Introduction
p. 5-22
Texte intégral
1Le voyageur, qui pénètre de Palestine en Syrie, voit tout à coup le paysage s'étendre, les montagnes se hausser, la végétation devenir plus riante : l'impression que l'on ressent alors devant les beautés de la nature n'est pas une illusion moderne due à une réminiscence des célèbres descriptions de Chateaubriand, de Lamartine, de Renan ou de Maurice Barrès. Les anciens l'ont également ressentie, d'autant mieux que ces montagnes étaient alors entièrement boisées.
2Si l'on remarque que Beyrouth est à la latitude de Gabès en Tunisie, on jugera de l'heureuse perturbation que les neiges éternelles du Liban apportent dans le climat et le régime des eaux du territoire qui s'étend entre le Carmel et le Taurus. Les poètes arabes disent que le Liban porte l'hiver sur sa tête, le printemps sur ses épaules et que l'été sommeille à ses pieds.
3Le pays de Mandat français (voir la carte ci-jointe) comprend, parallèlement à la côte, deux chaînes montagneuses. Le Liban et les monts des Nosairis (Alaouites) qui le prolongent vers le nord d'une part, l'Anti-Liban de l'autre. Entre ces deux chaînes s'étend, au sud, la vallée de la Béqa dont Baalbeck occupe l'extrémité septentrionale, puis, au nord, la vallée de l'Oronte qui arrose Homs, Hama, Apaméc, fait un coude brusque vers Antioche, et s'écoule dans la Méditerranée entre le Casius, au sud, et l'ancienne Séleucie de Piérie au nord.
4A l'est des contreforts montagneux, qui limitent la vallée de l'Oronte, s'étend jusqu'à l'Euphrate un haut plateau plus ou moins désertique.
5Quand des cours d'eau y circulent, ce sont de belles terres cultivables ou des centres urbains comme Alep. Quand la sécheresse y sévit, c'est le désert de Syrie avec des oasis, comme celle de Damas, la plus favorisée par l'abondance des eaux, ou celle de Palmyre, une des plus curieuses créations de l'industrie humaine.
6La vallée du moyen Euphrate a été, dans l'antiquité, une des plus peuplées sous l'effet du développement des cultures et grâce aussi au commerce de transit très actif entre la basse Mésopotamie (Iraq) et l'Asie antérieure.
7Entre l'Euphrate et le Tigre, l'État de Syrie englobe encore un territoire qu'on appelle la Haute Djéziréh ou Haute Mésopotamie et où les sites antiques abondent, mais sont abandonnés, car la vie sédentaire y a depuis longtemps fait place à la vie nomade. Un grand effort de stabilisation est en voie d'exécution pour rendre la prospérité aux terres arrosées, notamment à la vallée du Khabour, affluent de gauche de l'Euphrate. Au moyen âge Cette contrée fournissait tout le coton nécessaire au pays d'Arménie et à Mossoul, la grande ville industrieuse où se fabriquait la « mousseline ».
8Par suite de sa position et du fait que son territoire offrait la foute la plus commode pour passer d'Égypte en Mésopotamie, la Syrie, dans l'antiquité et jusqu'à la conquête d'Alexandre le Grand (332 av. J.-C.) a vécu sous l'influence des civilisations sumérienne, puis babylonienne et assyrienne, mais aussi, et spécialement la région côtière et méridionale, sous l'influence égyptienne. De là une distinction entre peuples cependant assez voisins, entre Amorrhéens et Cananéens, ou plus tard entre Syriens et Phéniciens. Cette division se reflète encore aujourd'hui dans les deux États de Syrie et du Liban.
9L'influence sumérienne, la plus ancienne que l'Orient asiatique nous ait révélée, a été fondamentale ; elle a donné l'essor au pays syrien avec, cependant, et dès le troisième millénaire, des interférences sémitiques (Sargon l'ancien et Naramsin, xxviie-xxvie siècles av. J.-C.) qui suivent elles-mêmes la tradition sumérienne. Le contact a été si intime que la dynastie de Mari, installée sur le moyen Euphrate, vers l'embouchure du Khabour, figure parmi les anciennes dynasties de Sumer.
10En particulier, la troisième dynastie d'Our (xxiiie-xxiie siècles av. J.-C), dynastie sumérienne, a joué un rôle considérable en Syrie, car il semble bien que les cultes d'Our, c'est-à,-dire du dieu lunaire Sin, des déesses Ningal et Nin-Egal, s'y soient installés à cette époque (voir ci-après les notices sur Mishrifé-Qatna et Neirab). Au temps de la première dynastie babylonienne (xxie-xxe siècles) le pouvoir, aussi bien en Syrie qu'en Mésopotamie, est aux mains des Sémites amorrhéens ; ici et là les dynastes portent souvent les mêmes noms.
11Ainsi le troisième millénaire a été caractérisé dans l'Asie antérieure par l'hégémonie sumérienne. Avec le deuxième millénaire commence la réaction des populations soumises à la civilisation sumérienne. La Syrie du Nord est dominée par les Khourri (Mitanniens), peuple indo-iranien installé en Haute Mésopotamie. Après la conquête hittite par Shubbiluliuma, au commencement du xive siècle, deux royaumes hittites sont fondés en Syrie, celui de Karkémish, qui garde la frontière de l'Euphrate, et celui d'Alep qui protège l'Asie Mineure contre les invasions égyptiennes.
12L'action de l'Égypte a été tout autre ; elle a submergé les Phéniciens du sud avec ses produits manufacturés (voir les notices sur Byblos), mais ce n'est là qu'une action assez superficielle. En ce qui concerne le culte, par exemple, l'Égypte a reçu autant qu'elle a donne. En effet, si les Phéniciens ont identifié certaines de leurs divinités à celles de l'Égypte, s'ils les ont parées d'attributs égyptiens, toutefois ces divinités sémitiques ont gardé leurs caractères essentiels et la découverte des tablettes phéniciennes de Ras Shamra atteste qu'aussi bien pour les rites que pour les mythes, l'apport des cultes égyptiens n'est pas discernable.
13Entraînés par le profit qu'ils tiraient du commerce des amulettes, bijoux, vases, armes, ustensiles et autres objets, d'origine égyptienne, les Phéniciens se sont mis à les imiter et c'est pourquoi l'art phénicien est un art composite dont nombre d'éléments, surtout décoratifs, sont fournis par l'Égypte.
14Avec la XVIIIe dynastie, les Pharaons étendent leur hégémonie dans tout le bassin oriental de la Méditerranée et leur suzeraineté en Syrie jusqu'à l'Euphrate. L'influence de l'art égyptien se fera sentir plus loin encore, en pleine Asie Mineure, en pays hittite, et jusqu'en Assyrie. Le commerce de peuple à peuple (Égypte, Égéens de l'époque dite mycénienne, peuples d'Asie Mineure et au premier rang les Hittites, Assyriens, Cassites de Babylone) prendra dans la seconde moitié du deuxième millénaire une extension remarquable, enrichira les Phéniciens, étendra leur activité et marquera l'apogée de la civilisation du bronze.
15Cette dernière civilisation sombre à la fin du deuxième millénaire sous la poussée des peuples de l'Europe qui envahissent l'Asie, des « peuples de la mer », disent les textes égyptiens, citant entre autres les Achéens. Ils ruinent Troie (1180 av. J.-C), s'emparent de Chypre et descendent le long de la côte syrienne. Ramsès III arrête leur invasion vers l'Égypte, fixe les Philistins dans la région qui prendra leur nom, la Palestine. La chute de l'empire hittite d'Asie Mineure, sous la pression des peuples envahisseurs, rompt un équilibre séculaire et amène, avec Téglatphalasar Ier, l'intervention des Assyriens qui s'emparent de tout le nord de la Syrie et ruinent Sapouna (Ras Shamra).
16L'ère assyrienne eût été singulièrement féconde, en Syrie et en Palestine, si les royaumes, qui se constituèrent alors, n'avaient eu trop souvent à leur tête des princes turbulents qui spéculaient sur la rivalité entre l'Égypte et l'Assyrie. Cette dernière finit par ruiner tous ces États les uns après les autres : chute de Damas, 732 avant J.-C, ruine de Samarie, en 722, prise de Hama, 720, première captivité de Juda en 597, seconde captivité et destruction de Jérusalem en 586.
17Au milieu de ces difficultés les Phéniciens, avec une remarquable énergie, développent leur puissance maritime et leur commerce, semant de leurs comptoirs les côtes méridionales de la Méditerranée jusqu'au pays de Tharsis (région de Cadix). Une de ces colonies, Carthage, deviendra, à son tour, le centre d'un vaste et redoutable empire. Ainsi pendant plusieurs siècles les marins et les marchands phéniciens seront les maîtres du commerce entre trois continents : l'Asie antérieure, l'Afrique du nord et l'Europe la plus méridionale.
18Des Assyriens, l'hégémonie passe aux Mèdes qui détruisent Ninive en 612 avant J .-C, et aux Néo-Babyloniens qui, avec Nabuchodonosor, étendent leur pouvoir sur les pays de l'ouest. A partir de 55O, ces deux États sont conquis par Cyrus qui institue la dynastie des Perses Achéménides avec le plus grand empire connu jusqu'alors.
19La conquète d'Alexandre le Grand (332 av. J .-C.) marque l'avènement, en Asie Antérieure, des puissances européennes qui l'emportent moins par la masse et le nombre que par l'organisation. En 312, Séleucus se taille, dans la succession du grand conquérant, un vaste empire qui prit le titre de Royaume de Syrie et dont une des capitales fut Antioche. Après quelques princes heureux, la dynastie dégénère et le pays tombe dans une anarchie qui amène l'intervention de Rome. Pompée fait trancher la tête des dynastes, brigands de grands chemins qui rançonnent les caravanes, il accepte la soumission des autres et proclame, en 64 avant J.-C, la Syrie province romaine.
20La paix romaine rendit au commerce son activité et au pays une incomparable prospérité. La Syrie s'emplit de grandes villes : Antioche, Damas, Béryte, Laodicée-sur-Mer (Lataquié), Apamée, Épiphanie (Hama), Emèse, Béroea (Alep), Palmyre, Bosra qui, en 106, après J.-C, devient la métropole de la Provincia A rabia, sans compter les anciens ports qui retrouvent leur importance, Tyr, Sidon et Aradus. Les vieux sanctuaires Byblos, Héliopolis (Baalbeck), Hiérapolis (Menbidj) voient leurs cultes rayonner au loin.
21Cette prospérité se manifeste par des constructions considérables. Toutes les grandes cités se transforment en adoptant le plan des villes hellénistiques avec rues se coupant à angle droit. Doura-Europos sur l'Euphrate en conserve un curieux exemple. Tout au moins, lorsque l'agglomération est trop dense, une longue colonnade est tracée au travers de la ville conduisant au principal sanctuaire et au marché public. L'engouement pour la langue et les lettres grecques, pour les éléments architectoniques occidentaux, comme la colonne, ou pour le décor classique, ne touche cependant pas à l'essentiel du culte dont le particularisme se marque dans le plan des cours des temples et dans les figures divines.
22Le prestige des cultes syriens était tel qu'à deux reprises, avec Héliogabale et Aurélien, des empereurs « voulurent remplacer par un dieu sémitique le Jupiter capitolin, faire d'un culte sémitique le culte principal et officiel des Romains1 ». La déchéance des anciens cultes ne sera officiellement proclamée qu'au ive siècle.
23Le développement architectural, qui a marqué en Syrie les premier ? siècles de notre ère et qu'illustrent encore les ruines incomparables de Baalbeck et de Palmyre, explique que les architectes syriens aient été préparés à couvrir leur pays des monuments exigés par le nouveau culte en transformant radicalement le décor classique. Les fouilles entreprises depuis peu par une mission belge, à Apamée, remettent au jour une architecture intermédiaire entre celle de Baalbeck et les édifices chrétiens des ve et vie siècles. L'art syrien chrétien, dont il reste des vestiges considérables dans les immenses champs de ruines entre Antioche et Alep ainsi que dans le Hauran, a jeté tout son éclat avec le sanctuaire de Saint-Siméon, près Alep (voir les notices sur Qal'at Sim'an). Son dernier chef-d'œuvre sera la Qoubbct es-Sakhra, dite mosquée d'Omar, à Jérusalem. Car ce merveilleux édifice n'est pas seulement construit sur le plan de la cathédrale de Bosra et sur celui de la chapelle de l'Ascension au Mont des Oliviers, il en conserve les dimensions à quelques centimètres près, attestant ainsi l'existence d'une forte école locale.
24Terre d'élection des manifestations religieuses, il n'est pas surprenant que la Syrie ait été pendant la période byzantine, le théâtre de violentes luttes religieuses, qui opposaient les conceptions syriennes aux grecques, surtout à partir de Nestorius (ve siècle), moine de la région d'Antioche. Le particularisme syrien se marque par la désaffection pour la langue grecque et par l'emploi du syriaque (araméen récent) dans la liturgie. Édesse brille alors d'un grand éclat dans les lettres syriaques.
25D'autre part, les Sassanides reprennent la tradition des Perses et des Parthes. Tout d'abord les hostilités dressent les uns contre les autres, les princes de Hira, en Mésopotamie, soutenus par les Sassanides, et les princes Ghassanides vassaux des empereurs. Puis au vie siècle les armées perses entrent en scène et pénètrent sur le territoire syrien. En 540, Chosṛoès Ier brûle Alep et s'empare d'Antioche. En 614, les Perses pillent Damas dont ils déportent la population ; en 615, ils s'emparent de Jérusalem qu'ils dévastent.
26L'empereur Héraclius (610-641) tente un vigoureux redressement. Les Perses, sous sa poussée, évacuent la Syrie, mais ils sont bientôt remplacés par les Arabes qui remportent, en 636, une victoire décisive sur le Yarmouk.
27Mouawiya se montre en Syrie un gouverneur habile et, quand il aura réussi à se faire acclamer Khalife en 660, il maintiendra sa résidence à Damas, qui devint ainsi, pour la durée de la dynastie des Omeyyades, le siège du Khalifat et le centre de l'empire arabe.
28Les guerres contre Byzance, qui entraînent les Musulmans dans l'Afrique du Nord et jusqu'en Espagne et en France, les révoltes graves et constantes de l'Iraq, enfin l'état précaire du trésor qui en résulte, empêchent les Khalifes d'entreprendre d'importantes constructions. Il fallut la nécessité où se trouvait Abd el-Malik de détourner les fidèles du sanctuaire de la Mecque, qui lui était hostile, pour le décider à ériger en 72 de l'hégire (691-692) la Qoubbet es-Sakhra, à Jérusalem. Son successeur Walid Ier, l'imitera en transformant au début du viiie siècle, l'église Saint-Jean à Damas en une mosquée somptueusement décorée.
29Avec l'avènement des Abbassides, la Syrie perd les faveurs du Khalife ; Baghdad remplace Damas. La persécution s'attache à tout ce qui rappelle les Omeyyades et l'on voit, en 829, le Khalife Mamoun substituer son nom à celui d'Abd el-Malik dans la dédicace de la Qoubbet es-Sakhra ; mais on oublia de changer la date, ce qui a permis de déceler la supercherie.
30Partis de Tunisie, les Fatimites, dans la seconde moitié du xe siècle, s'emparent de l'Égypte d'où ils se répandent en Palestine et jusqu'à Damas. Ils sèment l'anarchie et propagent les doctrines hétérodoxes. Le culte du Khalife fatimite Hakim (998-1020) prend naissance dans le Wadi et-Taim, au pied de l'Hermon, sous l'impulsion de Darazi, d'où le nom de Druze. Cette secte fut combattue, à son apparition, par les Ismaéliens (connus plus tard sous le nom de sectateurs du Vieux de la Montagne ou Assassins) et les Nosairis qui se rattachaient, eux aussi, aux doctrines des Chiites outrés (ghoulat).
31Les Byzantins n'avaient jamais accepté leur défaite, car ils sentaient que la sécurité de leur empire deviendrait précaire le jour où ils lâcheraient pied en Syrie ; la véritable frontière de l'Europe a toujours été sur l'Euphrate. S'ils montrent parfois une grande énergie, comme Tzimiscès qui, en 976, poussa un raid jusqu'à Damas, ils se contentent généralement d'occuper Antioche et de surveiller les Hamdanites d'Alep. Ils sont impuissants à empêcher de pénétrer en Syrie les Turcs Seldjoucides, qui s'emparent de Damas en 1076 et d'Antioche en 1085.

32Alors intervient l'extraordinaire épopée des Croisades qui amène les Francs sous les murs d'Antioche. Cette ville tombe en 1098 et Jérusalem est prise l'année suivante. Byzance ne sut pas utiliser la force réelle, mais inorganisée, de ces guerriers, dont tant furent des héros ; même, elle en prit ombrage. Ce n'étaient pas quelques expéditions, telles que la deuxième et la troisième croisades, qui pouvaient maintenir longtemps la domination franque en Asie. Seul, l'empire byzantin possédait des ressources suffisantes, notamment en hommes et en matériel de guerre, et offrait une base assez rapprochée pour tenir tête à la coalition musulmane que le roi de Jérusalem Amaury (1162-7,3) commit l'imprudence de susciter en attaquant l'Égypte qui, jusque-là, n'avait pas vu d'un mauvais œil l'intervention des Croisés.
33La domination franque fut marquée par une prodigieuse activité de construction : non seulement les Croisés édifièrent beaucoup mais ils bâtirent bien. Leur foi les porta à élever de nombreuses églises et la nécessité les obligea à se fortifier solidement. M. Paul Deschamps a remarqué, en étudiant les forteresses franques de la Syrie du nord, combien elles avaient bénéficié de l'enseignement des Byzantins. L'art de la fortification franque se développa et ces progrès pénétrèrent bientôt en Occident. De leur côté, les princes Ayyoubites, surtout Saladin et son frère Malik el-Adil, furent de grands constructeurs.
34La malheureuse bataille de Hattin (1187), où Saladin remporte un succès écrasant, ruine presque le royaume de Jérusalem ; la situation des Francs ne se maintient que grâce à une réorganisation de la défense, consistant à se retrancher sur la côte et à confier la garde des châteaux forts aux ordres militaires, notamment aux Hospitaliers et aux Templiers.
35En dépit des mesures prises, les forteresses franques ne purent résister aux puissantes machines de guerre que le sultan Mamlouk Beibars amena avec lui d'Égypte. Successivement, celui-ci s'empare de Césarée (1265), de Jaffa (1266), d'Antioche (1268). Son successeur, Qalaoun, ne déploie pas moins d'énergie et chasse définitivement les Francs de Palestine et de Syrie, en 1291, par la prise de Saint-Jean-d'Acre,
36Malgré l'hostilité qui dresse l'Orient contre l'Occident, les échanges restent actifs et après les sultans ayyoubites (1174-1250), la Syrie connaît une prospérité relative sous les sultans mamlouks bahrites d'Égypte (125o-1382). La décadence commence avec l'invasion de Tamerlan (1400), qui ravit à Damas sa principale source de richesse, c'est-à-dire ses tisserands de soie, ses armuriers, ses verriers et ses céramistes pour les transplanter à Samarcande. Le gouvernement des sultans mamlouks circassiens (1382-1516) se poursuit sans éclat jusqu'à cette dernière date que marque la conquête turque.
***
37Nettement tranchées par la diversité des peuples qui interviennent, par le degré de civilisation qu'ils développent, par le culte qui régit les manifestations artistiques, chacune de ces époques a laissé, sur le terrain ou dans le sol, des vestiges dont l'étude est l'objet propre de l'archéologie.
38En 1860, Ernest Renan inaugure les fouilles en Phénicie. Avec le concours du corps expéditionnaire et de l'architecte Thobois, il procède à un relevé méthodique des monuments phéniciens subsistant à la surfacedu sol, entreprend des fouilles à Aradus et sur la côte en face à Amrit (Marathus), à Byblos, à Sidon avec la collaboration du docteur Gaillardot, à Tyr et aux environs, notamment à Oumm el-Awamid. La Mission de Phénicie (1864-74) de Renan reste un ouvrage fondamental et un modèle de publication érudite.
39Les voyages épigraphiques de Wetzstein (1857) et surtout ceux de W. H. Waddington et Melchior de Vogüé (1861-62) ont particulièrement marqué. Les relevés archéologiques de M. de Vogué en Syrie centrale, en collaboration avec l'architecte Duthoit, ont constitué une révélation. Il n'y a plus guère à mentionner pendant un quart de siècle que le voyage du duc de Luynes (1864) qui valut au Louvre le sarcophage d'Eshmounazar, le voyage de Burton et Drake (1871) et la mission de Ch. Clermont-Ganneau (1881).
40En 1887, Hamdi bey fouille deux puits funéraires à Sidon et retire des tombes une incomparable collection de sarcophages d'époques diverses, qui font la gloire du Musée archéologique de Stamboul. La publication est assurée avec la collaboration de Théodore Reinach.
41L'année suivante, une mission allemande entreprend les fouilles de Zendjirli, entre Marash et Alexandrette. Elles se développent en trois campagnes (1888, 1890-91, 1894) menées, au nom du Musée de Berlin, d'abord par MM. K. Humann, l'explorateur de Pergame, et F. von Lus-chan, puis par ce dernier et R. Koldewey.
42En 1894, J.-E. Gautier découvre des vestiges de l'âge du bronze dans la petite île du lac de Homs.
43L'Université de Princeton poursuit des relevés systématiques en 1904-1905, puis en 1909, groupant sous la direction du regrette Howard Crosby Butler des travailleurs comme Enno Littmann, W. K. Prentice et F. A. Norris. Cette expédition s'est plus spécialement attachée aux régions explorées par M. de Vogüé.
44Une mission allemande composée d'Otto Puchstein et des architectes Bruno Schulz et Daniel Krenker opère, de 1899 à 1904, le déblaiement des temples de Baalbeck. Elle en a publié le relevé complet. Aujourd'hui, se pose le difficile problème de la consolidation des ruines. En 1899, M. von Oppenheim entreprend des recherches à Tell Halaf qu'il reprendra en 1927.
45En 1907, M. John Garstang découvre à Saktshé Geuzu, en Haute Syrie, des sculptures de même style que celles du site voisin de Zendjirli.
46De 1911 à 1914 d'importantes fouilles sont entreprises à Karkémish sur l'Euphrate, au nom du British Museum par MM. Hogarth, Woolley et Lawrence. Elles ont fourni la plus belle série de bas-reliefs hittites.
47Dès 1901, Macridy bey avait entrepris des recherches à Tyr et à Sidon. Au printemps 1914, M. G. Contenau entame, à Sidon, avec la collaboration de Macridy bey, des fouilles qu'il reprendra en 1920.
48La période de 1914 à 1918 laisse le champ libre à une mission allemande qui, sous la direction de M. Wiegand, se propose d'effectuer le relevé de tous les monuments antiques de Syrie et de Palestine. Les études parues montrent que le travail fut surtout poussé à Damas ; on attend une publication sur Palmyre.
49Parallèlement à ces travaux et en nous arrêtant à 1914, se poursuit l'exploration à la surface, monumentale et épigraphique. Citons les voyages et missions de Eduard Sachau (1879) ; B. Moritz (1889) ; Humann et Puchstein (1890) ; Max van Berchem (1895) ; A. Musil (depuis 1895) ; René Dussaud (en Syrie du nord 1895, 1896 et 1898 ; dans le désert de Syrie avec Frédéric Macler et l'émir Taher, petit-fils d'Abd el-Kader, 1899 et 1901) ; Charles Fossey (1895) ; Paul Perdrizet (1896) et Charles Fossey ; Max von Oppenheim (1899) ; nombreux voyages des Pères Lammens et Sébastien Ronzevalle, professeurs à l'Université de Saint-Joseph à Beyrouth ; Victor Chapot (1900 et 1901) ; von Landau (1904) ; Sobernheim (1905 et suiv.) ; Franz Cumont (1907) ; les PP. Jaussen et Savignac à Palmyre (1914).
50Après la guerre s'ouvre une ère archéologique nouvelle. Le Haut-Commissaire de la République française, général Gouraud, organise un Service des antiquités dont les directeurs successifs ont été MM. Joseph Chamonard (1920), Charles Virolleaud (1921-1928) et Henri Seyrig. L'activité des recherches archéologiques a été telle depuis l'institution du mandat français que nous devons nous limiter à dresser le tableau des principaux sites explorés en Syrie et au Liban.
51SIDON et environs, M. Georges Contenau (1920) ; M. Maurice Dunand (1924) ; M. Guigues(i925 et suiv.) ; Mlle Meurdrac (1929).
52KARKÉMISH, M. Woolley (1920).
53QADESH (Tell Nebi Mend), Maurice Pézard + et M. Brossé (1921 et 1922).
54TORTOSE, cathédrale, Camille Enlart + (1921) ; M. Maurice Pillet (1926) ; château, M. Roger Jusserand (1921).
55GIBLET (Byblos), château et églises, Camille Enlart f et M. Roger Jusserand (1921).
56OUMM-el-AWAMID, près d'en-Nakoura, M. Eustache de Lorey (1921).
57TYR, Mme Denyse le Lasseur (1921 et 1922), cette seconde campagne en collaboration avec M. Pupil.
58BYBLOS, M. Pierre Montet (1919 avec la mission Huvelin) ; fouilles, M. Pierre Montet (1921, 1922 avec exploration de la tombe 1 par M. Ch. Virolleaud, 1923, 1924 avec la collaboration de M. Maurice Dunand) ; M. Maurice Dunad (1926, 1928, 1929, 1930, 1931).
59DAMAS, M. Eustache de Lorey (1921 et suivantes) ; citadelle et divers monuments, M. J. Sauvaget (1926 et suivantes) ; mosaïques de la grande mosquée, MM. Eustache de Lorey et Cavro (1928 et suiv.).
60DOURA-EUROPOS, sur l'Euphrate, M. J. Breasted (1921) ; les troupes du colonel de Bigault de Granrut, puis du commandant Renard et M. Fr. Cumont(1922 et 1923) ; M. Maurice Pillet, au nom de l'Université de Yale et de l'Académie des inscriptions (1928-29, 29-30, 3o-31), avec des collaborateurs américains, notamment MM. Hopkins, Johnson, Rowell, Little, sous la direction scientifique de MM. Ros-tovtzeff et Cumont.
61ASHARAH (Tirqa) sur l'Euphrate, M. Fr. Thureau-Dangin et le R. P. Dhorme (1923).
62SHEIKH SA'D (Hauran), M. Frédéric Hrozny (1924).
63ARPAD (Tell Arfad), M. Frédéric Hrozny (1924).
64SHEIKH ZEN AD, au nord de Tripoli, MM. de la Bassetière et Brossé (1924).
65PALMYRE, MM. Ingholt et Dunand (1924) ; MM. A. Gabriel et Ingholt (1925) ; MM. Ingholt et Christensen (1928) ; M. Cantineau (1929) ; travaux de consolidation et de dégagement entrepris par M. Seyrig avec la collaboration de l'architecte Amy et de MM. Schlumberger et Cantineau (1929 et suiv.).
66QATNA (Mishrifé, au N.-E. de Homs), le comte du Mesnil du Buisson (1924, 1926, 1928 et 1929) avec la collaboration, pour les deux dernières années, de M. Ploix de Rotrou et, en 1929, celle de M. Cantineau.
67QASR EL-HEIR, Est de Palmyre, M. A. Gabriel (1925).
68DJEBEL DRUZE et HAURAN, capitaine Carbillet (1923-1925) ; M. Maurice Dunand (1925 et 1927).
69LEDJA, Est du Hauran, le R. P. Poidebard (1927) ; M. Maurice Dunand (1927).
70ANTIOCHE et SÉLEUCIE de Piérie, MM. Paul Perdrizet et Henri Seyrig (1924).
71ANTIOCHE et HIÉRAPOLIS, MM. P. Perdrizet, H. Seyrig et D. Schlumberger (1925). SÉLEUCIE de Piérie, M. H. Seyrig (1928). AMRIT (Marathus), M. Maurice Dunand (1926).
72NEIRAB, près Alep, les RR. PP. Carrière et Barrois et M. André Par-rot (1926) ; les RR. PP. Abel, Barrois, MM. Parrotet Darrous (1927).
73LIBAN, et sa préhistoire, M. Passemard (1926) ; M. Pallary (1929-30).
74ARSLAN TASH (Haute-Djézireh), prospection de MM. P. Perdrizet et Seyrig (1925) ; M. Thureau-Dangin (1927) ; M. Thureau-Dangin, le P. Barrois et M. Dossin (1927-28) ; MM. Thureau-Dangin, Maurice Dunand et Trotin (1928-29).
75TELL AHMAR (Til Barsib) sur l'Euphrate, prospection de MM. Perdrizet et Seyrig (1925) ; M. Thureau-Dangin (1927) ; MM. Thureau-Dangin, Maurice Dunand et Lucien Cavro (1929-30 et 193o-31).
76HAUTE SYRIE, exploration épigraphique, le R. P. Mouterde (1927 et suiv.).
77TELL HALAF, aux sources du Khabour, le baron von Oppenheim (1927 et suiv.).
78CHATEAUX DES CROISÉS (Missions aux) : Crac des Chevaliers, Saone (Sahyoun), etc.. MM. Paul Deschamps, François Anus, capitaine Lamblin (1927-28) ; MM. Paul Deschamps et Anus (1929) ; travaux de consolidation au Crac des Chevaliers, M. Anus (1930).
79BAALBECK (Héliopolis), M. Parrot (1927 et 1928) ; restauration des ruines de Baalbeck et environs, M. Anus (193o et suiv.).
80HAUTE DJÉZIRÉH et désert de Syrie, le R. P. Poidebard (1928 et suiv.).
81SEFIRÉ, au sud d'Alep, M. Brossé (1928) ; le R. P. Séb. Ronzevalle (1980).
82ALEP, M. Sauvaget (1927 et suiv., monuments musulmans) ; M. Ploixde Rotrou (1929 et suiv., citadelle).
83SAFA et HARRA, M. et Mme Maurice Dunand (1929).
84RAS SHAMRA et MINET EL-BEIDA, MM. F.-A. Schaeffer et G. Chenet (1929, 1930 et 1931 ).
85MESKENÉ (Balis) sur l'Euphrate, MM. Eustache de Lorey et Georges Salles (1929) ; M. Cavro (1931).
86KHAN SHEIKHOUN, TELL SOURAN et environs, au nord de Hama, MM. du Mesnil du Buisson, Fougerousse, du Boutray, Mlle de Sampigny (1930).
87APAMÉE, MM. Mayence et Lacoste (1930 et 1931).
88ALEXANDRETTE, M. Ploix de Rotrou (1930-31).
89Ce simple tableau montre que dans ce domaine, comme dans les autres, les douze dernières années ont marqué en Syrie, un progrès considérable. On peut dire que toutes nos connaissances touchant la Syrie antique et médiévale ont été renouvelées. On le doit à l'activité et à la science des fouilleurs, au zèle attentif des directeurs du Service des antiquités, à l'impulsion donnée par les corps savants, mais aussi à la haute compréhension des Hauts Commissaires successifs, les généraux Gouraud, Weygand et Sarrail, MM. de Jouvenel et Ponsot et de leurs délégués, enfin à l'aide efficace des troupes de toutes armes — sans oublier l'aviation qui apporte une contribution si curieuse à nos études — et de leurs chefs, MM. les généraux Gamelin et de Bigault de Granrut. Et si nous citons en dernier les États syriens, c'est pour nous étendre sur la part importante qui leur revient dans cette œuvre scientifique. Le Liban pour Byblos, l'État de Syrie pour divers sites, les Alaouites pour Ras Shamra ont consenti de fortes contributions. L'État de Syrie a entrepris uniquement à ses frais le dégagement et la consolidation des ruines de Palmyre, œuvre considérable qui lui fait honneur. La République Libanaise vient de prendre en main, à son tour, la consolidation non moins urgente des ruines de Baalbeck et leur aménagement. D'autre part, les mêmes États, avec un zèle méritoire, ont constitué des musées très importants dont la visite est pleine d'intérêt pour les touristes et remplie d'enseignement pour les archéologues. On ne peut plus aujourd’hui, comme on le faisait jadis, débarquer à Beyrouth et en partir deux heures après. La visite du Musée demande au moins tout une journée, et celle du site de Byblos n'est pas moins indispensable. Le Musée de Damas réunit à des pièces antiques importantes une belle collection d'art musulman. Le musée d'Alep étonnera le visiteur même après ceux de Beyrouth et de Damas, et le petit, mais précieux, musée de Lataquié l'enchantera. Un musée s'organise aussi à Antioche. Le Service des Antiquités a pris soin de constituer auprès des grands ensembles monumentaux, comme Baalbeck et Palmyre, des collections lapidaires qui complètent utilement la visite des sites.
90Les découvertes alimentent une revue spécialisée comme l'indique son nom, Syria, placée sous le patronage du Haut-Commissaire de la République Française ; l'année 1931 voit paraître le tome XII. Les publications définitives prennent rang dans la Bibliothèque Archéologique et Historique du Service des Antiquités, qui compte de nombreux et importants ouvrages.
91Les heureux résultats de tous ces efforts ont conduit d'autres nations à envoyer des missions archéologiques en Syrie. C'est ainsi que l'Allemagne a repris ses travaux interrompus par la guerre, la Tchécoslovaquie, la Belgique, le Danemark et les États-Unis d'Amérique poursuivent d'importantes recherches. L'accueil que les populations si hospitalières, aussi bien que les autorités si bienveillantes, réservent aux savants de toutes les nations n'est pas, pour ces derniers, le moindre des encouragements à venir travailler en Syrie.
92Les sommes apportées dans le pays par ces différentes missions sont loin d'être négligeables d'autant qu'elles profitent souvent aux localités les plus retirées de la contrée et aux populations le moins naturellement favorisées. Mais la résurrection de tout un passé, qui tient de si près à la civilisation occidentale et d'où cette dernière est sortie en partie — ne citons que l'invention de l'alphabet et la plupart de nos grandes fêtes, — ajoute aux beautés de la nature un attrait incomparable. Favorablement placés entre l'Égypte et la Palestine d'une part, la Turquie et la Grèce de l'autre, pourvus de bonnes routes, le Liban et la Syrie doivent attirer chaque année des touristes de plus en plus nombreux. Pour les y inciter, le Haut-Commissaire, M. H. Ponsot, a décidé, à l'occasion de l'Exposition Coloniale de 1931 à Paris, la publication d'un album de 160 planches, pourvues chacune d'une notice, qui donnera un aperçu des richesses archéologiques des pays syriens et du résultat des dernières fouilles. Nous nous sommes efforcé avec nos collaborateurs, M. Paul Deschamps, directeur du Musée de sculpture comparée au Trocadéro, et M. Henri Seyrig, directeur du Service des Antiquités en Syrie et au Liban, de répondre aux intentions de M. le Haut-Commissaire. Nous devons remercier M. Ort-Geuthner, directeur des éditions de la Librairie orientaliste Paul Geuthner, de nous y avoir beaucoup aidé.
Notes de bas de page
1 Fr. Cumont, Les religions orientales dans le paganisme romain. 4e éd., 1929, p. 106-107.
Auteur
-
René Dussaud
Membre de l'Institut
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Stratégies d'acquisition de l'eau et société au Moyen-Orient depuis l'Antiquité
Mohamed Al-Dbiyat et Michel Mouton
2009
L’époque des premiers bourgs fortifiés
Pertinence de l’existence d’un processus d’urbanisation dans le Levant sud au troisième millénaire
Christophe Nicolle
1999
Le sacré et le salut à Antioche au IVe siècle apr. J.-C.
Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cité
Emmanuel Soler
2006