La sculpture
p. 44-52
Texte intégral
1Centre agricole et commercial, Bosra, qui a joué un rôle politique de premier plan dès l’époque nabatéenne, est devenue, à partir de 106 ap. J.‑C., la capitale militaire et administrative de la nouvelle province romaine d’Arabie. Plus que dans les villes moyennes environnantes, on peut s’attendre à y trouver, autour de l’autorité politique, une élite bénéficiant non seulement de ressources économiques et d’une culture privilégiée qui a dû marquer le cadre de vie et les objets d’art de la cité. Ces ressources expliquent que, dans cette ville « hauranaise », le basalte ne s’est pas imposé sans partage dans la sculpture. En effet, nous gardons quelques éléments de statues en matériaux précieux – or, argent, bronze et marbre – exposés dans des espaces publics ou privés. Il est bien entendu que ces matériaux ont attiré les convoitises plus que le basalte et, en particulier, que, dans une ville très éloignée des paysages calcaires, le marbre était très recherché pour fabriquer de la chaux.
2Complétant le catalogue de l’ensemble des sculptures conservées à la citadelle de Bosra, nous nous limiterons ici à présenter quelques œuvres qui éclairent des aspects peu connus de la vie publique et privée dans la capitale de l’Arabie romaine et qui ont été trouvées sur le site. La provenance d’un certain nombre de sculptures a pu être précisée grâce à des renseignements fournis par Sleiman al-Mukdad, ancien directeur des Antiquités de Bosra et fondateur du musée. Certaines de ces sculptures sont conservées dans le musée local de Bosra, d’autres sont passées dans les collections du musée national de Damas.
Sculptures à caractère religieux
Sérapis, Zeus Ammon, Harpocrate – Dieux militaires égyptiens de la IIIe légion Cyrénaïque
3Une statue de Sérapis (fig. 1, voir également p. 195, n° 1), en schiste ou marbre bleu foncé, a été trouvée à Bosra il y a quelques années dans la partie nord, peut-être dans la palestre, des thermes du Centre (n° 21), dont le premier état remonte à la deuxième moitié du IIe siècle ap. J.‑C. Le style de la statue suggère une date plus ancienne, dans la première moitié du IIe siècle ap. J.‑C. Il est difficile de savoir si cette statue faisait partie du décor des thermes ou appartenait à un édifice cultuel disparu. La pierre utilisée ne se trouve pas en Syrie : cette statue est donc une pièce d’importation provenant d’Égypte. Elle a pu être apportée d’Alexandrie par des membres ou des vétérans de la IIIe légion Cyrénaïque après 106 ap. J.‑C., et vénérée dans un Sérapeion local. Cette hypothèse est corroborée par la présence d’éléments d’architecture en schiste foncé de provenance égyptienne, comme une colonne remployée dans une des boutiques tardives de la rue nord-sud précisément en face de ces bains. La statue est plus petite que nature et représente un dieu assis sur un trône à haut dossier et accoudoirs. Il est vêtu d’une tunique (chiton) longue et d’un ample manteau (himation) couvrant le bas du corps, drapé autour des hanches et tiré sur le dos. Sur le côté gauche du trône, on identifie un petit animal qui avait trois têtes, aujourd’hui cassées. C’est sans doute le chien Cerbère, le gardien de la porte des Enfers. Le dieu a un caractère infernal, chtonien, c’est-à-dire lié aux profondeurs de la terre. La représentation de son buste sur la porte d’une tombe témoigne aussi de sa fonction funéraire à Bosra.
1 - Statue de Sérapis en schiste ou marbre bleuté.

Haut. : 77 cm. Première moitié du IIe s. ap. J.‑C.
Bosra, musée lapidaire de la citadelle, n° inv. : 72
4La tête du dieu et probablement aussi ses pieds et ses mains, c’est-à-dire toutes les parties nues, étaient des pièces rapportées, taillées dans un matériau différent et fixés par des tenons en fer sur une surface préparée. On pense à l’albâtre ou au marbre blanc utilisés comme matériaux contrastant avec le bleu foncé. Un Sérapis bicolore comme celui-ci est conservé dans les musées du Vatican à Rome. Un autre, proche de l’exemplaire de Bosra, a été trouvé, sans tête, à Salamine de Chypre (musée Fitzwilliam à Cambridge). Et d’autres, toujours en pierre égyptienne, proviennent de Jordanie : Umm al-Jimâl, tout près de Bosra, et Pella (Tabaqat Fahil). Ces parallèles permettent de restituer le geste du dieu de Bosra : il était assis sur son trône, accompagné par Cerbère, le bras droit levé pour tenir la hampe du sceptre.
5Une tête barbue en marbre blanc, actuellement au musée national de Damas (fig. 2), a été acquise en 1941 comme provenant de Bosra. Ce n’est malheureusement pas la tête qui manque à la statue de Bosra : d’après son style, elle doit être postérieure d’un siècle au torse de Sérapis. Les traits du visage, comme l’ordonnance de la coiffure et de la barbe, font penser moins à un dieu qu’à un intellectuel mortel. Ce portrait a été sculpté probablement dans la première moitié du IIIe siècle ap. J.‑C. Qui représente-t-il effectivement ? Cela ne peut être établi aujourd’hui avec certitude.
2 - Tête d’homme en marbre, trouvée à Bosra.

Haut. : 17,3 cm. Deuxième quart du IIIe s. ap. J.‑C.
Damas, musée national, n° inv. : 4052/888
6Ammon, le dieu de la IIIe Légion, bien attesté à Bosra par des inscriptions, est originaire de l’oasis de Siwa en Égypte de l’Ouest. C’est une adaptation locale de Zeus, identifié par des cornes de bélier. Cet attribut orne un buste sur un relief en basalte (fig. 3). D’autres statues ou reliefs votifs d’Ammon ont été trouvés dans la région à Jerash (Jordanie), Qanawât, Mushennef et Gheidah (Syrie du Sud). À la même sphère religieuse égyptienne se rattache une statuette trouvée à Bosra et représentant Harpocrate sous les traits d’un jeune garçon nu portant sur la tête un nœud dans la tradition du costume égyptien (fig. 4). Avec le coude gauche, il s’appuie sur un pied de vigne et semble avoir tenu à la main une cornucopia. Il tend la main droite vers le haut et touche ses lèvres avec son index tendu, un geste typique pour ce dieu enfant égypto-romain.
3 - Relief en basalte avec la représentation d’un buste de Zeus Ammon, trouvé à Bosra.

Haut. : 23,5 cm. IIe ou IIIe s. ap. J.‑C.
Bosra, musée archéologique de la citadelle, n° inv. : 999
4 - Statuette d’Harpocrate en bronze, trouvée à Bosra.

Haut. : 10,1 cm. IIe s. ap. J.‑C.
Damas, musée national, n° inv. : 6299
Apollon, Dionysos et les Muses – Le culte gréco-romain des arts
7Dans le musée archéologique de la citadelle est exposée une tête en marbre blanc, couronnée de lauriers, d’un travail remarquable, provenant de Bosra (fig. 5). Les longues boucles de la chevelure, qui partent du milieu du front et sont peignées sur les côtés, couvrent les tempes et les parties supérieures des oreilles. Des deux côtés du cou, on observe une grosse mèche de cheveux tombant perpendiculairement. Cette coiffure et la régularité du visage imberbe donnent d’abord l’impression d’une figure féminine assez idéalisée, mais le laurier, plante sacrée de l’Apollon pythien de Delphes, conduit à attribuer la tête à ce dieu grec. Les parallèles de l’Apollon Citharède et de la célèbre statue d’Apollon Musagète (« guide des Muses ») de la villa de Marcus Brutus près de Tivoli, actuellement au musée du Vatican, permettent de reconstituer un groupe statuaire réunissant Apollon et les Muses. Ce groupe a été diffusé à l’époque d’Hadrien non seulement en Italie, mais aussi dans les régions orientales. Le style permet de dater la tête de Bosra du deuxième tiers du IIe siècle ap. J.‑C. L’arrivée à Bosra de grandes sculptures impériales est attestée par un torse féminin drapé trouvé près de l’arc nabatéen (fig. 6). La statue, sculptée dans un marbre gris foncé, est vêtue d’une tunique fine et d’un manteau tombant sur les cuisses. Son attitude est celle qui a été a attribuée depuis le IVe siècle av. J.‑C. aux représentations des Muses en ronde-bosse. Le fragment correspond au type de la « Melpomène Farnèse », dans le groupe des Muses des « Thespiades ».
5 - Tête d’Apollon Musagète en marbre blanc trouvée à Bosra.

Haut. : 26,4 cm. IIe s. ap. J.‑C.
Bosra, musée archéologique de la citadelle, n° inv. : 532/7660
6 - Torse d’une Muse (« Melpomène Farnèse ») en marbre gris, trouvé dans les environs de la porte nabatéenne de Bosra.

Haut. : 41 cm. IIe s. ap. J.‑C.
Bosra, musée archéologique de la citadelle, sans n° inv.
8C’est sans doute aussi aux dieux protecteurs des arts qu’il faut rattacher, à Bosra, une petite tête en marbre représentant un dieu barbu conservé au musée de la citadelle (fig. 7). Il ne s’agit pas d’une œuvre en ronde-bosse mais plutôt d’un petit masque votif. Des traces de peinture attestent la polychromie ancienne. Le visage est idéalisé, barbu et coiffé d’un ruban. Le type de la coiffure qui comporte une raie avec les cheveux du front enroulés sur le bandeau paraît archaïque et fait penser à des modes de coiffures masculines de la Grèce du début de l’époque classique. En l’absence d’attributs, une identification sûre de la tête est impossible. Cependant, la présentation en forme de masque fait penser surtout à Dionysos, interprétation que ne contredisent pas les traits iconographiques du visage. On connaît de nombreux exemples d’objets de ce type offerts dans des sanctuaires de ce dieu. Ces masques pouvaient aussi être suspendus à des arbres dans des bois sacrés. Des masques de petit format pouvaient être achetés par des fidèles et rapportés chez eux de très loin, comme des articles de piété ou des souvenirs. C’est ainsi que des petits masques en marbre ou en albâtre du Sérapeion d’Alexandrie étaient rapportés comme des images divines portatives dans presque toutes les provinces de l’Empire romain.
7 - Masque de Dionysos en marbre blanc, trouvé à Bosra.

Haut. : 16,5 cm. IIe s. ap. J.‑C.
Bosra, musée archéologique de la citadelle, n° inv. : 530
Athéna-Allât et les Victoires – Cultes indigènes
9Les Victoires représentent un type de statuaire caractéristique des sanctuaires de Syrie du Sud. Elles étaient souvent dressées sur des piliers carrés de plus de deux mètres de haut, comme le montre un exemplaire complet provenant d’Ezra‘ en Batanée et conservé dans l’entrée de la citadelle de Bosra (fig. 8). L’inscription grecque commémore la dédicace de la statue financée par les fermiers du village pour le bonheur de l’empereur romain. Lorsque la plinthe des statues est conservée, on observe souvent des mortaises, creusées dans sa surface, qui ont servi à sceller la statue par des tenons en fer au sommet du pilier. Même si les têtes des deux Victoires présentées ici (fig. 9) sont perdues, on peut restituer assez facilement leur aspect antique. Une tête féminine provenant de Bosra et conservée dans les réserves du musée national de Damas (fig. 10) est coiffée par un diadème, attribut commun aux Victoires. Ces déesses portent souvent des bijoux luxueux, des colliers à pendentifs et des boucles d’oreilles soulignant leur féminité comme le font les vêtements. Les déesses portent le peplos ou manteau dorien fixé aux épaules par des fibules et serré par une ceinture aux hanches. Le traitement de la draperie de ce vêtement nous permet de distinguer deux types statuaires qui peuvent coexister dans un même monument, comme l’ont montré les découvertes faites à Sahr al-Lejâ. Le premier souligne les charmes féminins par des effets de draperie mouillée contrastant avec des plis flottant au vent ; il laisse aussi un des seins dénudé. Le second groupe montre la déesse couverte pudiquement : le repli du vêtement est serré sous la poitrine par une ceinture tenue par un nœud symétrique dit « d’Héraclès ».
8 - Piédestal de Victoire en basalte provenant d’Ezra‘, trouvé en 1861/62 par W. H. Waddington près du minaret de la mosquée.

Haut. : 228 cm.
Bosra, entrée de la citadelle, n° inv. : 15. Bibl. : Waddington 1870 (1968), p. 567, n° 2479.
9 - Victoire en basalte, trouvée dans le quartier du Nord près du rempart de Bosra.

Haut. : 59 cm. Ier ou IIe s. ap. J.‑C.
Bosra, musée lapidaire de la citadelle, n° inv. : 176
10 - Tête féminine en basalte, vraisemblablement une Victoire portant un diadème, trouvée à Bosra.

Haut. : 26,2 cm. Ier ou IIe s. ap. J.‑C.
Damas, musée national, n° inv. : 4494/10304
Les porte-flambeaux pour les sanctuaires
10Comme l’ont montré les recherches récentes dans le sanctuaire de Sahr (Lejâ), de nouvelles perspectives s’ouvrent sur la statuaire en basalte de la Syrie méridionale, souvent difficile à interpréter auparavant. C’est le cas, par exemple, pour un fragment de torse d’un garçon nu de Bosra (voir musée de la citadelle, inv. 190, fig. 13). La position des bras suggère qu’il tenait un flambeau en biais devant la poitrine. Il s’agit donc d’un porte-flambeau, connu dans l’art grec et romain sous le nom de « lychnophoros » ou de « lampadophoros ». De tels porte-flambeaux sont mentionnés par plusieurs inscriptions des provinces romaines de Syrie et d’Arabie : ils servaient à éclairer des lieux de culte sombres. Dans le temple de Tychè à Sanamein, ces porte-flambeaux se trouvaient sur des consoles murales qui étaient enchâssées dans les murs entre les demi-colonnes.
Sculpture de caractère honorifique
11Les sculptures qui avaient pour fonction d’honorer publiquement des citoyens sont difficiles à distinguer des sculptures funéraires. Il est vrai que, jusqu’à présent, on n’a trouvé que très rarement des statues dans les nécropoles de Syrie du Sud. Finalement seules des inscriptions permettent de préciser la fonction de ces types d’objets.
Buste d’un ancêtre de la maison royale séleucide
12A. Sartre-Fauriat n’exclut pas que le buste en ronde-bosse d’un Séleukos (fig. 11) ait pu être une sculpture honorifique. Selon un renseignement oral donné par Sleiman Mukdad, cette pièce a été trouvée dans le quartier du Nord, c’est-à-dire dans les environs du camp romain, près de la porte de la ville. Sur une plinthe rectangulaire se dresse un buste d’homme, malheureusement sans tête, vêtu d’une tunique ou d’une cuirasse à lambrequins entièrement couverte d’un manteau agrafé sur l’épaule droite par une fibule ronde. Le drapé du manteau dessine une courbe sur la poitrine, entre deux pans tombant symétriquement sur les épaules. Sur le socle, on lit une inscription grecque en une ligne :
« Séleukos le fils »
11 - Buste en basalte d’un ancêtre royal de la maison séleucide (?), trouvé dans le quartier du Nord de Bosra, près de la porte nord de la ville.

Haut. : 27 cm. IIe ou IIIe s. ap. J.‑C.
Bosra, musée lapidaire de la citadelle, n° inv. : 188
13Le nom dynastique Séleukos n’est pas courant dans l’onomastique du Hauran et de la Décapole. La lecture du « » final devant la face latérale endommagée a été assurée par M. Sartre. Il le considère comme le début d’un titre ou d’un patronyme. On peut penser aussi que la seule précision ajoutée au nom était l’indication de parenté, le mot « fils » remplissant parfaitement l’espace limité sur la pierre. La relation familiale devait être évidente pour le spectateur antique si la statue était intégrée dans un monument et entourée d’autres figures. On connaît des exemples de bustes d’ancêtres helléniques représentés en galeries dynastiques durant l’Antiquité tardive dans des villes de Palestine et d’Arabie. À l’époque romaine impériale, la population de cette région était consciente et fière de son passé et de son héritage hellénistique. Plusieurs communautés comme Scythopolis, Dion et Gerasa considéraient Alexandre le Grand comme le fondateur de leurs cités. D’après une inscription de Gerasa, une représentation du général macédonien Perdiccas a été érigée, au début du IIIe siècle ap. J.‑C., dans un espace public. Elle avait sans doute la forme d’un buste comparable à celui de Bosra.
Statues honorifiques des notables indigènes et Romains
14Parmi les carrières honorifiques, celles des militaires sont les mieux représentées à Bosra, ville de garnison et capitale de la province d’Arabie. C’est certainement dans ce contexte qu’il faut interpréter les statues cuirassées en basalte : l’une d’elles a été trouvée (fig. 12) non loin de l’entrée du camp romain. Sur la cuirasse des statues de ce type, on observe une bande horizontale étroite, ornée d’un nœud, marque distinguant les généraux ou plus largement les personnages d’un rang élevé, social, politique ou militaire.
12 - Statue cuirassée en basalte, trouvée à l’est de l’entrée du camp romain de Bosra.

Haut. : 45 cm. IIe ou IIIe s. ap. J.‑C.
Bosra, musée lapidaire de la citadelle, n° inv. : 161 bis.
15Le type de statue portant la cuirasse (loricata) était, à l’époque romaine, réservé à la représentation officielle de l’empereur, comme le montre, par exemple, la statue en marbre de Philippe l’Arabe dans les thermes de Philippopolis-Shahbâ. La question de savoir s’il était convenable d’honorer un empereur régnant par une statue en pierre locale, matériau de qualité inférieure, reste débattue. De fait, toutes les statues trouvées en Syrie dont il a été prouvé qu’elles représentaient l’empereur sont en marbre, matériau noble. On pourrait avancer une interprétation différente et supposer que les statues cuirassées en basalte représentaient des ancêtres plus ou moins mythiques dans la perspective évoquée plus haut.
16Une distinction toute particulière, à Rome et dans les provinces, est l’érection d’une statue équestre. Cet honneur est dans la règle réservé aux rois et aux empereurs romains, exceptionnellement à des hauts fonctionnaires et à des militaires particulièrement méritants. C’est à une telle statue que semble avoir appartenu une tête de cheval harnaché avec son licol (fig. 13). L’étude des sculptures de Sahr al-Lejâ a donné une image plus précise des monuments équestres de la région.
13 - Tête en basalte de cheval harnaché.

Haut. : 23 cm.
Bosra, musée lapidaire de la citadelle, sans n° inv.
17Les notables civils étaient honorés sous la forme de statues vêtues d’un manteau, conformément aux usages de la cité antique. Il est possible de distinguer l’appartenance ethnique d’un personnage d’après ses vêtements. En effet, la toge « classique » que l’on reconnaît sur un fragment de marbre trouvé dans la rue de la colonnade nord-sud de Bosra (fig. 14) était réservée aux citoyens romains et a été rarement portée par des provinciaux jusqu’à l’Institutio Antoniana (215 ap. J.‑C.) qui a accordé la citoyenneté romaine à l’ensemble des habitants de l’Empire. Les provinciaux indigènes portaient selon la règle l’himation grec (fig. 15, voir aussi musée lapidaire, inv. 230 et 543), manteau qui couvrait presque entièrement le corps des épaules aux chevilles. Le bras droit, qui tient souvent un rouleau (rotulus, formula), repose normalement dans le pli du manteau qui l’enveloppe. Ce drapé caractéristique, représenté déjà sur divers monuments de l’art grec classique, a conservé sa forme traditionnelle en Orient jusqu’en pleine époque impériale. Le fragment d’une figure masculine en himation, trouvé dans le cirque de Bosra, semble être une partie d’une statue honorifique d’un haut fonctionnaire. Le bras gauche plié est serré contre le corps et enveloppé dans la draperie du manteau. La main tient un morceau de tissu retombant qui fait penser à la mappa des magistrats offrant les jeux à Constantinople à l’époque de Théodose. C’est en jetant la mappa que le haut personnage donnait le départ aux courses de chevaux.
14 - Buste d’une statue honorifique en marbre blanc, un Romain vêtu d’une toge classique, trouvé en 1985 dans la colonnade au nord du théâtre de Bosra.

Ier ou IIe s. ap. J.‑C.
Bosra, musée archéologique de la citadelle
15 - Statue honorifique en basalte, un notable vêtu d’un himation tenant une bande de tissu appelée « mappa » dans sa main droite, trouvée en 2001 dans le cirque de Bosra.

Haut. : 82,8 cm. IIIe ou IVe s. ap. J.‑C.
Bosra, musée archéologique de la citadelle, sans n° inv.
Sculptures à caractère funéraire
Bustes et stèles de défunts
18Les représentations de défunts figurés sur des reliefs sont étroitement liées à l’architecture funéraire. Sur la stèle de Herous exposée sur la terrasse de la citadelle (voir musée de la citadelle, inv. 229, fig. 24), la partie supérieure du corps se dégage en ronde-bosse de la plaque alors que le petit buste de la jeune fille placée sous la figure principale est simplement traité en relief. C’est une formule typique de l’imagerie funéraire de l’Auranitide.
Un sarcophage de prestige
19Un témoin particulièrement précieux de la culture funéraire de Bosra est fourni par le couvercle d’un sarcophage en marbre (fig. 16) mis au jour il y a quelques décennies. Il était remployé dans un bâtiment byzantin. De cette phase datent les coups de ciseau brutaux qui ont détaché la partie supérieure des corps des deux personnages. L’érosion a contribué à dégrader les surfaces antiques. De la cuve du sarcophage on ne conserve aucune trace. Il est possible qu’elle ait été victime des fours à chaux.
16 - Couvercle d’un sarcophage en marbre de l’Hymette (Attique)

Bosra, entrée de la citadelle. Deuxième tiers du IIIe s. ap. J.‑C.
20Le couvercle est traité comme un matelas richement brodé, posé sur un lit dont l’armature apparaît aux angles. Sur les petits côtés est représenté le décor en rectangles et losanges du lit, alors que sur la tranche du matelas est reproduite une étoffe richement brodée de galons et de scènes figurées représentant des scènes de chasse. Sur ce matelas dont la face antérieure est divisée en panneaux rectangulaires ornés de diverses scènes de chasse, sont allongés un homme et une femme, appuyés sur leur coude gauche et enveloppés tous deux dans des vêtements longs. La femme est vêtue à la mode gréco-romaine d’une tunique et d’un grand manteau ou voile enveloppant les épaules et le bas du corps. Il est relativement facile de déterminer la provenance et la datation de ce couvercle qui appartient à un grand groupe de sarcophages en forme de lit (klinè) réalisés à Athènes. Ils ont été particulièrement répandus dans la première moitié du IIIe s. ap. J.‑C. sur la côte phénicienne et dans l’arrière-pays. C’est surtout le port de Tyr qui semble avoir été un centre de distribution de ces objets de prestige importés. Leur coût, qui ajoute au prix du marbre attique et du travail du sculpteur le transport des pièces pesant une tonne, devait réserver ces objets à la sépulture de personnalités d’un rang social éminent comme des gouverneurs de province.
Les sarcophages locaux
21La majorité des sarcophages n’était pas en pierre, mais en bois. Ce matériau a disparu dans la plupart des cas. Les seuls vestiges de ce type de mobilier funéraire sont des clous ou des équerres d’assemblage en fer, et quelquefois des appliques en forme de tête de lion à la gueule ouverte, tenant un anneau entre leurs canines. La distribution de ces appliques au Proche-Orient permet d’identifier des groupes régionaux qui se distinguent par leur technique de fabrication. Les appliques du groupe de Syrie méridionale, représenté par l’exemplaire du musée de Bosra (fig. 17), sont embouties dans une tôle de bronze mince appliquée sur un moule. Les anneaux sont souvent en plomb, ce qui rend inutilisables ces poignées pour soulever le sarcophage. Ils servaient probablement à accrocher les guirlandes de fleurs qui ornaient le sarcophage au moment de la cérémonie des funérailles. Des sarcophages de basalte fabriqués localement à Bosra imitaient ces appliques à têtes de lions (voir « Le musée lapidaire en plein air » p. 189 et « Les nécropoles », notice 2, p. 331).
17 - Applique en bronze représentant une tête de lion avec un anneau en plomb (autrefois inséré dans sa gueule ouverte) provenant d’un sarcophage en bois, trouvée dans les environs de Bosra.

Diam. : 17,9-18,15 cm. IIe ou IIIe s. ap. J.‑C.
Bosra, musée archéologique de la citadelle, n° inv. : 97
22Alors que ces appliques sont déjà attestées en Syrie au Ier s. ap. J.‑C., des têtes de lions de ce type n’apparaissent sur des sarcophages que vers la fin du IIe s. dans les zones centrales de l’Empire romain. On a tenté d’expliquer l’apparition du motif par l’influence du monde égyptien où les têtes de lions sont attestées comme ornements de baignoires. On pourrait avancer une explication différente. C’est le motif iconographique syrien, plus ancien, qui aurait été repris dans des ateliers de la ville de Rome dans une période où la politique matrimoniale de la dynastie sévérienne a établi des liens nouveaux avec l’Orient.
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Auteur
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Bosra. Aux portes de l’Arabie
Jacqueline Dentzer-Feydy, Michèle Vallerin, Thibaud Fournet et al. (dir.) منار حمـّـــــاض (trad.)
2007
Glossaire technique trilingue de la pierre
L’exploitation en carrière
Jeanine Abdul Massih et Jean-Claude Bessac
2009