’Elmina aux Portugais "après avoir gagné à force de promesse la jeunesse de Commendo"15. En outre, Selon A. Van Dantzig, les Elmina mirent leurs mancevos au service des Portugais16.
7Le rôle de l’assemblée des mancevos de Fetu décrite par W.J. Müller semble effectivement très comparable à celui d’une assemblée d’asafo, et comme les asafo au XVIII° siècle, Müller précise que les mancevos avaient une position reconnue au sein de l’Etat (mais qu’ils n’étaient pas pris au sérieux)17.
8Le témoignage de W. Bosman semble confirmer que les mancevos étaient en fait les membres des asafo. Les mancevos d’Axim formaient en effet une assemblée qui siégeait au même titre que l’assemblée des caboceeros, et en parlant du conseil auquel participaient les mancevos d’Axim, Bosman précise effectivement : "il est particulièrement pour les affaires de guerre"18.
9Certains chefs Fanti disent que les asafo viennent du royaume d’Asebu,19 d’autres que les asafo auraient été apportés de Tekyiman20. Les Asebu ne viennent pas de Tekyiman, contrairement aux Fanti, mais de la région du Bénin21. Il est donc possible qu’ils aient apporté avec eux une organisation militaire spécifique et inconnue des autres Etats Fanti, puis que cette organisation se soit popularisée grâce à son efficacité. Toujours selon certains chefs Fanti, les asafo se seraient répandus grâce à la circulation des femmes d’un Etat à un autre22. Par ailleurs, le système de recrutement territorial des asafo a trouvé chez les Fanti un terrain favorable à leur implantation. En effet, les villes et villages Fanti étaient autrefois organisés en quartiers (bron) entourés de palissades et qui ont pu servir de cadre à la constitution de compagnies asafo. A cet égard, A.K. Datta et R. Porter précisent : "il y a correspondance entre la division d’une ville en compagnies et ses divisions en quartiers", de plus, "en fin de compte, beaucoup de compagnies ont des noms qui semblent avoir été à l’origine des noms de quartiers"23.
2. LA DIFFUSION DES ARMES A FEU ET L’EVOLUTION DE L’ARMEMENT
10Les Portugais avaient officiellement interdiction de vendre des armes à feu (arquebuses et mousquets) aux Africains, pour des raisons politiques et religieuses24. Cette interdiction sera respectée par les Portugais ; jusqu’à la fin du XVI° siècle, peu d’armes à feu circulent parmi les Africains sur la Côte de l’Or. Pieter de Marees signale toutefois dès 1602 : "Ils achaptent désormais eulx mesmes beaucoup de arcquebuses & commencent à les manier fort d’extrement, ayans l’entendement qu’une harquebuse longue porte plus avant que une courte, ce que les Portugois & nous leur monstrons assez"25.
11Les armes à feu restent cependant peu répandues sur cette côte durant la première moitié du XVII° siècle. Le témoignage de S. Brun montre que les Hollandais, dans les premières décennies du XVII° siècle, préféraient engager leurs soldats aux côtés de leurs alliés africains, plutôt que de leur vendre des armes à feu. C’est ce qu’ils firent en 1613 lorsque les Accra leur demandèrent aide et assistance pour faire face aux Etsi : vingt soldats hollandais furent engagés et rémunérés deux bendas chacun par le roi d’Accra qui remporta ainsi une grande victoire26. De même les Hollandais s’engagèrent aux côtés des Asebu face aux Komendo en 16 1 827.
12Toutefois, la vente ou le don de mousquets étant un acte particulièrement apprécié des Africains, les Européens effectuent des cadeaux d’armes à feu afin de se concilier les autorités politiques de la côte. Ainsi, en 1646, les caboceers de Fetu se voient offrir 30 mousquets et de la poudre par des commerçants anglais qui sollicitent la permission de bâtir une loge commerciale sur le littoral du royaume28. De même, le commentaire de la carte de 1629 précise au sujet des Asebu : "ces soixante ou soixante dix mousquets qu’ils nous ont emprunté les ont beaucoup aidé, car certains d’entre eux savent très bien s’en servir, et aussi deux petits "gootelintins" [il s’agit de petits canons de campagne], qui leur ont été prêtés pour leur assistance"29. Les Asebu sont les premiers à notre connaissance à avoir utilisé de l’artillerie. A la fin du siècle, W. Bosman écrit : "il est vrai qu’il y en a quelques-uns qui ont du canon ; le Roi de Saboe en a quelques pièces ; mais ils s’en servent fort mal. Il est bien arrivé qu’ils en ont mené en campagne, & qu’ils en ont tiré une fois, après quoi ils l’ont laissé prendre aux ennemis, comme on en a vu un exemple dans ceux de Commany ; & ceux qui l’avoient pris ne sçavoient pas mieux s’en servir que les autres, de sorte que le canon ne sert à ces Rois, que pour faire quelques décharges à l’honneur de quelqu’un, ce qu’ils aiment particulièrement"30. De même, les Anglais, afin de soutenir les royaumes ennemis des alliés des Hollandais, vendent en 1646 une quantité inconnue de mousquets à Abrem qui s’oppose aux Fetu et Komendo, alliés des Hollandais31. Le roi de Fetu réagit en envoyant aux Hollandais d’Elmina une chèvre afin de recevoir en échange "un peu de poudre"32, ce qui prouve qu’il possède déjà les mousquets qui lui permettront de faire face aux Abrem. Dès 1633, les Fetu remportent une victoire face aux Komendo avec "beaucoup de mousquets"33. En 1647, le braffo de Fetu a vingt quatre hommes équipés de mousquets.
13La vente d’armes à feu est donc pour les Européens dans les années 1640 un bon moyen de s’immiscer dans les affaires des royaumes côtiers. A partir des années 1650 et 1660, elles deviennent simplement un marché à saisir et elles sont importées par les Hollandais et les Anglais sur la Côte de l’Or par centaines, voire par milliers34. La concurrence est en grande partie responsable de la diffusion de plus en plus large des mousquets35 : les Hollandais, les commerçants interlopes et surtout les Anglais emportent sur la Côte de l’Or des armes à feu comme produit d’échange beaucoup plus facilement que ne le faisaient les Portugais.
14La demande d’armes à feu ne cesse d’augmenter sur la Côte de l’Or dès la deuxième moitié du XVII° siècle, et l’offre suit la demande. Le nombre d’armes à feu dont disposent les Etats côtiers monte ainsi très rapidement. En octobre 1652, lors d’une assemblée avec les Hollandais et les akanistes, le roi de Fetu regroupe trois à quatre cents hommes armés de mousquets36. WJ. Müller indique ainsi qu’au temps des Portugais, l’usage des armes à feu était inconnu des Fetu, mais "aujourd’hui, cependant, ... les mousquets sont assez courants parmi eux, et ne sont pas seulement utilisés les jours de célébration ou de funérailles37, mais aussi lors des guerres ouvertes... C’est devenu un marché libre, de sorte qu’on peut constater avec regret quelle quantité de mousquets anciens ou neufs sont vendus ici’’38. O. Dapper précise à la même époque : "Les Portugais ont appris aux Nègres de la côte à tirer de l’arquebuse, et les Hollandais leur portent encore tous les jours des mousquets. Les habitants de la Mine ont si bien profité dans cet exercice que peu s’en faut qu’ils ne soient plus habiles que les Européens leurs maîtres"39. L’usage des armes à feu dans les années 1660 est également répandu dans les royaumes de l’intérieur. W.J. Müller précise par exemple que la victoire de Fetu sur Abrem en 1666 est due à une tempête dans laquelle furent pris les Abrem sur le chemin du combat, tempête qui mouilla les mèches de leurs mousquets et les rendit inutilisables40. Les armes à feu sont donc, à cette époque, un élément déterminant de l’issue du combat et une arme largement utilisée. Les akanistes, qui commercent avec les Anglais sur la côte transportent des armes à feu à l’intérieur, en Akani et sans doute plus au nord. W.J. Müller précise ainsi : "[les akanistes], ont une connaissance particulière pour reconnaître et tester la poudre... quand le baril de poudre est ouvert, ils prennent immédiatement de la poudre et sentent si elle est trop humide ou trop sèche ; ils la frottent avec leurs doigts dans la paume de leur main et regardent prudemment si les grains de poudre sont beaux et ronds, et ils testent si elle prend feu aisément"41. Les akanistes font donc, avec la poudre, preuve du même professionnalisme qu’avec les autres marchandises européennes, ce qui prouve qu’ils ont une grande expérience de cette marchandise, de ses qualités et de ses défauts, donc qu’ils en font un commerce courant dans les années 1660.
15W. Bosman précise à la fin du siècle : "ils ont l’arc et les flèches, mais les Nègres qui sont sur la côte, excepté ceux d’Aquamböe, ne s’en servent gueres"42. Ceci permet de penser que les armes à feu se sont suffisamment répandues sur la côte dans les années 1690 pour être devenues d’un usage courant et pour avoir peu à peu supplanté l’arc et les flèches : de deux armes de combat à distance, la plus efficace a été retenue. W. Bosman note également qu’en 1694, le roi de Komendo réussit à défaire les Hollandais et ses alliés lors des guerres Komendo "grâce à ses mousquets"43, ce qui signifie que le niveau d’équipement en armes à feu des royaumes côtiers déterminait en partie l’issue du combat. Or, chaque "système d’arme" a ses "implications sociales et politiques", l’arc et la flèche étant des armes "démocratiques" par excellence, car faciles à fabriquer et à se procurer, les armes à feu étant, au contraire, faciles à soumettre à un contrôle centralisé44. La diffusion des armes à feu permet donc à l’Etat de renforcer son pouvoir par le contrôle de la répartition et de l’utilisation de l’armement. Bien qu’il soit erroné de voir un lien de causalité mécanique entre la constitution et la montée en puissance des Etats de l’intérieur et la diffusion des arme à feu dans l’hinterland Akan, on constate que ces deux phénomènes ont eu lieu simultanément. La diffusion des armes à feu dans l’hinterland Akan a donc probablement accéléré le processus de concentration étatique qui permettra la montée en puissance du Denkyira puis de l’Ashanti45.
16Au début du XVIII° siècle, les armes à feu sont finalement l’article d’importation le plus demandé sur la Côte de l’Or, en raison des guerres continuelles qui déstabilisent toute la région. En juin 1702, De la Palma46 écrit à l’assemblée des dix47 de la W.I.C. : "les guerres continuelles, font dévier les pratiques commerciales ordinaires des natifs ; pour cette raison, le marché semble ne demander à présent que des mousquets et de la poudre, et seulement de la meilleure qualité. Pour le commerce de la Côte de l’Or nous n’avons besoin de rien d’autre que d’une bonne quantité de carabines, du type dont je vous ai envoyé un exemple, de bons mousquets longs ., ."48. La diffusion et l’importation d’armes à feu, de plus en plus massivement sur la Côte de l’Or à partir des années 1650, a sans doute eu des répercussions sur les techniques de combat. Elles vont rapidement devenir un enjeu politique, la détention massive d’armes à feu par les puissances de l’intérieur étant liée à leur développement. La victoire de l’Ashanti sur le Denkyira en 1699 sera ainsi en partie due au bon approvisionnement des Ashanti en armes à feu provenant de la côte.
3. L’EVOLUTION DES PRATIQUES GUERRIERES
17Les journaux du fort d’Elmina de 1645 à 1647 montrent que Fetu était parfois à cette époque victime d’intrusions Abrem. Le 23.12.1646 il est en effet noté : "De Fetu viennent les nouvelles que la nuit dernière, ceux de Abrahembou s’étaient montrés à un mile seulement de Fetu. Ceux de Fetu étant au courant, ont essayé de les surprendre, mais ceux d’Abrahembou s’en sont rendu compte et prirent la fuite. Fetu obtint trois têtes"49. Il s’agit sans doute d’une incursion de faible importance mais cela indique que les Fetu n’étaient pas à l’abri de ce genre de surprises. Cela montre surtout qu’en période de tensions avec ce voisin redouté, les Fetu vivaient dans un climat d’insécurité. N. Villault de Bellefond, qui accosta à Mori sur le littoral d’Asebu en 1666, raconte que selon des Asebu : "les gens du roy de Fantin contre qui ils étoient en guerre s’estoient jettez de nuit dans Sabou, & y avoient tué quatre hommes, & fait plusieurs prisonniers. Ce qui avoit obligé ceux de Sabou de faire retirer les femmes et petits enfants, & que tout le village estoit en armes"50. Il s’agit probablement d’une incursion comparable à celle dont fut victime Fetu en 1646. Ces incursions sont basées sur l’effet de surprise et ont pour conséquence un climat d’insécurité.
18N. Villault de Bellefont précise également au sujet de la guerre : "aussi le plus souvent n’est-ce qu’un feu de paille, qui s’éteint aussi tost qu’il s’allume. Ce n’est pas que quelquesfois elle ne dure, mais rarement cela arrive"51. Au sujet de ces guerres qui durent, cet auteur précise : "[le général de Frederiksberg] m’apprit que le guerre qui estoit depuis quatre ans entre les Rois du pays empeschoient le négoce ;... & qu’il estoit obligé d’envoyer des vivres à leur chasteau de Christianbourg en Akara [Accra], où la guerre estoit si allumée qu’ils laissoient tout en friche..."52.
19Selon Villault de Bellefond, la guerre qui opposa Fetu à l’Akani dura quatre ans. En fait, la victoire de Fetu sur Abrem a eu lieu en 1666, et les akanistes sont revenus à Fetu en 1668. Cette guerre n’a donc duré que deux ans maximum. Toujours selon Villault de Bellefond, elle fit 16 000 morts dans chaque camp et 60 000 morts en tout (?), ce qui bloqua tout le commerce53. Ce chiffre est sans doute également très exagéré54 mais indique que la mortalité de cette guerre fut supérieure à celle des guerres précédentes. De plus une guerre qui dure deux ans est, par nature, une guerre différente des guerres décrites dans la première moitié du siècle. Cela implique qu’une insécurité plus ou moins permanente s’instaura à Fetu durant cette période, ce qui eut sans doute des répercussions sur les activités économiques. Cette guerre ne s’est pas résolue par un petit nombre de batailles et a sans doute pris la forme d’offensives menées par les Akani en territoire Fetu, les Akani ayant, seuls, la possibilité de traverser le territoire d’Abrem. C’est sans doute pour faire face à ces offensives Akani sur leur territoire que les Fetu adoptèrent une stratégie décrite par Müller : "leur principale tactique est de couper la route au passage de l’ennemi : à cette fin, ils se postent le long des routes et dans les buissons par lesquelles l’ennemi doit inévitablement passer"55. Villault de Bellefond précise également : "ils n’en viennent pas toujours aux batailles rangées, mais le plus souvent tâchent à se surprendre, brûler, piller les villages, & faire des prisonniers”56. Il ne s’agit plus, par conséquent, de s’affronter en terrain découvert pour mesurer équitablement ses forces à celles de l’adversaire (étant donné leur poids démographique, les Akani sont les plus forts), mais de le surprendre pour le défaire.
20Il semble donc que dans la deuxième moitié du XVII° siècle, la mortalité des guerres ait augmenté et que le climat d’insécurité se soit accru en raison de l’augmentation de la durée des guerres. Ce type d’affrontement est notablement différent des affrontements décrits par Pieter de Marees ou Samuel Brun au début du siècle, et indique que le type de relations qu’entretiennent entre eux les Etats de la Côte de l’Or a évolué. Le rapport tributaire n’est manifestement plus le seul enjeu ; le commerce transatlantique, en rendant vital l’accès au littoral pour les Etats de l’intérieur, semble avoir radicalisé les guerres. Il semble en effet que les "guerres qui durent", signalées par Villault de Bellefond, soient des guerres opposant les Etats côtiers aux Etats de l’intérieur, et non des guerres opposant des Etats côtiers. L’apparition de ce type de guerre semble donc liée à la montée en puissance des Etats de l’hinterland Akan.
Notes de bas de page
1 Asafo signifie littéralement "guerrier".
2 Cette définition est de Chukwukere. Voir Chukwukere, I., 1980, p. 41.
3 Egyabosom est un mot Fanti qui signifie "dieu paternel". L’équivalent Ashanti est ntoro.
4 Voir par exemple Fynn, J.K., 1974, n° 4 (Edina), p. 20.
5 Les Fanti sont à cet égard unanimes. Voir les traditions orales des Etats Fanti, Fynn, J.K., 1974, n° 2, p. 9 ; n° 4, p. 13 et annexe III.
6 De Graft, Johnson, 1932, p. 315.
7 Voir annexe III.
8 Voir à ce sujet Datta, Ansu K. et Porter, E., 1971, p. 286.
9 Voir à ce sujet Datta, A., 1972, p. 310 et Fynn, J.K., 1974, Oral Traditions of Fante States, n° 2 (Edina).
10 Pour plus de détails sur les noms et les attributions des officiers des asafo, voir Ffoulkes, A., 1907-1908, pp. 265-267. L’organisation des asafo pouvant varier considérablement d’une ville à l’autre, je ne signale ici que les principaux officiers.
11 Voir notamment De Graft Johnson, "The Fante Asafo" in Africa, n° 5, 1932, pp. 308- 309.
12 Il convient toutefois de préciser que certains chercheurs ont défendu la thèse inverse, notamment, J.S. Wartemberg et Kwamin Arhin, Voir à ce sujet Datta, A.K., et Porter, R., 1971, p. 282.
13 Voir Jones, A., 1983, p. 318.
14 Voir l’article très documenté de Datta et Porter et celui de Chukwukere : Datta, A.K.et Porter, R., "The asafo System in historical perspective" in J.A.H., vol. XII, 2 (1971), pp. 289-295 ; Chukwukere, I., "Perspectives onthe Asafo Institution in Southern Ghana" in J.A.S., vol. 7, n° 1 (1980), pp. 39-47.
15 Dapper, O., 1989, p. 195.
16 Voir Van Dantzig, A., 1980, p. 28.
17 Müller, W.J., in Jones, A., 1983, p. 187.
18 Sur le rôle des mancevos à Axim, voir Bosman, W., 1705, pp. 127, 168, 182, 183-184; et Barbot, J., in Churchill, J., 1732, p. 299.
19 Voir annexe III.
20 Voir Fynn, J.K„ 1974, n° 3, p. 47.
21 Selon Meyerowitz, les Sabu ou Asebu auraient conquis leur territoire sur les Etsi; ils n’étaient pas à l’origine des Akan et adoptèrent la matrilinéarité sous l’influence de leurs voisins Fanti. Voir Meyerowitz, E., 1952, pp. 66-68.
22 Voir annexe III.
23 Voir Datta, A.K., et Porter, R., 1971, p. 280. Ces deux auteurs précisent : "à Cape Coast, une compagnie s’appelle Anaafo, qui veut dire en Fanti ville basse, tandis qu’une autre compagnie s’appelle Amanfor, ou ville nouvelle".
24 Pour R. Kea, la raison en était sans doute, plus que des considérations religieuses ou politiques, la dépendance du Portugal vis-à-vis des Flamands et des Allemands durant les XV0, XV10 et XVII° siècles en ce qui concerne leur approvisionnement en armes à feu. Voir Kea, R., 1971, p. 186.
25 de Marees, Pieter, 1605, p. 42.
26 Brun, S., in Jones, A., 1983, pp. 67-68.
27 Ibid., p. 94.
28 Ratelband, K., 1953, p. 275.
29 Voir la transcription du commentaire de la carte de 1629, annexe IV et G.N.Q. n° 9, (1966), p. 15.
30 Bosman, W., 1705, p. 192. De fait l’artillerie semble tout à fait inadaptée au type de combat que mènent les Fanti, combat où le corps à corps est la partie décisive. La rareté de cette arme en faisait en revanche une arme prestigieuse dont la détonation était appréciée lors des fêtes et des grands événements.
31 Ratelband, K., 1953, pp. 224, 226, 260.
32 Ibid., p. 225.
33 Kea, R., 1971, p. 189. La source primaire est : OWIC II. De Guvemeur opt Fort Nassaw, 3 février 1634.
34 Par exemple de 1661 à 1663, les factures de la R.A.C. montrent que 4 038 armes à feu furent apportées sur environ trente bateaux en Afrique occidentale, la plupart sur la Côte de l’Or. Voir Kea, R., 1971, p. 191-199.
35 Les Européens constatent et déplorent unanimement la diffusion des armes à feu. W. Bosman et L.F. Romer n’échappent pas à cette règle, mais en bons commerçants, ils tiennent exactement le même raisonnement. Bosman explique à la fin du XVII° siècle : "nous leur en vendons d’incroyables quantités. Mais nous sommes forcés de le faire ; car si nous ne le faisions pas, ils seraient suffisamment approvisionnés de cette commodité par les Anglais”. Römer écrit cinquante ans plus tard : "Si certains ne veulent pas en vendre, d’autres le font" ! Voir Bosman, W., 1705, p. 190 et Römer, L.F., 1989, p. 160.
36 Kea, R., 1971, p. 190. Les sources primaires sont : OWIC II. Reyndrich Caarlof, Fiscael, tot XIX, Casteel del Mina, 26 [oct.?] 1647 et "Journaal gehouden by my Louys Dammaert... OWIC II, 12 octobre 1652.
37 La détonation des armes à feu était très appréciée lors des fêtes, des mariages, des naissances, des triomphes, des funérailles et même dans le rituel de cour à Fetu. Elles étaient également utilisées pour la chasse. Voir par exemple Müller, W.J., in Jones, A., 1983, pp. 183, 240.
38 Ibid., p. 193.
39 Dapper, O., 1989, p. 221.
40 Müller, W.J., in Jones, A., 1983, p. 165. Selon Römer, les Ashanti remportèrent une grande victoire sur les Akim en 1742 pour la même raison : les Ashanti avaient "soudoyé une nation armée d’arcs et de flèches qui était très active quand les tornades arrivaient, empêchant les Akim d’utiliser leurs fusils”. Pour Mette Dige-Hess, cette nation armée d’arcs et de flèches était les Dagomba. Voir Römer, L.F., in Dige-Hess, M., 1989, p. 134 et note 91.
41 Müller, W.J., in Jones, A., 1983, p. 249.
42 Bosman, W., 1705, p. 191. Cette évolution va se poursuivre, de sorte que dans les années 1780, P.E. Isert note : "Les Nègres, jusqu’à trois cent milles avant dans l’intérieur du pays depuis la côte, ne savent déjà plus ce que c’est que l’arc et les flèches, et tous sont munis d’armes à feu. Voir Isert, P.E., 1989, p. 55.
43 Bosman, W., 1705, p. 31.
44 Voir à ce sujet Bazin, J., et Terray, E., Guerres de lignage et guenres d’Etat en Afrique, 1982, avant-propos, pp. 28-30.
45 A. Van Dantzig avance l’hypothèse que le Denkyira émergea du groupe des akanistes "Crysakeese" et précise que si c’était réellement le cas. "nous pourrions suggérer que ce fut un exemple typique de corruption du pouvoir par les armes à feu". Voir Van Dantzig, A., 1990, p. 214.
46 Willem De La Palma était le directeur général d’Elmina de 1702 à 1705.
47 L’assemblée des dix est, à partir de 1674, le directoire de la W.I.C. Voir à ce sujet Van Dantzig, A., 1978, p. 3.
48 De La Palma à l’asssemblée des dix, le 26 juin 1702. W.I.C. 98 in Van Dantzig, A., 1978, p. 80.
49 Ratelband, K., 1953, p. 281.
50 Villault de Bellefond, N., 1669, p. 207.
51 Ibid., p. 358.
52 Ibid., p. 208.
53 Villaull de Bellefond. N., 1669, pp. 359-361. Labat reprend les mêmes chiffres. Voir Labat, J.B.. 1730. pp. 348, 368.
54 16 000 morts à Fetu aurait été une saignée démographique catastrophique, cela représenterait, d’après les estimations faite au chapitre I, au moins la moitié de la population, ce qui est impensable. Müller ne fait aucune estimation mais si cette guerre avait eu pour répercussion un traumatisme démographique, il n’aurait sans doute pas manqué de le signaler. Les chiffres avancés par Villault de Bellefond ont donc sans doute peu de rapport avec la réalité.
55 Müller, W.J., in Jones, A., 1983, p. 198.
56 Villault de Bellefond. N.. 1669. p. 362.
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1995
Guerre et société au royaume de Fetu
Des débuts du commerce atlantique à la constitution de la fédération fanti (Ghana, Côte de l’or, 1471-1720)
Yann Deffontaine
1993