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ONG palestiniennes et construction étatique

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Caroline Abu-Sada

Première partie : Une nouvelle façon de faire le politique ?

Chapitre 2. Le maillage de la population palestinienne : le retour aux « grassroots »

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Géographique :

Palestine

Texte intégral

1Après avoir analysé la création de PARC (Palestinian Agricultural Relief Committees) dans un contexte de résistance à l’occupation israélienne et un mouvement de retour à la terre conçu comme un des « modes de faire » cette résistance, nous verrons tout au long de ce deuxième chapitre comment se structure cette organisation en fonction des contraintes externes mais aussi internes. Les rapports annuels éclairent le changement progressif de stratégie de l’association et sa façon de se positionner tant par rapport aux donateurs qu’à l’Autorité palestinienne. PARC réorganise sa périphérie en se posant comme régulateur de groupes sociaux (femmes/ jeunes/ fermiers). Cette structure, créée par une poignée d’ingénieurs agronomes en 1983 à Jéricho, est, en 2005, une véritable machine qui emploie quelque cent quarante employés, utilise plusieurs milliers de volontaires et brasse des millions de dollars. La première partie de ce chapitre tâchera donc d’expliquer ce mouvement d’institutionnalisation de l’ONG, tandis que la deuxième partie tentera de situer PARC sur l’échiquier théorique des Organisations non gouvernementales.

L’institutionnalisation de PARC

2PARC fonctionne de manière relativement informelle jusqu’à la fin de la première Intifada et l’arrivée de l’AP. L’histoire de PARC peut être résumée en plusieurs phases :

  • 1983-1986 : débuts de l’organisation. Toutes les personnes impliquées sont volontaires. PARC reçoit très peu de financements.

  • 1986-1988 : début de l’expansion territoriale, la zone d’intervention s’étend de Jéricho à tout le territoire palestinien, les premiers financements directs arrivent.

  • 1988-1992 : mise en place des comités de secours agricoles proprement dit, les financements arrivent de la communauté internationale. L’association se renforce à la faveur de la première Intifada.

  • 1992-2001 : institutionnalisation et professionnalisation de PARC. Le budget croît fortement, le nombre d’employés et de volontaires aussi. Une nouvelle stratégie est mise en place, PARC se lance dans la constitution de petites associations basées sur la communauté. Comme l’indique un des employés :

  • 1 Entretien réalisé le 22 janvier 2003 à Ramallah.

« Avec la création de l’AP, PARC s’est structurée comme une véritable organisation. C’est à partir de ce moment-là qu’on établit une assemblée générale, un bureau des directeurs, une structure »1.

3Une employée du bureau de Bethléem ajoute :

  • 2 Entretien réalisé le 17 juillet 2002 à Bethléem.

« Depuis 1992, tous les programmes et les activités doivent avoir un guide du début à la fin (quelles cibles, quelles conditions, comment suivre les résultats) »2.

4En 2000, il y a 130 employés, 61 951 bénéficiaires, 6 476 volontaires, 10 bureaux et 3 centres de formation. Le rapport annuel 2000 ne parle pas des organisations de la communauté.

  • 3 PARC, Annual Report, 2001 : 5.

5– 2001-2004 : Les programmes se recentrent sur la sécurité alimentaire et l’aide aux associations de base. Le développement rural en tant que tel est un peu mis de côté. L’objectif principal devient la structuration sociale des zones rurales palestiniennes. C’est dans le rapport annuel de 2001 que les organisations liées à la communauté commencent à être évoquées au titre des réussites : « Établir et coopérer avec 331 organisations rurales de développement et préparer l’établissement d’une coalition de ces organisations dans les zones rurales palestiniennes »3. Et le rapport annuel de 2003 indique que 128 nouveaux centres ruraux viennent d’être créés, ce qui porte le nombre total à 589 en 2003, 600 en 2004.

La première Intifada : le moment fondateur

  • 4 PARC, The Household Economy Program, 1988.
  • 5 Idem : 4.

6En 1988, le rapport sur l’économie des ménages4 précise que cette année a été tout à fait particulière pour les ménages palestiniens. Les autorités israéliennes ont fortement réprimé le soulèvement palestinien, ce qui a conduit à une crise de l’économie locale. Les villages et les camps ont été sous couvre-feu pendant des semaines ou des mois et cela a empêché la population d’aller travailler. Les autorités ont aussi fermé les boutiques et les marchés. Comme nous l’avons vu plus haut, le leadership de l’Intifada a appelé à un retour à la terre afin de maximiser la production locale et de réduire la dépendance palestinienne aux produits israéliens ou importés. Tous ces facteurs amènent un renouveau de l’intérêt pour l’économie des ménages. Des comités sont créés dans les villes, villages et camps en Cisjordanie afin de « semer sur chaque pouce de terre disponible »5 et de stocker de la nourriture en prévision des couvre-feux. PARC est appelée à aider ces comités à se mettre en place.

7Ce premier rapport conclut sur la nécessité pour l’organisation de soutenir encore l’économie des ménages et envisage de le faire dans 50 communautés (40 villages et 10 camps de réfugiés). Les objectifs de travail avec ces communautés sont les suivants : promouvoir le secteur de l’économie des ménages (pour améliorer le régime alimentaire de ces populations et non pour la vente) ; promouvoir certaines méthodes de production ; aider 10 familles dans le besoin dans chaque communauté (sont considérées comme familles nécessiteuses celles qui ont perdu leur source de revenus : familles de martyrs, prisonniers, chômeurs) ; soutenir les activités des comités agricoles des femmes et autres comités locaux ; transférer des connaissances techniques.

8Une employée du bureau de Bethléem indique que la première Intifada a aidé à développer cette idée de soutien à l’économie locale (plantes, animaux, terre). Plus de 65 % du travail agricole est fait par les femmes. Donc un des principaux travaux est de se concentrer sur les femmes :

  • 6 Entretien réalisé le 17 juillet 2002 à Bethléem.

« C’est le plus important travail à faire dans l’agriculture »6.

9Ceci fait aussi partie de la stratégie de PARC d’ouverture sur l’ensemble de la population palestinienne.

L’arrivée d’une autorité publique : réajustement des stratégies

  • 7 PARC, Annual Report, 1992 : Préface.

10Le rapport annuel de 1992 indique que PARC, en tant qu’une des plus grandes institutions agricoles dans les TOP, doit prendre ses responsabilités dans cette nouvelle ère politique. Il précise que PARC ne souhaite pas devenir le futur ministère de l’Agriculture ou toute autre institution décisionnelle gouvernementale sur le domaine agricole : « PARC reconnaît que sa raison d’être repose dans sa capacité à fonctionner effectivement en tant qu’organisation développementale non gouvernementale et populaire »7. C’est en 1992 également que PARC redéfinit sa stratégie par rapport aux communautés villageoises et qu’elle met en place une nouvelle structure organisationnelle afin d’être plus efficace. Ce changement de stratégie découle d’une évaluation réalisée par Novib, l’un des principaux donateurs de PARC. L’un des résultats de cette restructuration est la création d’une unité spécialisée pour les femmes, l’épargne et le crédit, qui a vocation à être indépendante. L’ONG développe aussi son « caractère international » en se mettant en relation avec des associations de développement en Jordanie, au Yémen, en Éthiopie et en Syrie.

Les groupes de femmes

  • 8 RWDS , rapport non daté.

11L’idée de la création de la Rural Women’s Development Society prend naissance avec le premier rapport sur l’économie des ménages, réalisé en 1988, qui démontre que 65 % du travail agricole est effectué par les femmes, mais qu’elles n’ont aucun contrôle sur les revenus agricoles. Une première unité appelée « Section Économie des ménages » est donc créée en 1988 pour essayer de viser les femmes dans la mise en place de programmes sur le terrain. Les premières coopératives pour les femmes voient le jour durant la première Intifada. L’évaluation réalisée par Novib en 1992 propose de changer cette section Économie des ménages en Unité Femmes afin de donner aux femmes l’opportunité de participer activement au processus de développement8. Cette unité a vocation à organiser les groupes de femmes partout dans les TOP. Les programmes d’épargne et de crédit débutent en 1994 afin d’aider les femmes à mettre en place des projets leur permettant d’avoir une source autonome de revenus.

12Les premiers groupes de femmes institutionnalisés se développent en 1996. Ils se dotent d’une charte, qui organise la participation, les élections internes et fixe les objectifs et les projets du groupe. Ce document organise aussi les rapports entre ces groupes de femmes et l’unité de femmes de PARC. Cette unité met d’ailleurs en place une campagne de sensibilisation pour les femmes aux élections législatives et présidentielles de 1996, les incitant à voter mais aussi à se présenter. Le Rural Women’s Department est établi en 1996 afin d’aider de manière plus efficace ces groupes de femmes. Il est divisé en trois sections : Formation, Clubs de femmes, Crédits pour les femmes. Ce rapport indique : « PARC est convaincu que le développement est un processus qui vise à changer la culture négative sur la répartition des rôles entre hommes et femmes, à changer la perception que les femmes ont d’elles-mêmes et à changer les attitudes et les politiques des acteurs impliqués, que ce soit l’Autorité palestinienne, les ONG, les partis politiques ou les donateurs ».

  • 9 Idem.
  • 10 Rural Women’s Development Society, Annual Report, Ramallah, 2002 : 4.

13La Rural Women’s Development Society est créée au début de l’année 2002 en tant qu’institution coordinatrice des clubs de femmes au sein de CORDA, coalition ici définie de la manière suivante : « CORDA vise à créer un fort mouvement social rural capable de contribuer à la construction d’une société civile palestinienne démocratique basée sur l’égalité et l’équitéentre les hommes et les femmes et sur la justice sociale ». La RWDS est une « organisation non lucrative affiliée à PARC qui vise à améliorer les conditions économiques, politiques et sociales des femmes palestiniennes vivant dans les zones rurales »9. La RWDS réunit en 2002 près de 11 000 femmes (8 000 en Cisjordanie et 3 000 dans la bande de Gaza)10. Toutes les dépenses de cette association sont couvertes par PARC. Cependant, l’affiliation à PARC n’est plus indiquée dans le rapport annuel de 2003 et l’ONG n’y est d’ailleurs presque plus mentionnée. La RWDS travaille avec 73 clubs de femmes comptant 12 702 membres et 18 037 bénéficiaires. Elle a obtenu 192 489 dollars à elle seule en 2003 mais dépend presque complètement encore de la tutelle de PARC pour sa survie.

Affirmation de la place centrale de l’ONG et suite de l’institutionnalisation

  • 11 PARC, Annual Report, 1995 : 1.

14En 1995, le rapport annuel spécifie la place que revendique PARC. C’est la principale ONG agricole en Palestine qui est la seule à s’occuper des agriculteurs. Il énonce : « Malgré les défis posés par les activités destructrices d’Israël, le secteur agricole palestinien n’a reçu que peu d’aide des pays donateurs. Même les agences agricoles de l’Autorité nationale palestinienne sont inefficaces dans la réponse aux besoins des agriculteurs palestiniens. En fait, le ministère palestinien de l’Agriculture, qui est officiellement en charge du secteur agricole palestinien, n’a pas encore de ministre »11. Selon ce rapport, tous les acteurs présents (Israël, l’AP, les pays donateurs), excepté PARC, ont un impact négatif sur le secteur agricole. Il indique aussi que PARC soutient le processus de paix et la démocratie palestinienne en créant des liens de coopération entre les agriculteurs palestiniens et de nombreuses ONG israéliennes. Ils incitent leurs partenaires à participer aux élections législatives. Il est écrit : « En fait, de nombreux amis et soutiens de longue date de PARC ont été élus au Conseil législatif palestinien ». L’avantage, pour faire avancer ses objectifs, d’avoir des soutiens au cœur de la scène politique palestinienne est indéniable. L’institutionnalisation s’accentue. D’autres organisations voient le jour après celle des femmes.

15Le rapport annuel 1992 précise que le syndicat des Agriculteurs palestiniens (PFU) et PARC se sont mis d’accord sur la nature et la structure que va avoir le syndicat. Ils se sont aussi mis d’accord sur le fait que le syndicat devrait être une organisation parapluie regroupant les agriculteurs sur la base de leur spécialité et de leur localisation (par exemple, la Banana Growers Society de Jéricho, la Beekeepers society, etc.).

  • 12 AAA, Annual Report, 2003.
  • 13 Idem.

16La PFU comprend 10 200 agriculteurs distribués en 220 regroupements agricoles (64 pour la production animale, 55 pour la production végétale, 20 pour l’eau et l’environnement, 79 mixtes et 2 pour le marché agricole). Créée en 1993, elle est dirigée par l’un des frères du directeur général de PARC. L’Arab Agronomists Association (AAA) est une « organisation non gouvernementale non lucrative »12 créée en 1992. Elle participe au soutien et au développement du secteur agricole et rural palestinien. C’est « un regroupement professionnel »13 qui travaille en coopération avec PARC et met en place plusieurs programmes qui participent de la stratégie générale de PARC. Elle est dirigée par le directeur général adjoint de PARC pour la Cisjordanie.

  • 14 PARC, Annual Report, 1996 : 2.

17L’année 1996 est une période de grands changements dans le contexte politique dans lequel évolue PARC : le Conseil législatif a été élu et le ministère de l’Agriculture a pris la pleine responsabilité du secteur agricole palestinien. L’AP qui a étendu sa souveraineté à toutes les villes de Cisjordanie, « a maintenant un rôle prépondérant dans le développement palestinien »14. La structure de l’ONG a donc évolué : l’assemblée générale s’est élargie pour permettre une meilleure représentation de la base et un nouveau conseil d’administration a été élu. Le rôle de l’ONG est défini en cinq points : la sécurité alimentaire et le développement du secteur agricole ; la protection des terres contre la confiscation, la création d’emplois ; le soutien des femmes dans les zones rurales ; la construction de la société civile.

  • 15 PARC, Annual Report, 1997 : 5.

18La répartition du budget de PARC apparaît pour la première fois en 1997 : le budget annexe est de 2 585 914 dollars tandis que le budget central est de 1 926 395 dollars, pour un total de 4 512 309 dollars (le budget de 2003 est quatre fois plus important). L’ONG se définit ainsi cette année-là : « PARC est une organisation non lucrative travaillant dans les domaines du développement rural, de la protection de l’environnement et de l’amélioration du rôle et du statut de la femme dans les zones rurales »15. C’est à ce moment-là que la direction met en place un plan stratégique de long terme 1998-2008, plan qui ne sera plus appliqué dès septembre 2000 à cause de la deuxième Intifada.

Une stratégie d’expansion verticale et horizontale

  • 16 Entretien réalisé le 15 juillet 2003 à Ramallah.

19Un des responsables de PARC précise que leur objectif est d’organiser les agriculteurs, les femmes, les jeunes en comités, par le biais d’organisations basées sur la communauté et spécialisées pour atteindre les objectifs de chaque groupe. Ils s’appuient donc sur les clubs de jeunes, les comités de femmes, les associations d’agriculteurs. Ces comités, qui sont répartis dans la Cisjordanie et la bande de Gaza, travaillent sur plus de 250 sites16. La branche « renforcement des institutions » que ce responsable dirige a trois buts : améliorer la qualité des services que ces organisations apportent à leur communauté de rattachement, augmenter l’impact de ces services sur la communauté, garantir la durabilité de ces services. L’idée était, dès le début, de mettre en place des projets qui n’ont pas beaucoup de besoins financiers mais qui nécessitent l’organisation des Palestiniens. Organiser la société palestinienne est un objectif fondamental pour PARC. Cela permet à l’organisation d’une part d’accroître son influence et d’autre part d’être plus proche des Palestiniens que ne l’est l’Autorité palestinienne. Ce salarié ajoute aussi que tous les membres doivent en référer finalement au directeur général. Cette dernière remarque met en lumière le décalage qui existe entre le discours de l’organisation qui revendique un mode de fonctionnement décentralisé et ouvert et la réalité observée sur le terrain d’une ONG à la structure très hiérarchique où le directeur général a une position prépondérante.

Une direction centralisée

20Le directeur de la branche de Gaza, semi-indépendante, doit également faire un rapport hebdomadaire à Ismaïl Daiq. Il explique :

« Tout est centralisé et en dernier lieu, tout revient vers le directeur ».

  • 17 Daibes, Salkfeld et Smith, 2004 : 38. Les trois experts ont travaillé dans le passé pour PARC.

21Une étude réalisée par des experts17 à la demande de PARC confirme cette hypothèse, de manière assez complaisante : « Le directeur général est un brillant leader. Il est aimé et respecté dans toute l’organisation, assure une direction forte et possède un rôle incontestable dans la gestion de ses subordonnés. Il a mis en place une culture de débat et de contestation au sein de PARC (même si nous admettons que certains employés pensent que la prise de décision est bien moins démocratique) ». Cela me ramène à ce que Jacques Lagroye évoque dans sa notion de pouvoir désiré : « la légitimité d’un système politique se confond avec le respect et l’admiration que les assujettis portent au chef » (Lagroye, 1985). Dans le cas de PARC, cette légitimité a donc plusieurs composantes. Il ajoute que les phénomènes où semble s’affirmer un type de légitimité particulière, d’ordre charismatique, ne se comprennent souvent que comme renforcement momentané d’un type de légitimité traditionnelle ou légale-rationnelle. PARC n’aurait sûrement pas autant d’influence sans sa légitimité scientifique. Cependant, la question se pose de la viabilité de l’organisation sans le chef. Certaines organisations palestiniennes ont périclité à la disparition, d’une manière ou d’une autre, de leur leader. Inash Al-Usra, une association visant à aider les femmes basée à Al-Bireh, n’a que peu de rayonnement depuis que Samira Khalil, sa directrice, n’est plus. L’Union of Palestinian Medical Relief Committee jouit du prestige énorme de son leader, Mustafa Barghouti, et réciproquement. La structure de PARC pourrait permettre d’éviter la disparition de l’ONG au départ de son directeur général si elle assure une passation sans heurts des pouvoirs.

22En 2004, PARC compte dix départements. Quatre sont des départements administratifs (administration et bureaux régionaux, finances, projets et relations extérieures, amis de la société civile – médias et relations publiques). Six sont des départements techniques (femmes ; jeunes ; agriculteurs ; épargne et crédit ; solidarité et urgence ; agronomes et professionnels). Soixante employés travaillent dans ces départements. Chaque département est dirigé par un directeur. Ces dix directeurs ainsi que les directeurs-adjoints pour la Cisjordanie et pour la bande de Gaza (un pour chaque zone) s’en réfèrent au directeur général. Il y a de plus treize bureaux régionaux dirigés chacun par un manager. En théorie, ces treize responsables doivent se référer au directeur du département « Administration et bureaux régionaux », mais dans la pratique, c’est le directeur général qui chapeaute tout.

23Chaque bureau régional compte un certain nombre d’employés (sept à Khan Younès, sept à Hébron par exemple). Certains sont spécialisés suivant le groupe avec lequel ils travaillent (agriculteurs, femmes, jeunes, etc.) et ils doivent travailler avec les organisations basées sur les communautés (CBOs) créées par PARC. Ils ont aussi pour mission de suivre d’autres groupes, plus informels, avec l’objectif de les transformer en CBOs par la suite. Ces employés réfèrent au directeur de leur bureau régional, au département technique qui leur correspond et au département des « projets et relations extérieures ». Plusieurs des employés avec qui j’ai fait des entretiens ont ainsi le sentiment que trop de personnes sont au-dessus d’eux et surtout donnent des directives diverses et parfois contradictoires.

24En 2003, ces organisations basées sur la communauté se répartissent de la manière suivante :

Spécialisation

Nombre de Groupes

Total membres

Bénéficiaires

Femmes

124 (27 % du nombre total de groupes)

12 967 (47,1 % du nombre total de membres)

90 769(47,1 % du nombre total de bénéficiaires)

Animaux

36 (7,8 %)

967 (3,5 %)

6 769 (3,5 %)

Agriculture

173 (37,5 %)

8 278 (30 %)

57 946 (30 %)

Jeunesse

56 (12,1 %)

2 439 (8,8 %)

17 073 (8,8 %)

Général

8(1,7 %)

527 (2 %)

3 689 (2 %)

Épargne et Crédit

64 (13,9 %)

2 353 (8,5 %)

16 471 (8,5 %)

Total

461

27 531

192 717

  • 18 Source : Ces chiffres m’ont été donnés par l’un des responsables de PARC en juillet 2003. Il est pl (...)

Tableau 7 : Répartition des CBOs issues de PARC en Palestine18

Une stratégie arrêtée : du social au politique

25Le directeur général de PARC définit la stratégie du groupe de la manière suivante :

  • 19 Entretien réalisé le 30 juillet 2003 à Al-Ram.

« Aujourd’hui, j’ai créé 461 organisations basées sur la communauté (CBOs), de jeunes, de femmes, de fermiers. Mais nous n’avons pas encore réussi à faire une politique nationale. Nous ne voulons pas être des sous-traitants ou ne faire que mettre en place des projets. Il y a quatre niveaux de développement des ONG, on peut l’appeler PPPP :
– Projects (Projets) ;
– Programs (Programmes) ;
– Policies (les Politiques) ;
– Politics (la Politique).
Aujourd’hui, PARC est au milieu des deux dernières phases et se prépare pour le dernier niveau »19.

26Cette énonciation de la stratégie de PARC est fondamentale pour comprendre l’évolution que je vais analyser. Il ajoute la chose suivante :

« Le dernier stade, la politique, c’est quand on peut encourager les CBOs à jouer un rôle dans la vie politique du pays. Influencer les lois, les politiques, les élections. Certains des membres de PARC doivent faire partie de l’AP. Notre stratégie est de tester les choses : si ça marche, c’est bien, sinon, on arrête. Il n’y a pas de stratégie claire pour arriver au dernier stade de développement. Nous en sommes maintenant au niveau de la capacity building ».

  • 20 PARC, Annual Report, 2004.
  • 21 Chiffres donnés par le directeur-adjoint de l’association le 12 décembre 2004.

27Un an et demi après, ce n’est plus 460 mais 600 organisations basées sur la communauté qui ont été mises en place, ce qui prouve que c’est un objectif prioritaire de PARC qui y consacre une portion non négligeable de son budget, 22 % en 200420. Ces 600 associations regroupent tout de même près de 60 000 personnes21. PARC est donc entrée de plain-pied dans la dernière phase, qui consiste à influer sur la politique.

28Ayant eu à faire face à des accusations de corruption, de méconnaissance de la société palestinienne parce qu’ayant adopté le calendrier des bailleurs de fonds internationaux, de mauvaise gestion des fonds et ressources, mais aussi ayant à prendre en compte les nouvelles directives de ces mêmes bailleurs qui portent aux nues la société civile et les « grassroots », les ONG palestiniennes vont tâcher de se tourner de nouveau vers leur base : la population palestinienne. Le local est devenu la notion ressource par excellence. Revenir au local, aux populations, permet de s’assurer à la fois le soutien de ces populations mais aussi et surtout celui des bailleurs de fonds internationaux, tels que la Banque Mondiale, le Programme des Nations unies pour le développement, l’Union européenne et d’autres.

  • 22 GrassRoots Organizations.
  • 23 Fisher (1997, n° 26 : 454) : « Parmi leurs grand nombre de connections translocales, toutes les pra (...)
  • 24 Voir par exemple l’étude de la Welfare Association Consortium, parue en 2001.

29Comme le montre à juste titre William Fisher : « Amid their wide range of translocal connections, all NGOs practices remain discursively constructed through reference to the “local”. Yet, while a notion of the local remains centrally important to the legitimacy of NGOs, it is frustratingly illusive […]. NGOs are praised and valued for connections to local communities and the grassroots, whether these connections are direct, or indirect through the GROs22 they service. Their acceptance as legitimate NGOs depends on their connections to or usefulness for local constituencies […]. The concept of the local is central to the pursuit of the varyingly interpreted, contemporary development objectives of participation and empowerment »23. C’est alors qu’apparaît en Palestine quantité de nouvelles études sur les besoins des populations conduites par les ONG24. La mise en réseau d’organisations de petite taille par les grandes ONG qui, par la puissance de leur structure, leurs fonds et leurs contacts avec l’étranger ont pu facilement se poser en compétiteurs de l’Autorité palestinienne se fait de plus en plus. Cette mise en réseau d’organisations plus petites leur permet de mieux diffuser leurs programmes mais aussi leur idéologie et par ce biais, d’asseoir leur pouvoir sur les populations.

  • 25 PARC, Annual Report, 2002.

30De tous les buts affichés de cette organisation (entre autres : protéger et agrandir les terres agricoles et leur productivité, réussir un développement environnemental complet, développer et optimiser l’utilisation des ressources d’eau disponibles, promouvoir et augmenter les capacités de production des femmes des zones rurales et renforcer leur rôle dans la communauté rurale), un m’intéresse ici tout particulièrement : « aider à l’établissement, au renforcement et au soutien des institutions, comités et unions et mobiliser les efforts dans l’organisation des individus et des groupes de manière à réaliser les objectifs de PARC sur le terrain dans tous les domaines liés à son travail »25. En effet, depuis deux ans, cette ONG a développé une stratégie très centralisatrice.

Promouvoir le changement social

Une stratégie bottom-up affichée

31La création des CBOs est à la base de la stratégie de PARC qui consiste à promouvoir le « changement social ». Il y a quatre types de CBOs (Comunity Based Organisations) : les clubs de jeunes, les groupes de femmes, les groupes d’épargne et de crédit pour les femmes, les comités d’agriculteurs. Le rapport des experts indique : « Un village “réussi” pour PARC doit comprendre maintenant quatre associations basées sur les communautés, affiliées au PARC, deux pour les femmes, une pour les jeunes, une pour les agriculteurs, chacune avec sa propre administration et sa gouvernance indépendante » (Daibes, Salkfeld et Smith, 2004 : 10). Ces experts ont émis la proposition suivante : réunir toutes les associations dans une seule association de développement rural avec une seule administration et des programmes autonomes, indépendante de PARC. Ils citent une employée du département des femmes : « Je me sens schizophrène, une minute je représente PARC, l’autre minute une association basée sur les communautés » ! Ce problème de double casquette des volontaires et des employés est clairement souligné dans ce rapport qui incite l’organisation à clarifier ses rapports avec les associations qu’elle a créées.

32PARC a créé, nous l’avons vu, des organisations « parapluies » pour ces CBOs : le Syndicat des agriculteurs palestiniens (Palestinian Farmers Union, PFU), la Société de développement des femmes des zones rurales (Rural Women’s Development Society, RWDS), l’Association de développement des jeunes (Youth Development Society, YDS), la coopérative pour l’épargne et le crédit (Savings and Credit Cooperative, SCC) et enfin l’association des agronomes arabes (The Arab Agronomists Association, AAA). Cela s’inscrit donc dans une stratégie plus large de mise en réseau de la société palestinienne. Les quatre premières (PFU, RWDS, YDS et SCC) sont chacune dirigées par le directeur du département technique correspondant. Mais les quatre sont enregistrées comme des associations indépendantes, chacune avec son bureau administratif et son compte en banque. La coopérative pour l’épargne et le crédit fonctionne maintenant de manière indépendante, aux dires des dirigeants. Elle est l’entité légale pour le travail d’épargne et de crédit de PARC, elle a donc une autonomie toute relative.

33Pour schématiser les structures de PARC :

34Ces quatre organisations parapluies ont donc deux statuts : elles sont à la fois des organisations autonomes (puisque enregistrées séparément) mais aussi des départements de PARC. Ceci permet aussi d’avoir un accès aux fonds internationaux quadruplé puisque chaque organisation parapluie va prendre ses propres contacts avec les bailleurs de fonds. Par exemple, le Consulat général de France à Jérusalem finance un projet d’ouverture de classes de baccalauréat (tawjihi) mis en place par la Rural Women’s Development Society. Le problème de séparation des tâches et des entités, soulevé par les experts et les gens sur le terrain, se pose aussi par rapport aux bailleurs de fonds qui ne savent plus très bien à qui ils s’adressent. Ces quatre entités sont en fait des départements déguisés en organisations indépendantes. Les directeurs s’en remettent à la direction centrale de PARC.

35Le directeur de la branche « projets et relations extérieures » m’a précisé les objectifs de la coalition :

  • 26 Entretien réalisé le 15 décembre 2004 à Ramallah.

« Avec CORDA, il s’agit de mettre en place un développement rural intégré, d’approfondir le rôle de la société civile dans la société palestinienne et de véhiculer une même vision sociétale »26.

36Le rapport d’expertise ébauche trois solutions aux problèmes organisationnels de PARC : la passation de pouvoir aux organisations parapluies qui implique à moyen ou long terme la dissolution de PARC, l’autonomie totale de ces organisations et la mise en place d’un partenariat entre les quatre organisations et PARC et, enfin, le scénario où PARC conserve la suprématie sur ces quatre entités qui deviennent des sous-traitants. Il conclut de cette manière : « L’existence de départements techniques peu supervisés avec des délimitations de travail peu claires et des relations confuses avec la RWDS, le PFU, la SCC, le YDS et les associations basées sur la communauté nous semblent la faiblesse la plus visible et la plus importante dans la structure de PARC ».

Une stratégie top-down appliquée

  • 27 Âgé de 25 ans lorsqu’il a été embauché, Nasser a fait des études d’économie ainsi qu’un master en d (...)

37Le discours professé par la direction de l’organisation sur le processus de prise de décision ne coïncide pas toujours avec ce que j’ai pu observer sur le terrain. Pour une partie des employés, les dirigeants de PARC ont tendance à pratiquer une politique de « top-down » en matière de prise de décisions. Le sentiment dans les bureaux régionaux est souvent d’une imposition des décisions du haut de la pyramide vers le bas et notamment avec cette centralité que possède le directeur général dans l’organigramme de l’organisation. L’ancien responsable du département « capacity building »27 (développement institutionnel, formations, etc.) embauché au début de l’année 2002 a entrepris une grande réforme au sein de la direction de PARC afin d’améliorer le fonctionnement de l’organisation. Il s’est heurté aux résistances d’une structure bien rodée et aux employés en place depuis longtemps. Ne pouvant absolument pas mettre en œuvre sa réforme, il a démissionné en avril 2004. La direction de PARC est constituée par une « vieille garde » qui voit d’un mauvais œil toute tentative de changement du mode de fonctionnement de l’organisation et de remise en cause de leurs privilèges. Cette vieille garde fait partie de l’association depuis ses débuts et l’accès au directeur général est un atout indéniable pour assurer sa position au sein de l’organisation.

38Le responsable de PARC pour la Cisjordanie précise :

  • 28 Entretien réalisé le 27 juillet 2003 à Al-Ram.

« Après 20 ans d’activités, nous avons reformulé notre stratégie comme nous l’avions fait en 1992 pour rendre compte des changements sociaux. CORDA est donc une coalition d’associations qui travaillent dans le développement agricole. Nous voulons fusionner avec les autres associations. CORDA serait une ONG indépendante et non un réseau pour contourner la loi palestinienne qui ne s’occupe pas des réseaux, l’idée est de faire une association indépendante qui centraliserait les activités (femmes/ prêts/ fermiers/ingénieurs) dans laquelle PARC aurait une place prépondérante. PARC gérerait la construction institutionnelle, les politiques et les stratégies générales et la représentation et le lobbying pour ces associations. CORDA est une coalition pour s’occuper du changement social pour les organisations de fermiers/ de femmes/ de jeunes mais aussi les associations professionnelles. Il y a d’autres associations intéressées : Women Studies Center, plus des associations de crédit afin de faire quelque chose d’intégré. PARC pense ainsi pouvoir créer un comité de coordination qui nous permettrait de garder un rôle de leader »28.

39La création de CORDA serait donc, aux dires de ce responsable, due à l’évolution naturelle de PARC et à la nécessité d’organiser encore un peu plus le secteur agricole. Cette structure permettrait cependant à PARC de garder un rôle primordial. Il insiste :

« PARC a un rôle nécessaire et important dans la construction de l’État palestinien. CORDA et le changement social vont nous permettre d’étendre nos valeurs dans la société et d’accroître notre influence (valeurs de démocratie, etc.). Depuis le début de la deuxième Intifada, PARC a eu des succès : la décentralisation des activités de PARC qui donne plus de pouvoirs aux régions, l’augmentation du nombre de volontaires qui nous permet de faire plus de travail. À titre comparatif, en 2000, nous avions 120 employés et un budget de 5 millions de dollars et en 2002, nous avons 147 employés et un budget de 15 millions de dollars ».

40Non seulement PARC veut organiser le secteur agricole, nous venons de le voir, mais en plus l’organisation souhaite participer à l’organisation de l’État palestinien. Regrouper ces diverses associations sous la tutelle de PARC n’est qu’une étape dans cette stratégie. Cependant, cette notion de décentralisation est contestée par les employés et les volontaires. Une partie considère que l’organisation est beaucoup trop centralisatrice et qu’elle laisse peu de marges de manœuvre aux périphéries.

41Le directeur adjoint ajoute :

  • 29 Entretien réalisé le 12 décembre 2004 à Ramallah.

« L’idée de monter CORDA est venue il y a 3 ans. Nous avons systématisé cette idée afin de montrer à nos partenaires comment nous allions nous développer. C’est un succès sous certains aspects : maintenant nous travaillons avec 600 associations, réparties en quatre secteurs : les femmes, les jeunes, les paysans et les ingénieurs agricoles (comme les vétérinaires). Nous ne pensions pas avoir autant de succès dans l’organisation de la société palestinienne. En revanche, Nous avons plus de mal à vendre le projet aux donateurs. Mais ces associations que nous avons mises sur pied constituent le début d’un mouvement social. Les associations sont constituées de cette façon : d’abord, nous fournissons des services aux femmes et après, nous institutionnalisons cette aide en créant une association, enfin, on leur explique comment monter un projet et le conduire au bout. Chaque projet dure d’un à trois ans. Les principaux groupes de femmes sont les groupes d’épargne et de crédit. Ils sont enregistrés auprès du ministère du Travail. Pour qu’une association soit viable, il faut qu’elle réunisse plusieurs critères : enregistrement, adhésion, prospection des besoins, droits pour les adhérents, compte en banque, élections internes. Les groupes de jeunes sont plus récents, ils n’ont été établis que trois ans auparavant. Mais les comités de paysans, beaucoup plus anciens, sont organisés en fonction de leur spécialité : huile d’olive, dattes, moutons, etc. La relation entre PARC et les associations issues de la communauté est intégrée et complémentaire. Il faut que nous développions leur autosuffisance. Dans le futur, PARC doit passer véritablement de l’agriculture au développement rural. Nous devons maintenant penser en termes d’aspects politiques. Nous avons organisé les secteurs, organisé les associations basées sur la communauté, nous pouvons diffuser nos idées. Nous voulons influencer la vie politique palestinienne »29.

42Il est intéressant de voir que la surprise vient du manque de réactivité des donateurs internationaux à ce nouveau projet alors que ces derniers avaient toujours soutenu PARC de manière inconditionnelle, mais aussi de la réussite de l’organisation de la société palestinienne. La stratégie est clairement définie : créer des organisations basées sur la communauté, leur permettre d’être autosuffisantes tout en s’assurant qu’elles prennent en charge la population palestinienne afin de passer au stade du développement rural intégré, diffuser les idées de PARC en créant un mouvement social au sein de la société palestinienne et enfin, influencer la vie politique palestinienne. Cette stratégie ressemble plus à celle d’un parti politique qu’à celle d’une ONG. En d’autres termes, PARC mobilise la population palestinienne, crée en quelque sorte une action collective à vocation politique afin de participer à la construction étatique. Je reviendrai dans la deuxième partie sur ces notions, en analysant notamment la question de la mise en place de la politique nationale agricole palestinienne.

Une institution solide ?

Le budget

43Le tableau suivant indique l’historique récent des finances de l’organisation (en dollars) :

2000

2001

2002

2003

Total des financements(1+2+3+4+5)

7 218 607

11 255 490(156 % du budget 2000)

18 046 529(250 % du budget 2000)

18 074 612(250,5 % du budget 2000)

Contributions en nature(1)

569 865(7,9 % du budget total)

500 000(4,4 % du budget total)

1 300 000(7,2 % du budget total)

6 515 200(36 % du budget total)

Contributions financières locales(2)

1 068 066(14,8 %)

1 071 940(9,5 %)

2 760 809(15,3 %)

1 810 932(10 %)

Financement direct(3)

886 125(7,8 %)

Surplus redirigé(4)

1 300 968(7,2 %)

939 896(5,2 %)

Total donateurs(5)

5 580 066(77,3 %)

8 797 425(78,1 %)

12 684 752(70,3 %)

9 748 480(54 %)

Budget central

1 819 090

2 413 562

2 301 387

2 946 021

Budget annexe

4 109 899

6 383 863

10 383 365

6 802 459

  • 30 Source : tableau issu du rapport de Daibes, Salkfeld et Smith, 2004 : 33. J’ai calculé les pourcent (...)

Tableau 8 : Budget de PARC (2000-2003)30

  • 31 Entretien réalisé le 23 octobre 2004 à Ramallah avec le directeur-adjoint.

44Le saut quantitatif entre 2001 et 2002 est dû à l’implication plus nette des donateurs à la suite de l’Intifada. Les structures de l’AP ayant été très touchées par les attaques de l’armée israélienne, les donateurs ont reporté une partie des financements sur les ONG, dont PARC, afin de fournir des services à la population palestinienne durement frappée. L’organisation est, en 2003, soutenue par 9 donateurs pour le budget central et 41 pour le budget annexe. Le budget central est celui qui est utilisé pour les activités vitales de l’organisation et ses frais de fonctionnement, tandis que le budget annexe est consacré aux divers projets. Le tableau ci-dessus montre que la part du budget annexe est en nette augmentation, ce qui tendrait à montrer que la situation de l’ONG s’assainit. Le budget central prévisionnel pour 2005 est de 8 784 475 dollars. PARC, en 2005, sera encore dépendant à 95 % des financements extérieurs31. La diversité des donateurs constitue une charge certaine pour l’organisation et 20 employés sont occupés, à plein temps, à écrire des propositions, à répondre aux appels d’offre et à rédiger les rapports d’activités. Le responsable pour l’Union européenne du partenariat avec PARC m’a d’ailleurs indiqué que ces rapports sont le gros point faible de l’organisation :

  • 32 Entretien réalisé le 16 décembre 2004 à Jérusalem.

« PARC est très bon techniquement mais mauvais en termes de rapports d’activités. Le problème, c’est que le rapport d’activités est la chose la plus importante pour les donateurs »32.

45Le rapport des trois experts explique que les départements techniques conservent des relations bilatérales avec les donateurs et que les propositions et rapports d’activité ne sont pas contrôlés par le département « projets et relations extérieures », alors que les rapports financiers sont contrôlés par le département des finances. Cependant, les comptes de PARC ont été inspectés trois fois par l’AP (par le General Monitoring Committee en 1996, 1999 et 2002), mais aussi par la coalition des donateurs. Une firme palestinienne, associée à Price Waterhouse, a effectué un audit en 2003. L’Union européenne, via le cabinet de consultants Ernst and Young, a également inspecté les sources de financement et l’utilisation de ces financements.

Problèmes de structuration

46Le directeur des trois branches de PARC de la bande de Gaza exprime son attachement à la philosophie générale de l’organisation :

  • 33 Entretien réalisé le 23 octobre 2003 à Gaza.

« Parce que nous voulons changer la société, il faut organiser les gens et les laisser comprendre ce dont ils ont besoin et non pas seulement leur fournir des services »33.

47Cependant, il précise qu’il est important que la structure de l’organisation change et donne plus de pouvoirs aux bureaux régionaux et moins aux départements techniques. Les experts proposent à l’organisation de mettre en place un manager qui s’occuperait exclusivement des bureaux régionaux et permettrait d’accroître les pouvoirs de ces bureaux… mais sont conscients de la capacité de résistance au changement des employés : « Nous sommes conscients qu’il y aurait une résistance considérable à cette idée au sein de PARC, une énorme volonté des directeurs des bureaux régionaux de rester en contact direct avec le directeur général, des craintes concernant la perte d’autonomie et la menace d’une bureaucratie top-down » (Daibes, Salkfeld et Smith, 2001 : 41). Ces pratiques ressemblent plus ou moins aux pratiques clientélistes et patrimoniales où il est important de rester en contact direct avec le dernier échelon de décision afin de ne pas perdre de pouvoir. Ajouter un autre échelon décisionnel comme le proposent ces experts éloignerait les bureaux régionaux du directeur régional et ce n’est pas envisageable dans ce cadre de gestion patrimonial de l’organisation.

48En janvier 2003, une autre évaluation des projets sur l’économie des ménages menés par PARC en 2000-2001 a été réalisée par Hifab International pour les Pays-Bas et la Suède. L’un des points mis en avant est que la sélection des bénéficiaires est hasardeuse et qu’elle s’apparente parfois à une récompense pour des services rendus à PARC. L’organisation a répondu à ce commentaire en indiquant que ceci était un jugement personnel tout à fait incorrect. Or plusieurs entretiens avec des bénéficiaires des programmes de PARC vont dans le même sens.

49Un des points forts de l’organisation est sa réactivité face aux problèmes de la société palestinienne. Un des responsables de la branche de Jabaliya explique :

  • 34 Entretien réalisé le 24 octobre 2003 à Jabaliya.

« Notre activité est centrée sur les zones rurales et concentrée le plus possible sur les femmes des zones rurales. Il s’agit de renforcer leur capacité à travailler dans le développement durable rural fondé sur le principe que les femmes, surtout les rurales, ont des rôles distincts et importants à jouer dans ce développement. Donc on ne peut pas ignorer leur rôle et c’est pourquoi il faut créer du développement intégré. Pour couvrir ces activités, PARC a établi une approche pour accomplir les nécessités de ce développement dans des secteurs divers. Depuis, le développement comme concept n’est pas seulement relié à des activités spécifiques mais multiples. C’est l’approche de PARC de jouer un rôle effectif en tant qu’ONG pionnière dans le domaine de l’agriculture »34.

50Concentrer les activités sur les zones rurales et sur les femmes permet à PARC d’être rapidement réactive dans des zones durement touchées par la pauvreté et qui ne reçoivent que peu d’aide de la part de l’Autorité palestinienne.

51Une autre raison que l’on peut invoquer dans le cadre de ce changement de programmes et des ONG palestiniennes tient à la construction du mur de séparation (aussi appelé mur de l’Apartheid, barrière et autres). PARC est devenu d’ailleurs l’ONG hôte de la campagne antimur, qui regroupe un certain nombre des grandes ONG palestiniennes. L’adjoint du directeur général de PARC explique :

  • 35 Entretien réalisé le 7 septembre 2004 à Ramallah.

« C’est toute la situation en Palestine qui s’est aggravée. Le mur vient s’ajouter aux incursions de l’armée, aux blocages. Tout cela affecte la sécurité alimentaire du pays. À cause du mur, les gens n’ont plus accès aux points d’eau, à leurs terres. Qalqiliya et Tulkarem ont longtemps été le grenier des territoires, ce n’est plus le cas maintenant, ils ne peuvent plus produire »35.

52La construction du mur est une occasion de plus pour l’organisation de montrer qu’elle est très présente auprès des plus pauvres d’entre les Palestiniens, contrairement à l’AP. Un volontaire de PARC des environs de Tulkarem, dont les terres se retrouvent du côté israélien du mur et la maison du côté palestinien, exprime d’ailleurs sa colère :

  • 36 Entretien réalisé le 9 septembre 2004 à Tulkarem.

« Pas une seule personne de l’Autorité n’est venue voir ce qui s’était passé ici pour ma famille. Alors que les gens de PARC, eux, nous aident et médiatisent la situation pour que les gens sachent ce qui se passe »36.

  • 37 Entretien réalisé le 1er octobre 2004 à Beit Hanina.

53C’est un parfait exemple de la réactivité de l’organisation par rapport à l’inertie de l’Autorité palestinienne qui, du coup, perd en crédibilité vis-à-vis des Palestiniens. Les changements dans les stratégies des ONG de développement sont dus à plusieurs facteurs, comme le montre un des responsables de l’organisation37 :

« PARC travaille beaucoup avec les femmes, pour le microcrédit, le renforcement de leurs capacités et avec les fermiers. Aujourd’hui, avec le mur, les gens considèrent que ce n’est plus leur priorité mais que les ONG doivent se concentrer sur les besoins de base des populations. Si PARC héberge la campagne anti-mur, c’est parce que nous sommes connus et parce que nous travaillons avec les fermiers qui sont les plus touchés par ça. Nous avons milité auprès de l’Autorité palestinienne pour qu’aucune distinction ne soit faite entre les terres de chaque côté du Mur pour ne pas entériner cette construction et laisser faire la politique israélienne du fait accompli ».

54Ainsi, l’occupation, la répression de l’Intifada, l’affaiblissement de l’autorité centrale, la construction du mur sont autant de facteurs qui obligent les ONG de développement à s’adapter. Elles doivent donc trouver un nouvel équilibre entre les programmes d’urgence et les programmes de développement. Jean-Pierre Olivier de Sardan explique que les ONG, en tant qu’organisations, ont des fonctions explicites (par exemple : aide humanitaire, petite irrigation, etc.) mais aussi des fonctions latentes (par exemple, gestion de carrière, tourisme de développement, patriotisme institutionnel). Un lien s’établit alors entre le courtage en développement et les systèmes clientélistes souvent signalés. Cette idée est éclairée par le cas de PARC. Sa fonction explicite est d’œuvrer au développement rural palestinien. Ses fonctions latentes sont la résistance à l’occupation, la promotion de la société civile et l’encadrement de la population. Ces fonctions latentes sont plus ou moins avouées d’ailleurs.

  • 38 Hammami (1995, n° 2 : 27) : « Les Comités palestiniens de secours agricole (PARC) ont créé une Unio (...)

55PARC n’est d’ailleurs pas la seule organisation à avoir ce type de stratégie. Rema Hammami indique : « The Palestinian Agricultural Relief Committees (PARC) have created a farmers’ union in an attempt to develop an autonomous but linked structure that will give them an organized grass-roots constituency. The second model, represented by the Union of Palestinian Medical Relief Committees (UPMRC) is that of an elected general assembly and regional committees whose immediate role is to give voice to the priorities and needs of its constituents. Finally, Bisan and other organizations focusing on community development have attempted to tap into existing structures (community-based charitable societies, youth groups and refugee committees) in order to link with semi-organized grassroots groups »38. Ces diverses organisations ont des stratégies variées afin de combler ce manque de relations avec les populations palestiniennes.

La valorisation du local

56J’avais commencé à évoquer plus haut la nécessité, pour l’ONG, de créer des réseaux locaux au sein de la population palestinienne afin d’accroître son efficacité mais aussi son rayonnement. Les réactions face à ce type de stratégie sont assez mitigées. Un des anciens cadres de l’ONG explique :

  • 39 Entretien réalisé en juin 2004.

« Tout cela est destiné à ramasser encore plus d’argent qu’avant. C’est une mise en réseau des associations qui permet à la fois d’avoir accès à plus de fonds mais aussi de contrôler encore plus le secteur et la population »39.

  • 40 PARC, Annual Report, 2003 : 40.

57La constitution de ces associations et leur renforcement est devenu une priorité pour cette ONG. Ce quadrillage permet un contrôle effectif, comme l’explique cet ancien employé, à la fois du secteur agricole, mais aussi des populations. Ce retour au local, pour PARC, lui facilite l’accès aux financements internationaux, dans la mesure où les bailleurs de fonds sont plus circonspects par rapport à l’AP et cherchent à valoriser la société civile. Il est d’ailleurs clairement indiqué dans le rapport annuel 2003 de PARC : « La principale préoccupation de PARC durant la période actuelle est de maintenir le même montant de financements »40.

  • 41 Il faut souligner cependant que si ce phénomène s’est accentué lors de la deuxième Intifada, il éta (...)
  • 42 Un des titres de chapitre du rapport des experts sur PARC était intitulé : « Big is not (always) se (...)

58Les Palestiniens se tournent de plus en plus vers un mode de solidarité clanique ou familial depuis le début de la deuxième Intifada41, ainsi que l’explique Majdi Al-Malki (2000 : 171) : « Le sentiment d’instabilité et d’insécurité ressenti par la communauté, a conduit groupes et individus, à s’agréger le long de lignes “traditionnelles”, comme les relations de parenté, de voisinage, d’appartenance au même village ou au même camp afin de rechercher soutien et sécurité ». Il est vrai que le personnel de PARC est connu et que leurs structures d’encadrement et d’aide sécurisent les gens. Dans certains villages, ils ont mis en place des programmes de distribution de nourriture, de la scolarisation pour les femmes (ouverture de classes de tawjihi pour femmes), des groupes de jeunes, du volontariat à tous les niveaux. C’est une ONG « globale » en quelque sorte, dans la mesure où elle prend en charge de nombreux aspects de la vie de certains Palestiniens42.

59En effet, PARC se concentre sur le renforcement de ces petites structures afin de pouvoir mettre sur pied d’ici à 2005 cette initiative CORDA, qui lui permettra d’avoir un plus grand accès aux fonds internationaux. Cette mise en réseau et ce retour au local ont aussi une vertu : celle de constituer un vivier de volontaires mobilisables en cas de besoin, pour des élections par exemple, comme celles organisées dans les Territoires palestiniens tout au long de l’année 2005. Cette mise en réseau ne va pas sans développer des pratiques de clientélisme et de patrimonialisme.

60J.-P. Olivier Sardan indique qu’on a depuis longtemps identifié l’existence de formes « néopatrimoniales » en Afrique. Il émet l’hypothèse que l’émergence de courtiers en développement suscite de nouveaux rapports de patronage, basés sur la capacité du courtier à orienter ou redistribuer les flux de l’aide vers tel ou tel, alimentant ainsi des relations d’allégeance. Il se demande si les règles du jeu développementalistes permettent l’émergence de modes d’affiliation inédits (liés au caractère nouveau des ressources mobilisées par les courtiers : relation avec les bailleurs de fonds, capital scolaire minimum, insertion dans des réseaux extérieurs). Ce que nous venons de voir avec CORDA explique en partie ces modes d’allégeance inédits. L’adhésion aux principes directeurs de PARC ajoute une touche à cette allégeance. PARC, par son évolution structurelle, s’adapte aux nouvelles réalités en Palestine : un poids de plus en plus important des donateurs internationaux sur la scène politique et économique et une autorité nationale affaiblie. Ces deux facteurs permettent à l’organisation de s’ériger en courtier de développement au sein de la société palestinienne et de créer des modes d’allégeances inédits, notamment au travers de la constitution de petites associations locales.

Parc : un « monstre politique » ?

61Après avoir vu les modes d’action et la structuration de l’ONG, tâchons de voir où elle se situe dans la théorie des ONG. La définition des Organisations non gouvernementales globalement admise dans le monde scientifique occidental repose sur l’idée d’un rassemblement de personnes sur une base non lucrative et avec un but distinct de l’action étatique. Cette vision des ONG implique évidemment leur création après la constitution d’un État, tandis que les ONG palestiniennes cherchent à préserver un espace politique et social qu’elles avaient constitué bien avant l’arrivée de l’AP.

De l’importance de la définition du non-gouvernemental en Palestine…

Un rapport de forces entre AP et ONG

62L’enjeu de la définition des ONG palestiniennes, de leurs activités et de leur rapport à l’autorité, est crucial en Palestine puisqu’il régit l’ensemble du débat opposant ces dernières à l’AP. Le PNGON, que j’ai étudié plus haut, définit les ONG de cette manière : « Institutions non lucratives d’origine civile, travaillant dans des domaines de développement variés, tels que scientifique, éducatif, caritatif, religieux, etc. et opérant sans discrimination basée sur l’origine, la religion ou le sexe »43. Généralement, les Palestiniens désignent comme ONG l’ensemble des institutions n’appartenant pas au secteur public, y compris les syndicats, les associations de bienfaisance et toute association qui n’appartient pas stricto sensu aux institutions de l’AP. Cette définition qui englobe énormément de structures, limites par là même, le champ d’action de l’Autorité palestinienne et permet de gonfler le nombre d’associations44.

63Un débat s’engage à partir de 1995 autour de la loi sur les ONG. Le projet de loi initial proposé par l’Autorité palestinienne exigeait une autorisation comme préalable à la création d’une association, comme c’est le cas dans de nombreux pays arabes. Cette loi visait aussi à unifier la législation palestinienne, sachant que les ONG étaient antérieurement soumises à des règles issues de législations différentes : égyptienne, jordanienne, israélienne, britannique et ottomane. La comparaison faite avec les autres pays arabes voisins n’a pas aidé à apaiser le climat de tension entre les deux acteurs, sachant que les législations sont beaucoup plus restrictives dans ces pays que ce qu’ont pu connaître les ONG palestiniennes depuis leur émergence.

64La loi des « associations caritatives et organisations communautaires » a été adoptée le 21 décembre 1998 par le Conseil législatif palestinien (CLP). Ce vote intervient après d’intenses débats sur ce premier projet de régulation juridique proposé par l’AP en 1995, très inspiré de la législation égyptienne, sans aucune concertation avec les ONG. Le collectif du PNGON a alors fait du lobbying auprès des ONG internationales, bailleurs de fonds, partis politiques palestiniens, syndicats, intellectuels, notamment à cause d’une campagne de dénigrement lancée dans la presse contre le champ associatif à la suite d’un rapport de la Banque Mondiale sur leurs activités. Du point de vue des ONG, l’AP a, après son installation en 1994, essayé de centraliser le pouvoir. Cette dernière, quant à elle, voit d’un très mauvais œil le fait que les bailleurs de fonds internationaux, notamment l’Union européenne, réduisent les fonds qui lui étaient alloués pour les redistribuer aux ONG.

  • 45 Qânûn raqam (1) li-sanah 2000 bi-sha’n al-jam‘iyyât al-khayriyyah wa-l-hay’ât al-ahliyyah.

65En 1998, lorsque cette loi est adoptée par le Conseil législatif palestinien, elle est renvoyée devant Yasser Arafat. Ce dernier souhaite modifier le ministère de tutelle, du ministère de la Justice (solution préconisée par les associations et la plupart des députés palestiniens), vers le ministère de l’Intérieur. Cette décision provoque alors une nouvelle vague de débats, les ONG considérant qu’accepter une telle tutelle reviendrait à les laisser à la merci d’une législation beaucoup trop restrictive, l’enregistrement et le suivi des ONG et de leurs membres passant alors directement aux mains des services de sécurité. La question de l’enregistrement ou de l’autorisation des ONG auprès des autorités s’est également posée. Obliger les fondateurs d’une association à en demander l’autorisation auprès des autorités pose la question de la censure. Malgré un vote défavorable du CLP au début de l’année 1999, cette loi a été promulguée et publiée au Journal officiel palestinien le 29 février 2000. Elle définit les associations ou organisations de cette manière : « toute association charitable ou organisation indépendante juridiquement établie avec l’accord d’au moins sept personnes afin d’accomplir des objectifs légitimes d’intérêt public, sans viser à réaliser du profit personnel pour ses membres »45.

  • 46 Entretien réalisé le 30 juillet 2002 avec Mustapha Barghouti.
  • 47 Wizârat al-munazzamât al-ghayr hukûmiyyah. Il est dirigé par Hassan Asfour, homme politique assez c (...)
  • 48 Entretien avec un fonctionnaire du ministère, 16 juillet 2002.
  • 49 J’ai essayé d’obtenir la liste des ONG enregistrées auprès du ministère de l’Intérieur, sans succès (...)

66Les gouvernements, bailleurs de fonds, ONG internationales ont fait pression sur l’AP en faveur d’une loi plus souple. Selon les principales intéressées, cette loi vise à interférer dans leur travail quotidien46. Beaucoup d’ONG se retrouvent sous une triple tutelle : tutelle du ministère de l’Intérieur, du ministère des ONG et de leur ministère de rattachement, tel que le ministère de l’Éducation pour les associations s’occupant de scolarisation. La création d’un ministère des ONG47 en juin 1999 avait été perçue par certains comme un signe de bonne volonté de l’Autorité. D’autres le voient comme une institution destinée à la fois à contrôler les fonds qui sont alloués aux ONG et à harmoniser la réglementation juridique des organisations. Ce ministère avait d’ailleurs un rôle d’assistanat des associations dans la procédure d’enregistrement auprès du ministère de l’Intérieur48. Il faut souligner qu’en règle générale, les associations caritatives se sont faites enregistrées très rapidement, contrairement aux ONG49. Ainsi, la crainte d’une trop grande intervention de ce ministère dans les affaires des ONG a été vite tempérée par l’inaction qui lui a été imposée de fait. Personne ne s’est donc formalisé de la disparition de ce ministère, transformé en « commission pour les ONG » lors du remaniement gouvernemental du 9 juin 2002.

  • 50 J. Hilal m’a expliqué que le débat juridique sur la loi, la campagne de lobbying qu’ont faite les O (...)
  • 51 PNGO Network, In Depth Analysis on the Impact of the NGOs Law…, n.d.

67Le cadre juridique qui réglemente le secteur associatif palestinien est donc issu d’un rapport de force entre les associations et l’Autorité. Jamil Hilal, sociologue palestinien, considère que ce rapport de forces fait aussi partie de l’apprentissage de la démocratie50. Le PNGON espérait lui aussi que cette loi serait le point de départ de la mise en place d’une société démocratique palestinienne viable51. Cependant, le décret d’application de la loi est loin du libéralisme de cette dernière. Je n’ai pas, pas plus que les nombreuses ONG qui en ont fait la demande, eu accès à ce décret d’application qui remet en cause l’esprit de la loi. Au premier semestre 2005, un amendement à cette loi a été déposé par Hassan Asfour stipulant que les ONG palestiniennes doivent s’abstenir de participer à des activités politiques. Cet amendement vient à la suite des élections présidentielles et de l’implication de certaines ONG dans la campagne. À la suite de protestations, notamment de la part de PNGON, l’amendement a été gelé.

Définitions palestiniennes

68Le Palestine Economic Research Institute (MAS) liste une série de critères pour définir les ONG (Al-Malki, Shalabi et Sa‘di, 2001) : existence d’une structure qui différencie l’ONG d’un rassemblement ponctuel d’individus, indépendance et autogouvernance, but non lucratif (si l’organisation génère des profits, ceux-ci doivent être réinvestis au service de ses objectifs), principe du volontariat, caractère non héréditaire, pas de représentativité d’une classe particulière (ceci exclut donc les organisations estudiantines, professionnelles, syndicales), indépendance vis-à-vis des partis (l’organisation ne doit pas avoir d’activités politiques en lien avec ce parti, mais peut y être idéologiquement rattachée). Il s’agit de la définition qui se rapproche le plus de celles trouvées dans la littérature scientifique sur le sujet.

69Ezzat Abdel-Hadi définit les organisations de la société civile comme des « institutions dont le but est de défendre les intérêts du citoyen individuel et des groupes, mais aussi de constituer un corps intermédiaire entre les autorités publiques et le citoyen privé. Ceci couvre le secteur non lucratif, qui comprend les syndicats professionnels et les associations telles que les unions de médecins, d’ingénieurs, de comptables, de journalistes et d’avocats. De plus, cela inclut les clubs de jeunes, les associations de bienfaisance basées sur les communautés, les organisations de la base telles que les groupes de femmes, organisations de santé ou agricoles. Une autre catégorie importante comprend les centres professionnels, tels que recherche, droits de l’homme, genre, formation, crédit, médias, etc., qui ont été établis durant l’Intifada et ont une participation limitée (principalement, un noyau de professionnels). En résumé, il y a deux types d’organisations dans la bande de Gaza : les organisations qui ont des adhérents et celles qui ont des bénéficiaires (i.e. les agences de développement et les centres professionnels (Abdel-Hadi, 1997 : 6). Cette définition des organisations de la société civile est intéressante puisqu’elle s’inscrit parfaitement dans une logique de définition de la sphère gouvernementale et du secteur associatif. Elle correspond aux critères des bailleurs de fonds, dont USAID, qui visent à créer un intermédiaire entre le citoyen lambda et la sphère étatique. C’est la définition attrape-tout par excellence.

  • 52 Une large partie de la thèse de Benoît Challand (2005b) est consacrée aux enjeux du concept de soci (...)

70Le concept de « société civile », très en vogue dans les recherches en sciences sociales depuis quelques années, est problématique dans le contexte palestinien52. En Palestine, les associations reprennent les discours des bailleurs de fonds et principalement ceux de la Banque Mondiale, face à l’AP. Elles expliquent que les ONG ont la capacité de répandre les valeurs démocratiques et civiques, de consolider la société civile face à l’AP. Considérant qu’il n’existe de société civile que dans son rapport à l’État, certains auteurs nient d’ailleurs complètement l’existence d’une société civile palestinienne du fait de l’absence d’un État, d’autres rejettent le concept en tant que concept occidental inapplicable à la situation dans le monde arabe en général et en Palestine en particulier. Comme l’explique Sarah Ben Néfissa, « À ce renouvellement général de la scène associative des pays arabes et du monde des ONG, font face des pouvoirs publics tiraillés entre leur “volonté” affichée de favoriser les expressions de la “société civile” et les “traditions” de leurs modes de fonctionnement, peu habitués à la délégation, la concertation ou la décentralisation » (Ben Néfissa, 2000). Ce discours sur la société civile vient brouiller encore un peu plus ces frontières.

… à la glorification de ce non-gouvernemental en général

71William Fisher considère que durant la dernière décennie : « la conception de nouveaux ordres mondiaux […] a été encouragée par une turbulence perçue dans les politiques mondiales […], la volatilité des sociétés culturellement diverses, l’accélération de la globalisation […] et l’idée que les États-nations ne sont plus aujourd’hui des sources d’autorité claires et légitimes sur la société civile. […] Dans l’espace politique créé par les interdépendances changeantes parmi les acteurs politiques, par la globalisation du capitalisme et du pouvoir et par le déclin de l’État, un nombre de plus en plus important de groupes vaguement identifiés comme organisations non gouvernementales (ONG), ont pris en charge un nombre très important d’activités diverses, y compris la mise en place du développement durable ou de la base, la promotion des droits de l’homme et de la justice sociale, les protestations contre la dégradation de l’environnement et la poursuite de bien d’autres objectifs auparavant ignorés ou laissés aux agences gouvernementales » (Fisher, 1997 : 440). Il précise que cette littérature repose plus sur des croyances que sur des faits. Il y a relativement peu d’études détaillées sur ce qui se passe dans des endroits précis ou au sein d’organisations spécifiques, peu d’analyses de l’impact des pratiques des ONG sur les relations de pouvoir entre individus, communautés et État. Peu d’attention est donnée au discours selon lequel les ONG sont présentées comme la solution aux problèmes d’offre de services de base, de développement et de démocratisation. Les ONG sont idéalisées comme des organisations au travers desquelles les gens peuvent aider les autres pour des raisons autres que le profit ou le politique (ibid. : 441).

  • 53 À ce sujet, on peut voir l’analyse de la coopération ONG/ État en Thaïlande sur les questions touch (...)

72Eric Sottas (1996) affirme : « L’ONG, si elle ne doit pas forcément, pour être légitime, se situer systématiquement dans l’opposition au système en place, se doit cependant d’être totalement indépendante des autorités officielles et ne doit pas constituer une courroie de transmission de l’action gouvernementale – aussi bien intentionnée et positive soit-elle ». On peut alors se poser des questions concernant PARC. En effet, PARC a décidé de mettre en place certains programmes agricoles communs avec l’AP. Elle serait donc, d’une certaine manière, une courroie de transmission de la politique agricole de l’AP, ce qui pose problème, par rapport à sa définition. Il semblerait, et les nombreuses études sur l’Asie en donnent l’exemple 53, que la coopération ONG/ Autorité publique n’exclut pas forcément l’ONG qui la pratique du secteur associatif, du moins dans les pays dits du Sud. La situation dans les TOP depuis le début de la deuxième Intifada renforce cette idée. En effet, l’action de l’AP et celle de PARC se situent dans un contexte de lutte nationale. Cette lutte contre l’occupation israélienne ajoute une dimension absente des autres contextes étudiés. Mettre en place certains programmes agricoles en coopération avec l’AP se place dans cette perspective de lutte nationale. PARC n’est pas une courroie de transmission des politiques agricoles de l’autorité publique. J’analyserai ce point plus longuement dans la deuxième partie.

73E. Sottas considère ensuite que « […] deux concepts marquent clairement certaines limites qui permettent de donner une définition de l’ONG. Il s’agit des notions qu’impliquent les termes “organisation” et “non gouvernementale”. L’organisation présuppose à la fois la structuration et la pérennité de l’action d’acteurs sociaux autour d’objectifs clairement définis. […] cette nécessaire souplesse et adaptabilité ne doit toutefois pas déboucher… sur un pur activisme opportuniste » (Sottas, 1996 : 67). Il y a ici plusieurs choses intéressantes pour ma tentative d’éclaircissement : il est vrai, dans le contexte palestinien, comme ailleurs, après que cette idée de consensus de Washington a fait son chemin, que la manne financière à destination des ONG a été très importante. En Palestine, ce moment s’est conjugué avec la période des accords d’Oslo et beaucoup d’ONG se sont créées avec le simple but de profiter de cette abondance financière. Cependant, nous l’avons vu, PARC a réussi à fixer ses objectifs et à construire une image homogène de son action, inscrite dans la durée.

74Les idées de structuration et de pérennité semblent plus difficiles à établir dans cette situation qui nuit parfois à la cohérence des actions des ONG. Ces dernières doivent agir aussi en fonction du conflit, sans être pour autant des ONG humanitaires. E. Sottas continue : « la deuxième notion, “non gouvernementale”, ne signifie pas, contrairement à ce que l’on pourrait conclure un peu rapidement, ce qui n’est pas de la sphère gouvernementale, mais qualifie un positionnement particulier à l’égard de l’action gouvernementale. Pour les ONG, la notion “non gouvernementale” est indispensable précisément parce que leur action se situe dans le cadre de l’exercice du pouvoir » (ibid. : 69). Ce qui est précisément intéressant dans l’étude des ONG palestiniennes est que leur action s’est longtemps située dans le cadre de l’exercice d’une autorité d’occupation avant de se placer dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir national.

75E. Sottas conclut ainsi (ibid. : 73) : « l’ONG moderne, […], farouchement indépendante à l’égard du pouvoir, joue, avec d’importantes différences de fonctionnement – un rôle de substitution aux tâches de l’État, de critique de l’action gouvernementale et de pression sur les autorités. Son développement a accompagné celui de l’État moderne occidental qui lui a reconnu un statut particulier ». Les études portant sur les ONG asiatiques ou moyen-orientales montrent que des ONG ont été créées dans le Sud hors du cadre de l’État occidental. L’ONG palestinienne agit dans un contexte d’occupation. Cela ajoute un certain nombre de contraintes à son action.

76Dans la perspective de ce changement d’attitude des donateurs par rapport aux ONG, Stephen Biggs et Arthur Neame citent Alan Fowler en faisant une liste des avantages comparatifs entre État et ONG :

  • 54 Biggs et Neame (1995 : 31-40) : « Les ONG et leurs défenseurs partagent l’opinion selon laquelle, e (...)

« NGOs and their supporters share the view that, in comparison with governments, they are better able to :
1. Reach the Poor, i.e. to target their assistance to chosen groups ;
2. Obtain true, meaningful participation of intended beneficiaries ;
3. Achieve the correct relationship between processes and outcomes ;
4. Choose the proper mix of assistance – educational, technical, material ;
5. Be flexible and responsive in their work ;
6. Strengthen local institutions ;
7. Achieve outcomes at less cost;
8. Tailor interventions to the needs of specific situations ; etc. »54.

77Cette liste comporte seize éléments qui vont de l’utilisation des connaissances de la population locale à la promotion du développement durable par le biais de leurs actions. Comme on peut le voir, cette liste dessine les contours d’une vision très idéaliste de l’ONG, comparée à un État corrompu et incapable. Cette idée est largement soutenue par le consensus de Washington.

  • 55 Biggs et Neame (1995 : 39-40) : « En résumé, les ONG doivent toujours être considérées dans une per (...)

78Les deux auteurs expriment plus loin leurs réserves quant à cette énumération : « Il y a au moins trois problèmes avec cette analyse. Tout d’abord, on ne peut pas avoir d’Organisation non gouvernementale à moins qu’il n’y ait un gouvernement. La nature du gouvernement et ce qu’il fait de son pouvoir et de ses ressources détermine si une ONG peut “faire du développement” mieux que lui. De même, on doit regarder des ONG spécifiques dans des contextes particuliers pour voir si elles “font mieux” dans ces mêmes circonstances ». La spécificité de la situation palestinienne prend toute son importance. Depuis le début de la deuxième Intifada, les Israéliens ont systématiquement cherché à écraser l’AP. La réoccupation des zones autonomes limite sérieusement l’action « étatique » et laisse plus de marge aux actions non étatiques mais aussi à l’intervention d’acteurs internationaux. Ils concluent : « In summary, NGOs must always be seen in a broaden social and political perspective. When this is done, it is clear that NGOs have much in common with formal and informal coalitions which have been exploring and developing room for manœuvre under difficult social and political circumstances for many years »55.

79La critique systématique de l’État et la glorification des associations ou ONG vues comme des « balles magiques » qui atteignent toujours leur cible me semble dépassée. Une des définitions assez largement partagées par la littérature sur les ONG est celle de Lester Salamon et Helmut Anheier, reprise d’ailleurs par John Clark56 :

« La définition structurelle-opérationnelle : le secteur sans but lucratif peut être défini comme une suite d’entités qui sont :
– organisées : c’est-à-dire institutionnalisées d’une certaine façon. Ce qui est important est que l’organisation ait une certaine réalité institutionnelle ;
– privées, c’est-à-dire séparées institutionnellement du gouvernement. Les organisations sans but lucratif ne font ni partie de l’appareil gouvernemental ni ne sont contrôlées par le gouvernement, c’est-à-dire gouvernées par des bureaux dominés par des officiels du gouvernement ;
– ne distribuant aucun profit ; c’est-à-dire ne rendant aucun des profits générés à leurs propriétaires ou directeurs. Les organisations sans but lucratif peuvent accumuler des profits dans une année donnée mais les profits doivent être réinvestis dans la mission de base de l’agence […] Dans ce sens, les organisations sans but lucratif sont des organisations privées qui ne doivent pas avoir pour but principal de générer des profits ;
– autogouvernées ; c’est-à-dire équipées de manière à contrôler leurs propres activités. Les organisations sans but lucratif doivent avoir leurs propres procédures internes de gouvernance et ne doivent pas être contrôlées par des entités extérieures ;
– Fondées sur le volontariat ; c’est-à-dire incluant un degré significatif de participation volontaire, que ce soit dans la conduite actuelle des activités de l’agence ou dans la gestion de ses affaires.
La définition structurelle opérationnelle évite la qualité “attrape-tout” du terme ONG mais aussi l’ambivalence du terme “association” » (Salamon et Anheier, 1997 : 33).

80Cette définition a le mérite d’être assez englobante tout en étant opératoire, même dans les pays du Sud et dans les Territoires palestiniens. Philippe Doneys, qui analyse l’intervention des ONG en Thaïlande au moyen de la notion d’espace public, ajoute une dimension : « Dans notre recherche, nous définissons l’ONG comme une manifestation structurée, relevant en général du droit privé, ayant un but d’intérêt public et de bien commun et non lucratif dont les membres ne sont pas directement bénéficiaires » (Doneys, 2003 : 85). Il complète la définition avec une distinction claire entre membres et bénéficiaires des services de l’ONG. Ces deux définitions permettent d’analyser la nature de PARC plus finement. PARC est institutionnalisée, privée, non lucrative, autogouvernée et largement basée sur le bénévolat. La distinction entre les membres et les bénéficiaires est clairement établie.

  • 57 Voir à ce sujet Badie, 1995.

81David C. Korten a établi plusieurs typologies des organisations non gouvernementales. Il a mis en évidence l’existence, selon lui, de quatre générations d’ONG qui correspondent à quatre modes de fonctionnements et objectifs qui diffèrent suivant une projection linéaire dans le temps. Cette idée de linéarité me paraît hasardeuse. Autant que l’idée d’un développement politique linéaire, selon lequel le stade ultime correspondrait plus ou moins à la démocratie libérale occidentale57, une linéarité dans le développement des organisations n’est pas viable.

82Il explique tout d’abord que le terme même d’ONG recouvre plusieurs catégories d’organisations : « Les organisations bénévoles (Voluntary Organizations, VOs) : elles poursuivent une mission sociale conduite par l’engagement et le partage de valeurs. Les entrepreneurs de service public (Public Service Contractors, PSC) : ils fonctionnent comme des “entreprises” à but non lucratif, orientés vers le marché et servant une utilité publique. Les Organisations populaires (People’s Organizations, POs) : elles représentent les intérêts de leurs membres, ont une direction responsable devant les membres et sont très indépendantes. Les ONG gouvernementales (Governmental Nongovernmental Organizations, GONGOs) : elles sont des créations du gouvernement et servent d’instruments de la politique gouvernementale » (Korten, 1990 : 2).

83D. C. Korten ajoute que de nombreuses ONG ont du mal à se situer dans cette catégorisation et à savoir si elles sont soit des organisations bénévoles basées sur un ensemble de valeur partagées, soit des entrepreneurs de service public dirigés par les lois du marché. Beaucoup de ces entrepreneurs sont un type légitime d’hybride, combinant une forte orientation vers le marché avec un engagement social et de hauts standards éthiques. Cette catégorie, les entrepreneurs de service public, est intéressante et utile dans mon cas puisqu’elle peut se rapporter à plusieurs ONG palestiniennes dans cette trame de répartition des tâches entre l’Autorité palestinienne et ONG. L’AP a ainsi passé certains accords, notamment dans les domaines de l’agriculture, de l’éducation et de la santé. Les quatre types sont présents dans les Territoires palestiniens : organisations bénévoles, entrepreneurs de services publics, organisations populaires et ONG gouvernementales. Cette qualité d’entrepreneurs de service public est cependant à considérer dans la perspective de l’occupation israélienne.

84D. C. Korten définit quatre générations d’ONG. La première s’est consa-crée à l’assistance et à l’aide sociale. Ses stratégies impliquent les ONG dans la délivrance directe de services pour compenser un manque immédiat éprouvé par les populations. Ces ONG d’assistance travaillent directement avec l’individu ou la famille et les services fournis dépendent directement des fonds, du personnel et de la capacité administrative de l’ONG en question. Ici, les ONG répondent à un besoin immédiat et visible.

85La deuxième génération d’ONG s’occupe de développement local, indépendant, sur une petite échelle. Leur stratégie s’appuie sur le développement des capacités des populations à faire face à leurs propres besoins, au travers d’actions locales. On y réfère souvent comme des ONG de développement communautaire. L’accent est mis sur l’indépendance locale.

86Le projet implique un partenariat entre l’ONG et la communauté, cette dernière étant en droit d’attendre de contribuer à la prise de décision et à la mise en place du projet.

87La troisième génération d’ONG est centrée sur le développement de systèmes durables. Leur stratégie implique de regarder plus loin que la communauté et de viser des changements d’institutions ou de politiques spécifiques et ce, au niveau local, national ou global. Il s’agit pour elles de créer un cadre institutionnel et politique qui facilite une action de développement local juste, durable et global.

  • 58 Cette dernière catégorie fait beaucoup penser aux mouvements altermondialistes du type Attac.

88La quatrième génération d’ONG est impliquée dans les mouvements populaires. Leur stratégie est de regarder plus loin que les initiatives concentrées et de viser à changer des politiques spécifiques et des sous-systèmes institutionnels. On arrive à ce stade à l’idée d’un « citoyen global », un citoyen impliqué, volontaire. Il s’agit de mettre en place des programmes à une plus grande échelle en mobilisant les ressources des volontaires au niveau des communautés58.

89Ces quatre générations sont présentées de cette façon :

Première génération : Assistance et aide

Seconde génération :Développement communautaire

Troisième génération : Développement de systèmes durables

Quatrième génération :Mouvements populaires

Définition du problème

Pénurie

Inertie locale

Contraintes institutionnelles et politiques

Vision mobilisatrice inadéquate

Période de temps

Immédiat

Vie du projet

10 à 20 ans

Futur indéfini

Échelle

Individu ou famille

Voisinage ou village

Régionale ou Nationale

Nationale ou globale

Acteurs principaux

ONG

ONG et communauté

Toutes les institutions publiques ou privées pertinentes

Réseaux assez librement définis de personnes ou d’organisations

Rôle de l’ONG

Auteur de l’action

Mobilisatrice

Catalyseur

Activiste/ Éducateur

Orientation de la gestion

Gestion logistique

Gestion de projets

Gestion stratégique

Réseaux autogérés, énergiques

  • 59 Source : Korten, 1990 : 117.

Tableau 9 : Quatre générations d’ONG59

90L’analyse des structures et des actions de PARC montre qu’elle est à cheval sur les quatre générations décrites par D. C. Korten. Elle a des programmes de délivrance directe de services pour compenser le manque immédiat des populations : la distribution de nourriture depuis la deuxième Intifada en est le meilleur exemple. Ses activités reposent sur le développement des capacités des communautés locales à faire face à leurs propres besoins. Les stratégies de PARC visent à créer un cadre institutionnel et politique qui facilite une action de développement local durable. Ceci est fait au sein des comités de coordination tant avec le ministère de l’Agriculture qu’avec les bailleurs de fonds internationaux. Enfin, CORDA est l’exemple parfait de la volonté de mettre en place des programmes à une plus grande échelle en mobilisant les ressources des volontaires au niveau des communautés.

91D. C. Korten a une vision assez idéaliste de l’ONG comme association de citoyens volontaires, désireux d’œuvrer pour le bien de la communauté. Il met l’accent sur une Terre qui appartient à tous et fait une métaphore de cette Terre comme vaisseau spatial où les biens communs, tels que l’air, la nourriture, etc., doivent être gérés de manière collective pour le bien de tous. Il insiste sur le fait qu’il n’y a pas de gilets de sauvetage à bord d’une navette et que donc toute erreur dans la gestion entraîne la mort de l’équipage au complet. La quatrième génération d’ONG qu’il analyse semble résulter de cette prise de position : la stratégie de ces ONG serait de changer les politiques et institutions contraignantes, au niveau global, grâce à un citoyen éclairé. Cette catégorie d’ONG me semble résulter aussi des stratégies des donateurs. Les ONG de ce type en Palestine sont l’apanage de ces « élites globalisées » qui font partie de forums d’ONG qui agissent à un niveau global.

Un troisième secteur ?

  • 60 Uphoff (1995 : 17-30) : « Le vrai troisième secteur, situé quelque part entre les secteurs privé et (...)

92Norman Uphoff indique l’existence d’un troisième secteur (idée reprise par Thomas F. Carroll, David C. Korten, etc.) entre secteur public et secteur privé, qui serait l’endroit idéal où classer les associations. Il précise : « The real third sector, located somewhere between the public and the private sectors in institutional space, belongs not to NGOs but rather to People’s associations and membership organizations. These differ from institutions in the public and private sectors in that they undertake voluntary collective action and self-help. Such a distinction assigns NGOs to the private sector rather than to the middle-sector. This third sector, which can be referred to as membership sector, the voluntary sector, the collective action sector, as a “middle-sector”, is best operating between the public and the private sectors. […] NGOs are best considered as a sub-sector of the private sector »60. Il y a ici plusieurs choses intéressantes : tout d’abord, la distinction faite entre ONG, considérées comme étant une sous-catégorie du secteur privé et les associations et organisations populaires. Cette distinction peut se retrouver effectivement dans le spectre associatif palestinien. Cependant, le rôle que s’attribuent certaines grandes organisations dans la conduite de domaines vitaux tels que santé, éducation ou développement agricole les place plus à cheval entre secteur public et secteur privé que comme sous-partie du secteur privé, puisqu’elles restent des associations à but non lucratif qui conduisent des politiques à l’échelle régionale et nationale.

93Si l’on reprend la classification de T. Carroll :

Secteur public

Secteur civil

Secteur privé

Administrationpublique

Entités publiques-privéesOrganisations parapubliques

Organisations civiques, ONG, organisations locales, à but social

Organisations civiques, sans fin lucrative, ayant des activités marchandes (non-profit business)

Organisations commerciales de production et de services à but lucratif

  • 61 Source : Carroll, 1992 : 11-13, tableau repris et traduit dans Ghinet et Dunand, 1998 : 381.

Tableau 10 : Classification des ONG61

94Cette classification de T. Carroll semble être plus pertinente dans le cadre palestinien. En effet, il crée une sorte de secteur intermédiaire entre secteurs public/ civil et secteurs civil/ privé, qui laisse un espace à nos entrepreneurs de service publics, comme peuvent être considérés certains dirigeants d’ONG palestiniennes.

  • 62 Korten (1990 : 96-107) : « La légitimité et la crédibilité de l’OV [Organisation volontaire] est ba (...)

95D. C. Korten peut d’ailleurs m’aider à analyser ce rapport à la puissance publique. Il parle du Prince, qui maintient l’ordre public, du Marchand, qui s’occupe de combler les besoins en biens et services et du Citoyen (The Prince, the Merchant and the Citizen, dans Korten, 1990 : 96-107). Le rôle de ce « Citoyen » est multiple. En association avec d’autres citoyens, il doit rendre responsable à la fois le Prince et le Marchand et exercer les droits et responsabilités de la citoyenneté. Il indique alors : « The legitimacy and credibility of the VO [Voluntary Organization] is based on its functioning as an instrument of voluntary citizen action in the service of a social need neglected by the Prince or the Merchant »62. Il introduit là une notion très importante : les citoyens s’associent afin de répondre à un besoin social négligé par l’Autorité publique ou par ce qu’on appelle le secteur privé. Les Palestiniens se sont associés tout d’abord afin de répondre à une situation d’urgence engendrée par l’occupation des Territoires et à l’absence d’une Autorité palestinienne sur place, ce qui est un peu plus particulier. La deuxième Intifada accentue cette situation. La situation depuis 2000 rend très difficile la réponse aux besoins des citoyens par l’AP qui n’en a plus les structures ni les moyens. Ceci a ouvert un espace investi par les ONG.

96La Palestine est le théâtre d’une confrontation entre le secteur privé et l’Autorité publique, où ce qui n’est pas contrôlé par l’autorité publique, l’Autorité palestinienne, serait secteur privé. Les Organisations non gouvernementales (ONG) participent de l’espace public même si elles appartiennent à l’espace privé. On peut considérer que certaines ONG, dans le cas palestinien, sont à cheval entre le secteur public et le secteur privé. Comme l’indique Jamil Hilal : « Depuis sa naissance en 1994, à l’issue des accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne s’est trouvée confrontée au défi des forces politiques qui occupent le terrain politique qu’elle tente de dominer. […] Elle a fait face à la tâche difficile de construire un secteur public là où rien de tel n’existait » (Hilal, 215 : 100). Et cette construction d’un service public palestinien se fait également par la définition du « non-gouvernemental » et de son rôle dans la mise en place de politiques dans l’espace national. Cette construction était en jeu lors de la confrontation public/ privé sur la loi des ONG.

97À ces trois acteurs, D. C. Korten ajoute l’organisation populaire (People’s Organization, POs) qu’il considère comme étant le quatrième secteur. Ces organisations ont le pouvoir d’intégrer l’usage des trois pouvoirs qu’il attribue auparavant à nos trois secteurs (pouvoir de la menace pour le Prince, pouvoir économique pour le Marchand et pouvoir d’intégration pour le Citoyen). C’est pourquoi les POs représentent le quatrième secteur organisationnel.

98Pour être considérée comme une organisation populaire, une organisation doit posséder trois caractéristiques : « 1. Ce doit être une association de “bénéfice mutuel”, c’est-à-dire qu’elle doit baser sa légitimité sur sa capacité à servir les intérêts de ses membres. 2. Elle doit posséder une structure démocratique qui donne l’autorité aux membres sur les leaders. 3. Elle doit être indépendante, i.e. son existence ne doit pas dépendre d’une initiative extérieure ou du financement ». Nous venons de le voir plus haut, PARC base une partie de sa légitimité sur sa capacité à servir les intérêts de ses bénéficiaires. Ce n’est cependant pas la seule source de sa légitimité. Son existence dépend cependant à 95 % du financement des donateurs étrangers. Ce n’est pas sans raison qu’une des priorités, fixée par la direction et soulignée par le rapport sur le fonctionnement de l’organisation, insiste sur la nécessité d’accroître l’indépendance financière.

99Il faut noter que les dirigeants des grandes ONG possèdent un capital social, relationnel, éducationnel nettement plus important que la majeure partie des membres desdites associations. Même si la plupart d’entre elles se targuent de posséder un bureau des directeurs, une assemblée générale, un bureau des administrateurs, etc., le leadership de ces organisations semble parfois loin de sa base sociale. Enfin, c’est un des reproches majeurs faits aux organisations palestiniennes, la plupart dépendent du financement extérieur qu’elles reçoivent des bailleurs de fonds internationaux. On leur reproche ainsi d’avoir un calendrier calqué sur celui des donateurs et non sur les besoins de la population palestinienne elle-même.

100Les ONG palestiniennes ont un rôle significatif à jouer en l’absence d’un gouvernement national. En tant que telles, elles doivent tenir une position plutôt unique en fournissant des services qui sont normalement dispensés par le secteur public. Initialement, les ONG palestiniennes étaient organisées en tant qu’organisations de développement et de secours dans les secteurs de la santé, de l’agriculture, de l’éducation et dans le secteur économique. À cause de cette orientation première et du contexte dans lequel les ONG palestiniennes ont émergé, leur identité en tant qu’ONG était vague. Se définissant comme des institutions « nationales », elles fonctionnent d’une certaine manière comme des ministères gouvernementaux différant des ministères dans les autres pays du monde. Ce n’est que récemment, avec la signature de l’accord d’Oslo en septembre 1993, que les Palestiniens ont commencé à sérieusement considérer leur rôle d’ONG comme distinct du gouvernement et du secteur public (Abdel-Hadi et Rachid, 1997 : 4). Les ONG palestiniennes se définissent effectivement principalement comme des institutions nationales et depuis le début de la deuxième Intifada, accentuent cette caractéristique au moyen d’une stratégie de revendication de leur rôle patriotique dans un contexte conflictuel. Il importe pour elles de revendiquer cette place au sein du mouvement national de résistance à l’occupation israélienne.

101Elles ont eu intérêt, après les accords d’Oslo, à se détacher de l’Autorité palestinienne et de cette apparence d’appartenance à des structures gouvernementales afin de se positionner, que ce soit vis-à-vis des bailleurs de fonds ou de la population elle-même, en tant que sphère du non-gouvernemental. Cet intérêt n’est plus primordial depuis la deuxième Intifada et c’est pourquoi il est important pour elles d’appartenir à ce mouvement national de résistance qui est en mal de cohésion et de réalisations concrètes.

102Il est intéressant de voir que cette expérience est partagée par d’autres pays du Sud. Ainsi, Bernard Hours écrit à propos du Bangladesh : « Au Bangladesh érigé en symbole de la pauvreté à travers les discours misérabilistes médiatiques, les ONG constituent un instrument de la vie politique. Enregistrées en très grand nombre, elles sont plusieurs milliers dans le pays à revendiquer ce label. De la Grameen Bank, dont la notoriété est mondiale et qui constitue un interlocuteur qualifié pour les organisations internationales aux ONG de quartiers ou de villages, de multiples organisations locales, régionales, nationales, participent à la structuration du champ politique et social et les plus importantes s’expriment lors des discussions avec les pouvoirs publics et les bailleurs de fonds dans les domaines du développement agricole, de la santé, de l’emploi (Brac, Grameen Bank, GK). Au niveau microlocal, ces mêmes ONG construisent leur base sociale tout comme les associations les plus confidentielles qui pèsent sur la vie d’un quartier ou d’un village. » (Hours, 1998 : 37). Les ONG sont un instrument de la vie politique palestinienne, cela ne fait aucun doute. Elles sont souvent à l’origine de débats au sein de la société, ont participé à la construction de l’autorité publique et ont joué un rôle important dans la mise en place des accords d’Oslo. Cette dimension des ONG palestiniennes sera analysée plus en détail dans la deuxième partie. C’est surtout en se positionnant par rapport à cette autorité qu’elles ont délimité ce qui pouvait préfigurer un secteur public.

103L’évolution de ce débat entre les deux acteurs jouera aussi sur la construction d’un futur État palestinien. Ainsi, définir ce qui est non gouvernemental au sein de l’espace politique palestinien revient à définir ce qui, a contrario, est gouvernemental et du domaine de l’action publique. Mudar Kassis écrit à ce propos : « Le discours dominant en Palestine établit une nette distinction entre le politique et le social, tout en révélant leur imbrication. Le politique, c’est fondamentalement le “national”, qui caractérise les processus impliquant un accord consensuel, alors que le social induit le conflit interne. Le politique et le social devraient, théoriquement, refléter les deux objectifs de l’autodétermination (le sociétal et l’individuel). En Palestine, ce n’est pas le cas. L’individu est absent et c’est pourquoi le politique peut être confondu avec le national, qui se substitue facilement au sociétal quand “l’individuel” est absent » (Kassis, 2001 :118). Ainsi, la situation dans laquelle se trouvent les Territoires palestiniens, sous occupation israélienne mais aussi avec une Autorité palestinienne faible, fait que les limites entre politique/ national/ sociétal mais aussi social sont nettement plus floues qu’ailleurs. La lutte pour l’autodétermination conditionne beaucoup les liens entre les différents acteurs palestiniens ainsi que leur façon de se positionner sur la scène politique.

Les ONG et le monde arabe

  • 63 Husseini, 1995. Cette étude commandée par le PNGON présente l’ensemble des législations régulant le (...)

104S. Ben Néfissa déclare à propos de l’Égypte : « Toutefois, malgré cette diversité des formes associatives, deux types d’associations ont en réalité une importance particulière : les associations islamiques et les associations de développement. Sur les 14 000 associations enregistrées, ces deux types d’association regroupent chacune d’entre elles près de 27 % du total ». Le domaine de prédilection de l’associatif arabe63 est le socio-caritatif, avec des référents religieux et communautaires. S’ajoutent maintenant de nouvelles vocations associatives qui cherchent, non pas à assister et à offrir des services mais à mobiliser les citoyens sur des sujets variés. Elles souhaitent devenir partenaires des pouvoirs publics dans la conduite du développement et ceci, en tant que forces d’impulsion et de proposition de projets de changements sociaux sectoriels (Ben Néfissa, ‘Abd al-Fattah et Hanafi, 2004). S. Ben Néfissa explique que l’ONG arabe est divisée entre deux pôles : l’ONG qui cherche à assister et rendre des services aux populations et l’ONG qui recherche la mobilisation sociale sur des thèmes et vise à modifier l’ordre des choses, en se positionnant comme une instance critique d’impulsion et de proposition. Il existe de plus en plus, selon Ghilain Denoeux, une nouvelle génération d’ONG qui emprunte aux deux modèles, les ONG de services et les ONG de plaidoyer. Selon elle, l’ONG arabe est d’abord une organisation para-administrative. Les organisations de plaidoyer sont l’exception à cette règle. Le trait caractéristique des organisations civiles arabes serait leur caractère parapublic. Les ONG arabes rechercheraient la relation clientéliste qui les lient aux pouvoirs publics. Elles constitueraient, soit des instruments supplémentaires de l’intervention publique, soit des espaces privilégiés d’intermédiation entre l’ordre social et l’ordre étatique. Si la littérature anglo-saxonne me semble avoir une image trop idéalisée de l’ONG, ce texte sur les ONG arabes a une vision peut-être trop négative du phénomène associatif, du moins dans les Territoires palestiniens.

Qu’est-ce que PARC ?

105Un des responsables du Programme alimentaire mondial m’a précisé que l’image que se fait PARC d’elle-même n’est pas vraiment celle d’une ONG :

  • 64 Entretien réalisé le 15 septembre 2004 à Jérusalem.

« PARC est un monstre politique. Elle ne travaille pas suivant le “style ONG”. Leur programme politique les gouverne plus que leurs idées sur le développement. PARC n’est pas rapide à réagir parce qu’ils sont trop gros et trop grands. PARC pourrait être un parti politique. Au début de notre partenariat avec eux, on savait qu’ils étaient rattachés à un parti politique, on en a discuté avec eux, mais ils nous ont répondu par la négative. Mais on sait que les gens du PPP dirigent PARC. Et ce n’est pas une vraie ONG. Avant, les ONG étaient le biais pour les partis politiques d’avoir une présence en Palestine, jusqu’aux accords d’Oslo. PARC est une faction politique qui se comporte comme une ONG, c’est le bébé de son directeur, qui s’en sert pour faire avancer ses intérêts personnels. Il est devenu un des plus grands propriétaires de terres en Palestine. PARC ne veut pas partager sa gloire avec qui que ce soit. Mais mon plus gros problème, c’est qu’en tant que Palestinien, je les aime bien, mais en tant qu’employé du WFP (World Food Program), je ne peux pas les apprécier à cause de leurs pratiques »64.

106Cet entretien montre à quel point définir cette ONG est problématique. PARC est donc inscrite dans la durée et institutionnalisée. Elle a su évoluer pour tenir compte des changements de contextes politique, économique ou social. C’est une organisation à but non lucratif, indépendante des structures gouvernementales. Elle n’est pas une organisation parapublique et si elle pratique le clientélisme, c’est par rapport aux bénéficiaires de ces actions et non par rapport à l’AP, avec laquelle elle entretient des rapports ambigus que je développerai plus loin. Elle est basée sur le volontariat et elle est autogouvernée. Cependant, la mise en réseau de la population palestinienne et sa volonté d’influer sur le changement social apportent une nouvelle dimension politique. De plus, elle se sert de ses réseaux afin de faire avancer ses principes.

107Les dirigeants de certaines ONG peuvent, je viens de le démontrer, être considérés comme des courtiers en développement pour diverses raisons. PARC est inscrite dans une histoire spécifique, à la fois de retour à la terre et de lutte contre l’occupation. Sa légitimité repose sur des critères différents de ceux que mettent en avant les associations caritatives et s’est bâtie par rapport à la population palestinienne, dans les programmes d’aide d’urgence et de développement. Légitimité aussi par rapport à la communauté des bailleurs de fonds internationaux, séduits par la compétence technique, les résultats efficaces et visibles, mais aussi par une attitude circonspecte vis-à-vis de l’Autorité palestinienne.

108S. Ben Néfissa parle de nouvelles formes de vocations associatives, à côté des formes plus traditionnelles des associations caritatives. Les unes cherchent à s’allier aux autorités étatiques tandis que les autres investissent le domaine des droits de l’Homme. Ces nouvelles vocations qui ont émergé dans les pays arabes n’ont toutefois pas le « poids », selon elle, qu’ont les associations à vocation sociale. Il semblerait que la problématique justiciable des associations dans le monde arabe soit plus de l’ordre du politique que du social stricto sensu. Les arguments qui corroborent cette hypothèse renvoient d’abord aux caractéristiques majeures du tissu associatif : faible poids numérique, restriction du champ d’action dans les villes, « élitisme », imbrication dans les appareils politico-administratifs, faiblesse de la base d’adhérents et enfin relations de type clientéliste que l’association entretient aussi bien avec les appareils administratifs qu’avec son environnement social (Ben Néfissa, 2002 : 15-16). C’est aussi, nous l’avons vu, une nouvelle forme de notabilité qui se met en place par le biais de ces ONG.

  • 65 Lagroye, François et Sawicki, 2002 : 225 ; Weber, 1922 : 292 ; Burdeau, 1985 : vol III : 268 ; Aron (...)

109PARC s’est donc constituée comme une association axée sur le développement des zones rurales palestiniennes et la mise en valeur de l’agriculture. À la fois outil de résistance contre l’occupation israélienne et de structuration de la société palestinienne, cette ONG a évolué au fil des années en fonction des facteurs externes qui lui étaient imposés (occupation militaire, instauration d’une autorité nationale dans les TOP, première et seconde Intifada) mais aussi de facteurs internes (changement de stratégie, de modes de planification, diversification des ressources financières, gestion des ressources humaines). Cette donne a conduit à deux évolutions : tout d’abord, une expansion qualitative et quantitative de ses activités et ensuite un changement de raison d’être. En effet, PARC s’était constituée initialement pour combattre l’occupation et créer de nouveaux modes de résistance. Elle s’est transformée peu à peu en “monstre politique”. Les définitions courantes sont difficiles à appliquer à PARC. Elle est tout à la fois parti politique, mouvement social, organisation populaire : « Dans la mesure où ils contribuent à la formation et à la diffusion des opinions concernant les rapports sociaux, à l’invention et à l’apprentissage des répertoires d’actions légitimes et à la transmission des croyances sur le pouvoir, tous les groupements participent, d’une manière ou d’une autre, à la vie politique d’une société ; c’est vrai des syndicats comme des Églises, des associations professionnelles comme des groupes organisés pour la défense d’une catégorie d’intérêts. Cependant, la spécialisation des rôles et des activités politiques va généralement de pair avec celle d’organisations (le plus souvent désignées comme “partis politiques”) qu’on peut caractériser par leur participation directe à la compétition pour des postes et des positions de pouvoir politique. Toutes les définitions proposées des partis politiques privilégient de ce fait, parmi leurs diverses caractéristiques, leur tendance à “procurer à leur chef le pouvoir” (Max Weber), à “conquérir le pouvoir” (Georges Burdeau), à faire bénéficier leurs membres “de l’exercice du pouvoir” (Raymond Aron) »65. J’ai vu dans cette première partie dans quelle mesure PARC s’insérait dans l’étude des organisations non gouvernementales, mais cette définition des partis politiques laisse songeur. En effet, PARC contribue à la formation et à la diffusion des opinions concernant les rapports sociaux, à l’invention et à l’apprentissage des répertoires d’action légitimes, à la transmission de croyances sur le pouvoir et participe donc à la vie politique palestinienne en sa qualité d’organisation populaire créée pour aider la population palestinienne à résister à l’occupation israélienne. Cette structuration tout à fait particulière de la société politique et civile palestinienne, avec deux éléments extérieurs pesant très lourdement sur le débat interne, Israël et les bailleurs de fonds internationaux, mérite que l’on s’y attarde. La prochaine partie de ce travail entreprendra donc d’analyser plus finement cette association, d’autant que, dans la période récente, elle a été tentée de participer encore plus directement à la vie politique palestinienne. Ce faisant, PARC entre en compétition directe avec l’Autorité palestinienne.

Notes

1 Entretien réalisé le 22 janvier 2003 à Ramallah.

2 Entretien réalisé le 17 juillet 2002 à Bethléem.

3 PARC, Annual Report, 2001 : 5.

4 PARC, The Household Economy Program, 1988.

5 Idem : 4.

6 Entretien réalisé le 17 juillet 2002 à Bethléem.

7 PARC, Annual Report, 1992 : Préface.

8 RWDS , rapport non daté.

9 Idem.

10 Rural Women’s Development Society, Annual Report, Ramallah, 2002 : 4.

11 PARC, Annual Report, 1995 : 1.

12 AAA, Annual Report, 2003.

13 Idem.

14 PARC, Annual Report, 1996 : 2.

15 PARC, Annual Report, 1997 : 5.

16 Entretien réalisé le 15 juillet 2003 à Ramallah.

17 Daibes, Salkfeld et Smith, 2004 : 38. Les trois experts ont travaillé dans le passé pour PARC.

18 Source : Ces chiffres m’ont été donnés par l’un des responsables de PARC en juillet 2003. Il est plus que probable que le total faramineux du nombre de bénéficiaires est dû à un croisement des bénéficiaires de toutes les CBOs. Il représente tout de même 5 % de la population totale.

19 Entretien réalisé le 30 juillet 2003 à Al-Ram.

20 PARC, Annual Report, 2004.

21 Chiffres donnés par le directeur-adjoint de l’association le 12 décembre 2004.

22 GrassRoots Organizations.

23 Fisher (1997, n° 26 : 454) : « Parmi leurs grand nombre de connections translocales, toutes les pratiques des ONG restent, au moins dans leur discours, construites au travers de la référence au “local”. Cependant, tandis que la notion du local reste extrêmement importante pour la légitimité des ONG, ce n’est qu’une illusion frustrante [...] Les ONG sont louées et valorisées pour leurs liens avec les communautés locales et la base, que ces liens soient directs, ou indirects au travers des organisations de base dont elles se servent. Leur acceptation en tant qu’ONG légitimes dépend de leurs connections avec ou de leur utilité pour les communautés locales [...]. Le concept du local est central pour la poursuite des objectifs de développement actuels, interprétés de manière variée, de participation et de renforcement de capacités ».

24 Voir par exemple l’étude de la Welfare Association Consortium, parue en 2001.

25 PARC, Annual Report, 2002.

26 Entretien réalisé le 15 décembre 2004 à Ramallah.

27 Âgé de 25 ans lorsqu’il a été embauché, Nasser a fait des études d’économie ainsi qu’un master en développement des organisations aux États-Unis. Parfaitement bilingue, il est très représentatif d’une génération de Palestiniens qui ont fait leurs études à l’étranger et reviennent s’installer dans les TOP pour souvent travailler dans les ONG ou les organisations internationales. Il travaille désormais pour le Programme des Nations unies pour le développement.

28 Entretien réalisé le 27 juillet 2003 à Al-Ram.

29 Entretien réalisé le 12 décembre 2004 à Ramallah.

30 Source : tableau issu du rapport de Daibes, Salkfeld et Smith, 2004 : 33. J’ai calculé les pourcentages afin de rendre le tableau plus clair.

31 Entretien réalisé le 23 octobre 2004 à Ramallah avec le directeur-adjoint.

32 Entretien réalisé le 16 décembre 2004 à Jérusalem.

33 Entretien réalisé le 23 octobre 2003 à Gaza.

34 Entretien réalisé le 24 octobre 2003 à Jabaliya.

35 Entretien réalisé le 7 septembre 2004 à Ramallah.

36 Entretien réalisé le 9 septembre 2004 à Tulkarem.

37 Entretien réalisé le 1er octobre 2004 à Beit Hanina.

38 Hammami (1995, n° 2 : 27) : « Les Comités palestiniens de secours agricole (PARC) ont créé une Union des agriculteurs dans une tentative de développer une structure autonome mais liée qui leur donnerait une base populaire organisée. Le deuxième modèle, représenté par l’Union des comités palestiniens de secours médical (UPMRC), est composé d’une assemblée générale élue et de comités régionaux dont le rôle immédiat est de laisser la parole aux priorités et aux besoins de ses composants. Enfin, Bisan et d’autres organisations centrées sur le développement communautaire ont tenté d’exploiter des structures existantes (sociétés caritatives basées sur les communautés, groupes de jeunes et comités de réfugiés) de manière à se lier avec des groupes de base semi-organisés ».

39 Entretien réalisé en juin 2004.

40 PARC, Annual Report, 2003 : 40.

41 Il faut souligner cependant que si ce phénomène s’est accentué lors de la deuxième Intifada, il était déjà visible avant. Voir à ce sujet Signoles, 2004.

42 Un des titres de chapitre du rapport des experts sur PARC était intitulé : « Big is not (always) seen as beautiful ».

43 www.PNGON.net.

44 Voir à ce sujet Abu-Sada, 2003 : 81-93.

45 Qânûn raqam (1) li-sanah 2000 bi-sha’n al-jam‘iyyât al-khayriyyah wa-l-hay’ât al-ahliyyah.

46 Entretien réalisé le 30 juillet 2002 avec Mustapha Barghouti.

47 Wizârat al-munazzamât al-ghayr hukûmiyyah. Il est dirigé par Hassan Asfour, homme politique assez consensuel. Il est issu du Parti communiste mais s’est rallié plus tard au Fatah lors des élections de 1996. Il a fait partie un temps du bureau d’Abou Mazen lors des négociations d’Oslo.

48 Entretien avec un fonctionnaire du ministère, 16 juillet 2002.

49 J’ai essayé d’obtenir la liste des ONG enregistrées auprès du ministère de l’Intérieur, sans succès tant à Gaza qu’à Ramallah. Considérée comme confidentielle, cette liste n’est pas mise à la disposition du public.

50 J. Hilal m’a expliqué que le débat juridique sur la loi, la campagne de lobbying qu’ont faite les ONG auprès des parlementaires palestiniens ont appris aux responsables des ONG à se mouvoir dans la scène politique. Entretien réalisé le 17 juin 2003 à Ramallah.

51 PNGO Network, In Depth Analysis on the Impact of the NGOs Law…, n.d.

52 Une large partie de la thèse de Benoît Challand (2005b) est consacrée aux enjeux du concept de société civile en Palestine.

53 À ce sujet, on peut voir l’analyse de la coopération ONG/ État en Thaïlande sur les questions touchant au SIDA dans Doneys, 2003.

54 Biggs et Neame (1995 : 31-40) : « Les ONG et leurs défenseurs partagent l’opinion selon laquelle, en comparaison avec les gouvernements, elles sont mieux en mesure de : 1. Atteindre les pauvres, c’est-à-dire cibler leur aide sur des groupes choisis ; 2. Obtenir la participation véritable et significative des bénéficiaires prévus ; 3. Mettre en rapport les processus et les résultats ; 4. Choisir le mélange approprié de l’aide éducative, technique, matérielle ; 5. Être flexible et souple dans leur travail ; 6. Renforcer les institutions locales ; 7. Atteindre les objectifs au moindre coût ; 8. Adapter les interventions aux besoins de situations spécifiques, etc. ».

55 Biggs et Neame (1995 : 39-40) : « En résumé, les ONG doivent toujours être considérées dans une perspective sociale et politique élargie. Quand c’est fait, il est clair que les ONG ont plus en commun avec les coalitions formelles et informelles qui ont exploré et développé un espace de manœuvre sous des circonstances politiques et sociales difficiles pendant tant d’années ».

56 Clark, The Relationship Between the State and the Voluntary Sector, in http://www.gdrc.org/ngo/state-ngo.html.

57 Voir à ce sujet Badie, 1995.

58 Cette dernière catégorie fait beaucoup penser aux mouvements altermondialistes du type Attac.

59 Source : Korten, 1990 : 117.

60 Uphoff (1995 : 17-30) : « Le vrai troisième secteur, situé quelque part entre les secteurs privé et public dans l’espace institutionnel, n’appartient pas aux ONG mais plutôt aux associations populaires et aux associations de membres. Cela diffère des institutions des secteurs privé et public dans le sens où elles soutiennent l’action collective volontaire et l’autonomie. Une telle distinction apparente les ONG au secteur privé plutôt qu’à “l’entre-secteur”. Ce troisième secteur, auquel on peut se référer comme étant le secteur d’adhésion, le secteur du volontariat, le secteur de l’action collective, comme l’« entre-secteur », opère mieux entre le secteur privé et le secteur public [...] Les ONG gagnent à être vues comme étant un sous-secteur du secteur privé ».

61 Source : Carroll, 1992 : 11-13, tableau repris et traduit dans Ghinet et Dunand, 1998 : 381.

62 Korten (1990 : 96-107) : « La légitimité et la crédibilité de l’OV [Organisation volontaire] est basée sur son fonctionnement comme instrument d’action volontaire du citoyen au service d’un besoin social négligé par le Prince ou le Marchant ».

63 Husseini, 1995. Cette étude commandée par le PNGON présente l’ensemble des législations régulant les ONG en Israël, en Inde, en Égypte et en Jordanie.

64 Entretien réalisé le 15 septembre 2004 à Jérusalem.

65 Lagroye, François et Sawicki, 2002 : 225 ; Weber, 1922 : 292 ; Burdeau, 1985 : vol III : 268 ; Aron,1949. Souligné par les auteurs.

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