Les dieux
p. 41-43
Texte intégral
1Dans une ville d’époque romaine d’une certaine importance comme Bosra, qui plus est une capitale de province, il est surprenant de ne pas pouvoir localiser de grand sanctuaire, ni de temple monumental. Le seul édifice identifié comme un temple (voir n° 14 dans le quartier du Centre) est un petit édifice, dont la date de construction et la fonction sont sujets de discussion. Si on laisse de côté des sites plus grands et plus importants, comme Palmyre et Pétra, où l’on connaît plusieurs grands sanctuaires, et que l’on compare Bosra à des sites voisins, on constate qu’à Gerasa-Jerash, par exemple, il existait au moins deux grands sanctuaires intra-muros dédiés à Zeus et à Artémis, et d’autres lieux de culte plus petits. À Canatha-Qanawât, dans le Jabal al-‘Arab, une ville de dimensions moyennes, on connaît également au moins deux grands temples assez bien conservés. Il est certain qu’à Bosra également, il y avait plusieurs lieux de culte, parmi lesquels au moins deux ou trois grands édifices. Que sont-ils devenus ? Leur disparition est probablement la rançon de ce qui fait la richesse de ce site, c’est-à-dire sa longévité à travers l’Antiquité et le Moyen-Âge. La grande église à plan centré du quartier de l’Est (n° 2) n’est-elle pas construite au-dessus de ce qui paraît bien avoir été le grand sanctuaire urbain de l’époque nabatéenne ? L’église des Saints Serge, Bacchus et Léonce (n° 4) ne remploie-t-elle pas de nombreux blocs de corniche qui ne peuvent avoir appartenu qu’à un édifice majeur, probablement un temple ?

« À Jupiter Optimus Maximus Genius Sanctus Ammon, moi, Ulpius Taurinus, corniculaire du légat, je me suis acquitté de mon voeu. »
Sartre 1982, p. 83-84, n° 9010).

« À Mercure Auguste, au Génie de leur colonie, les habitants de Thysdrus ont élevé ce monument. »
Sartre 1982, p. 88-89, n° 9016.
2Si les traces architecturales des temples d’époque romaine restent hypothétiques, nous devons chercher les témoins des cultes ailleurs, par exemple sur les inscriptions, les monnaies et la statuaire. Zeus, le plus grand dieu du panthéon des Grecs, et son pendant romain Jupiter, occupent une place dominante à Bosra. Zeus Kyrios (tout-puissant) et Héra, son épouse, étaient honorés à Bosra comme des dieux ancestraux, d’après la dédicace d’un militaire sur un autel. Sur un autre autel, Zeus est qualifié d’Epikarpios, « celui qui produit des fruits ». Le dieu tout-puissant des Grecs était également honoré sous la forme du « Dieu de Damas » (Zeus Damaskênos), forme gréco-romaine probable du grand dieu Hadad de Damas. Sous le nom du Jupiter romain, le grand dieu ancestral de Heliopolis-Baalbek apparaît à Bosra, sans doute vénéré par des soldats. Un autre Zeus dit « du Safa » (Saphathênos) est encore mentionné sur un autel. Le plus présent à Bosra est Zeus ou Jupiter Ammon, le dieu de Siwa en Égypte de l’Ouest, qui était le dieu des soldats de la légion IIIa Cyrenaica, installée en garnison à Bosra à partir du IIe siècle ap. J.‑C. Souvent représenté sur les monnaies de Bosra, Zeus Ammon apparaît sous divers aspects. Il présente en général les attributs qu’on attend d’un dieu solaire égyptien : barbu, pourvu de cornes de bélier et la tête surmontée d’un disque, il est revêtu du manteau militaire (paludamentum) et de la cuirasse. On ne connaît pas la localisation de son sanctuaire à Bosra, mais on sait qu’il fut détruit par les Palmyréniens, conduits par la reine Zénobie, dans leurs raids en Syrie et en Arabie (269-272). Sur certaines monnaies de Bosra, le dieu de la légion est représenté auprès de la Tychè poliade, la déesse protectrice de la ville, comme pour associer officiellement la garnison au site et à ses habitants.
3Tychè occupe également une place importante dans le panthéon de Bosra. Elle est souvent représentée sur le monnayage, généralement seule, et ses traits rappellent ceux de la Tychè-Astarté, la grande déesse de Phénicie. Sur des monnaies du IIe siècle, elle est représentée sous les traits d’Athéna casquée, la déesse armée grecque de la raison et de l’intelligence, qui est aussi protectrice de la ville d’Athènes. Athéna est dans la région la forme gréco-romaine de la grande déesse arabe Allât, déesse tutélaire de Bosra.
4Les dieux dominants dans les inscriptions et le monnayage d’époque romaine sont donc un grand dieu tout-puissant, Zeus ou Jupiter, qui reprend sans doute les caractères principaux d’un grand dieu régional, comme Ba‘alshamîn ou Dusarès, et une grande figure féminine protectrice, une Tychè, qui reprend également les caractères soit d’une grande déesse syrienne, soit d’une grande déesse arabe.
5Dans une dédicace, un dieu bien romain apparaît aussi à Bosra, Mercure, protecteur des voyageurs et des commerçants, invoqué par les habitants de Thysdrus (el-Djem en Tunisie), ce qui atteste sans doute la présence à Bosra de commerçants de cette provenance. Toujours d’après une dédicace, la déesse Hygie, personnification de la santé, considérée comme une des filles d’Asclèpios, dieu de la médecine, avait, semble-t-il, un sanctuaire à Bosra.
6La statuaire enrichit aussi notre connaissance du panthéon d’époque gréco-romaine à Bosra. En plus du Zeus Ammon de Cyrénaïque, une statue de Sérapis, dieu égyptien d’époque hellénistique de la mort, de la guérison et de la fertilité, confirme l’importance des cultes importés par la légion IIIa Cyrenaica, de même qu’une statuette d’Harpocrate, le dieu enfant égyptien. Sérapis est d’ailleurs représenté sur une monnaie de Bosra de l’époque de Commode (180-192). D’après des fragments, on peut restituer aussi une statue représentant Apollon ainsi qu’une des Muses, qui peuvent avoir décoré un grand édifice public.
7Il est important de rappeler qu’en pleine époque romaine, certains cultes antérieurs à la province ont repris une existence officielle à Bosra, comme celui du grand dieu nabatéen Dusarès, qui est représenté et nommé sur des monnaies des empereurs Commode (180-192), Caracalla (211-217), Élagabal (218-222) et Philippe l’Arabe (244-249). Sur des monnaies du IIIe siècle est représentée une plateforme accessible par des marches sur laquelle sont dressés les bétyles caractéristiques des cultes nabatéens. Enfin, il faut rappeler que c’est au IIIe siècle également qu’ont été instaurés des Actia Dousaria, concours sportifs à la grecque en l’honneur du dieu des Nabatéens.
8À côté de ces cultes d’origine ou d’apparence gréco-romaine, il faut mentionner des lieux de cultes plus clairement politiques et largement répandus dans l’Empire romain, comme la présence vraisemblable d’un temple dédié à la déesse Roma et au divin Auguste dans le quartier de l’Est, d’après le fragment d’inscription conservé sur un bloc d’architrave.
Monnaie de Géta (211-212 ap. J.‑C.). Revers : tête d’Ammon (Droit : Géta)

Cette pièce de petite dénomination, exceptionnelle parce qu’elle est frappée au nom et avec le portrait de Géta, l’est aussi par sa légende et son type de revers : c’est une monnaie d’homonoia, « de concorde ». La cité n’est ni désignée ni figurée. C’est « le dieu Ammon », dieu de la IIIe légion Cyrenaica installée à Bosra, qui est ici nommé et représenté, barbu, avec sa corne de bélier et son calathos.
Paris, BnF, HS Y 28632,9 (notice C. Augé).
Monnaie de Septime Sévère, an 104 (209/10 ap. J.‑C.). Revers : Tychè dans un temple (Droit : Septime Sévère)

Dans les importantes émissions de l’an 104, le revers de la pièce ornée du portrait de Septime Sévère met en scène la Tychè de Bosra dans la baie centrale d’une façade tétrastyle surmontée d’un fronton échancré en arc.
Reconnaissable à sa couronne tourelée, Tychè porte ici une couronne d’abondance, au lieu du simple bouquet de trois épis qu’on lui voyait auparavant. Elle s’appuie sur une hampe surmontée d’un trophée et pose le pied gauche sur une petite figure de dieu-fleuve.
Paris, BnF, HS Y 28632,8. Cf. Spijkerman 1978, n° 33, p. 74-75, pl. 14 ; SNG ANS, n° 1201, pl. 41 (notice C. Augé).
Auteur
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Bosra. Aux portes de l’Arabie
Jacqueline Dentzer-Feydy, Michèle Vallerin, Thibaud Fournet et al. (dir.) منار حمـّـــــاض (trad.)
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