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ONG palestiniennes et construction étatique

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Caroline Abu-Sada

Deuxième partie : Affaiblissement du centre politique palestinien ?

Introduction

Texte intégral

1La première partie a été l’occasion d’aborder les circonstances qui ont présidé à la création de PARC (Palestinian Agricultural Relief Committees). C’est un contexte d’occupation militaire, dans lequel la propriété de la terre et le rapport au territoire jouent un rôle fondamental. J’ai constaté l’importance de l’agriculture dans une telle situation. Source d’autosuffisance alimentaire et donc de moindre dépendance par rapport à Israël, elle est aussi essentielle dans la lutte pour le maintien des terres sous le contrôle palestinien. En effet, certaines terres non cultivées peuvent être déclarées terres d’État. C’est une des préoccupations liées à la construction du mur de séparation. Les terres situées du côté israélien du mur sont de plus en plus délaissées à cause des difficultés que rencontrent les agriculteurs palestiniens pour obtenir le permis qui permet d’y accéder. Cette première partie montre également la façon dont cette organisation s’est constituée. C’est une structure pyramidale dans laquelle le directeur contrôle tout et qui repose sur une direction diplômée et urbaine. Les bénéficiaires des projets et programmes sont peu consultés dans la mise en place d’une stratégie qui vient d’en haut. Son vaste réseau d’organisations à base communautaire lui assure une large base sociale et géographique.

2Ma deuxième partie vise à analyser les rapports entre l’Organisation non gouvernementale et quatre autres acteurs essentiels, dont le rôle m’est apparu au fur et à mesure de ma recherche. En effet, en centrant mon analyse sur une organisation telle que PARC, n’avais-je pas mésestimé le pouvoir d’autres acteurs ? Je tâcherai ici d’étudier les relations qui se sont établies entre PARC, l’Autorité palestinienne, les bailleurs de fonds internationaux, Israël et le Parti du peuple palestinien dont est issue l’ONG. Il est évident que ces quatre acteurs ne se situent pas sur le même plan. Israël est en effet la puissance occupante et entretient des rapports coercitifs avec l’ONG, dont la plupart des actions visent à contrecarrer les effets de cette occupation ou à en atténuer les conséquences. L’Autorité palestinienne est la première puissance étatique ou protoétatique nationale en Palestine. Cela crée un nouveau cadre dans lequel l’Organisation non gouvernementale va devoir repenser son action et son rapport à la population palestinienne. Les donateurs internationaux, qu’il s’agisse d’organisations internationales, de programmes de coopération issus de gouvernements occidentaux, ou d’agences des Nations unies, ont vu leur rôle s’accroître considérablement, notamment depuis le début de la deuxième Intifada, lorsque la situation dans les Territoires occupés palestiniens s’est considérablement aggravée. Nous verrons que cette aide internationale n’est ni désintéressée ni dénuée de contrainte pour les récipiendaires et que l’intervention de ces bailleurs de fonds internationaux interfère beaucoup dans la mise en place des rapports entre le non-gouvernemental et le gouvernemental palestiniens. Cela conduit à poser en d’autres termes la question de la définition des ONG puisque le postulat d’indépendance inhérent à la « non-gouvernementalité » perd de son sens alors que les formes de dépendance se multiplient. Cette nouvelle dépendance à l’égard des bailleurs de fonds internationaux affecte les fins et les moyens des ONG. La communauté politique palestinienne s’est transformée sous l’action de contraintes internes et externes, tant à cause des changements affectant la population palestinienne, entraînés par l’occupation militaire que sous l’influence de la « communauté internationale ». Je vais tâcher de retracer dans cette introduction l’évolution des concepts de science politique qui permettent d’étudier ce type de phénomènes.

3L’étude de l’évolution des communautés politiques a donné lieu à une littérature assez conséquente en science politique. L’évolutionnisme est le premier paradigme qui a imprégné cette analyse. Cette théorie, qui appréhende l’histoire de manière linéaire, postule que toutes les sociétés changent selon un processus continu et endogène, obéissant à une loi de transformation uniforme et universelle, qui les conduit selon des étapes connues vers un état d’achèvement jugé supérieur (Badie, 1985 : 600). En d’autres termes, les sociétés politiques sont appelées, à la suite de la division sociale du travail, de l’institutionnalisation, de la nécessité de coopération qui en découle, à se doter d’une institution étatique. La forme la plus aboutie de cette institution est, selon cette théorie, l’État occidental, la démocratie libérale. Toutes les sociétés, même celles considérées comme les plus traditionnelles, vont passer par des étapes de développement politique qui doivent les mener plus ou moins rapidement à la modernité et la maturité politique. Bertrand Badie distingue cinq courants théoriques qui utilisent cette conception linéaire.

4Les théories de la croissance, dont deux des représentants sont Tönnies et Durkheim, envisagent une évolution graduelle des sociétés. À l’origine traditionnelles, marquées par de forts liens communautaires et un puissant contrôle social sur l’individu, ces sociétés vont se moderniser en se dotant d’appareils plus complexes. L’ordre politique dans sa version moderne relève d’un contrat. Tönnies analyse cette évolution en termes de passage d’une volonté naturelle à une volonté rationnelle.

5La société palestinienne semble d’ailleurs à cheval entre ces deux volontés. La volonté naturelle correspond à la communauté, à un système social traditionnel qui se structure dans le contexte d’une économie rurale. Le contrôle collectif est fort, notamment à cause du rôle de la famille et de la religion. À la volonté rationnelle correspond au contraire la société renvoyant à la vie urbaine et associative, à l’affirmation de l’individu, à l’apparition d’une opinion publique, à la distinction entre privé et public (Badie, 1985 : 601). La cohésion sociale se réalise grâce au contrat social liant les individus qui trouvent de l’intérêt à se regrouper et non au contrôle social exercé par le lien communautaire. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans les Territoires palestiniens. Le contrôle collectif est fort, la famille reste un référent incontournable des allégeances, la religion prend un poids considérable, notamment depuis le début de la deuxième Intifada. Cependant – et les élections présidentielles de janvier 2005 en sont un exemple frappant – l’opinion publique palestinienne existe bel et bien, la vie associative et urbaine est là, ainsi que la distinction entre privé et public. De là à conclure que la société palestinienne est à mi-chemin entre tradition et modernité, il y a un pas intellectuel que je ne franchirai pas.

6L’étude de PARC pose la question de la constitution et du modus operandi d’une organisation à buts spécifiques et qui se structure par rapport à son domaine d’action, à côté d’une Autorité à but gouvernemental et central. Il y a une concurrence thématique entre ces deux institutions pour incarner la modernité nationale. C’est ici que le modèle centre-périphérie peut être éclairant et éclairé par le cas palestinien. Cette concurrence n’est pas simplement une lutte entre rivaux, mais entre partenaires, en relation avec une pluralité d’acteurs.

7C’est donc dans ce contexte théorique que je vais étudier la mise en place des rapports entre gouvernemental et non-gouvernemental palestinien. Si l’on part du postulat que l’arrivée de l’Autorité palestinienne en 1994 procède de la construction, au sein de la société palestinienne, d’un centre politique national, l’analyse des rapports entre AP et PARC peut être envisagée en termes d’étude des relations centre-périphérie dans un contexte de construction étatique. Nous verrons au cours de cette deuxième partie que ce paradigme centre-périphérie peut être enrichi par le cas palestinien.

  • 1 Il va de soi que la « communauté des bailleurs de fonds » est loin d’être un acteur homogène. Compo (...)

8Le premier chapitre de cette deuxième partie sera consacré à la compétence politique en termes de politique agricole. Nous verrons, en analysant la constitution d’un plan national de développement agricole que le ministère palestinien de l’Agriculture a du mal à affirmer sa compétence politique face à un acteur aussi important dans le secteur agricole palestinien que PARC. Le Groupe de travail sectoriel (Sector Working Group), structure de coordination de l’aide internationale dans le domaine agricole, dépouille encore un peu plus le ministère de l’Agriculture de ses prérogatives au profit d’acteurs non gouvernementaux (PARC encore une fois) et internationaux (les bailleurs de fonds). La constitution de l’Autorité palestinienne en tant que centre politique se trouve fragilisée à la fois par la puissance occupante, de toute évidence, mais aussi par sa périphérie (le secteur non gouvernemental) et par un acteur prétendument extérieur au jeu politique palestinien : la communauté des bailleurs de fonds1.

9Dans le deuxième chapitre, je vais étudier les relations de l’Organisation non gouvernementale avec deux acteurs qui ont joué et jouent encore parfois une fonction essentielle : les donateurs internationaux, puisque sans ces financements, l’ONG ne pourrait pas survivre ; et le parti politique à l’origine de sa création. Nous verrons que dans la recomposition des rapports politiques palestiniens, l’affaiblissement des partis politiques est un facteur déstabilisant pour la constitution d’un centre politique opérationnel.

Notes

1 Il va de soi que la « communauté des bailleurs de fonds » est loin d’être un acteur homogène. Composée de gouvernements nationaux, d’agences de coopération rattachées à ces gouvernements, d’organisations non gouvernementales internationales type Oxfam ou d’organisations des Nations unies telles que le Programme alimentaire mondial, cette communauté est en fait un agrégat de stratégies et de volontés différentes. Je parle de communauté des bailleurs de fonds afin de souligner l’extériorité supposée de ces acteurs au jeu palestinien et surtout à la compétence politique palestinienne.

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