Culture et éducation arabo-islamiques au Šām pendant les trois premiers siècles de l’Islam
|Première partie. Matériaux et méthodes
IV. Méthodes et démarches
Texte intégral
A. Dépouillement
1Il nous faut ici exposer la méthode suivie pour classer et recenser les personnages cités appartenant aux trois premiers siècles.
2Comme les biographies étaient classées selon l’ordre alphabétique et que seul un petit nombre de celles-ci contenait une date ou une marque qui pouvait guider le chercheur sur l’époque du personnage, la seule solution était de lire le manuscrit en entier, et de noter les personnages ayant eu une relation avec l’éducation, soit en tant qu’étudiants ou maîtres, soit en tant que soutien matériel ou moral. Les autres personnages tels que : gouverneurs, chefs militaires, fonctionnaires et autres, dont les biographies ne contiennent aucune mention de leurs études ou de leurs bienfaits envers l’enseignement ont été négligés.
3Quels renseignements ont été retenus?
4Deux facteurs ont déterminé le genre des renseignements que nous avons notés dans nos fiches :
- L’information disponible dans les biographies.
- Les objectifs de l’étude.
5La combinaison de ces deux facteurs nous a conduit à négliger une quantité de données d’ordre militaire, économique (excepté l’économie de l’éducation), religieux, social et autres qui apparaissaient au cours des biographies et qui n’étaient pas en relation avec l’éducation.
6Afin de répertorier l’information pédagogique utile, il nous fallait tout d’abord nous familiariser avec l’ouvrage. Dans ce but nous avons parcouru à titre d’échantillon une cinquantaine de biographies de longueurs différentes. Ceci nous a permis d’établir un plan faisant une place à la fois aux renseignements d’ordre général et aux renseignements uniques et isolés tout aussi importants que les premiers.
7Nous présentons ici un plan type qu’on ne retrouve en entier dans aucune biographie, mais qui d’une part répondait aux objectifs de l’étude et, d’autre part, pouvait servir de guide au dépouillement.
8Plan de dépouillement :
- Longueur de la notice ; nombre de folios ou de lignes.
- Référence aux pages ou folios du manuscrit.
9I. Biographie type :
101. Nom, nom du père, nom du grand-père (ism al-ab, al-ğadd...)
11Kunya (abū...)
12Laqab (s’il existe)
132. Appartenance ethnique : Arabe ou Mawālī
14Tribu : Qurayš ou Laẖm
153. Place dans la communauté islamique (surtout pour les deux premiers siècles.)
- Anṣār // Muhāğirūn
- Ṣaḥāba – Tābi‘ūn...
164. Appartenance géographique :
- Province (Šām, Andalus...)
- District (Marw au Ḫurāsān), (Palestine au Šām)
- Ville (Damas, Ḥims)
- Village, faubourg ou quartier (Ğabiya à Damas) (ā 80 km. environ de Damas SSW).
- Lieu de naissance.
- Déplacement du sujet ou de sa famille.
- Lieu ou lieux de résidence.
175. Travail ou fonction (administrative, militaire, etc..)
186. Relations du sujet avec la ville de Damas, ou avec le Šām.
- Damascain ou Šāmī.
- Sujet résident ailleurs.
- Venu pour résider au Šām.
- De passage pour étudier ou enseigner.
- De passage pour un but personnel.
- De passage pour un but politique (rencontrer le souverain).
- De passage pour un but militaire et religieux (ğihād).
- De passage pour un but religieux (pèlerinage).
197. Déplacements des catégories précitées.
- Allées et venues à l’intérieur du Sām.
- Départ pour résider ailleurs.
208. — Etudes (récit, soit direct, soit pris chez un autre biographe)
21— Voyages d’études.
229. Maîtres et disciples : éminents ou ordinaires.
2310. Disciplines religieuses et intellectuelles (fiqh, naḥw), auxquelles le sujet s’est intéressé.
2411. Oeuvres et activités :
25— Livres, entretiens, débats...
2612. Attitudes et tendances idéologiques et religieuses.
2713. Qualités qui lui sont attribuées : comment il s’est manifesté à ses contemporains (intelligence, mémoire, droiture...).
2814. Mention(s) du sujet faité(s) par les historiens.
2915. Date du décès et, dans la mesure du possible, date de naissance.
30II. Indications accidentelles :
- Le but et les objectifs de l’enseignement.
- L’importance de la science (‘ilm) dans la société en général.
- Le rôle des études dans l’ascension sociale.
- Le financement de l’enseignement : salaires, donations, waqf..
- La hiérarchie des branches du savoir.
- Les valeurs et les règles morales qui régissent l’enseignement.
- Les catégories d’enseignants.
- Les lieux où l’enseignement est dispensé (mosquées, bibliothèques, palais, maisons, boutiques des papetiers etc...).
- Les méthodes d’enseignement et les manuels utilisés.
- Les centres culturels de l’Islam.
- Les conditions socio-économiques des étudiants et enseignants.
- La vie culturelle (problèmes et questions qui préoccupaient les intellectuels, débats, courants religieux et philosophiques...).
31Remarque : Il faut signaler toutefois que, pour la rubrique I/9 (maîtres et disciples), il n’était pas toujours possible de faire figurer tous les noms, qui atteignent parfois le chiffre de plusieurs centaines. (D’ailleurs l’auteur lui-même se contente de n’en mentionner qu’une partie). Dans chaque fiche, seul le nombre des maîtres ou disciples cités dans la biographie a été relevé.
32Comment les fiches biographiques étaient-elles rédigées ?
33L’idéal était, naturellement, de suivre le plan de dépouillement dans la rédaction des fiches, de manière à obtenir une fiche standard, divisée en rubriques bien déterminées, ce qui aurait facilité par la suite le travail de classement et d’analyse. Mais des difficultés inhérentes à la nature de l’ouvrage rendaient cet idéal presque irréalisable.
341. Généralement l’auteur ne suit pas le même ordre dans la présentation des aspects de la vie du personnage cité, de sorte que le même renseignement peut apparaître au début, vers le milieu, à la fin ou encore ne pas apparaître du tout. D’autre part, des renseignements se répètent plusieurs fois dans la même biographie à des endroits différents et sous des versions différentes. Ajoutons à cela les difficultés causées par l’écriture, le style, les omissions ou les coupures ; tant de difficultés forcent le lecteur à suivre le manuscrit page après page, ligne après ligne, pour ne pas dire mot après mot, et requièrent une inscription directe des renseignements utiles, de peur de les perdre ou de les transformer.
352. La longueur des biographies varie entre une ligne et une centaine de pages. Les mêmes variations se retrouvent naturellement dans la longueur des rubriques.
36Vu ces difficultés, il fut décidé de rédiger des fiches ordinaires, en notant les renseignements au fur et à mesure qu’ils se présentaient dans la biographie, et en gardant à chaque personnage l’importance que lui accorde l’auteur. Ainsi les biographies longues et riches d’informations ont pu être dépouillées sur plus d’une fiche, tandis qu’une seule fiche a suffi pour les biographies courtes.
B. Classement chronologique
37C’est le classement chronologique qui demanda le plus de travail car il nécessitait au préalable une identification des personnages pour déterminer approximativement leur date de décès. Pour cela il fallait consulter un grand nombre de dictionnaires biographiques, notamment :
38Les dictionnaires dont le centre d’intérêt est la discipline à laquelle s’intéressait le sujet (par exemple: Ṭabaqāt al-qurrā’, Ṭabaqāt al-ṣūfiyya, etc...), la secte religieuse à laquelle il appartenait (par exemple : Ṭabaqāt al-šafi‘iyya etc...) ou la localité où il déployait ses activités (par exemple : Tārīẖ Baġdād...). Les dictionnaires modernes (al-A‘lām de Ḫ. Ziriklī, Mu‘ğam al-Mu’allifīn de ‘U.R. Kaḥḥālah) ont aussi été d’un grand secours.
39En l’absence de date ou d’événement notoire qui aurait servi à identifier le personnage, l’identification s’est faite, soit par le père, le grand-père, le fils, le maître ou le disciple, c’est-ā-dire un personnage dont la chronologie est connue par rapport au personnage cité ; puis un petit calcul s’opérait en laissant de trente à quarante ans entre une génération et la génération suivante (père et fils, maître et disciple), selon la longévité qui lui est attribuée dans le texte (vie longue ou vie courte).
40Une fois l’identification terminée, le classement s’est fait en répartissant les fiches biographiques en six groupes qui représentent les six siècles traités dans l’ouvrage.
41Le classement qu’on a ainsi obtenu est un classement mixte une combinaison des classements chronologique et alphabétique. Le tableau suivant illustre ce classement :
C. Transposition des données sur bordereau
42A ce stade du travail, les éléments documentaires concernant les trois premiers siècles ont été isolés. Pour se permettre d’utiliser les techniques des sciences sociales, qui pouvaient aider à mettre en relation ce nombre très grand d’éléments, il fallait les classer sous des rubriques bien définies. Ceci se révéla relativement aisé, car chaque biographie fut considérée comme une suite de réponses à des questions que l’on posait sur les différents aspects de la vie du personnage et de l’éducation au Šām, énumérés dans le plan de dépouillement. Ces aspects furent répartis en seize rubriques, et les données groupées et transposées sur des bordereaux, et non sur des fiches standardisées, pour tenir compte de la variété de la longueur occupée par chaque biographie ainsi que de l’importance de la part accordée à tel ou tel aspect.
43La transposition sur bordereaux s’est faite siècle par siècle, afin de déterminer les faits pédagogiques importants au Šām à l’intérieur de chaque siècle, et de mettre en évidence les tendances prépondérantes durant les trois siècles étudiés.
- 1 Pour plus de renseignements sur ce sujet, voir : CNRS, Documents sur la mise en ordinateur des don (...)
44A la fin de ce travail préparatoire, il est nécessaire d’attirer l’attention des chercheurs sur l’entreprise franco-italienne de prosopographie musulmane : l’Onomasticon Arabicum. Cette entreprise est née en 1969, dans le but de mettre sur ordinateur les données biographiques contenues dans les principaux ouvrages historiques, biographiques et géographiques imprimés ou manuscrits relatifs à l’Islam1, afin d’épargner aux chercheurs ces efforts longs et fastidieux qui constituent un grand obstacle aux recherches.
45Malheureusement les recherches sur l’histoire de l’éducation ne peuvent en profiter pleinement sous sa forme actuelle. La raison en est que cette entreprise, étant à ses débuts, les dirigeants ont résolu d’écarter pour le moment, ou de remettre à une phase ultérieure, certaines informations qui présentent un grand intérêt dans ce genre de recherches, notamment les noms des maîtres et des disciples, des personnages recensés ainsi que les titres des ouvrages qu’ils ont écrits ou transmis. Ils ont écarté également pour l’instant le relevé de certains termes laudatifs conventionnels qui, bien que de peu d’importance, servent à illustrer les valeurs et vertus que respectait la société de l’époque.
46D’autre part, si les données biographiques auxquelles se limite pour l’instant l’entreprise de l’Onomasticon Arabicum, telles que l’appartenance ethnique ou tribale, l’origine géographique ou la répartition par sexe peuvent servir aux études statistiques d’intérêt général, les problèmes majeurs de l’éducation (nous en avons énuméré quelques-uns dans notre plan de dépouillement) ne profitent pas encore des résultats de cette entreprise. Pour éclaircir ces questions il faut plutôt recourir aux remarques et commentaires qui apparaissent çà et là dans les biographies, aux anecdotes qui illustrent la conduite des personnages et leurs relations personnelles, aux paroles attribuées à tel ou tel personnage, etc… Jusqu’à ce que cette entreprise ou d’autres entreprises mettent au point des techniques adéquates pour isoler ces éléments et les classer, les chercheurs en éducation devront continuer ces efforts longs et fastidieux, tout en essayant de perfectionner leurs méthodes d’approche.
D. Traitement des données
47Le schéma du bordereau et les exemples transposés, illustrent le genre d’« éléments documentaires » que nous avons obtenus. Ceux-ci contiennent des informations qui se prêtent à la quantification, donc à une utilisation indirecte, et d’autres qui sont uniques et ne peuvent être utilisées que d’une manière directe.
48Le but de ce traitement était, d’une part, de réduire les informations quantifiables en unités susceptibles d’utilisation statistique, d’autre part, de scinder les rubriques vastes et complexes en plusieurs sous-rubriques, de sorte que chacune regroupât les informations qui serviraient à clarifier un point distinct de l’étude.
49Prenant les rubriques, du point de vue traitement, on remarque que celles-ci se divisent en trois catégories :
50I. Rubriques quantifiables ou susceptibles de traitement stastistique :
- appartenance ethnique
- appartenance géographique
- rapports avec le Šām
- professions
51La répartition par sexe, traitée statistiquement, ne figure pas parmi les rubriques, l’auteur ayant consacré un tome séparé aux biographies de femmes
522. Rubriques non quantifiables :
- déplacements
- disciples (en effet nous n’avons pas prêté attention au nombre des disciples pendant le dépouillement)
- activités culturelles et ouvrages composés
- conditions économiques (renseignements rares et disparates)
- documents bibliographiques de l’auteur notés sous la rubrique « ceux qui ont mentionné le personnage cité ».
- remarques diverses.
533. Rubriques mixtes : celles-ci s’étant révélées trop étendues et complexes, elles furent scindées en plusieurs sous-rubriques. Prenons à titre d’exemple la rubrique « études », sous laquelle nous avons dû grouper les informations relatives aux localités dans lesquelles les études avaient été poursuivies (traitement statistique, utilisation indirecte), aux méthodes d’enseignement, aux relations entre maîtres et élèves et aux manuels utilisés dans l’enseignement (utilisation directe).
54De même, la rubrique « discipline » fut divisée en deux sous-rubriques :
- répartition par discipline (traitement statistique).
- caractéristiques (utilisation directe)
55Enfin la rubrique « qualités et compétences » permit aussi bien le traitement statistique des catégories des enseignants, que l’utilisation directe des termes utilisés pour discréditer le personnage ou lui accorder sa confiance.
Notes
1 Pour plus de renseignements sur ce sujet, voir : CNRS, Documents sur la mise en ordinateur des données biographiques, Paris, 1971 ; CNRS, Nouveaux documents sur la mise en ordinateur des données biographiques, Paris, 1973.
Table des illustrations
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