Préface
p. 5-6
Texte intégral
1Elle el-Achkar1 apporte un éclairage original sur les transformations récentes de la ville de Beyrouth. Il développe en effet une approche nouvelle en sciences sociales au Liban, en s’intéressant aux relations entre paysage et réglementation urbaine. Son travail, clair et largement illustré, fournit les premiers éléments d’une meilleure compréhension des forces et des faiblesses de cette réglementation. Il constitue un préalable indispensable à la redéfinition du cadre juridique destiné à gérer les transformations de l’environnement physique des Beyrouthins.
2La croissance urbaine de Beyrouth est examinée ici à travers des textes urbanistiques édictés des années 1950 aux années 1990. Contrairement aux idées reçues qui voudraient que la réglementation urbaine soit systématiquement bafouée au Liban, on découvre que les transformations récentes des paysages beyrouthins, notamment pendant le boom récent de la reconstruction, sont en grande partie le fruit de cette réglementation dont le rôle est ambigu et mal connu. En quelque sorte, la dégradation du cadre urbain des Beyrouthins serait la conséquence directe des règles en vigueur.
3Par ailleurs, l’auteur apporte des éclairages sur le zonage de la ville de Beyrouth qui fixe les densités, prospects et autres règles concernant les formes urbaines. Ici, la réglementation semble souvent en contradiction avec les dynamiques urbaines. En effet, dans la majeure partie de la ville les règles édictées dans les années 1950 à 1970 continuent à s’appliquer, sans favoriser l’intégration des nouvelles conceptions architecturales, ni l’adaptation aux nouvelles dimensions de la ville. En revanche, l’opération du centre-ville qui bénéficie des plus fortes densités constructibles à la parcelle, se voit soumise à des contraintes urbanistiques plus fortes qu’ailleurs : les anciennes règles, fondées sur des principes essentiellement spéculatifs, y sont modifiées au profit de règles volumétriques qui suggèrent un retour à la maîtrise des formes urbaines. Deux conceptions très différentes se juxtaposent ainsi dans la ville de Beyrouth, sans articulation entre elles, ce qui amène Elie el-Achkar à poser la question de la cohérence des formes urbaines au regard de modes de gestion si différents des mutations spatiales.
4Les apports de ce travail à la connaissance de la ville sont nombreux et l’analyse de règles spécifiques permet de mieux comprendre leur effet sur l’urbanisme et la construction. Chaque dérogation prévue par la loi, par exemple pour les grands ensembles ou les immeubles de grande hauteur, implique en contrepartie des contraintes supplémentaires comme, respectivement, la création d’espaces publics ou des implantations plus strictes du bâtiment sur le terrain. Certaines règles, comme celles qui concernent les pilotis, sont entachées d’irrégularités nombreuses, montrant leur inadaptation aux pratiques urbaines. La réglementation urbaine constitue donc bien la référence essentielle pour comprendre les transformations des espaces, y compris lorsque des contournements sont opérés.
5L’évolution des lois et des réglements est aussi analysée. Les modifications successives de la législation de l’urbanisme et de la construction ont été effectuées presque chaque fois dans un sens plus permissif, au détriment du cadre de vie. Ce constat sévère sur la réglementation urbaine soulève la question de l’avenir du paysage des villes au Liban.
6Enfin, l’auteur fournit en annexe la liste commentée des principaux textes de loi et de décret sur la construction et l’urbanisme. Ce regroupement documentaire constitue un premier jalon vers la création d’un corpus, nécessaire pour relire la croissance de la ville à travers les règles qui régissent les actions des opérateurs privés sous le contrôle de la puissance publique.
7Certaines hypothèses, souvent évoquées, trouvent ici des éléments de réponse. Par exemple, l’hypothèse d’une réglementation souple, c’est-à-dire sujette à interprétation, est confirmée : ce sont moins les irrégularités que l’imprécision des textes qui permet des réalisations paraissant au premier abord irrégulières. Même si les irrégularités sont nombreuses, la réglementation joue pourtant le plus souvent son rôle dans la définition des formes urbaines. Par ailleurs, l’hypothèse d’une gestion des irrégularités destinée à générer des revenus publics à la faveur des régularisations paraît vérifiée, au moins en ce qui concerne les quarante dernières années.
8Loin des discours polémiques et des jugements hâtifs, cette étude rigoureuse interpelle les décideurs qui agissent sur la ville : les faiblesses et les incohérences du cadre juridique en vigueur appellent des modifications pour une amélioration du cadre de vie des citadins du Liban.
Notes de bas de page
1 Architecte DPLG de l’école d’architecture de Paris-Versailles, architecte-voyer à la ville de Beyrouth, doctorant à l’Institut français d’urbanisme (universités de Paris VIII et de Paris I, Ecole nationale des Ponts et Chaussées) et chercheur associé au CERMOC.
Auteur
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Reconstruction et réconciliation au Liban
Négociation, lieux publics, renouement du lien social
Eric Huybrechts et Chawqi Douayhi (dir.)
1999