Introduction du chapitre V
p. 365-366
Texte intégral
1L’administration judiciaire abbasside est jusqu’ici apparue comme structurellement précaire et discontinue : la précarité temporelle, qui caractérisait des cadis révocables à merci, se doublait d’une dispersion spatiale du système juridictionnel iraqien. À lui seul, le statut du cadi compromettait la continuité de l’action judiciaire : l’instruction d’une affaire interrompue par la révocation du cadi devait être en grande partie reprise par son successeur, et l’ancien cadi ne pouvait pratiquement pas intervenir dans la poursuite du procès 1. Pour pallier de tels problèmes, les juristes musulmans élaborèrent des règles sophistiquées de transition et de passation de pouvoir qu’il convient d’analyser dans le détail.
2L’éclatement territorial de la judicature iraqienne soulève, plus encore, la question de la continuité judiciaire. Au sein du double cercle concentrique schématisant sa circonscription, le pouvoir du cadi décroissait progressivement jusqu’à disparaître : la carte des districts apparaissait donc comme une « peau de léopard » où chaque unité se trouvait isolée de ses voisines. À la base, un cadi ne jouissait d’aucune autorité hors de sa circonscription et ne pouvait donc suivre une affaire aux multiples ramifications géographiques. Or la mobilité incessante des marchands et des étudiants du dār al-islām générait nécessairement de nombreux litiges mettant aux prises des individus distants, séjournant dans des villes différentes. Les limites géographiques à l’intervention du cadi risquaient également de laisser impunis les prévenus qui s’étaient enfuis vers un autre district. La justice ne pouvait être réalisée si tout justiciable était sûr d’échapper aux poursuites après avoir quitté la circonscription de son délit ou de son crime. C’est pourquoi se mit en place, très tôt, un système de communication entre les différents cadis de l’Empire islamique, fondé sur une correspondance écrite 2.
Notes de bas de page
1 Voir supra chapitre III, § II.3.
2 Voir Johansen, « Formes de langage », p. 352-56. Hallaq (« Qāḍīs Communicating », p. 437-66) analyse quant à lui cette pratique à travers deux ouvrages juridiques du viie/xiiie siècle : l’Adab al-qaḍā’ du šāfiʿite syrien Ibn Abī l-Dam (m. 642/1244), et le Tanbīḥ al-ḥukkām du mālikite andalous Ibn al-Munāṣif (m. 620/1223). Voir également Hallaq, Authority, p. 208-14 ; Scholz, « Legal Practice », p. 424-25.
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