La légion romaine

Maurice Lenoir

p. 39-40


Texte intégral

1Le nom de la légion IIIa Cyrenaica est attaché à Bosra et à l’Arabie comme celui de la IIIa Augusta l’est à Lambèse et à l’Afrique du Nord. Comme son nom l’indique, elle a d’abord été recrutée parmi les populations de l’Afrique du Nord les plus proches de l’Égypte, où elle eut sa première garnison permanente. En 106-107, elle participe aux premières opérations militaires liées à l’annexion et à la réduction en province romaine du royaume nabatéen, décidées par Trajan. Cette mission semble prendre fin autour de l’année 116, date à laquelle elle retourne en Égypte pour lutter contre une révolte juive. Elle revient définitivement en Arabie sous l’empereur Hadrien, vers 127 (ou 129 selon certains) et, dès cette date probablement, installe ses quartiers à Bosra.

2Pendant le Haut Empire romain, période qui nous intéresse ici, une légion — et la IIIa Cyrenaica n’échappe en rien à la règle — est composée uniquement de citoyens romains : à elle seule, elle symbolise le peuple romain en armes, même si, avec le temps, le recrutement s’opère de plus en plus localement. C’est avant tout un corps de fantassins ; elle comprend, dans une configuration théorique qui n’a évidemment jamais été strictement appliquée, 9 cohortes de 480 hommes (6 centuries) et une dixième cohorte, la cohorte première, cohors prima, d’un effectif double. Au total, théorique rappelons-le, de 5 280 hommes ainsi obtenu, il convient sans doute d’ajouter un petit nombre de cavaliers légionnaires, dont on évalue généralement l’effectif à 120 hommes. Les centuries qui forment chaque cohorte sont sous les ordres de centurions, le centurion de la première centurie occupant une position hiérarchiquement supérieure. Le centurion commandant la première centurie de la cohors prima, le centurion primipile, occupe une place à part dans la hiérarchie : généralement homme d’expérience, il est souvent consulté et peut exercer une grande influence auprès du légat et de son état-major. Celui-ci était composé de six tribuns, cinq appartenant à l’ordre équestre, le sixième à l’ordre sénatorial et en tout début de carrière. Le légat de légion, legatus legionis, était d’ordre sénatorial, avec une expérience militaire quelquefois limitée ou un peu ancienne. À Bosra, capitale de la province d’Arabie et siège de la légion, le même personnage cumulait les pouvoirs strictement militaires et les pouvoirs civils du gouverneur de province.

3Aucune légion de l’Empire n’a évidemment jamais répondu exactement à la configuration théorique décrite plus haut. On pourrait penser que la IIIa Cyrenaica, étant donné les vastes espaces à contrôler, devait être dotée d’un escadron monté un peu plus important, mais les diverses inscriptions ne permettent pas de confirmer cette vue ; les troupes auxiliaires de la province devaient assumer une grande partie des patrouilles à moyen et long cours. D’assez nombreuses inscriptions, stèles funéraires ou dédicaces à une divinité, ont été découvertes sur le territoire de la province d’Arabie, parfois très à l’est ou très au sud de Bosra. Toutes ne portent pas témoignage d’une installation fixe de troupes légionnaires ; elles peuvent simplement rappeler de façon solennelle le passage d’une patrouille. C’est probablement le cas à Dumata, actuellement l’oasis d’el‑Jawf en Arabie saoudite, à l’extrémité du wadi Sirhân, où un centurion de la légion a fait une dédicace à Jupiter Ammon et à Salmus, divinité indigène. Au sud du wadi ‘Arabah, non loin d’Aila (Aqaba), a été enterré le centurion Titus Atilius Turbo, alors qu’il dirigeait des travaux, par ailleurs non précisés, dans la région. Selon P.-L. Gatier, quelques sites urbains semblent avoir abrité des postes : en Jordanie actuelle, Gerasa (Jerash), Pétra, peut-être Madaba. Non loin de l’oasis d’Azraq, à Qasr el-‘Uweinid, un détachement de la légion construit, en 201, un fortin irrégulier, nommé castellum et praesidium Severianum. Plusieurs inscriptions mentionnent la participation de la IIIa Cyrenaica à diverses étapes de l’aménagement du camp de Doura Europos, sur les bords de l’Euphrate, dans les années 210-216.

4La légion participe également à la désastreuse campagne perse de l’empereur Valérien en 259 ou 260 ; dans le conflit d’abord larvé, puis ouvert qui oppose Palmyre à Rome dans les quinze années qui suivent, le gouverneur d’Arabie et la IIIa Cyrenaica restèrent fidèles au pouvoir central ; cela valut à Bosra, en 268-270, la destruction du temple de Jupiter Ammon, particulièrement vénéré par la troupe, temple que l’on situe habituellement, mais sans raison, dans le camp légionnaire : il s’agissait plutôt d’un temple dans la ville, soit même d’un temple suburbain. La IIIa Cyrenaica participa ensuite au siège et à la reprise de Palmyre et, conjointement aux détachements illyriens de l’armée d’Aurélien, aux opérations de reprise en main opérées sur tout le territoire de la province annexé par Palmyre, selon l’interprétation récemment proposée d’une inscription naguère découverte à Azraq.

5Selon la Notitia dignitatum orientalis, compendium administratif des fonctions civiles et militaires dans l’ensemble de l’Empire, la legio IIIa Cyrenaica serait encore présente à Bosra au début du Ve siècle, mais les autres témoignages littéraires ou épigraphiques ont pratiquement disparu depuis la fin du IIIe siècle.

Le camp romain

6Même s’il est probable que l’ensemble de la légion est rarement rassemblé dans son lieu de garnison, nommé castra (camp), ce dernier peut être considéré comme une véritable petite ville ; il abrite en effet les casernements de la troupe et les logements des officiers qui, selon la place de ceux-ci dans la hiérarchie, deviennent de plus en plus spacieux et se rapprochent de plus en plus du modèle urbain ; l’habitation du légat est souvent bâtie selon le schéma de la maison (domus) urbaine à péristyle. Mais le camp contient également un ensemble de bâtiments abritant des « services techniques » : des magasins pour la nourriture (essentiellement les grains) et des citernes, un atelier pour la réparation et la fabrication d’armes (fabrica), une remise pour voitures et charronnerie, un hôpital, une infirmerie pour animaux (veterinarium) et des thermes, partie essentielle au bien-être de la troupe, souvent construite en priorité.

7Aucun camp n’est la réplique exacte d’un autre, mais tous se conforment à un schéma d’organisation globale similaire quelle que soit la province d’implantation. Il s’agit d’un rectangle plus ou moins allongé, aux angles arrondis, divisé dans le sens de la longueur en trois parties inégales, marquées par un système de rues parallèles et perpendiculaires. Il est pourvu de quatre portes. Le bâtiment essentiel (les principia) est placé au centre de la partie médiane, en face de la porte symboliquement la plus importante, la porte prétorienne : composé d’une cour entourée de pièces sur trois ou quatre côtés, il constitue le centre administratif (bureau d’ordre, centre d’archivage, réserve d’armes) et religieux du camp ; au centre du côté arrière, une pièce en particulier (l’aedes signorum ou chapelle aux enseignes) abrite les portraits des empereurs et les enseignes de la légion, qui font l’objet de la part des soldats d’un véritable culte.

8À Bosra, le camp de la légion était situé au nord de la ville (n° 42 et 43) : voir les notices descriptives dans la deuxième partie.

Bibliographie

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