Introduction
p. IX-XII
Texte intégral
Les problématiques retenues
1Cette étude porte sur l’histoire du royaume de Fetu des débuts du commerce atlantique sur la Côte de l’Or (1471) à la constitution de la fédération Fanti (années 1720). Fetu, petite monarchie côtière, société étatique constituée et endogène, va se trouver confrontée à l’altérité européenne dès l’arrivée des Portugais sur cette côte. La construction du château de Saint Georges de la Mine sur sa frontière occidentale, l’afflux des concurrents européens des Portugais, la construction de trois autres forts sur son littoral, la position centrale de Fetu sur cette côte, enfin le nœud de routes commerciales aboutissant aux forts et passant par Fetu feront de ce royaume un acteur privilégié du commerce atlantique sur la Côte de l’Or.
2Deux siècles de commerce transatlantique séparent le Fetu du roi Sasaxy (roi en 1503) et celui de la reine Aqua Braffo (reine en 1704). Quelles ont été les conséquences sociales, politiques et économiques sur cette petite monarchie côtière, des relations politiques et commerciales établies avec les Européens ? Quelles ont été les réactions de cette société, les rejets, les assimilations, les stratégies mises en place, les bases du dialogue avec les Européens ? Quelles ont été les évolutions propres à Fetu et celles dépassant le cadre côtier, consécutives à l’apparition du nouveau débouché commercial, à l’inclusion de la Côte de l’Or dans le circuit des échanges mondiaux et à la diffusion des armes à feu ? C’est à ces questions que tente de répondre cette étude.
3J’ai choisi de porter ici une attention particulière aux aspects sociaux (organisation et évolutions sociales), d’étudier la guerre en pays Fanti, et j’ai adopté un cadre chronologique très large, malgré les risques que cela comporte.
4La guerre et le royaume de Fetu constituant chacun un sujet suffisamment vaste pour faire l’objet de recherches spécifiques, ce choix pourrait faire de ce sujet un double sujet. Fait social total pour les anthropologues, la guerre est, selon l’expression d’Emmanuel Terray, un lieu où semble converger "la trame des rapports sociaux". Elle sera abordée ici comme un prisme au travers duquel on tentera de saisir des aspects de cette société dépassant largement le cadre de la guerre proprement dit : nature des liens entre les hommes, organisation politique, justice, religion, évolutions sociales et politiques, c’est-à-dire d’une manière que je concevais comme complémentaire de ma recherche concernant le royaume de Fetu, ce qui, je l’espère, donne sa cohésion à cette recherche.
5Je me suis en partie inspiré, pour mener cette étude, des voies de recherche ouvertes par Emmanuel Terray, dans son article paru en 1982 sur la guerre dans le monde Akan1, en centrant cette recherche sur les Fanti et en adoptant une perspective historique, c’est-à-dire en soulignant les évolutions profondes qui affectent les pratiques guerrières tout au long de la période traitée ici. J’ai en outre élargi cette recherche en portant mon attention sur les guerres opposant les Européens aux Africains dans le but d’en dégager les caractéristiques. La guerre m’a par ailleurs paru être un bon révélateur de l’évolution des dynamiques régionales et des relations entre Africains et Européens.
6De plus, j’ai adopté un cadre chronologique s’étalant sur deux siècles et demi, dans le but d’offrir de cette société une image dynamique et d’en saisir des évolutions portant sur la longue durée. ce qui a eu des répercussions méthodologiques. On ne peut en effet aborder l’histoire d’un royaume africain sur une si longue durée de la même manière qu’on le ferait pour une étude portant sur une période de quelques décennies. Il ne s’agit donc pas ici de présenter un maillage serré d’événements qui ont fait l’histoire de Fetu et de développer chaque aspect de cette société en détail. Plusieurs volumes comparables à celui-ci y seraient nécessaires. Certains sujets seront donc moins approfondis, notamment la civilisation matérielle, les activités économiques et la religion. Quant au commerce transatlantique, il sera plus étudié en fonction de ses répercussions qu’en lui-même. Enfin, la deuxième moitié du XVII° siècle sera plus approfondie en raison de l’intérêt particulier que présente cette période, et du caractère exceptionnel de certaines sources pour cette période (notamment les cinq journaux du château de Saint Georges de la Mine de 1645 à 1647, publiés par K. Ratelband en 19532, et le témoignage de W.J. Müller, chapelain danois au fort de Frederiksborg de 1661 à 1669, qui a consacré une étude thématique au royaume de Fetu)3.
7De plus, l’évolution chronologique du contenu de mes sources4 m’a conduit a traiter chaque période définie ici de manière sensiblement différente. Pour la période allant des premiers contacts au milieu du XVII° siècle, je soulignerai quelles sont les modalités du contact établi entre Africains et Européens, et les stratégies mises en place par les acteurs en présence. Pour la période allant du milieu à la fin du XVII° siècle, je donnerai une image plus précise de Fetu et de son intégration dans son contexte régional : institutions politiques, catégories sociales et relations avec les voisins. Une étude identique m’a semblé impossible à mener pour la période antérieure : les Européens n’ayant pas une connaissance suffisante des Etats avec lesquels ils étaient en contact, les informations qu’ils donnent ne me paraissent pas permettre de donner de Fetu une image cohérente et fondée sur le plan historique. Enfin, pour la période allant de la fin du XVII° siècle aux années 1720, je soulignerai la manière dont l’évolution du contexte régional a rendu possible aux Européens de développer une politique d’ingérence et de s’insérer dans les équilibres régionaux.
8On voit donc que loin de prétendre à l’exhaustivité, ce travail pourra être complété par l’étude de sujets ou de périodes peu approfondis ici, voire à peine abordés. Quant aux deux thèmes centraux de cette étude, loin de les avoir épuisés, je n’ai fait qu’en dégager des grandes lignes qui pourraient être développées.
Notes de bas de page
1 Terray, E. "Nature et fonction de la guerre dans le monde Akan (XVII°-XIX° siècles)” in Bazin, J. et Terray, E., Guerres de lignages et guerres d’Etat en Afrique. Paris, 1982, édition des archives contemporaines, pp. 378-421.
2 Ratelband, K. Vijf Dagregisters van hel Kasleel Sao Jorge da Mina (Elmina) aan de Goudkust (1645-1647). 1953.
3 Müller, W.J. Die afrikanische auf der guineischen Goldcust... 1673.
4 L’évolution du contenu des sources peut utilement être mise en parallèle avec l’analyse historiographique réalisée par K. Delaunay qui a montré qu’ "à partir du XVII° siècle, les auteurs ne sont pas issus du même monde socio-culturer. Avant le XVII° siècle, les auteurs entretiennent presque tous des liens directs avec l’Outre -mer (marins, pilotes, facteurs), puis ils cèdent la place à des médecins, des religieux et des artisans. En outre, les auteurs qui se sont rendus sur la Côte de l’Or à partir du XVII° siècle sont presque tous des auteurs occasionnels qui n’ont publié qu’un ouvrage, ce qui explique la fraîcheur, voire la naïveté, de certains témoignages (S. Brun et Zur Eich par exemple).
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