Conclusion

p. 135-137


Texte intégral

1Les tentatives de rationalisation de la folie urbaine de Beyrouth, entreprises par l'Etat dès le début des années 1950, ont soulevé des problèmes et apporté des solutions et des recommandations, lesquelles sont restées dans leur majorité sans suite, laissant la ville patauger dans un état chaotique, et cela en toute connaissance de cause. On ne peut plus simplement parler d'une « erreur d'appréciation », ou d'un « dépassement par les événements » : les hommes politiques étaient bel et bien conscients des conséquences de cet état de laisser-faire. S'il n'est pas de notre ressort déjuger cette réalité, il est tout au moins de notre responsabilité de la dénoncer.

2Paradoxalement, le tissu urbain de plus en plus hétéroclite, discontinu, anarchique, révèle une logique cachée ; elle est l'expression d'une ségrégation tant au niveau des communautés qu'au niveau des classes sociales, à l'intérieur de ces mêmes communautés.

3La réglementation au Liban, à l'image du système de partage des postes de pouvoir instauré depuis la période du Mandat français, est basée sur une succession de compromis, naturellement soumis aux fluctuations de la vie politique. Nous pouvons supposer que dans de tels cas. les notions de « globalité ». « durée » et « long terme » semblent sans aucun intérêt. Une étude de la réglementation urbaine fournit des exemples assez convaincants quant à l'exactitude de cette supposition.

4Depuis toujours, Beyrouth jouit d'une situation géographique favorable qui l'a élevée au rang de ville relais sur le plan mondial : point de passage obligé entre l'Orient et l'Occident ; lieu où transitent les marchandises ; terrain idéal d'investissement, grâce à un système économique libéral, pour rentabiliser l'argent du pétrole arabe ; place de commerce international où se traitent des affaires de toutes sortes ; autant d'opérations montées pour être réalisées dans le court terme. C'est par ailleurs sur cette dernière notion que s'est formée la structure socio-économique du pays en général, et de Beyrouth en particulier.

5Les plans d'aménagement établis pour Beyrouth, dans leur esprit et dans leur contenu, s'étaient confrontes à cette notion de « court terme » qui domine l'environnement politique et les pratiques économiques et sociales et qui modèle la structure de la ville.

6Dans ce contexte, ce sont les bases mêmes du principe de la réglementation urbaine qui sont mises en cause. La réglementation est projetée dans la courte durée. Elle n'est plus capable d'assurer, dans la longue durée, la maîtrise du cadre dans lequel peuvent évoluer les pratiques architecturales et urbaines. D'ailleurs, elle n'a pas été faite pour ça.

7Dans la pratique, la notion de « court terme » va plus facilement affecter les modes de production du tissu urbain. En l'absence d'une politique efficace d'aménagement global, établie sur la longue durée et gérée par l'État, les constructeurs-promoteurs vont également projeter leurs opérations dans la courte durée, visant à les réussir le mieux et le plus vite possible. Dès lors commence le processus de contournement des règlements qui, déjà, manquaient de solidité. Notre étude montre sous certains angles les déviations de la pratique par rapport à la réglementation, et surtout, les failles dans cette dernière.

8En effet, de tout ce qui a été jusqu'ici analysé nous ne pouvons que constater que la réglementation se plie à l'évolution urbaine, les textes aux pratiques insolites et non le contraire. Un hiatus sépare les textes et les pratiques urbaines, hiatus aussi profond que l'est le passage de la phase des études à celle de la codification et de la détermination des mesures concrètes à appliquer.

9La portée limitée des textes des lois et l'étendue du champ des contournements et travestissements possibles révèlent plus que jamais l'absence d'une approche scientifique, cohérente et raisonnée de l'aménagement.

10Si le tissu est l'expression du texte, de même le texte lui même est l'expression du politique. On ne doit plus parler au Liban de tissu urbain mais de « tissu politisé ». Tout rapport texte/tissu renvoie en réalité à un autre : tissu/politique.

11Si le tissu urbain beyrouthin a été modernisé par l'importation et l'adaptation des formes d'une modernité occidentale, ce sont les signes de sa propre modernité qu'il faut maintenant rechercher dans sa morphologie actuelle. Seule une réglementation originale sera capable, en intégrant les signes de cette modernité propre, de gérer la création de nouvelles formes qui dès lors s'imposent.

12La reconstruction du centre-ville de Beyrouth, dans la tournure qu'elle prend actuellement, s'avère aussi délicate qu'une opération chirurgicale à « coeur ouvert ». Cette reconstruction, en grande partie sur table rase, offre autant de sujets de réflexion que de possibilités d'expérimentation, mais présente également de nombreux risques.

13La réglementation de la reconstruction reste assez traditionnelle, même si elle se détache, sur plusieurs points, de la réglementation jusque là appliquée sur le reste de la ville. La principale particularité de cette opération réside dans les mécanismes adoptés pour sa gestion. Financée et gérée par solidere, la reconstruction sera exécutée en trois phases. Elle est projetée à court, moyen et long terme. Cette projection en trois phases est liée à la stratégie de mise en oeuvre du projet. Cependant, une gestion unique agissant sur ces trois horizons pourrait apporter des solutions au problème de décalage souvent observé entre la réglementation et ses applications. Léchelonnage des travaux, tout en répondant aux exigences d'une réglementation posée dès la première phase, offre la possibilité pour solidere de remodeler les détails de cette norme sans travestir son esprit. D'où l'intérêt d'un mécanisme qui permet de fignoler les textes, au fur et à mesure que l'opération avance dans le temps, pour les rendre aussi expressifs que les plans et dessins, en les considérant comme outils de projet.

14Ce mode de gestion serait cependant capable de créer d'autres problèmes, surtout quand le secteur concerné par la reconstruction n'est autre que le cœur ravagé d'une ville déchirée par quinze années de guerre. Car si on peut, en disposant de moyens juridiques et financiers appropriés, fabriquer de toutes pièces un morceau de tissu urbain, il est moins évident de prétendre l'intégrer dans la ville sans courir le risque que cette dernière ne le rejette

15C'est sur l'énoncé de cette nouvelle problématique et sur ce nouveau thème de recherche que nous allons conclure notre étude.


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