Chapitre 3. Urbanisation et urbanisme

p. 59-99


Texte intégral

1À travers son histoire moderne, le rythme de l'urbanisation de Beyrouth, exceptionnel dans sa région, a pu déjouer toute tentative de rationalisation.

2Le Livre Blanc1, publié en 1973 n'est qu'un constat d'échec des politiques urbaines pratiquées au Liban pendant les trois décennies qui ont suivi l'indépendance du pays en 1943.

3En 1975, la guerre éclate à Beyrouth. Avec elle, se révèle la réalité dramatique d'une ville construite dans une absence totale de toute vision cohérente avec les besoins successifs de son développement.

« À l'époque des ego et du narcissisme triomphant, l'espace qui fonde l'architecture de nos villes et nos banlieues semble être un espace expurgé de tout contenu, un espace déstructuré qui prolifère en métastases agressives et répète sans relâche ses formes rebelles à tout enracinement. »2

4Comment, à travers l'histoire moderne de Beyrouth, les politiques et la réglementation urbaines ont-elles accompagné la croissance démographique et physique de la ville ?

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Figure III. 1 : schéma de la croissance physique de Beyrouth,

Source : El Achkar

A. LES PROJETS DE DÉVELOPPEMENT DE LA VILLE DE BEYROUTH

5Dans un article de 1969, Riad Tabet3 définit deux effets principaux de l'industrie sur l'urbanisation : l'un inducteur, lié à l'implantation de l'industrie, et l'autre induit, lié aux conséquences de la production industrielle. Le premier étant propre aux pays industrialisés, et n'affectant le Liban que dans une faible mesure, c'est le second qui est à l'origine de l'urbanisation de Beyrouth.

6La croissance démographique que la ville a connue à partir de la seconde moitié du xixe siècle, et qui s'est accentuée au cours du xxe siècle4, est surtout liée à la diffusion – locale et régionale – des biens produits par l'industrie occidentale. Cette diffusion provoque un déclin de l'artisanat, la mécanisation de l'agriculture – donc une réduction de la main d'oeuvre – et la généralisation de l'usage de moyens de transport plus rapides ainsi que le développement d'un secteur de relations et d'échanges, le secteur tertiaire, localisé dans les villes qui se présentent dès lors comme les lieux de concentration de la décision. Ces changements sont à la base de la croissance des villes libanaises, aux dépens des campagnes fatalement dépossédées de leurs activités, évolution comparable à celles des pays industrialisés bien que les causes en soient différentes. Beyrouth est la plus touchée5, privilégiée par une situation géographique favorable sur la côte est de la Méditerranée, un port et un aéroport modernisés à plusieurs reprises, la construction de la route de Damas en 1863 et du chemin de fer (à partir de 1895) qui la relie à Damas, Hama, Alep et Bagdad en 1912, pénétrant ainsi à l'intérieur du Moyen-Orient.

7Les premières interventions sur le tissu urbain beyrouthin n'ont lieu qu'en 1915, sous l'Empire ottoman, avec la destruction d'une partie des souks pour réorganiser le centre de la ville. Ces travaux sont interrompus par la défaite des Ottomans à l'issue de la Première Guerre Mondiale. En 1920, déclarée capitale du Grand Liban par les autorités du Mandat français, Beyrouth va devenir un centre de décisions politiques. De nouveaux systèmes d'organisation de l'espace vont être mis en place. Tout en terminant les travaux entamés par les Ottomans, l'aménagement va prendre une plus grande échelle, en englobant la totalité de la ville. C'est dans le centre qu'il va le plus s'affirmer, avec la mise en scène d'un paysage colonial français. Pour approcher le caractère des premiers travaux de modernisation de Beyrouth, il faut remonter aux travaux du baron Haussmann6 qui, en « artiste bâtisseur », a recouvert Paris d'un nouveau réseau de rues larges et rectilignes ouvrant des perspectives majestueuses sur les bâtiments publics après avoir rasé de nombreux vieux quartiers, surtout ceux de l'est de la capitale française, qui étaient les foyers de toutes les révoltes7 (figure III.2). C'est suivant cette logique qu'est réalisé, en 1924, le réaménagement de la place des Martyrs suivant un plan rectangulaire avec tous les éléments qui composent les jardins à la française, ainsi que le lotissement de la nouvelle place de l'Étoile (1932), sur les ruines des anciens souks, suivant un plan radiocentrique, ainsi que l'édification du nouveau parlement libanais sur un angle de cette place.

8Parallèlement aux transformations des tracés urbains, d'autres changements touchent la typologie des bâtiments construits et les densités des quartiers atteints par une dynamique économique entretenue par une spéculation foncière croissante. D'une maison placée au milieu d'une grande parcelle généralement cultivée et clôturée, au découpage ultérieur de parcelles plus petites situées sur la voie de desserte et recevant des commerces et des immeubles de rapports plus élevés, le découpage se poursuit vers l'intérieur en suivant les chemins d'accès (d'origine rurale) qui se transforment en rues asphaltées ou en impasses, sans oublier les découpages aux limites du bâti ancien, qui ont souvent un caractère successoral (figure III.3).

9Quant aux projets d'aménagement8, le premier est établi par l'équipe Danger Frs.9 en 1932, le second par Michel Écochard en 1943.

10Danger propose d'orienter le développement de la ville vers le modèle des cités-jardins. Ce choix intervient à une période que Rondot10 évoque dans un article imprégné de nostalgie :

« le charme principal du paysage beyrouthin reste, à cette époque, le nombre encore considérable de belles et grandes maisons du xixe siècle, sises sur les premières pentes des divers quartiers, face au nord et à la mer, avec un hall central s'ouvrant par trois grandes baies en ogives. »

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Figure III.2 1) Les percées haussmaniennes : la place de l'Opéra, l'avenue de l'Opéra, le boulevard des Capucines et le boulevard Haussmann dans le IIe ; le xixe et le ixe arrondissements de Paris. 2) îlots haussmanniens sur la rue Marcadet dans le xviiie arrondissement de Paris.

Source : Yann et Anne Akthus-Bertrand, Paris From the Air. 1994 pour l'édition anglaise, éditions du Chêne, p. 45 et 124.

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Figure III. 3 : l'urbanisation du quartier Hamra,

Source : Khalaf S. et Kongstad P.. Hamra of Beirut : A Case of Rapid Urbanization. Leiden E. J. Brill. 1973. p. 36-40.

11Écochard acquis aux idées du mouvement moderne, va aborder dans son plan trois thèmes principaux, le premier étant le « rapport avec le site ». Il sera le premier à Beyrouth à proclamer qu'il fallait penser l'extension de la ville en rapport avec son site naturel, et son étude couvre une zone qui s'étend au-delà des limites administratives. Le second thème étant le zonage, il va proposer la division de la zone étudiée en 12 zones, ainsi qu'un réseau hiérarchisé de voies de circulation.

12Finalement, le plan révèle un « souci du paysage ». en proposant une série de mesures pour la sauvegarde des côtes et des espaces boisés.

13Ces deux plans n'ont jamais été, dans leur ensemble, mis à exécution11. Mais à la veille de l'accession du Liban à l'indépendance (1943), l'urgence d'une politique d'aménagement d'ensemble se fait sentir. Seules manquent une vision d'ensemble cohérente et l'ouverture des nouveaux décideurs et acteurs de la ville à une approche scientifique et raisonnable de l'aménagement.

14Durant les années qui suivent l'indépendance, la prospérité économique dont profite Beyrouth va servir d'alibi à une politique de laisser-faire dans le domaine de l'aménagement urbain et à une absence de contrôle du marché foncier, aggravée par l'incompétence des services responsables, sans cesse dépassés par le rythme de croissance de la ville.

15En fait, la puissance mandataire au Liban a mis en place un système de partage des postes de pouvoir, basé sur la répartition des plus hautes fonctions de l'État et de l'administration entre les communautés locales, suivant une stricte hiérarchie établie selon des critères d'appartenances religieuses12. Cette répartition ne pouvait que rendre le système précaire et développer les tendances à la corruption et au clientélisme. Cette précarité est aggravée dans la psychologie individuelle et collective par la « condition de minoritaire » qui affecte l'ensemble des communautés libanaises suite à l'accession du Liban à l'indépendance. L'élite politique libanaise, traversée par de profonds réflexes communautaires, n'a pas su aménager ce système. Son équilibre fragile est secoué en 1958 par une mini-guerre civile, à laquelle un général réformateur, Fouad Chehab, met un terme13. Élu Président de la République en 1958, il engage le pays dans de vastes réformes.

16En pleine période de panarabisme nassérien, le projet chéhabiste vise à faire de Beyrouth la grande métropole régionale, pouvant jouer un rôle à l'échelle du futur monde arabe unifié. La même année (1958). un programme quinquennal est établi par le Conseil du Plan et en 1959, le gouvernement décide de créer un budget spécial pour hâter l'exécution de grands travaux d'infrastructures.

17En octobre 1959, le président Chehab confie à l'IRFED (institut de recherche et de formation en vue du développement), présidé par le R. P. Lebret, une étude générale en vue du développement du Liban. En mai 1961, le R. P. Lebret soumet au gouvernement son rapport : sept volumes présentant un examen général des conditions de vie de toutes les régions du Liban avec inventaire de toutes les ressources dont dispose le pays, et des recommandations pour effectuer un développement général et harmonisé. De ce volumineux rapport, on peut tirer le passage suivant concernant Beyrouth14 :

« Beyrouth est un des exemples les plus saisissants au monde d'une structure urbaine aberrante. On y trouve une concentration de services commerciaux et para-commerciaux et l'ensemble des administrations publiques. Le tracé des rues et leur largeur dans la vieille ville ne correspondent plus aux exigences du trafic automobile. Une construction incontrôlée d'immeubles élevés à la place de bâtiments de deux ou trois étages complète le désordre.

« Le mal est tel que désormais les rectifications sont quasi impossibles. Les habitants du pays entier viennent encombrer le centre-ville pour effectuer des achats ou utiliser les divers services privés et publics.

« Il est absolument urgent d'intervenir par une série d'opérations coordonnées portant :

« 1. Sur la décongestion du centre par transfert des grands services administratifs publics (ministères et offices, bureaux des ambassades et des consulats) ;

« 2. Sur la décongestion du centre par l'établissement de plusieurs centres secondaires très bien équipés en services commerciaux, en services personnels et en salles de loisirs ;

« 3. Sur la réservation, pour usage public en fonction d'un plan rationnel, d'un grand nombre de terrains encore libres ;

« 4. Sur les grandes radiales et sur les boulevards périphériques ;

« 5. Sur la préservation absolue des espaces verts, même privés, déjà existants ;

« 6. Sur l'observation des règlements limitant des volumes totaux de constructions nouvelles par rues existantes ;

« 7. Sur le périmètre d'agglomération à fixer impérativement et sur l'emplacement ou le choix des cités satellites à promouvoir.

« Si la croissance de la population se répercute selon les tendances actuelles sur la croissance de la population de la capitale à un rythme beaucoup plus rapide que celui du pays entier, le coût urbain va devenir extravagant et la productivité propre de la ville en tant que centre de conjonction des services de plus en plus faible..

« Les remèdes immédiats sont les suivants :

« 1. Installation rapide d'une cité administrative assez éloignée de la ville, mais liée par un moyen rapide de communication aux centres anciens avec facilité de jonction des centres secondaires ;

« 2. Regroupement près de cette cité d'un certain nombre de services (grandes administrations privées, services étrangers) ayant des relations fréquentes avec les administrations publiques ;

« 3. Disposition de la cité administrative en marge des voies de trafic ordinaire ;

« 4. Reprise du plan d'urbanisme adapté aux nouvelles mesures et limitant l'extension totale de l'agglomération ;

« 5. Choix des cités satellites à promouvoir vers le nord, le sud et l'est ;

« 6. Loi sur le coût commercial des terrains urbains et sur le coût des expropriations pour intérêt public ;

« 7. Application effective de la loi sur les volumes de constructions autorisés en fonction de la largeur des rues.

« Ainsi protégé, le remodelage progressif de l'agglomération pourrait se poursuivre sur une dizaine d'années. »

18Certaines de ces recommandations se traduisent par une série de textes de lois et quelques réalisations à travers le tissu urbain, d'autres restent sans suite.

19Les réformes effectuées par le général Chehab durant son mandat à la tête de l'État (1958-1964) concernent aussi bien le domaine de l'aménagement que le domaine économique15, laissant pratiquement intacte la structure de base du système politique, et renforçant même ses aspects communautaires sur le plan administratif. Dans une évaluation de la portée de ces réformes dans le domaine de l'aménagement, lade Tabet16 écrit :

« Les grandes opérations, les grands travaux de la période chéhabiste s'expriment dans la lisibilité et dans l'étendue, en opposition avec la ville concentrée comprise en termes de fermeture et d'imbrication, ils ne rendent pourtant lisibles que certaines valeurs convenues, ils fonctionnent comme des masques, masques de la différence entre les quartiers, entre statuts sociaux et communautaires, entre activités. S'ils visent à occulter l'identité des paysages urbains spécifiques, c'est au profit du nouveau signifiant global, la grande métropole, qu'on veut construire au flanc de l'État arabe unitaire en gestation. »

20Plus loin17, il cite Georges Corm18 à propos de l'ambiguïté des plans libanais qui

« ni purement indicatifs ni dirigistes, ont tenté d'influer sur les structures socio-économiques par l'intermédiaire d'un corps de fonctionnaires créé à cet effet. Urbanisme de technocrates donc, qui finit par se diluer dans une bureaucratie inopérante. Paradoxalement, cet urbanisme ne fera que reproduire en les amplifiant les effets du laisser-faire de la période précédente [...]. »

21Le projet chéhabiste avorte suite à la défaite des Arabes après la « Guerre des six jours » en juin 1967. La période qui suit est marquée par une spéculation foncière et immobilière forcenée, encouragée par les protections politiques et le conservatisme des pouvoirs locaux ; l'individualisme touche toutes les couches de la société. Cette situation dure jusqu'à la veille de la guerre libanaise.

22Comment le contenu des plans précédents (1932 et 1943) se manifeste-t-il dans les tentatives, plus récentes, de rationalisation de la « folie urbaine » ?

23Les propositions de Danger n'y laissent aucune trace – sauf quelques tronçons de voies reprises par Écochard et exécutés plus tard –, et le paysage décrit par Rondot tend à se transformer en un paysage de « taudis »19. En revanche, les thèmes développés par Écochard sont sans cesse repris. Son réseau de voirie est en grande partie intégré au « plan directeur général », approuvé en 1954 et le nouvel aéroport20 de Beyrouth est construit à l'emplacement prévu dans son projet. Son zonage inspire la réglementation et les servitudes imposées à la banlieue sud en 1953 et à Beyrouth municipe en 1954. Écochard est même rappelé en 1963 pour établir le « Schéma Directeur d'Aménagement du Grand Beyrouth » dont certaines parties sont approuvées en 1964, alors que Marthelot écrit « Une ville remplit son site : Beyrouth »21.

24Si les propositions d'Écochard sont reprises dans leur forme, leur contenu est presque totalement évacué, entraînant leur détournement total lors du passage de la réglementation à l'application. Les voies ont été tracées, sans strictement fixer les fonctions admises dans les zones qu'elles délimitent. Leur réalisation n'a fait qu'élargir le territoire des spéculateurs, et compliquer les rapports de l'individu avec la rue : notamment les commerces qui se sont développés autour de ces voies, même les plus rapides, entraînent des problèmes de promiscuité et d'échelles incompatibles. Le développement des voies de transport va également anticiper l'urbanisation des banlieues lointaines, notamment celle des collines qui surplombent la ville22, et faire de l'agglomération de Beyrouth une

« agglomération à géométrie variable, qui, tel un accordéon s'étirait en été et se rétractait le reste de l'année »23.

25La ville nouvelle qu'Écochard a projetée dans la banlieue sud n'a jamais été approuvée. L'aménagement et la réglementation des banlieues n'ont pu freiner l'urbanisation de zones jusqu'alors rurales24, ni résoudre le problème d'une classe démunie de travailleurs, d'immigrés et de réfugiés qui s'y étaient installés25.

26Si toutes ces mesures déformaient les références, si elles n'obéissaient à aucune philosophie, ne s'imposaient aucun fondement scientifique, c'est qu'elles ne faisaient que consacrer – quand elles ne le provoquaient pas – l'éclatement, par étapes successives, de la structure urbaine et sociale de la ville. Les signes de cet éclatement étaient d'abord cachés par tous les signes de richesse affichés alors dans la capitale. Cette richesse, provenant de l'afflux des capitaux arabes provoqué par l'accroissement des revenus pétroliers, ne faisait que consolider la place financière de Beyrouth. Elle se traduit par une vague de constructions massives introduisant, au début des années 70, de nouveaux types architecturaux – les tours et les centres commerciaux – comme signes de pouvoir.

27C'est cette réalité, cette tendance suicidaire au développement, qui va survivre à toutes les « visions » des aménageurs. Pour s'en rendre compte, il a fallu seize ans de guerre, la destruction quasi totale du centre-ville et la décentration26 de la structure urbaine, la coupure en deux de la ville avec le développement, d'un côté et de l'autre de la ligne de démarcation, d'un

« tissu informe, répétitif et monotone, grisaille sans centre et sans noeud [...]. Lieux de l'anti-mémoire : non seulement par l'absence de noeud, de signaux et de repères mais surtout par l'indistinction, par l'absence de limites. »27

28La guerre a été ponctuée par des périodes d'accalmie, durant lesquelles des tentatives de planification ont été entreprises. La première en 1977, date à laquelle l'APUR28 établit un projet pour la reconstruction du centre-ville, massivement touché par les destructions des deux premières années de guerre (1975-1977). Ce projet, adopté par le gouvernement libanais, est remis à jour en 1983 par une société privée (Oger Liban). Le contexte politico-économique ayant changé, il est remplacé par un autre en 1992 et par un troisième en 1994. Ce dernier projet est développé dans la suite de ce document.

29Entre 1983 et 1986, un « Schéma Directeur de la Région Métropolitaine de Beyrouth » (SDRMB) est élaboré par une mission franco-libanaise avec l'IAURIF29. C'est le devenir de tout Beyrouth et de sa région qui est mis en question. Outre l'établissement d'un réseau de circulation à l'échelle nationale et régionale, le SDRMB réduit le rôle rayonnant du centre traditionnel, au profit d'autres centres, baptisés « centres secondaires régionaux ». Ce plan montre aujourd'hui sa pertinence en tant que seul document de référence à l'échelle métropolitaine. Presque tous les grands projets de la reconstruction sont cohérents avec le SDRMB : réseau de transport collectif ; agrandissement de l'aéroport et du port ; remblais de la banlieue nord ; reconstruction de la cité sportive ; hôpital gouvernemental ; Université Libanaise de Hadeth ; réaménagement de la banlieue sud ; autoroute arabe ; autoroute périphérique ; diverses routes pénétrantes...

30D'autres projets du SDRMB ne sont pas encore engagés (espaces naturels, centres secondaires...) et nécessitent des études approfondies.

31La principale critique qu'a soulevée ce plan lors de sa parution est que l'implantation des centres secondaires entérinait les rapports de force entre les différents belligérants du conflit libanais, chaque parti bénéficiant d'un centre sur le territoire qu'il avait investi, et ceci malgré les affirmations des auteurs du SDRMB portant sur la réflexion de fond engagée sur les

« [...] moyens à mettre en oeuvre dans le cadre du Schéma Directeur pour favoriser la réunification de la ville tout en tenant compte des séquelles durables du clivage actuel dans l'esprit des citadins. »30

32Cette critique perd aujourd'hui de sa pertinence vu la configuration socio-politique actuelle.

B. LA RÉGLEMENTATION DU DÉVELOPPEMENT URBAIN

33Edictés principalement par les plans d'aménagements, les règlements de l'urbanisme et de la construction sont modelés par les changements de l'environnement politique, économique et social de la ville. Malgré des prises de position qui se veulent globales, à l'échelle de l'agglomération, et qui transparaissent dans les plans préparés, la réglementation reste assez fragmentée. Cette fragmentation témoigne de la difficulté du passage de la phase des études, recommandations et dessins, à celle de la codification et de la détermination des mesures concrètes à entreprendre, et ceci dans un cadre institutionnel qui est celui du Liban. C'est l'une des premières manifestations du décalage constaté entre le rythme du développement et celui de l'évolution des moyens de sa gestion. La lecture des textes de lois dégage la platitude du contenu de la grande majorité des textes par rapport aux problèmes soulevés lors de leur publication.

34Comment la réglementation urbaine a-t-elle accompagné, par son évolution, les différentes tentatives de planification ? Pour se faire une idée générale sur cette question, la liste figurant en annexe I peut être assez démonstrative. Plus particulièrement, et en ce qui concerne ce travail de recherche, nous pouvons déjà situer les thèmes développés antérieurement, et surtout leurs variations, en contexte, c'est-à-dire par rapport au développement de la ville, en partant du début des années 1950.

35Mais au-delà du contenu des textes de lois, au-delà de leurs abrogations ou modifications successives – reflet de l'évolution des rapports de forces et des compromis qui maintiennent l'équilibre instable de la structure politique et socio-économique du pays -, les différentes interprétations que ces textes peuvent suggérer vont surtout marquer le paysage beyrouthin à travers la production architecturale et urbaine. Cette malléabilité a profité aux spéculateurs et acteurs de la ville, en leur laissant une marge de manoeuvre aussi large que leur liberté d'action héritée des périodes antérieures de laisser-faire.

36C'est dire que les directives des plans de développement qui échappent aux premières déformations dues à une lecture subjective des politiciens et des législateurs finissent par tomber en désuétude sous la pression des spéculateurs. Une étude des applications de la réglementation peut nous fournir une image primaire mais démonstrative, de la courte portée des textes de lois et de l'étendue du champ des contournements et travestissements possibles.

C. LES APPLICATIONS DE LA RÉGLEMENTATION

37En suivant l'ordre adopté pour l'exposé des textes de lois, ces derniers peuvent être groupés en deux catégories :

  1. Les règlements de portée globale, à l'échelle de la ville.

  2. Les lois agissant à l'échelle de la parcelle.

38Avant d'entamer une étude des applications de la loi, rappelons qu'il existe une corrélation entre celles-ci et les textes qui les ont générées.

1. Les règlements de portée globale

39Le zonage visait, par la délimitation de secteurs de servitudes à l'intérieur des limites municipales de Beyrouth, à l'uniformisation de ces secteurs en imposant dans chacun d'eux des règles et des normes homogènes, différentes d'un secteur à l'autre. Ces règles et normes manient les volumes et les surfaces construits en rapport avec les surfaces des parcelles, tout en laissant le libre choix au constructeur quant à l'utilisation de son bâtiment. La vieille ville, généralement le secteur le plus délicat à gérer dans toute politique d'aménagement, a été, dans le cas de Beyrouth, la moins concernée par le règlement du zoning édicté en 1954. Délimitée comme étant la zone (I), ce n'est qu'en 1971 qu'un CET de 6 (le plus élevé parmi tous les secteurs) lui a été attribué et imposé, alors que jusqu'à cette date, elle avait été la proie d'une densification sauvage31.

40Le zonage, tout en gardant l'hétérogénéité de l'usage des sols, n'a fait que fixer des gabarits et des rapports de densités et d'implantations en surfaces, incitant ainsi au contournement de la réglementation par tous les moyens possibles.

41Le secteur tertiaire et les services sont attirés par les zones à CET élevés – surtout le centre-ville -, tandis que la population résidente, augmentée des migrants des régions rurales et étrangères, s'est installée dans des secteurs moins convoités par les spéculateurs, donc plus accessibles quant aux prix des terrains et des loyers.

42De ce fait, le zonage n'a pas réussi à équilibrer la répartition des fonctions dans chaque secteur, encore moins celle d'une population qui, pour élire son lieu de résidence, n'avait qu'à répondre à un premier critère, celui de l'appartenance religieuse et communautaire.

« La fixation des migrants, à travers des mécanismes sociaux, économiques et fonciers complexes, a abouti, en général, à la reconstitution d'espaces confessionnels relativement homogènes, imbriqués les uns dans les autres et croissant à partir de vieux noyaux dont les habitants étaient de l'une ou l'autre communauté. »32

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Figure III.4 : la répartition de la population à l'intérieur de Beyrouth Municipe en 1973

Source : copie d'après Le Livre Blanc, direction générale de l'Urbanisme, fascicule 2. Beyrouth, juin 1973, p. 22.

43L'homogénéité des quartiers était donc moins fonctionnelle qu'architecturale ou réglementaire. Les quartiers n'étaient pas non plus individualisés socialement et nombreux étaient-ils dans Beyrouth ceux où riches et pauvres se côtoyaient. La ville s'est constituée par juxtaposition et imbrication d'espaces dont l'homogénéité est avant tout confessionnelle. Cette tendance au regroupement confessionnel à l'échelle du quartier s'est généralisée pendant la guerre libanaise pour prendre la forme d'une coupure nette de la ville en deux parties : est (chrétienne) et ouest (musulmane). Cette coupure se matérialise par la ligne de démarcation (ligne des combats) instaurée dès 1975, et jusqu'en 1990, marquant une faille dans le tissu social de la ville, aussi bien que dans le tissu urbain par l'ampleur des destructions que les combats ont générées tout le long de cette ligne.

44Les grands aménagements entamés dans les années 1960 se sont basés sur le tracé et les percements des grandes voies de circulation.

45Le percement de nouvelles voies à travers le tissu urbain n'est pas sans perturber les structures de base des îlots qu'elles traversent33. La réorganisation du sol et la redistribution des propriétés pour s'adapter à cette nouvelle configuration sont faites aux dépens des anciennes constructions, souvent celles datant de la fin du xixe siècle – ou, éléments d'un patrimoine architectural sans aucune protection, devenus de plus en plus rares.

46Tabet note que

« l'un des objectifs de la stratégie chéhabiste semble avoir été, en réaction aux événements de 1958, de mieux connecter entre eux les quartiers à dominante communautaire traditionnelle et de rompre la cohésion interne de ces quartiers par le percement d'avenues et de boulevards à travers le tissu urbain. »34

47Cette supposition est fondée sur le fait que

« la corniche de Mazraa sépare les secteurs de Mazraa, Moussaïtbé et Tarik el-Jdidé ; l'avenue de l'Indépendance tranche le secteur de Zarif-Karakol druze ; la corniche de la télévision coupe le secteur de Aïcha Bakkar ; l'avenue Fouad Chéhab sépare le secteur de Ras-an-Nabaa de celui de Basta ; le Ring qui lie Achrafieh à Hamra surplombe les secteurs de Khandak-el-Ghamik et Ghalghoul et assure ainsi leur contrôle... »35

48En réalité, ces grands boulevards ont joué un rôle important pendant la guerre, permettant aux différentes parties du conflit libanais opérant sur le sol de Beyrouth de mieux isoler et contrôler leur territoire. Les points de passage contrôlés entre l'est et l'ouest de Beyrouth ont été installés sur les croisements de ces voies (figure de droite) :

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Source : EL ACHKAR.

  1. Le passage du Musée : sur la Corniche, au niveau du Musée national et du Bois des pins.

  2. Le passage de Sodeco : sur le croisement de l'avenue de l'Indépendance et du boulevard Béchara el-Khoury.

  3. Le passage du Ring : sur le Ring commercial, surplombant l'entrée sud du centre-ville.

« [...] La fermeture pendant la guerre de ces grands axes de circulation et la négation de leur présence, vise symboliquement à faire revivre, dans la mémoire des habitants, l'image du tissu urbain traditionnel de la ville arabe : un tissu ouvert devant l'habitant et fermé face à l'étranger. »36

2. Les lois agissant à l'échelle de la parcelle

49L'échec de la tentative de rationalisation des processus de fabrication de la ville par la seule uniformisation de la réglementation à l'échelle du secteur s'est doublé, à l'intérieur même de chaque secteur, par une incapacité à maîtriser les différentes formes de la création architecturale. Incapacité ou manque de volonté, l'une et l'autre transparaissent dans les textes de lois agissant à l'échelle de la parcelle et applicables conjointement avec les dispositions du règlement du zoning et les plans d'aménagement des abords des grandes voies de circulation. Pour ces derniers, les bâtiments érigés actuellement en bordure de la Corniche sont une parfaite illustration de la faiblesse des règlements.

50Le contournement de la réglementation se généralisant, les irrégularités sont sanctionnées, non par la destruction des éléments hors-norme, mais par une série de décrets visant la mise en conformité des bâtiments moyennant le paiement d'une amende. Sous ces conditions, ils seront régularisés et intégrés, légalement, à la structure du tissu urbain.

51Comment s'est appliquée sur le sol la réglementation des volumes bâtis ?

a. Les gabarits

52Rappelons que la hauteur des gabarits était limitée, selon la loi de 1940, par une ligne horizontale située à 26 mètres au-dessus du sol. Cette horizontale est supprimée, dans certains cas, par l'article 18 bis de la loi du 20 janvier 1954 complété par la loi 54/67 du 28 juin 1967. Cette suppression se généralise à partir de 1971 grâce à la modification de la définition des gabarits. Cette évolution ne fait qu'augmenter la hauteur possible des façades ainsi que la liberté d'implantation par rapport à la rue.

53L'explosion du marché de l'immobilier a été la cause de l'amendement, à plusieurs reprises, de la réglementation concernant les gabarits. Outre l'article 18 bis de la loi du 20 janvier 1954, citons pour exemple l'article 8 du décret n° 15838 du 20 mars 1964 qui abroge l'article (49 nouveau) du décret législatif n° 61/LE du 30 août 1940 et le remplace par un texte qui autorise le dépassement du gabarit réglementaire des constructions pour les cages d'escaliers et les cages d'ascenseurs, ainsi que la disposition des réservoirs d'eau au-dessus de la dernière terrasse. Le paragraphe (4) de ce texte stipule aussi

« qu'un roof pour habitation peut être construit sur la terrasse de l'étage le plus élevé, aux conditions suivantes :

« A. Que sa hauteur n'excède pas le gabarit du bâtiment de plus de 2,80 mètres.

« B. Que sa superficie n'excède pas 40 % de la superficie de la terrasse sur laquelle il est construit.

« C. Que sa superficie ne soit pas inférieure à 40 mètres carrés.

« D. Que sa construction accuse un recul de deux mètres au moins par rapport à l'un quelconque des côtés du bâtiment.

« E. Que ses saillies n'excèdent pas un mètre.

« F. Qu'il paie le quintuple de la taxe d'un immeuble ordinaire.

« Bénéficient des dispositions du présent paragraphe (4) les titulaires d'un permis régulier de construire établi à une date antérieure à la mise à exécution de la présente loi. »

54Du coup, tous les immeubles, construits ou à construire, gagnent un étage.

55Cet amendement intervient, paradoxalement, au moment où le débat sur la ville est largement ouvert et où les fortes densités sont considérées comme un problème prioritaire à résoudre !

56La dérogation du roof fut annulée suite à l'abrogation par la loi 59/71 du décret législatif 61 /LE du 30 août 1940.

57La loi 6/80 du 17 mai 1980 va introduire la notion de ce qu'on va couramment appeler « l'étage el-Murr »37. Cette loi va autoriser, sur pratiquement tout le territoire libanais, une majoration du CET d'une valeur maximale égale à une fois la valeur de la moyenne d'exploitation au sol de la région d'accueil, à condition que la valeur finale du CET après majoration ne dépasse pas 3,5 et que cette majoration soit exploitée pour la construction d'un seul étage supplémentaire au plus. Cette disposition peut s'appliquer sur les nouvelles constructions, ainsi que pour la surélévation de bâtiments existants, et ceci moyennant le paiement d'une taxe calculée sur la base du prix au mètre carré du terrain sur lequel la majoration est appliquée.

58La loi 6/80 fixe à deux ans (jusqu'au 17 mai 1982) son délai d'application. Le décret 103 du 30 décembre 1982 prolonge ce délai jusqu'au 31 décembre 1983. La loi 6/80 fut abrogée par le décret législatif 129/1983 puis remise en vigueur par le décret législatif 33/1985. Le délai d'application de la loi 6/80 sera encore prolongé jusqu'au 8 novembre 1993 par la loi 23 du 30 octobre 1990 et jusqu'au 11 août 1997 par la loi 370 du 1er août 1994. C'est à cette loi, à ses prolongations et au fameux étage el-Murr que le tissu urbain de plusieurs villes et villages libanais doit sa surélévation d'un étage supplémentaire.

59L'obligation de construire une clôture sur l'alignement au cas où le bâtiment accuse un recul par rapport à la rue est également supprimée à partir de 1971. Elle n'a d'ailleurs jamais été rigoureusement observée. C'est la continuité des alignements qui en a souffert, ainsi que la définition même de l'espace de la rue.

60Pour illustrer la réglementation des gabarits, appliquons-la sur des parcelles abstraites. Une première étape consiste à fixer les dimensions de ces parcelles, et surtout leur surface pour qu'elles soient représentatives. Dans ce but, nous avons choisi un échantillon de 579 parcelles (figure III.5). La valeur moyenne calculée de leur surface est de 700 m2. La moyenne des surfaces des parcelles de superficies supérieures à 700 m2 est de 1 000 m2. Les parcelles de superficies inférieures à 700 m2 ont une surface moyenne de 300 m2.

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Figure III. 5 : taille et situation des parcelles prises comme échantillon.

Source : El Achkar. Les valeurs des surfaces des parcelles sont tirées du rapport d'enquête « Schéma d'aménagement pour la reconstruction des quartiers de l'ancienne ligne des combats de Beyrouth et de sa proche banlieue, diagnostics et paris d'aménagement », IAURIF, avril 1993.

61Les valeurs de surfaces retenues sont donc de 300, 700 et 1000 m2. On considère des parcelles de forme rectangulaire. Cette représentation reste assez schématique. L'illustration donne néanmoins un aperçu significatif de la réalité. Elle montre la diversité des volumes, pleins (bâtiments) et vides (rues) qui peuvent résulter d'une telle réglementation. Cette diversité contribue au caractère chaotique des rues de Beyrouth (figures III.6 à III.8).

62La volonté de rentabiliser au maximum le sol et les opérations immobilières justifiait des outrances. Le ralliement à une certaine interprétation de la modernité, soutenu par un savoir-faire technique en évolution, transforme les dimensions et les aspects de la production architecturale. Engageant le tissu urbain, parcelle après parcelle, dans un processus de renouvellement, les promoteurs et les constructeurs sacrifient, au nom de la modernité, tout ce qui est ancien et non rentable. L'héritage architectural du xixe et du début du xxe siècle n'étant pas protégé juridiquement, et sa protection morale étant ébranlée, il est défiguré par des surélévations, des annexions et des substitutions. Bref, par tout ce qui peut tenir dans un gabarit réglementaire (figures III.9 à III. 11).

63Par ailleurs, les constructeurs ne manquent pas d'astuces pour dépasser les lignes du gabarit, en jouant sur les saillies autorisées. Les pergolas38 et les balcons vitrés après l'obtention du permis d'habiter ne sont que les moindres de ces astuces. La façon propre à chaque concepteur de subtiliser quelques mètres cubes devient en quelque sorte sa signature, et différencie son oeuvre, tandis que des façades, de plus en plus neutres, définissant et abritant leur contenu, s'affichent vers l'espace public. La rue, elle, manque encore de définition.

64Les alignements et les clôtures étant non obligatoires, la rue devient un espace de flux, sur lequel viennent s'accrocher des rebuts d'espaces en principe privés mais qui ne veulent plus l'être : des devantures de magasins, quelques places de parking, un recul en façade sacrifié pour gagner quelques mètres en hauteur, un dégagement latéral séparant deux immeubles de la valeur minimale admise pour la profondeur du champ visuel, un terrain vague d'une propriété non bâtie, une entrée prestigieuse pour un immeuble qui ne l'est pas moins, ou, le plus souvent, un étage de pilotis offrant au regard le fond d'une parcelle par-dessus les toits des voitures qu'il abrite.

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Figure III.6 : la règle des gabarits, appliquée en zone (II).

Source : El Achkar

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Figure III.7 : la règle des gabarits, appliquée en zone (III).

Source : El Achkar

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Figure III.8 : la règle des gabarits, appliquée en zone (IV),

Source : El Achkar

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Figure III.9 : la rue Gouraud Zone (11).

Source : El Achkar. Dessin et représentation volumétrique. d'après les plans cadastraux de 1965 et un relevé de façades fait par des étudiants de l'Académie libanaise des Beaux-Arts (ALBA).

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Figuré III. 10 : cas d'un bâtiment à R+2 des aimées 1920, masqué, sur une même parcelle, par un immeuble à R+8 de 1986. (Situation : figure III, 11).

Source : copie d'après le permis de construire. Ingénieur/Architecte : R. Kahil

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Figure III, 11 : situation de la parcelle 1093 (figure III. 10).

Source : plan de cadastre. Cliché : El Achkar

b. L'étage des pilotis

65Dès leur expérimentation par Le Corbusier et leur classement parmi les « cinq points de l'architecture [moderne] », les pilotis sont liés à l'idée de dégager le sol pour plus de liberté d'usage et de circulation : lieu de la transition entre l'extérieur et l'intérieur de l'immeuble ; entre le sous-sol ou le sol humide et la maison hygiénique ; entre la rue grouillante et le jardin calme ; « un jardin qui passe sous la maison ».

66C'est sous cet angle que l'étage des pilotis fut introduit par le discours architectural d'Écochard à Beyrouth au début des années 1940. L'adoption de son principe par les constructeurs va orienter une partie de la production architecturale vers un nouveau mode d'occupation du sol (figures III. 12 à III. 15).

67Le règlement du zoning exclut les parties libres et aérées de l'étage des pilotis du calcul de la somme nette des surfaces construites admises par le CET. Les concepteurs des nouveaux bâtiments vont profiter de cet avantage et en alimenter leurs propres discours. L'étage des pilotis est ainsi lié aux quelques mètres carrés leurs propres discours. L'étage des pilotis est ainsi lié aux quelques mètres carrés qu'on libère au sol, à l'ombre, pour les récupérer dans un étage supérieur exposé au soleil ; au nombre de voitures qu'on va pouvoir garer, en préservant les sous-sols pour d'autres usages plus rentables que les garages ; au local du gardien auquel on va annexer une pièce identifiée sur les documents du permis comme local commun de service, et qu'on va pouvoir louer à un particulier dans les temps difficiles ; au fond de commerce qu'on va gagner au rez-de-chaussée par un cloisonnement, illégal, a posteriori, et qu'on réussira à régulariser moyennant le paiement d'une amende ; à toutes les tournures ingénieuses qu'on va inventer dans le seul but de convaincre, de vendre.

68L'étage des pilotis, construit sur un sous-sol utilisé comme dépôt et pris entre deux murs mitoyens devient naturellement le lieu du courant d'air, que seules les voitures qui s'y garent viennent briser. Aux moments de la journée où les voitures accomplissent leur devoir en ville, l'étage des pilotis abrite les échos et des gamins qui, en mal de terrains de jeux, viennent s'y lancer quelques balles en évitant des pilotis aux bases noircies par les fumées des pots d'échappement, mettant en péril les quelques plantes vertes qui survivent dans des bacs disséminés çà et là, dans un espace qui leur est hostile.

69Les enfants jouent devant l'immeuble ; ils occupent cet espace ; ils ne sont pas dans la rue, mais rien n'empêche que de temps en temps, la rue leur envoie ses occupants.

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Figure III.12 : l'introduction et l'évolution de l'étage des pilotis dans la pratique architecturale.

Source : El Achkar

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Figure III. 13 : applications de l'étage des pilotis.

Source : copies de permis de construire. Ingénieurs/Architectes : (P 218) L. Germany, 1979 ; (P5521) G. Abou Fadel, 1986 ; (P 848) G. Majdalani, 1993 ; (P 1417) C. Kamel, 1993 ; (P 65) E. El Kecq, 1992.

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Figure III. 14 : de haut en bas : P 218, P 848, P 65.

Source : plan de cadastre. Clichés : El Achkar

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Figure III. 15 : situation des parcelles des figures III.13 et 14.

c. Les immeubles de plus de quarante mètres de hauteur

70L'une des conditions fixées par l'article 18 bis de la loi du 20 janvier 1954 pour pouvoir construire en hauteur est de laisser, obligatoirement, et du côté de la rue, le quart de la surface de la parcelle libre de toute construction. Les surfaces identifiées comme cours doivent aussi rester libres de toute construction. On peut donc croire à une volonté d'exiger la préservation de surfaces libres au sol pour justifier une augmentation en hauteur des constructions.

71Cette attitude n'est pas sans rappeler celle de Le Corbusier qui expliquait, pour le « Plan Voisin de Paris » (1922-1925) que

72« des parcs aux pieds des gratte-ciel font en réalité, du sol de cette nouvelle ville, un immense jardin. »39

73Faut-il encore rappeler que dans la suite de son exposé sur « ce nouveau type de ville en hauteur », Le Corbusier l'oppose à l'expérience américaine :

74« Ce ne sont plus les aiguilles ou les campaniles en désordre d'un Manhattan hallucinant, serrés les uns contre les autres et se dérobant mutuellement l'air et la lumière ; mais c'est le rythme majestueux des surfaces verticales se prolongeant au loin par l'effet de la perspective et déterminant des volumes purs »39.

75Ce rappel paraît nécessaire avant d'aborder la période qui commence à la fin des années 1960, au cours de laquelle les premières tours font leur apparition à Beyrouth.

76La loi 59/71 du 13 septembre 1971 impose de nouvelles règles à respecter pour la construction d'immeubles de plus de 40 mètres de hauteur. Une simple lecture des textes de lois révèle leurs contradictions en ce qui concerne la définition-même de la tour :

  • On empile les étages à condition de préserver des surfaces au sol libres de toute construction ;

  • On autorise au pied de chaque tour la construction d'un socle (galette) qui peut occuper toute la surface admise par la moyenne d'exploitation au sol, et ceci sur une hauteur de 10 mètres ;

  • On exige la présence de garages, en sous-sol naturellement ;

  • On autorise, enfin, l'étage des pilotis pour libérer un sol déjà construit, avec l'avantage de pouvoir ne pas l'inclure dans le calcul des surfaces admises par le CET.

77Il y a là tout ce qu'il faut pour rendre heureux le plus naïf des entrepreneurs et le moins habile à trouver la faille dans la loi, pour pouvoir la transgresser.

78Dans la réglementation des immeubles de plus de 40 mètres de hauteur, l'espace du jardin est toujours préservé, mais réduit, par la frénésie spéculative accompagnant la prospérité économique de l'époque, à cinquante pour cent des surfaces libres laissées au niveau du sol, si elles existent !

79Loin d'égaler la pureté et les 200 mètres de hauteur des gratte-ciel de Le Corbusier, et étant bien au-dessus des cinq pour cent de la surface au sol occupée par ces derniers, l'érection vers le ciel des tours introduites dans le paysage urbain beyrouthin ne vise pas seulement à ce qu'elles soient embrassées par l'air et le soleil, mais aussi à caresser l'orgueil de leurs constructeurs ou propriétaires.

80Rizk, el-Murr, Holliday Inn, SNA..., des noms de personnes ou de sociétés, associés à des tours en béton qui échappent à tout ordre quant à leur répartition sur le territoire. Des façades à l'intérieur desquelles évoluent la grande bourgeoisie et les bureaucrates les plus fortunés, écrasant à leurs pieds un tissu « banal », plat et monotone comme le quotidien de ceux qui le peuplent. Les tours vont être synonymes de provocation. Provocation à laquelle les adversaires de la guerre libanaise n'ont pas manqué de réagir en cherchant à occuper, au prix élevé du sang et de nuits de combats, celle des tours qui domine le mieux le territoire de l'ennemi, assure une meilleure défense du leur et procure le dégagement nécessaire pour implanter leurs émetteurs de radio ou de télévision.

81Dans un article succinct portant sur les « tours à la libanaise », Tabet40 les désigne comme :

82« ces informes moignons baptisés “tours”, qui viennent chapeauter des “galettes” commerciales édifiées sur des parcelles minuscules, encombrant l'espace et asphyxiant progressivement notre environnement bâti. »

83Il se demande également :

84« (...) qu'y a-t-il de commun entre ce cocktail d'objets solitaires qu'on s'empresse de baptiser "centres commerciaux", ces plots prétentieux et minables qu'on nomme "tours", ces gnomes hybrides qui viennent miter le paysage, et les superbes vaisseaux de verre et d'acier imaginés par les urbanistes des années 20 ? »41

85L'expérience américaine ayant produit la première et meilleure image de référence en ce qui concerne la construction en hauteur, Tabet ne manque pas de la mentionner tout en lui opposant l'expérience libanaise :

86« Manhattan, ville pleine, serrée, rassemblée, manifestant dès l'abord sa généreuse puissance, corps dense qui tourne autour de ce vide miraculeux qu'offre le Central Park, Manhattan vaut par l'échelle de ses édifices géants, non pas celle de la ville, mais de la nature américaine dont elle concurrence les excès. Mais ce modèle n'est pas transposable, on ne peut le reproduire n'importe où, à l'infini. Et surtout pas dans cette version édulcorée que veulent nous offrir les partisans des "tours" à la libanaise, simple empilement d'étages qui reprend la typologie des immeubles classiques en augmentant leur hauteur, collection d'échantillons prétentieux où s'exprime l'individualisme le plus borné. »42

87Si la réglementation des immeubles de plus de 40 mètres de hauteur n'a pas cherché à rendre plus signifiante la disposition à la verticale de ces éléments qui défient l'organisation à l'horizontale du monde, elle a néanmoins fixé, officieusement, la limite en hauteur de la production architecturale courante. Car si les contraintes supplémentaires imposées par la réglementation rendent plus coûteuse voire impossible la construction des immeubles de plus de 40 mètres de hauteur, sur une catégorie de parcelles, il reste qu'en dessous de ce seuil, tout est encore possible. Les 40 mètres deviennent, par une application « personnalisée » de la règle, une limite en hauteur que le tissu banal tend à atteindre (figure III. 16).

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Figure III. 16 : l'application des règles du gabarit associées à un seuil de hauteur résultant de la _réglementation des immeubles de plus de 40 mètres de hauteur.

Clichés : El Achkar

d. Les grands ensembles

88Ce qui différencie dans la forme un grand ensemble des autres opérations immobilières ce sont ses dimensions et celles de la parcelle qui l'accueille. Sur le plan du contenu, il peut abriter n'importe quelle fonction, des programmes diversifiés ; sur le plan urbain, il présente moins de contraintes – aucune si ce n'est la facilité de circulation sur un minimum de surfaces libres – quant à l'exploitation en surface du sol et la liberté d'appliquer ou non les règles du gabarit imposées dans la région d'accueil. Autant de privilèges qui témoignent du pouvoir de pression qu'avaient les éventuels promoteurs de tels projets sur les élus, « clefs » du pouvoir législatif.

89Ce sont les grands complexes touristiques, notamment balnéaires, qui vont en profiter.

90L'émergence des centres balnéaires à Beyrouth, et sur l'ensemble de la côte libanaise, renvoie bien sûr à une autre figure de la modernité, à savoir l'expansion de la société de consommation, mais elle ouvre également la voie à maintes dérives. L'occupation illégale de la côte, en principe protégée, et la privatisation des plages n'en sont que les manifestations les plus fréquentes.

91« Mais pour exploiter une zone inexploitable, protégée, “non édifiable”, il fallait avoir des “arguments”, des “moyens” ou une “protection”. Tous les moyens fournis par la vie politique libanaise et les méandres de la pluralité communautaire, de la corruption, ont été utilisés ; les promoteurs des plages et bains étaient aussi de grands électeurs dont les politiciens avaient besoin pour se faire élire. [...]. Mais c'est surtout en cours d'exécution des constructions que les règlements étaient transgressés et les limites dépassées.

92« [... ] Installés “pied dans l'eau” (interdit légalement), coupant la plage par des fils barbelés ou des blocs en béton armé afin d'empêcher la libre circulation des baigneurs sur le littoral (interdit), construits sous la Corniche côtière (infraction), dépassant les limites et taux de construction (infraction), protégés par les politiciens et les grands administrateurs et parfois par une petite “milice” régionale ou familiale contre les indésirables, souvent déjeunes gens pauvres de la région, ces plages et ces complexes balnéaires beyrouthins – et libanais en général – ont pu être construits, se sont multipliés, se modernisèrent et finirent par couvrir la plus grande partie des deux cents kilomètres que forme le littoral libanais. »43

93Les grands ensembles ont principalement marqué le littoral libanais, et aussi quelques rares grandes parcelles de la ville de Beyrouth. Et, à cette période de l'histoire de Beyrouth, il faut penser à la population de réfugiés en situation précaire installés dans des bidonvilles en dur et qu'il va falloir reloger, principalement sur les vastes terrains muchaa44 de la banlieue sud. Nous pourrions encore penser au remblai de la côte Antélias-Dbayé, en banlieue nord, prêt à recevoir les premières constructions, ainsi qu'aux sociétés foncières45 créées après 1992, pour saisir de telles occasions. Nous pouvons déjà imaginer les nouvelles silhouettes urbaines susceptibles de surgir dans peu de temps si la réglementation reste incapable de prévenir l'irréparable ou si le conseil supérieur de l'Urbanisme ne se décide pas à réfuter les arguments, souvent soutenus par des politiques, des demandeurs de permis de construire d'un grand ensemble, pour baser l'accord préalable à l'obtention du permis uniquement sur des critères de qualité architecturale et urbaine.

D. ÉTUDE DE CAS : LE SECTEUR DU CENTRE-VILLE AVANT 1975

94Si nous abordons, à ce stade de la recherche, la question du centre-ville, c'est pour délimiter une zone qui fera l'objet d'une étude ultérieure plus ciblée, plus que pour isoler cette zone et en faire un sujet d'étude secondaire à côté de ce que fut jusqu'ici notre sujet principal, à savoir la réglementation et ses applications dans la ville de Beyrouth.

95Ce qu'on appelle actuellement le « centre-ville commercial de Beyrouth » a été défini par décret en 199246. Cette définition géographique correspond, essentiellement, à une délimitation antérieure en zones de servitudes (1954). C'est cette délimitation que nous allons adopter dans la suite de ce document.

96Le centre-ville de Beyrouth requiert une attention particulière : d'une part en raison du rôle qu'il a eu, par le passé, à travers les différentes phases de l'évolution urbaine, sociale, politique et économique de la ville et du pays en général ; et d'autre part pour la symbolique de la reconstruction qu'il porte actuellement et qui le projette dans le troisième millénaire comme pôle d'attraction financier dans la région du Moyen-Orient.

97Nous n'avons pas la prétention de pouvoir, dans les pages qui suivent, livrer une étude bien détaillée de ce cas d'urbanisation – et d'urbanisme – que représente le centre-ville de Beyrouth, et ceci pour les raisons citées ci-dessus. Par ailleurs, les écrits sur ce sujet ne manquent pas. Il s'agit plutôt, au terme de ce chapitre et à travers le suivant, de préparer et de produire des éléments de corpus, essentiels pour un travail ultérieur de recherche portant exclusivement sur la problématique du centre et de sa réintégration dans la ville après sa marginalisation pendant quinze années de guerre. Dans ce but précis, la suite de ce document pourra s'adapter, grâce à sa structure flexible, à d'autres usages ultérieurs. Nous ne manquerons pas, néanmoins, d'articuler la nouvelle problématique, celle du centre-ville et de sa reconstruction, avec celle de la réglementation et de ses applications à l'échelle de la ville. Dans un premier temps, un bref exposé sur la formation de la structure urbaine et un renvoi aux textes des lois appliquées – avant la guerre – dans ce secteur, s'imposent.

98Si le centre-ville est souvent confondu avec la vieille ville, c'est aussi le cas du centre actuel de la ville de Beyrouth. Ville complètement fortifiée dès ses origines lointaines, Beyrouth a connu une croissance très lente jusqu'à la seconde moitié du xixe siècle. Dès 1860, alors que la ville était sous l'administration directe de l'Empire ottoman, les murailles ont été définitivement détruites et la ville s'est étendue largement au-delà de ses limites d'origine. L'histoire urbanistique moderne de Beyrouth ne commence qu'en 1915, date à laquelle les Ottomans, dans le cadre d'une politique de réforme lancée dès 1839 (les Tanzimats), détruisent une grande partie des anciens souks, dans une opération de réaménagement urbain. Ces travaux sont interrompus par la défaite des Ottomans à l'issue de la Première Guerre Mondiale, et les autorités françaises à qui le mandat sur la Syrie et le Liban est confié par la Société des Nations en 1920, ne tardent pas à les reprendre. La place des Martyrs, construite à l'ancien emplacement des jardins du palais de l'émir Fakhr ed-Dîn, est réaménagée en 1924 suivant le plan rectangulaire typique des jardins à la française. Dans les années 1930 on exécute le lotissement du quartier de la place de l'Étoile. En introduisant ainsi un nouveau système d'organisation et de production du tissu urbain, ses opérations modifient profondément la structure d'origine de la ville et le tissu produit reste, actuellement, l'une des caractéristiques urbaines du centre de Beyrouth (figure III. 18).

99« Mais Beyrouth est aussi à ce moment l'unique port militaire français d'importance au Levant ; c'était l'entrepôt principal du Mandat sur le Liban et la Syrie, le Quartier Général de l'Armée du Levant, le verrou militaire français. Comme Haïfa, c'est aussi le port par excellence de l'intérieur : toutes les marchandises doivent y transiter. Preuve de sa position incontournable, son dynamisme a même été maintenu durant la Deuxième Guerre Mondiale, avec le va-et-vient d'armées qui utilisaient son port et son aéroport pour leurs communications stratégiques avec les champs de pétrole du Nord de l'Irak ou avec l'Egypte et son canal. »47

100C'est en raison de cette « position stratégique et incontournable » que Beyrouth va connaître les phénomènes de la croissance démographique et de la densification urbaine, dans leurs formes les plus sauvages et incontrôlables et qui vont, naturellement, toucher en premier lieu son centre. Croissance incontrôlable parce qu'incontrôlée dans ses phases critiques, surtout dans les premières années qui suivent l'indépendance du Liban.

101Sans essayer de remédier aux problèmes de la surdensification du centre-ville, à travers soit le règlement du zoning soit les modifications intervenues sur la loi de la construction, la politique d'aménagement entreprise par l'État semble viser l'évacuation de ces problèmes en les isolant à l'intérieur d'un « Ring Commercial ».

102En 1963, une rénovation des secteurs de Ghalghoul et Saïfi sera tentée. Mais, à part la création des sociétés foncières chargées de l'exécution de cette opération, cette tentative ne dépassera pas le stade des études et des dessins. Certaines voies tracées pour dégorger le centre ne seront pas non plus exécutées, sans doute à cause des difficultés d'expropriation.

103A la fin des années 1960 et au début des années 1970. une série de décrets est approuvée pour faire face, bien que partiellement, à l'amplification du désordre et de l'anarchie régnant sur ce secteur et s'exprimant dans la configuration de ses rues et de ses bâtiments : limitation des hauteurs pour dégager une perspective vers la mer à partir de la colline du Grand Sérail ; tracé du dernier tronçon de la Corniche et aménagement du front de mer ; fixation du CET et construction du « Ring Commercial » (figures III. 17 à III.20).

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Figure III. 17 : évolution de la structure urbaine du centre-ville (1) 1841. (2) 1876. (3) 1920. (4) 1945.

Sources : (1) extrait de Davie M.F.. Plan de Beyrouth et ses environs en 1841, encarté dans « Trois cartes inédites de Beyrouth . éléments cartographiques pour une histoire urbaine de la ville ». dans Annales de géographie, volume 5. Université Saint-Joseph. Beyrouth 1984. (2) Extrait du Plan de Beyrouth. dédié à S.M.I. le Sultan Abdul Hamid II, par Loytved J.. levé effectué par Stukly A, 1876. (3) Extrait du plan au 1/5000, feuille 2 : Le Port Armée française du Levant, Bureau Topographique, juillet 1920. (4) Extrait de Beyrouth ville, plan au 1/10000, Armée française du Levant, Bureau Topographique. Mai 1945. première édition en 1941. révisée en avril 1945.

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Figure III.18 : le centre-ville de Beyrouth. Situation et tissu urbain.

Source : El Achkar, le fond de plan est une copie, numérisée et retouchée, d'un extrait des plans cadastraux au 1/2000. arrêtés en 1975 et publiés en 1993 par Y. C. Chéhab. Dar Quabis. Beyrouth

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Figure III. 19 réglementation du secteur du centre-ville avant 1992.

Source : El Achkar, le fond de plan est une copie, numérisée et retouchée, d'un extrait des plans cadastraux au 1/2000, arrêtés en 1975 et publiés en 1993 par Y. C. Chéhab, Dar Quabis. Beyrouth.

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Figure III. 20 : la diversité fonctionnelle du centre de Beyrouth.

Source : Bourgey A, « La guerre et ses conséquences géographiques au Liban », dans Annales de géographie, n° 521, XCIVe année, janvier-février 1985, p. 1-37. Extraits p. 19 et 20.

Notes de bas de page

1 Direction générale de l'Urbanisme, Le Livre Blanc, fascicule 2, Beyrouth, juin 1973.

2 Tabet I, « La tour, prends garde », dans L'Orient-Express n° 5, Beyrouth, avril 1996, p. 70.

3 Tabet R., « Démographie et urbanisation », dans la revue Travaux et Jours n° 33, 1969, p. 5-20. Citation p. 8.

4 Alors que la population de Beyrouth n'a que triplé pendant plus de 400 ans (5 000 hab. en 1407 et 15 000 hab. en 1841), elle va atteindre 150 000 hab. en 1910 et 1 200 000 hab. en 1975 (chiffres non officiels, estimations tirées d'ouvrages consultés).

5 20 hectares en 1841, 450 hectares en 1943 (chiffres non officiels, estimations tirées d'ouvrages consultés).

6 Le baron Georges Eugène Haussman (1809-1891), Préfet de la Seine sous Napoléon iii (1852-1869).

7 Cf. Benevolo L., Histoire de l'architecture moderne, tome 1. Bordas. Paris 1987, p. 79-116.

8 Cf. Ghorayeb M.. Les deux plans d'aménagement proposés..., op. cit.

9 « Société de plans régulateurs de villes ». fondée au début des années 1920 par René Danger et plusieurs membres de sa famille.

10 Rondot p., op. cit., citation p. 74.

11 Le décret n° 3890 du 24 février 1939 approuve et adopte le plan établi pour la ville de Beyrouth en vue de son aménagement, extension et embellissement, déjà approuvé par l'arrêté du Conseil Municipal n° 2 du 13 septembre 1933. La date et le titre de ce plan laissent croire qu'il s'agit du Plan Danger.

D'un autre côté. Marlène Ghorayeb soutient que « dans son ensemble, le P.A.E.E. (plan Danger) ne connaîtra pas de réalisation, quelques tronçoas de voies seront exécutés, notamment en ce qui concerne le boulevard périphérique. L'absence d'une réglementation permettant d'appliquer le P.A.E.E. servira d'argument pour expliquer la non-application du projet. Par contre il provoque une dynamique qui engendre des débats sur les questions réglementaires jusqu'aux années 1934/36. » (Ghorayeb M., Les deux plans d'aménagement proposés [...], op. cit., p. 38).

12 Voir à ce sujet Meouchy N., « État et espaces communautaires dans le Liban sous le Mandat français », dans Maghreb-Machrek. n° 123, 1989, p. 88-95.

13 Cf. Corm G., Géopolitique du conflit libanais, La Découverte, Paris, 1986. Et, du même auteur : Le Proche-Orient éclaté. 1956-1991, Gallimard, 1991.

14 Mission IRFED-Liban 1960-61, Besoins et possibilités de développement du Liban, Étude préliminaire, tome II, Problématique et orientation. République libanaise, ministère du Plan, p. 269-271.

15 Sur ce dernier sujet, cf. Corm G., Politique économique et planification au Liban, 1953-1963, Imprimerie Universelle, Beyrouth, 1964.

16 Tabet J., « La ville imparfaite », op. cit., p. 101.

17 Ibid., p. 103.

18 Corm G., Politique économique et planification au Liban. 1953-1963, op. cit.

19 « If the growth of Beirut is maintained at the boom rate of the past ten years, it will become an unlivable city. And if the present pattern of planlessness is not impeeded very soon, the definition of a slum will come to apply aptly to Beirut. And if serious attention is not paid to the signals of urban gloom already hovering on the once-beautiful horizons of Beirut, this generation of Lebanese can safely take credit very soon for building the largest and most modern slum in the world. » (Chiber S. G. « Why this urban suicide ? », dans The Daily Star, Beyrouth, 19 mai 1961).

20 Ouvert le 1er juillet 1950.

21 Marthelot P., « Une ville remplit son site : Beyrouth », dans Méditerranée n° 3. revue publiée par les Instituts de géographie des Facultés des Lettres et des Sciences Humaines d'Aix-en-Provence – Alger – Montpellier, 1963, p. 37-52.

22 Cf. Ghorra G, « Le processus de lotissement dans l'agglomération de Beyrouth », dans Hannon, volume double XIII et XIV, 1978-79. p. 187-232.

23 Bourgey A., « La guerre et ses conséquences géographiques au Liban », dans Annales de Géographie, n° 521, XCIVe année, janvier-février 1985, p. 1-37. Citation p. 13.

24 Cf. Khuri F. I., From Village to Suburb : Order and Change in Greater Beirut, University of Chicago Press, Chicago, 1975.

25 Les Palestiniens dans les banlieues sud et sud-ouest et les Arméniens dans la banlieue nord-est. Cf. Bourgey A et Phares J.. « Les bidonvilles de l'agglomération de Beyrouth », dans Revue de géographie de Lyon. 1973, p. 107-139.

26 La disparition de la symbolique centrale et du rôle du centre en tant que lieu privilégié de la mémoire collective. Cf. Tabet J.. « Beyrouth et la guerre urbaine : la ville et le vide », dans Peuples méditerranéens « Villes tourmentée », n° 37, oct.-déc. 1986, p. 41-49.

27 Ibid., p. 46.

28 Atelier Parisien d'Urbanisme.

29 Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région Ile-de-France.

30 Awada F., « Le Schéma Directeur de la Région Métropolitaine de Beyrouth. Circonstances d'élaboration et bilan méthodologique ». dans N. Beyhum (éditeur), Reconstruire Beyrouth, les paris sur le possible, Maison de l'Orient, Études sur le Monde Arabe n° 5, Lyon 1991, p. 121-146. Citation p. 128.

31 Voir le tableau 1.1 page 28.

32 Nasr S., « Les formes de regroupement traditionnel (familles, confessions, communautés régionales) dans la société de Beyrouth ». dans D. Chevallier (sous la direction de), l'Espace social de la ville arabe, Maisonneuve et Larose, Paris 1979, p. 145-199.

33 Cf. figure (1.1).

34 Tabet J., « La ville imparfaite », op. cit., p. 101.

35 Tabet J., « Al Imâr wal maslaha al aamma » (La reconstruction et l'intérêt publique), Institut de recherches urbaines, Dar El-Jadid, Institut Ford, Beyrouth 1996, p. 41 (texte en arabe), recueil d'articles.

36 Ibid.

37 Du nom du ministre de l'Habitat de l'époque, Michel el-Murr, cette loi est titrée : « Financement et construction de 20 000 unités de logement réparties sur toutes les régions libanaises ». Cette répartition est définie comme suit (article 2, paragraphes 1 et 2 de la loi 6/80) : mohafazat du Liban-Nord (2 500 logements) ; mohafazat de la Bekaa (2 500 logements) ; mohafazat du Liban-Sud (2 500 logements) ; région nord du Mont-Liban (2 500 logements) ; région sud du Mont-Liban (2 500 logements) ; banlieue nord de Beyrouth (3 750 logements) ; banlieue sud de Beyrouth (3 750 logements).

Ces logements sont divisés en deux catégories : 14 000 logements pour les familles à revenus limités ; 4 000 logements pour les familles à revenus moyens ; les 2 000 logements restants seront répartis selon les besoins et les demandes, et ceci par décret émanant du Conseil des ministres.

38 Ce sont les couvertures des terrasses des derniers étages (en gradins), construites en béton armé. Étant par définition ajourées, elles peuvent excéder les lignes du gabarit, et les surfaces qu'elles couvrent sont considérées comme des « terrasses » et ne sont pas comptées dans le calcul des surfaces admises par les CET. Le fait de les vitrer constitue alors une double infraction au règlement du zoning et à celui des gabarits. La réglementation actuelle ignore la notion de pergola et les surfaces couvertes par cet élément architectural sont dorénavant considérées comme des « balcons ». Notons ici que la réglementation différencie entre les terrasses et les balcons quant au calcul des surfaces nettes construites ainsi que pour le calcul des taxes à payer pour l'obtention du permis de construire.

39 Ibid. p.267.

40 Tabet J., « La tour, prends garde », op. cit

41 Ibid.

42 Ibid.

43 El-Jisr B., op. cit., p. 80-81.

44 Propriété collective villageoise.

45 ELISSAR agissant dans la banlieue sud et Linord dans la banlieue nord.

46 Il s'agit du décret n° 2 236 du 19 février 1992 qui définit les numéros des parcelles incluses dans le secteur de la Société libanaise pour le développement et la reconstruction du centre-ville de Beyrouth (SOLIDERE).

47 Davie M. F., « La reconstruction de Beyrouth : quelles voies pour le futur ? ». Annales de géographie, vol. 12 13, Université Saint-Joseph, Beyrouth, 1991, p. 65-77, citation p. 68-69.


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