Introduction du chapitre IX
p. 577-578
Texte intégral
1En passant de l’autorité émirale à celle du califat, la judicature ne changea pas de nature : bien qu’il relevât désormais de l’autorité centrale, le cadi demeurait un fonctionnaire tenu d’appliquer la politique de son délégant. Or le califat avait besoin de mettre l’organe judiciaire au service de ce qu’il présentait comme une restauration du gouvernement islamique et de la justice. Au-delà d’une instrumentalisation récurrente des cadis par le califat abbasside, ceux-ci continuèrent, comme au temps des gouverneurs, à subir des pressions visant à influencer leur pratique administrative et judiciaire. L’exemple des prisons suffit pour le constater : si les cadis obtinrent peu à peu que les gouverneurs n’interviennent plus pour libérer leurs protégés, ils n’étaient pas à l’abri de tels agissements provenant du pouvoir central ou de la cour du calife. Ḥafṣ b. Ġiyāṯ, cadi de Bagdad au début du règne d’al-Rašīd, apprit à ses dépens qu’on ne jetait pas impunément en prison un wakīl de la sayyida, l’épouse du calife : celle-ci le fit immédiatement libérer et obtint d’al-Rašīd la révocation du cadi si peu respectueux de l’ordre politique 1.
2Évoquant les réformes judiciaires des premiers temps abbassides, N.J. Coulson constate un écart entre l’affirmation théorique d’un renforcement statutaire des magistrats, qui en principe ne devaient plus allégeance qu’à la Loi divine, et la pratique des califes, qui continuaient à diriger d’une main ferme l’administration judiciaire et refusaient de se plier à certains jugements 2. À qui, en fin de compte, un cadi devait-il obéissance ? La réponse à cette question est plus complexe qu’il n’y paraît. Proclamer qu’il ne devait plus se soumettre qu’à la Loi d’Allāh permettait une grande latitude d’interprétations. La contradiction relevée par N.J. Coulson n’a de sens que si l’on considère comme lui que les premiers Abbassides entendirent mettre en application le « système juridique religieux en voie d’élaboration par les juristes » 3. Or les premiers califes abbassides, à l’instar de leurs prédécesseurs umayyades, n’avaient pas totalement abandonné l’idée de jouer un rôle dans l’interprétation de la Loi 4 ; ceci influença profondément leurs rapports avec la judicature. Dès le iiie/ixe siècle, les juristes musulmans s’interrogèrent sur la soumission des cadis à la volonté califale, mais il fallut attendre les troubles politiques du siècle suivant pour qu’ils osent la remettre explicitement en cause.
Notes de bas de page
1 Al-Ḫaṭīb, Ta’rīḫ Baġdād, VIII, p. 187-88 ; Ibn Ḫallikān, Wafayāt al-aʿyān, II, p. 199-200 ; voir la traduction de ce passage supra, chapitre IV, § III.1.
2 Coulson, Histoire du droit islamique, p. 118-19 ; voir aussi Schacht, Introduction au droit musulman, p. 49-50.
3 Coulson, Histoire du droit islamique, p. 118. Cf. Goldziher, Muslim Studies, II, p. 75-77 ; id., Le Dogme et la loi, p. 41.
4 Crone et Hinds, God’s Caliph, p. 80-83. Cf. Schacht, Introduction au droit musulman, p. 52.
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