Chapitre III. Ressources et techniques
p. 49-75
Texte intégral
I — LES PRODUITS DE CONSOMMATION
Les ressources végétales
1De par le choix de leurs lieux d′habitat et l′étendue des territoires qu′ils contrôlaient, les Asto avaient accès a une grande diversité de zones écologiques. En effet, depuis l′altitude moyenne du cours des deux rivières principales (environ 3 100-3 200 m), jusqu′aux sommets enneigés qui culminent au-dessus du haut-plateau, la région asto se divise en trois paliers écologiques bien différents :
jusqu′à 4 000 m, d′est la zone appelée keshwar, favorable a l′agriculture, et ou pousse, a coté des especes cultivées, une importante végétation herbacée et arbustive.
de 4 000 à 5 000 m s′étend la puna, formation de steppes ondulées ou pousse en touffes une végétation de graminées, l′ichu, et de cactées (principalement du genre Opuntia). Cependant, sur les versants et dans les creux protégés du vent, même au-dela de 4 000 m, croissent quelques bosquets de petits arbres, tels le quisuar (Polylepis sp.) et le quinual (Buddleia sp.).
au-dela de 5 000 m, des formations rocheuses dominées par des sommets englacés et couvertes d′une végétation très éparse de lichens et de mousses constituent la zone écologique orqo.
2Afin de déterminer quelles furent les especes végétales utilisées parles Asto, nous avons récolté un certain nombre d′échantillons de sédiment dans les sols d′habitations préhispaniques ; parallèlement, nous avons effectué une collecte systématique d′échantillons du sol actuel, prélevés dans chacun des types de terrains rencontrés (végétation naturelle, zone cultivée, zone de village) et aux différentes altitudes (tous les 200 m, de 3 600 a 4 400 m). L′ensemble de ces échantillons a été étudié par James Schoenwetter, de l′Université de l′Arizona1.
3En ce qui concerne les especes cultivées a l′époque préhispanique, les analyses ne nous ont fourni que peu de déterminations précises ; sur l′ échantillons fossiles, 4 seulement se sont révélés contenir suffisamment de pollens pour en permettre l′identification. En revanche, l′étude comparative des especes sauvages, a l′époque préhispanique et de nos jours, apporte-des éléments très importants : selon J. Schoenwetter, le potentiel agricole des zones ou s′élevaient les villages asto était, a altitude égale, plus important durant la période de leur occupation qu′actuellement ; en d′autres termes la frontière agricole, aujourd′hui localisée aux environs de 4 000 m (une espece de pomme de terre, tsiri, est cultivée jusqu′à 4100 m), se trouvait a cette époque aux environs de 4 300 m.
4Les conclusions de J. Schoenwetter se fondent sur la fréquence relative des pollens de Composées aux différents paliers écologiques. Cette famille de plantes, qui comprend un grand nombre d′especes sauvages, constitue en effet, par sa présence plus ou moins importante, un bon indicateur du potentiel agricole d′une zone en rapport avec son altitude.
5Cette baisse du seuil d′agriculture depuis l′époque préhispanique ne peut guère s′expliquer que par un changement climatique. Or il existe effectivement plusieurs preuves d′une phase de refroidissement a partir du xvie siecle, qui se serait terminée vers la fin du xixe siecle. La plupart des observations effectuées concernent l′hémisphère septentrional, ou ce Little Ice Age (terme employé par les auteurs anglo-saxons) semble débuter entre 1550 et 16002 ; sur le continent américain en particulier, une avancée des glaciers a été observée en Alaska, ainsi que dans la cordillère du Nord-Ouest, en Amérique du Nord3. Pour l′hémisphere austral, cette variation climatique a été également observée dans l′archipel subantarctique des Kerguelen4.
6Au Pérou, aucune étude de ce genre n′a été effectuée a notre connaissance. On note cependant dans un article de Oppenheim, a propos du glacier Tulipa Raju (Cordillère Blanche, Callejon de Huaylas) la remarque suivante5 : “restos de construcciones humanas demuestran que hace más de 500 años el hombre nativo habitaba la misma región en alturas superiores, la cual indica el desigual y esporádico movimiento de los hielos”. L′auteur n′indique malheureusement pas de quel type de “construction humaine” il s′agit, ce qui nous aurait peut-être permis de les dater.
7Selon certains spécialistes, ce Little Ice Aqe, période de refroidissement mondial, aurait été probablement décalé d′environ un siecle entre les deux hémisphères6. La récession climatique pourrait avoir débuté, dans la région andine par exemple, des le début du xvie siecle ou a la fin du xve siecle. Dans notre dernier chapitre, nous discuterons cette possibilité, et ses effets possibles sur le choix des lieux d′habitat, ainsi que sur l′importance numérique de la population asto.
8Ce changement climatique ne modifia certainement pas la composition de la flore native, ni la nature des especes cultivées dans la région andine. Simplement, les limites écologiques des différentes especes devaient se trouver décalées par rapport aux limites actuelles.
9En ce qui concerne l′utilisation ou la consommation éventuelle d′especes végétales sauvaqes, les fouilles archéologiques ne nous ont apporté que peu d′éléments. Il est hors de doute que les Asto utilisaient l′ichu, que ce soit pour la couverture des habitations ou la confection de litières, éléments dont nous n′avons retrouvé aucune trace ; toutefois, il est probable que nombre des petits couteaux de pierre, denticulés ou non mais presque toujours lustrés, que nous avons trouvés a l′intérieur des édifices (voir page 68) ont servi a récolter les touffes de cette graminée ; les tiges contiennent en effet des matières siliceuses (opalphytolithes) qui provoquent la formation de ce lustre caractéristique sur le tranchant des outils ayant servi a les couper.
10Les autres especes sauvages utilisées par les Asto devaient être sans doute les mêmes qui sont aujourd′hui cueillies par les paysans andins, et dont l′énumération sortirait du cadre de notre étude. En particulier, parmi les plantes de la famille des Composées, a laquelle nous avons fait allusion plus haut, se trouve le llacon (Polymnia sonchifolia), plante herbacée dont les racines, a la saveur sucrée, étaient consommées a l′époque préhispanique.
11Plus important nous parait le problème du combustible : les habitants des villages situés en deçà de 4 000 m avaient assurément a leur disposition une abondante végétation arbustive qu′ils mettaient a profit. Au-dela de 4 000 m a l′heure actuelle, les arbustes disparaissent peu a peu et seuls subsistent quelques bosquets isolés de quisuar ou de quinual ; peut-être étaient-ils plus nombreux et plus fournis avant le changement climatique du xvie siecle. Nous avons pu prélever dans quelques édifices asto situés au-dessus de 4 000 m des échantillons de charbon de bois, qui seront analysés afin de déterminer l′espece végétale qui fut employée ; mais de toute évidence la quantité de bois disponible était insuffisante puisque les Asto ont largement utilisé le combustible animal (excrément de lama), comme cela se pratique aujourd′hui dans les chaumières du haut-plateau.
12Les analyses des échantillons fossiles nous ont fourni très peu de déterminations d′especes cultivées. Nous avons cependant une évidence concernant le mais (Zea mais), dont des pollens ont été retrouvés dans des édifices de Shanki (3 700 m) et Chuntamarka (4 300 m). Etant donné que le pollen de mais se disperse peu (a guère plus de 2 m environ autour du pied), la présence de pollens indique soit la proximité immédiate des plantations, soit le transport, a distance plus ou moins longue, de tiges ou de feuilles sur lesquelles les pollens se sont déposés. A Shanki, si la limite de la culture du mais se trouvait 100 ou 200 m plus haut qu′a l′heure actuelle, il est possible que cette plante ait été cultivée assez près du village, mais non a proximité immédiate car le site de Shanki n′offre pas les conditions d′exposition favorable, d′abri contre le vent et de possibilité d′irrigation que cette culture exige. Quant au village de Chuntamarka, il n′a pu de toutes façons se trouver a proximité immédiate de plantations de mais. Ainsi nous supposons que les Asto ont cultivé du mais sur des terrains situés en contrebas de leurs villages, et qu′ils ont transporté dans leurs habitations les tiges et les feuilles — la challa— comme litière, fourrage ou combustible, ce qui explique que des pollens se soient trouvés mêlés a la terre et aux cendres contenues dans le sol des édifices. L′existence de cultures de mais sur le territoire asto a par ailleurs d′autres implications d′ordre politique et économique que nous examinerons au chapitre IV.
13J. Schoenwetter a décelé en outre la présence de pollens de Chénopodiacées dans les échantillons fossiles. Cette famille de plantes comprend de nombreuses especes sauvages commensales des cultures, mais aussi la quinua (Chenopodium quinoa) qui était cultivée a l′époque préhispanique comme a l′heure actuelle, a peu près a la même altitude que les tubercules.
14Il est évident que bien d′autres plantes encore, pour lesquelles les preuves archéologiques nous font défaut, étaient cultivées ou consommées par les Asto. Ainsi, bien qu′aucun pollen n′en ait été identifié dans nos échantillons, la subsistance devait dépendre essentiellement de la culture des plantes a tubercules comestibles : pomme de terre (Solanum sp.), ulluku (Ullucus tuberosus), oka (Oxalis tuberosa) et mashwa (Tropaeolum tuberosum), dont les cultures occupent aujourd′hui le palier écologique immédiatement inférieur a celui de la puna. L′aménagement de puits - silos dans certains édifices (voir page 39) rendait possible la constitution de stocks de tubercules, probablement sous forme de chuño.
La faune
15A l′exception de quelques rares os entiers, toute la faune contenue dans les niveaux archéoloqiques se présente sous forme de petits fragments, parfois brûlés, et portant souvent des traces de cassures intentionnelles. Il s′agit donc de débris culinaires, et l′on peut considérer que les especes animales représentées par ces restes étaient consommées.
16L′animal de loin le plus abondamment représenté est un auquénidé domestique, lama ou alpaca, dont 607 fragments provenant de 23 habitations et de tranchées ouvertes dans les cours des unités alvéolaires furent identifiés, soit 69 % du total des fragments osseux déterminés7. Les os de lama (Lama glama), n′ont pas été différenciés de ceux qui pouvaient appartenir a des alpacas (Lama alpaca), autre espece d′auquénidé domestique qui constituait le principal fournisseur de laine. En effet, l′alpaca est légèrement plus petit que le lama, mais la différence est difficilement perceptible sur des pièces osseuses tres fragmentaires. Tous les niveaux d′habitation fouillés renferment des restes osseux d′auquénidé domestique, qui représentent en général plus d′un animal ; quelques constructions contenaient les restes de 5 et même 6 individus, et il s′agit généralement d′animaux adultes (40 sur 57 individus). Enfin, dans 3 habitations ont été retrouvés des restes de vigogne (Lama vicugna), espece sauvage cette fois : les restes de 2 individus dans une habitation d′un village situé au-dessus de 4 000 m, et ceux d′un troisième dans un village d′altitude moyenne (3 700 m).
17Curieusement le cobaye (Cavia cobaya) est tres rare ; seules 4 habitations contenaient des restes osseux de ce rongeur, provenant de 4 individus. Nous nous attendions a retrouver les restes de cet animal en beaucoup plus grande quantité, car tous les chroniqueurs espagnols, ou presque, le citent dans leurs descriptions des chaumières andines. Actuellement, il n′est pas une famille de paysans qui ne possede au moins une dizaine de cobayes, vivant librement a l′intérieur de l′habitation et dont la chair constitue un mets de choix réservé pour les fetes.
18On trouve également des restes osseux d′un cervidé andin, le gué-mal — ou taruca — (Hippocamelus antisensis) ; ils sont même relativement nombreux si l′on songe que, comme la vigogne, il s′agit d′une espece sauvage qui devait être chassée. Au total 7 individus ont été identifiés dans 7 habitations. Dans 4 cas il s′agit d′un andouiller ou d′un bois de chute complet, et l′animal dont ils provenaient n′avait pas été forcément tué. Dans les autres cas ce sont des fragments osseux divers qui prouvent que l′animal fut débité, certainement a des fins culinaires. Il s′agit d′ailleurs presque toujours d′os provenant d′une patte. Ces fragments de cervidés se trouvent indifféremment dans les villages de moyenne (3 700/3 800 m) et de haute altitude (au-dessus de 4 000 m). Cet animal —appelé lluychu en quechua — vit jusqu′à une altitude de près de 5 000 m, sur la puna, mais descend également dans les quebradas plus boisées.
19Les restes d′oiseaux sont extrêmement rares (3 fragments représentant 3 individus, dans 3 habitations). Il s′agit d′oiseaux de petite taille, dont les especes n′ont pas été identifiées.
20Enfin, dans deux habitations de Kuto-Kuto et de Laiwe, ainsi qu′au fond d′un puits-silo a Ollute, nous avons retrouvé des restes osseux de chiens. L′espece identifiée est le chien européen (Canis familiaris) et non une espece d′origine indigène. Si l′on se rappelle que l′abandon des villages asto ne s′est produit que dans la seconde moitié du xvie siecle, alors que les Espagnols étaient déjà installés au Pérou depuis près de trente ans, le fait de trouver dans les villages indiens une espece d′origine européenne n′a rien d′étonnant. Ce qui est plus intéressant, c′est que les fragments osseux retrouvés présentent, a Kuto-Kuto, des traces de découpage qui prouvent que l′animal fut débité a des fins culinaires. Si les Asto semblent avoir ainsi adopté comme viande comestible celle d′une espece récemment introduite dans le pays, c′est probablement parce qu′ils connaissaient et consommaient depuis plus longtemps une espece proche. Or, selon Garcilaso de la Vega, les Wanka, qui formèrent avant et durant l′occupation inca une puissante confédération (dont la culture présente de nombreuses ressemblances, en particulier dans la céramique, avec la culture des Asto) étaient appelés par les Incas “mangeurs de chien” : “Y por la afición o pasión con que en esta nación comían los perros, les dijeron un sobrenombre que vive hasta hoy, que nombrando el nombre Huanca, añaden : comeperros”8.
21Il nous faut pour terminer mentionner la découverte, dans trois habitations du village de Laiwe, de restes osseux de moutons. Il s′agit tres probablement, soit de restes d′animaux morts accidentellement et laissés sur place, a une époque bien postérieure a l′abandon des villages, et dont les os se sont glissés entre les blocs éboulés des murs jusqu′à atteindre le sol de l′habitation ; soit encore de restes de mesas, offrandes composées généralement d′os d′une patte ou de la tete d′un mouton, accompagnés de fleurs, que les paysans actuels ont coutume d′enterrer sur les lieux qui leur inspirent de la crainte, afin de se concilier les esprits qui y résident. Ces deux explications ne sont certes pas entièrement satisfaisantes, mais semblent néanmoins plus plausibles que d′admettre l′adoption aussi ancienne et aussi rapide du mouton par les Asto. En outre, les ossements de mouton retrouvés dans nos édifices ne sont ni brûlés, ni marqués de cassures ou de traces de débitage.
22En conclusion, la faune — sauvage ou domestique — utilisée par les Asto était tres peu variée. A l′exception du lama, qui devait être consommé sous forme de charqui (lanières de viande séchées au soleil), ils ne mangeaient certainement de la viande qu′en de tres rares occasions. Il semble qu′ils aient peu chassé les oiseaux, qui auraient pu constituer un appoint alimentaire appréciable.
23Bien entendu les remarques que nous faisons, déduites de l′étude de 23 constructions, ne peuvent être considérées comme le reflet d′une exacte réalité, et il est possible que l′analyse d′un plus grand nombre d′exemples nous aurait amenés a trouver des proportions différentes. Enfin, il faut tenir compte des facteurs de conservation différentielle des diverses especes animales : les os de rongeurs, tel le cobaye, ou d′oiseau, peuvent avoir totalement disparu.
II — L′EQUIPEMENT DOMESTIQUE
24Pour reconstituer ce qui formait, au xve siecle, l′équipement technique d′une famille de paysans des hautes terres andines, nous ne disposons que des objets, le plus souvent brisés et incomplets, qui jonchent le sol des maisons.
25L′éventail des matières premières employées est réduit : terre cuite pour les récipients, pierre et, dans une moindre mesure, os pour l′outillage. Le métal et le bois sont exceptionnellement présents ; le métal était sans doute peu employé par ces populations paysannes pauvres, et les quelques objets manufacturés de cuivre, de bronze ou d′argent ont du être emportés lors de l′abandon des villages ; le bois, fort rare dans les zones de haute altitude ou ne poussent que de maigres arbustes, ne s′est en outre pas conservé dans le sol des constructions. Les seuls objets de bois que nous décrirons proviennent des tombes et non des habitations, de même que quelques fragments de cuir. Il ne reste dans les maisons aucun vestige des peaux ou de la laine dont devaient être faits les couvertures et les vêtements.
La poterie
26La céramique recueillie lors de fouilles archéologiques ne constitue pas seulement un lot de tessons, aptes a être analysés et classés en différents types stylistiques dont on étudie l′évolution interne et la durée. Elle est surtout, dans la perspective de travail qui fut la notre, le témoin d′un équipement a usage domestique ou cérémoniel, donc un élément essentiel dans notre essai de reconstituer les techniques et la vie quotidienne d′un groupe humain a une époque donnée.
27Dans chacune des constructions dont nous avons décapé le sol, nous avons étudié la céramique recueillie a la fois en tant qu′élément de diagnostic culturel et chronologique, et d′un point de vue fonctionnel, en tant que vestige des objets usuels que possédaient les occupants de cette construction. A partir d′un fragment significatif d′une poterie — un fond, un morceau de col — il est souvent possible de reconstituer la forme et la taille de la pièce entière, et d′en déduire son usage probable.
28Cependant, pour diverses raisons, il est bien difficile de reconstituer quel put être a un moment précis de son occupation le mobilier céramique composant la “vaisselle” d′une famille. Si nous pouvons avoir une idée précise du genre de récipients qu′employaient les habitants, de leur taille et de leur forme, il est en revanche difficile d′apprécier le nombre de ceux qui furent utilisés simultanément. Il est bien certain que toutes les poteries représentées par les centaines de tessons jonchant le sol des habitations (entre 600 et 1500) n′ont pas été utilisées, puis brisées, en même temps. L′occupation des villages asto parait avoir duré environ 600 ans (voir page 19). Au cours d′une période aussi longue, les 15 a 20 cm de terre meuble reposant sur le socle rocheux, qui constituent le niveau archéoloqique, ont été constamment remaniés ; chaque phase d′occupation n′a fait qu′ajouter des composants céramiques, lithiques ou osseux a ceux laissés par les occupations précédentes. Ces quelques centimètres de terre contiennent donc les restes mélangés de toutes les époques de l′occupation et il est impossible d′y distinguer des niveaux successifs clairement superposés. D′autre part, une si faible épaisseur de sédiment permet de supposer que de nombreux balayages domestiques eurent lieu. Lorsqu′un récipient se brisait, une grande partie de ses fragments était rejetée a l′extérieur, et seuls demeuraient sur le sol, peu a peu enfouis par le piétinement et l′apport de terre, les fragments peu encombrants. Effectivement, dans les édifices fouillés, si certaines poteries sont représentées par un grand nombre de tessons (40 ou 50, parfois même une centaine), la majorité ne le sont que par 3 a 10 tessons ; a Shanki, ou nous avons fouillé a la fois l′intérieur d′un édifice et ses abords, nous avons rencontré, enfouis dans le sol devant la porte, un très grand nombre de tessons dont plusieurs correspondaient aux poteries retrouvées a l′intérieur. Par ailleurs, les poteries représentées par le plus grand nombre de fragments se trouvent généralement tout a fait en surface du sol des édifices, alors que les autres, moins complètes, sont plus profondément enfouies. L′examen des surfaces de cassure des tessons, et de leur juxtaposition dans le sol, permet de distinguer ceux qui ont été longuement piétines et déplacés (tessons de petite taille, dispersés et enfoncés, aux cassures émoussées) des tessons de plus grande taille reposant en surface, provenant de grands fragments de récipients cassés sur place et non déplacés, aux cassures non émoussées. Tout se passe comme si les poteries les plus superficielles avaient été brisées, soit juste avant l′abandon de l′édifice, et qu′on n′ait pas pris la peine d′en rejeter les débris a l′extérieur, soit même après cet abandon, par suite de la chute du toit ou de l′écroulement des pierres du mur.
29A titre d′exemple, nous décrirons en détail le mobilier céramique retrouvé dans deux édifices.
30Chuntamarka - édifice B : le sol de cette habitation renfermait les traces d′un foyer nettement délimité, d′une fosse cendreuse, et de nombreux restes culinaires. Il contenait également, a sa surface et sur 15 a 20 cm d′épaisseur suivant les endroits, 757 tessons de céramique. Sur ce total, 283 tessons ont pu être identifiés comme appartenant a 19 poteries différentes (2 sont représentées par plus de 40 fragments chacune, 3 par 20 a 30 fragments, 2 par 10 a 20 fragments, les autres par un nombre de fragments inférieur a 10 ; ce qui donne le chiffre moyen de 15 fragments par poterie) ; les 474 autres tessons proviennent d′un nombre indéterminé de poteries, pouvant s′élever a 25 ou 30 si l′on considère comme valable le chiffre moyen de 15/20 tessons par poterie.
31Les 19 poteries identifiées se répartissent ainsi :
10 récipients fermés, probablement des jarres de taille moyenne ou grande (entre 40 et 70 cm de hauteur totale), si l′on en juge a la fois par l′épaisseur et la courbure des parois, et le diamètre des cols. Ces poteries sont de surface unie non décorée, orangée ou grise. Elles ne paraissent pas avoir été posées sur un foyer, et par conséquent utilisées pour la cuisson des aliments.
6 pots ou marmites basses de facture assez grossière, de 20 a 30 cm de hauteur, au fond rond et noirci par le contact d′un foyer, donc utilisées directement pour la cuisson.
3 coupes ou écuelles largement évasées, d′environ 20 cm de diamètre, de surface orangée unie, sans traces de contact avec un foyer.
32Les 474 tessons restants se répartissent principalement en fragments de jarres ou pots de tailles diverses, en céramique unie, dont la moitié environ a du être utilisée a des fins culinaires ; très peu de ces tessons (13· sur 374) portent un décor appliqué ou peint, presque toujours localisé sur le col des pièces.
33Nous avons ainsi un total approximatif de 45 a 50 poteries (chiffre formément sous-évalué) pour toute la durée de l′occupation de l′habitation B, que cette occupation ait été continue ou discontinue.
34Par ailleurs, en examinant la répartition sur le sol des différentes catégories de tessons, nous avons remarqué que les fragments provenant de jarres de tailles diverses se trouvent de préférence a la périphérie de l′habitation, dans une bande de 50 a 70 cm de largeur, s′étendant au pied du mur. On peut supposer que ces jarres, possédant une ouverture assez large, servaient a la conservation, soit de liquides (eau, chicha), soit de solides (grain, chuño, voire même laine ou vêtements) ; elles étaient rangées le long du mur contre lequel, en raison de leur fond de très faible diamètre, elles devaient s′appuyer. En revanche, les fragments de pots ou marmites culinaires sont concentrés surtout autour du foyer, la ou ils étaient utilisés, et, dans une moindre mesure, sur la bande de sol allant du foyer a la fosse cendreuse située contre le mur au fond de l′habitation ; en effet, lorsqu′elles se brisaient, leurs fragments étaient en partie jetés dans la fosse a déchets, mêlés aux cendres provenant du nettoyage du foyer. Enfin, les fragments des trois coupes, peut-être utilisées comme assiettes, étaient dispersés dans la partie médiane de l′habitation, légèrement en arrière du foyer par rapport a la porte d′entrée, (plan dépliant n° 2).
35Shanki - édifice A : cette construction est isolée, car les autres édifices qui composaient l′unité alvéolaire probable ont été complètement détruits et enfouis sous une coulée de terre. Le sol contenait de nombreux déchets osseux brûlés ou non, un important tas de cendres mêlées de pierres brûlées contre le mur du fond, et en surface, sur 5 a 10 cm d′épaisseur, 555 tessons de céramique, qui représentent au total une quarantaine de poteries :
10 ou 12 jarres de tailles diverses (entre 50 et 80 cm de hauteur), a ouverture assez large (de 15 a 25 cm de diamètre) ; trois de ces jarres ont été utilisées pour la cuisson des aliments et portent des traces de suie.
6 marmites a fond rond, noirci par le contact du foyer, de tailles diverses.
8 ou 9 coupes d′un diamètre variant de 7 a 18 cm ; l′une d′elles a le fond noirci tandis que les autres, de fabrication plus soignée, portent un décor assez fruste le long du bord interne.
1 grande coupe a fond plat, d′environ 30 cm de diamètre, en céramique unie orangée.
1 grande cuiller a manche plat, dont la coupelle mesure environ 10 cm de large.
36A ceci s′ajoutent environ 10 poteries de forme et de taille inconnue, représentées par 166 tessons de céramique unie orangée ; il semble s′agir en majorité de récipients fermés.
37Dans la plupart des cas, il n′a subsisté sur le sol de l′habitation qu′1/20e a l/10e au plus des pièces entières, ce qui confirme l′hypothèse des balayages domestiques ; seule une grande jarre de 80 cm de hauteur était représentée par 60 fragments, soit environ 1/4 de la pièce entière.
38Il n′a guère été possible de distinguer une répartition préférentielle des tessons en fonction du type des poteries dont ils provenaient ; le sol de la construction semble avoir été plus complètement remanié que celui de la construction B de Chuntamarka, bien que la surface de l′espace habitable soit sensiblement la même (11 m2 a Shanki et 10 m2 a Chuntamarka). On a seulement constaté que les fragments provenant de marmites culinaires étaient légèrement plus abondants vers le fond de l′habitation, aux abords du tas de cendres, (planche 9 et plan dépliant n° 3).
39Le nombre de poteries conservées a l′état fragmentaire dans le sol de ces deux habitations parait relativement élevé, mais nous ne devons pas oublier qu′il représente, d′une façon très partielle, l′ensemble de la poterie utilisée dans ces habitations durant toute la durée de leur occupation ; a cet égard, il apparaît au contraire anormalement peu élevé. Si l′on admet pour une poterie utilisée quotidiennement une durée de vie moyenne de 1 an9 ou 2 ans10, les occupants de l′édifice B de Chuntamarka, dont l′occupation a duré environ 300 ans en admettant qu′elle ait été continue, n′auraient parfois pas même disposé d′1 récipient ; s′ils en avaient possédé un seul a la fois, celui-ci aurait du servir pendant 6 ans ! même si on prend comme chiffres ceux de David11, qui estime a environ 3 ans la “vie” d′un récipient de poterie a usage culinaire, et a 10/12 ans celle d′un récipient a réserves, on ne parvient pas, avec un total estimé a 50 poteries, a constituer un équipement céramique suffisant. Ceci prouve d′une part qu′un nombre important de poteries a du disparaître totalement de l′habitation, rejeté — en une ou plusieurs fois — par les nettoyages du sol ; d′autre part, que l′équipement céramique d′une famille devait être réparti non dans un seul, mais dans tous les édifices constituant l′unité alvéolaire familiale ; enfin, que les édifices d′une unité ont du être occupés de façon discontinue (voir au chapitre IV).
40Nous prendrons comme autre exemple celui de Kuniare, ou une unité alvéolaire de 5 édifices a été étudiée : le sol de l′édifice A, ne comportant pas de foyer, a été entièrement décapé et toute la céramique dénombrée, tandis que dans les édifices B, C, D et E on s′est contenté de recueillir sur et dans le sol les seuls fragments décorés et les bords, a l′exclusion des fragments simples non décorés (les plus nombreux évidemment) ; en outre, une large tranchée longitudinale fut ouverte dans la cour de l′unité, ainsi que des petites tranchées adventices rejoignant les entrées de chaque édifice. Cette fouille a donné les résultats suivants :

41Au total, le sol des 5 édifices et de la tranchée (qui représente environ 1/4 de la surface totale de la cour) contenait donc 135 a 140 poteries au minimum.
42En conclusion de cette brève analyse de la poterie domestique asto, nous constatons donc que chaque édifice renferme les restes de 40 a 50 poteries, mais que l′éventail des formes représentées est relativement réduit :
1 ou 2 formes de jarre ovoide, a fond arrondi ou très légèrement aplati, a col assez bas et large (55 % de l′ensemble des poteries).
une seule forme de marmite culinaire, existant en diverses tailles et avec de légères variantes dans le profil et la hauteur du bord (31,5 %).
3 ou 4 formes de coupes et coupelles évasées, a fond arrondi ou légèrement aplati (12,5 %).
1 forme de cuiller ou sorte de louche (suivant la taille de la partie contenante) a manche plat (1 %).
43En outre, cette poterie domestique est, dans une proportion de 95 %, non décorée. Encore le décor des quelques pièces plus fines se limite-t-il au col des jarres ou au bord interne des coupes. Quant aux marmites et aux pots culinaires, ils ne sont jamais décorés. Ainsi, aucune des habitations étudiées (23 au total) ne contenait de récipients de céramique très fine, a usage cérémoniel ou simplement décoratif.
44Si nous comparons ces formes de récipients avec celles que nous avons pu reconstituer pour chaque type de céramique rencontré en surface des sites, nous nous apercevons que la liste en est a peu près identique ; en outre, les fragments décorés ne sont proportionnellement guère plus abondants en surface, hors des édifices, que dans le sol des habitations. Si nous avons ramassé par prédilection les fragments décorés, puisqu′il s′agissait sur ce matériel de surface de faire l′étude stylistique de la céramique asto, nous n′en avons pas moins remarqué que la grande majorité de ce matériel était constituée de fragments unis, orangés ou grisâtres. En fait, plus les sites sont détruits, plus le matériel de surface est abondant, puisque la plus grande partie des fragments rencontrés en surface (particulièrement dans les terrains de culture qui occupent les établissements situés en dessous de 4 000 mètres) provient de constructions actuellement disparues.
45Toutes les formes et les motifs décoratifs rencontrés dans la poterie domestique appartiennent aux types céramiques propres a l′Intermédiaire Récent des Andes Centrales. Un fait significatif, que nous avions déjà noté a propos de l′importance de l′impact inca (voir page 24) apparaît : jamais nous n′avons rencontré de tessons de céramique inca dans le sol des édifices. De même que l′influence inca n′a en rien modifié l′orqanisation et l′architecture des édifices asto, elle ne parait pas avoir influencé profondément la vie quotidienne, et les fragments de poterie inca retrouvés sur les sites asto provenaient probablement de pièces isolées, objets d′échanges commerciaux ou pièces de valeur réservées au seul usage d′un personnage important ou d′un fonctionnaire venu du Cuzco.
46A titre de comparaison, nous passerons rapidement en revue le matériel céramique trouvé dans un édifice de Rokcha, lieu de résidence du groupe de mitmaq incaisé établi chez les Chaka, voisins des Asto (voir page 23) : le sol de l′édifice B de Rokcha, appartenant a une petite unité de 2 édifices, contenait, sur 31 m2 (on remarquera au passage la superficie exceptionnelle de l′édifice, bien supérieure a celle des édifices asto), 1376 tessons de céramique, qui représentaient 35 a 40 poteries :
567 fragments appartiennent a 22 poteries (a raison de 20 a 100 fragments par pièce, soit un chiffre moyen de 55) :
11 jarres a fond pointu du type “aryballe” (planche 10-A).
11 pots ou marmites basses, dont quelques-unes ont subi le contact du feu.
809 fragments divers qui peuvent représenter environ 15 poteries, en majorité des pots ou jarres basses, sans traces de contact avec un foyer.
47Ainsi, dans l′édifice d′un village, situé dans une région très voisine, ou l′influence inca fut très nette, l′équipement céramique n′est guère différent de celui d′un édifice asto. Le rapport entre le nombre de récipients culinaires et celui de récipients a réserves est sensiblement le même. Les pots et les marmites culinaires sont identiques de matière et de formes. Mais le fait important est ici la présence des aryballes, une des formes les plus caractéristiques de la céramique inca, et que C. Morris a rencontrée en abondance dans la région de Huanuco, ou elle constitue 90 % du mobilier céramique des qollqa incaiques12. Aucun des édifices asto n′a livré le moindre fragment d′aryballe ; l′équivalent asto de cette forme semble avoir été la grande jarre ovoide a ouverture basse et large, au col orné de motifs peints ou appliqués typiques de la céramique Mantaro a l′Intermériaire Récent (type généralement appelé Patan Koto) (planche 10-B).
48Nous n′avons parlé dans ce qui précède que des poteries-récipients, qui constituent évidemment la partie la plus importante, et la plus significative, du matériel céramique. Pour être complet, cet inventaire doit également compter avec quelques objets de terre cuite, que l′on rencontre a l′occasion dans les habitations :
les fusaioles : ce sont de petits disques de 2,5 a 6 cm de diamètre, façonnés sur un tesson dont les bords ont été découpés et régularisés, et portant une perforation centrale de 4 a 6 mm de diamètre. Il est fréquent d′en retrouver, aussi bien en surface des sites que dans les sols d′habitations. 8 des 23 constructions fouillées en contenaient une ou plusieurs (jusqu′à 4), le plus souvent brisées, parfois en cours de fabrication (perforation non terminée), plus rarement intactes. Le filage de la laine au fuseau était sans aucun doute, comme a l′heure actuelle, une activité de chaque instant, possible a exercer n′importe ou, et la présence de fusaioles dans un édifice ne peut être retenue comme indice important de la destination de cet édifice.
les lissoirs : nous appelons ainsi des tessons d′assez grande taille (plus de 4 cm de longueur), généralement rectangulaires, et dont les cotés ont été soigneusement régularisés, puis usés et polis (probablement par l′usage). Nous les avons interprétés comme des lissoirs a poterie. Ce sont des objets rares (au total 4 ont été trouvés, dont 1 seul a l′intérieur d′un édifice). Si ce sont bien des outils de potier, leur présence peut être significative en indiquant que, dans le village considéré sinon dans l′édifice même ou il se trouvait, on fabriquait de la poterie. Dans un prochain volume de la même série, ou sera étudiée en détail la céramique asto, nous reviendrons sur ce problème des centres de fabrication. Par des analyses et des examens comparatifs des pâtes, nous espérons parvenir a distinguer s′il y eut un ou plusieurs centres potiers en zone asto ; pour l′instant, en se fondant simplement sur des observations a l′oeil nu, il semble bien que les poteries proviennent de plusieurs endroits. Nous tenterons également de mettre en parallèle les types de pâtes rencontrés dans le matériel archéologique et les échantillons d′argile recueillis dans les quelques villages de la région ou l′on fabrique encore aujourd′hui de la poterie. Il serait en effet d′un grand intérêt de savoir s′il existait a l′époque préhispanique des villages de potiers, qui auraient alimenté par troc les autres villages.
les couvercles : sur deux sites ont été trouvés des disques de terre cuite, de 10 a 12 cm de diamètre et environ 1 cm d′épaisseur, munis d′une petite anse verticale au centre de l′une des faces. Nous pensons qu′il s′agit de couvercles pour fermer des jarres. Il semble d′ailleurs que ce ne soit pas la un objet asto traditionnel, car nous n′en avons rencontré que 3 au total, et sur deux sites ou la pénétration inca parait avoir été relativement importante (Astomarka et Antas). Nous sommes tentés d′attribuer sa présence a l′influence inca, d′autant plus volontiers que sur le site de Rokcha (groupe de mitmaq incaisé en territoire Chaka), nous en avons trouvé deux dans un édifice dont le matériel céramique était presque entièrement de style inca.
L′équipement lithique
49A coté de la poterie, une autre sorte de vestiges parseme le sol des villages asto, a l′intérieur comme a l′extérieur des habitations : les objets intacts ou brisés, de pierre taillée ou polie, qui paraissent avoir constitué l′essentiel de l′outillage. Une grande partie de ces outils de pierre est en rapport avec une activité agricole, qu′il s′agisse d′instruments a travailler la terre, a récolter, ou destinés a broyer ou moudre les produits végétaux. D′autres, moins nombreux, remplissaient des fonctions plus ou moins différenciées, que bien souvent nous n′avons pu reconstituer que de façon hypothétique.
50a/Armes et engins de chasse (planche 11) : dans cette catégorie nous rangeons les quelques armatures de flèches, les bolas, et les massues de pierre piquetée ou polie. Contrairement a la majorité des autres outils ou Instruments que nous décrirons par la suite, ce sont des objets qui ont été fabriqués soigneusement.
51Au total, sur les 25 sites étudiés, 13 petites pointes bifaciales ont été trouvées, différentes a la fois par leur taille et leur forme. La typologie des armatures de flèches andines d′époque tardive étant encore très mal connue, il serait illusoire de vouloir classer ces pièces et d′y attacher une signification culturelle, voire chronologique, a l′intérieur de l′ensemble de la période asto. Ce sont toutes des pointes sans pédoncule, qui se répartissent entre 3 formes : triangulaire a base rectiligne,
ogivale a base rectiligne.
foliacée.
52Ces pointes, qui mesurent de 2,5 cm a 5,5 cm de hauteur, ont été finement taillées sur des éclats de jaspe, de quartz ou d′obsidienne, et retouchées′ a pression. Nous avons remarqué que, sur 13 pointes, les 6 pointes d′obsidienne provenaient de 3 sites de la rive droite du Mantaro, autour de l′actuel district de Conaica ; or, un filon d′obsidienne nous a été signalé “a huit lieues vers le sud-ouest” du site de Punkuyopata. Ces armatures de flèches devaient erre fixées a des manches de bois, constituant ainsi des flèches ou des javelots légers, et utilisées pour chasser les quelques especes animales sauvages existant dans ces régions (voir page 53), a moins qu′il ne s′agisse d′armes de guerre.
53Les bolas sont des boules de pierre lourde (diorite, roche volcanique), ou de minerai de fer, de forme sphérique, ovoide ou cylindrique, façonnées par piquetage puis, dans certains cas, polissage. Certaines bolas sphériques comportent une étroite bande circulaire ou la surface a été rendue très rugueuse par bouchardage, afin d′assurer la ligature ; les bolas ovoides et cylindriques portent toutes une gorge circulaire destinée au même usage. Il existait en effet deux manières d′attacher les bolas : elles étaient soit enfermées dans une gaine de cuir qui enveloppait presque totalement la pierre, soit ceinturées par un lien de cuir passant dans la gorge ou sur-la partie rugueuse, et laissant le reste de la pierre apparent. Toutes les bolas retrouvées en surface ou dans les constructions ont perdu leur attache,, mais deux exemplaires provenant d′une tombe près du site d′Antas nous ont permis d′étudier exactement ces deux modes de fixation. Les bolas étaient ensuite, au moyen d′une longue lanière, rassemblées en faisceau de deux ou trois et, lancées dans la direction du gibier a capturer, servaient a immobiliser les animaux dont elles entravaient les pattes. Leurs dimensions sont variables : les bolas cylindriques, avec ou sans gorge, ont entre 5 et 7 cm de longueur et 4/5 cm de diamètre ; les bolas sphériques ont de 2,5 a 5 cm de diamètre. Systématiquement, nous avons considéré que les petits sphéroides de pierre très dense ou de minerai de fer, a la surface piquetée ou polie, que nous rencontrions, étaient des bolas et non des projectiles de fronde, qui ont généralement une forme conique et semblent absents des sites asto.
54Restent enfin les massues, ou plutôt les masses de pierre polie perforées, dont nous hésitons a faire des armes puisque des formes très voisines, mais de fabrication moins soignée, ont clairement été utilisées comme brise-mottes dans le travail des champs. Il semblerait toutefois étrange que les Asto, par ailleurs pierres tailleurs de pierre lorsqu′il s′agissait de leur équipement quotidien, se soient donné tant de mal pour tailler et polir de belles masses perforées et aller ensuite les ébrécher sur les cailloux de leurs champs. Ces masses perforées sont de deux types : un type circulaire, au pourtour arrondi, dont le diamètre extérieur varie de 7 a 9 cm pour une épaisseur de 3,5/4 cm ; un type en étoile a 5 ou 6 pointes, d′un diamètre extérieur légèrement supérieur au précédent (cette dernière forme est généralement considérée comme typique de la période inca). Toutes ces masses perforées sont façonnées en granit, diorite ou roche volcanique, probablement par bouchardage d′un galet, suivi d′un polissage. La perforation centrale est, dans les deux types, biconique, obtenue par abrasion circulaire a partir de chacune des faces, et mesure entre 1,5 et 2,5 cm de diamètre, ce qui correspond bien au diamètre d′un manche de bois suffisamment solide.
55b/Les instruments aratoires (planche 12) : nombreux sont les objets de pierre taillée ou polie auxquels on peut attribuer une fonction aratoire, bien que a quelques exceptions près, nous n′ayons aucune preuve de leur fonction précise. Ces objets sont de deux sortes : des houes ou fouissoirs pour retourner la terre, et des brise-mottes pour l′émietter ensuite.
56Sur le site d′Ollute, nous avons trouvé en très grande quantité des instruments épais, de forme oblongue et de section presque cylindrique, façonnés par de grands éclats sur des blocs d′andésite grise, et mesurant de 10 a 20 cm de longueur et 5 a 7 cm d′épaisseur. Ces objets portent a la hauteur du tiers supérieur une gorge peu profonde obtenue par un piquetage circulaire, probablement destiné a fixer la masse de pierre sur un manche de bois a l′aide d′un lien de cuir ou de fibres végétales (dont aucun reste ne nous est parvenu). L′autre extrémité de l′outil est soit vaguement amincie, formant une pointe très mousse, soit comporte un tranchant transversal rectiligne obtenu par une cassure en biseau ; ces pointes ou tranchants sont presque toujours très émoussés et esquilles, et nous pensons qu′ils ont été utilisés comme des petites pioches ou fouissoirs.
57A Astomarka, nous avons rencontré plusieurs grands disques fabriqués sur des plaques d′andésite rougeatre, dont le pourtour a été régularisé et rendu tranchant par une série d′enlèvements bifaciaux. L′usage de telles pièces parait moins évident, car leur maniement a la main semble assez peu pratique et ils ne présentent par ailleurs aucune possibilité d′emmanchement. Néanmoins, nous pensons qu′il s′agit également d′outils pour retourner la terre, a la façon de bêches a main, dans la mesure ou dans plusieurs cas le pourtour de la pièce était émoussé et ébréché.
58Enfin, il existe sur presque tous les sites des outils façonnés dans de grands galets ovales et plats de calcaire ou de gres, parfois de roche volcanique, par une série de grands enlevements irréguliers unifaciaux ou bifaciaux qui ménagent un bord arrondi ; ces objets mesurent en moyenne entre 12 et 15 cm de longueur et ont une épaisseur de 3 a 5 cm. Aucune trace d′emmanchement n′est visible (amincissement, gorge ou simple usure circulaire). Nous pensons que ces outils servaient a retourner la terre a la façon de petites houes ou bêches a main ; on ne doit pas négliger cependant l′hypothèse d′un emploi comme tranchets ou couteaux grossiers pour débiter des quartiers de viande ou tailler les épineux et rares arbres qui servaient de combustible.
59Par ailleurs, sur plusieurs sites nous avons trouvé des brise-mottes semblables a ceux utilisés encore de nos jours (alors que le métal ou le bois ont remplacé la pierre pour les houes) : ce sont des galets aplatis ou des plaques de roche (suivant les sites) qui ont été taillés en disque et perforés en leur centre par abrasion circulaire a partir de chacune des faces (perforation biconique). La plupart de ces pièces sont de facture grossière, de forme irréguliere et épannelées a grands éclats ; mais certaines, soigneusement polies et parfaitement circulaires, ont été étudiées, comme massues, avec les armes. Lorsque le pourtour ne porte aucune trace d′usure ou d′ébréchure, il est difficile de conclure ; et de toutes façons, l′hypothèse d′une double fonction n′est pas a exclure.
60c/Les instruments de mouture (planche 13) : par ce terme nous entendons les instruments ayant servi soit a écraser des tubercules ou des grains, soit a battre ou broyer des tiges végétales. Ils se répartissent en deux groupes répondant a deux fonctions distinctes : les meules, a la surface plate, et les mortiers, creux.
61Les meules dormantes (en espagnol batán) sont généralement constituées d′un gros bloc naturel (c′est-a-dire non façonné ou débité d′une matrice) de granit ou de gres, de forme circulaire ou ovale, de 50 a 80 cm de diamètre maximal ; la face supérieure, plane ou très légèrement concave, reçoit la matière destinée a être broyée. A cette meule — élément passif— est associée la main de meule (mano) — élément actif — constituée par un grand galet aplati elliptique de 30 a 40 cm de longueur, généralement en gres. Cette main de meule est tenue a deux mains par ses extrémités, en position verticale, de façon qu′un de ses longs cotés se trouve en contact avec la matière a traiter, qu′elle broie par un mouvement de bascule, la face plane de la meule et le coté actif de la main de meule présentent souvent une usure prononcée, et un poli brillant du au frottement répété des matières végétales.
62Les mortiers (mortero), de taille beaucoup plus réduite que les meules dormantes, sont façonnés dans des blocs de granit ou de gres de 20 a 30 cm de diamètre ; de forme toujours circulaire, ils présentent sur la face supérieure une cavité hémisphérique de 10 a 15 cm de diamètre et 5 a 10 cm de profondeur. L′élément actif, le pilon, est un galet ovoide d′une dizaine de cm de longueur, tenu verticalement. Les extrémités de ces pilons présentent généralement une large facette a la fois polie par le frottement et piquetée par les chocs répétés.
63Il existe enfin dans les habitations asto un troisième instrument de mouture que nous appelons “molette double” : il s′agit de galets ovales plats, en gres, qui ont été fractionnés en deux dans le sens de l′épaisseur. Les faces plates ainsi obtenues ont été régularisées et rendues parfaitement planes grâce a un bouchardage dont les traces sont bien visibles. Ces moitiés de galets, de 12 a 15 cm de longueur, devaient être utilisées soit deux par deux, la matière a traiter étant interposée entre eux, soit sur une meule dormante, comme les mains de meule mais cette fois a plat. Le poli d′usure qui en a résulté, brillant, est assez prononcé pour oblitérer en partie les traces du bouchardage de façonnage.
64d/Marteaux, broyeurs et percuteurs (planche 12) : tandis que les mains de meule et les pilons utilisés pour broyer des matières chargées de silice ont un lustre caractéristique, d′autres outils de formes voisines ont du être employés pour écraser des matières plus dures ou débiter des blocs de pierre. Ils portent en effet sur leurs faces ou arêtes des marques multiples d′écrasement et de nombreux esquillements. A cette catégorie appartiennent les galets- percuteurs, simples galets sphériques ou ovoides de quartzite, de 4 a 8 cm de longueur, dont le pourtour et les faces portent des traces d′utilisation ; ces galets n′étaient pas emmanchés, mais certains d′entre eux, plus aplatis, portent au centre de chacune des faces une sorte de cupule piquetée, probablement destinée a faciliter et assurer la préhension.
65Très proches des précédents par leur forme et leur taille, mais façonnés cette fois, nous trouvons les percuteurs-sur-aretes : outils polyédriques massifs fabriqués a partir d′un galet ou d′un bloc quelconque. Une ou plusieurs faces ont été taillées a grands enlèvements, et les arêtes ainsi créées, utilisées pour marteler. L′emploi d′une arête permet une percussion moins diffuse qu′avec un galet aux surfaces arrondies ; ce qui permet de supposer que ces percuteurs-sur-aretes servaient a des percussions précises, comme par exemple détacher un éclat d′un nucleus. Ils n′étaient pas emmanchés, non plus.
66e/Le petit outillage sur éclat13 : A coté des outils ou instruments de grande taille auxquels il est possible d′attribuer, quoique avec une certaine imprécision, une fonction définie, les Asto employaient, et fabriquaient, toute une série de petits outils parfois peu différenciés, qu′ils façonnaient a partir des blocs de roche trouvés sur leurs sites ou a proximité immédiate, généralement sous forme de galets ; nous avons constaté qu′a chaque site correspondaient un ou deux types de roche qui furent utilisés de préférence aux autres. Lorsqu′il était présent, et c′est le cas sur la plupart des sites, c′est évidemment le silex qui fut choisi pour le débitage des éclats de petite taille ; toutefois, d′autres roches se prêtant moins bien a la taille ont du être utilisées : a Shanki, ou le silex ne prédomine pas, des blocs de calcaire furent débités ; a Ollute, ce sont les galets de quartzite qui ont constitué le matériau préférentiel.
67Au total, et pour l′ensemble des sites, 2148 produits ou déchets de débitage ont été recueillis et étudiés ; ceci représente a la fois le matériel recueilli en surface et celui provenant des fouilles d′édifices. Ce total se décompose de la façon suivante :
68nucleus : 219.
69produits de débitage bruts : 1023
70produits de débitage utilisés ou façonnés (outils) : 906
711) Les nucleus : la plupart des nucleus, qu′ils soient de silex, de quartzite ou : de roche volcanique, ont une forme grossièrement polyédrique, et l′enlèvement des éclats s′est fait de façon irréguliere a partir de toutes les faces du nucleus. Tels que nous les trouvons, c′est-a-dire après que tous les éclats utilisables en ont été extraits, les nucleus mesurent entre 3 et 6 cm ; de diamètre. Au début du débitage, le plan de frappe était constitué par le cortex du galet ; par la suite, on a choisi successivement comme plans de frappe les cicatrices des enlèvements précédents (débitage multipolaire). Deux nucleus seulement ont une forme conique, résultant du débitage-de petits galets de quartz ; ce débitage s′est effectué en prenant toujours-comme plan de frappe la même face corticale du galet, et en tournant régulièrement. Il est intéressant de noter que ces deux nucleus (provenant de Shanki et Conaicapata), qui présentaient en fin de débitage une face externe carénée, une face interne plane corticale, et un bord convexe régulier, ont été réutilisés comme petits rabots ; ce sont les seuls nucleus sur lesquels nous avons observé les traces d′une utilisation secondaire, tous les-autres ayant été abandonnés comme impropres a tout usage. La dimension des nucleus varie en fonction de la matière première employée :
72nucleus de roche volcanique : 5/8 cm de dimension maximale
73nucleus de quartzite : 5/6 cm de dimension maximale
74nucleus de silex et chaille : 3/5 cm de dimension maximale
75nucleus de quartz : 3/4 cm de dimension maximale
76Les nucleus de silex et de chaille sont les plus nombreux (67 %) ; viennent ensuite le quartzite (20 %), les roches volcaniques (9 %), le quartz (3 %), le calcaire (1 %). En ce qui concerne les roches volcaniques et le calcaire, nous pensons que le débitage a souvent eu lieu directement a partir de gros blocs affleurant en surface du sol et non a partir de galets, ce qui explique la rareté relative des nucleus de ces deux roches, alors que les éclats en sont abondants sur plusieurs sites (en particulier Shanki et Laiwe).
772) Le débitage : la taille moyenne des produits de débitage varie également en fonction de la matière première. Les dimensions moyennes observées sont :
78éclats de roche volcanique : 6/10 cm
79éclats de calcaire : 6/8 cm
80éclats de quartzite : 4/6 cm
81éclats de silex et chaille : 4/6 cm
82éclats de quartz, jaspe, obsidienne : 2/3 cm
83Ces différences s′expliquent a la fois par la nature de la roche, les dimensions du bloc de matière première initial, et la rareté de cette matière première. Sur 1929 produits de débitage récoltés, 906 ont été façonnés ensuite en outils ou portent des traces évidentes d′utilisation. Les 1023 autres ne sont que des produits bruts de débitage. L′ensemble de tous les éclats, façonnés, utilisés ou bruts présente des caractéristiques communes : les éclats sont en moyenne courts et larges, de forme très irréguliere mais toujours assez trapus. Beaucoup de talons sont corticaux (correspondant aux premières phases du débitage d′un galet), mais la grande majorité est lisse ; tout au plus observe-t-on sur le talon de quelques éclats un esquille-ment ou écrasement du bord interne, qui semble résulter du type de roche débité ou du percuteur employé (percuteur de pierre ?) beaucoup plus que d′un aménagement intentionnel du plan de frappe du nucleus. L′angle du talon avec la face d′éclatement est généralement très ouvert, de 120°/130° en moyenne. Les éclats de chaille, silex ou autres roches dures présentent un bulbe de percussion nettement marqué, qui est plus diffus sur les quartzites et les roches volcaniques. Enfin, environ 60 % des éclats présentent des surfaces de cortex résiduel sur la face externe.
843) Les outils : ils sont très difficiles a classer en types, et ceci pour deux raisons : d′une part, la matière première est souvent de mauvaise qualité, se prêtant mal au débitage, et les éclats sont souvent informes et mal venus ; d′autre part, il s′agit d′objets apparemment vite fabriqués, sans que l′on ait systématiquement recherché une forme. En d′autres termes, il n′y a pas de “style” d′outillage, ou les mêmes formes auraient toujours rempli la même fonction. Aussi, puisque le but de notre étude n′était pas d′établir une typologie, mais de savoir quel était l′usage probable de ces outils, nous les avons classés en fonction :
de la position de leur bord utile (tranchant distal ou latéral)
de la forme et du profil de ce bord utile (mince ou abrupt — rectiligne, concave, convexe ou denticulé).
85C′est ainsi que deux grandes catégories sont apparues : d′une part des outils relativement allongés, au bord utile latéral, et qui semblent avoir été de petits couteaux ; d′autre part des outils plus trapus, a bord utile distal ou circulaire, qui, suivant la forme de ce bord utile, ont pu servir a gratter ou a percer.
86— outils tranchants (planche 14) : sur des éclats dont la longueur moyenne est de 4,5/5 cm ont été façonnés des couteaux simples ou doubles. Les couteaux simples, ou couteaux a dos, sont soit des éclats quelconques dont un des bords latéraux est constitué de cortex ou d′un plan de fracture naturel, formant un coté plat (couteaux a dos naturel), soit des éclats quelconques dont un bord latéral a été abattu par une retouche abrupte de façon a créer artificiellement ce coté plat destiné a la préhension. On a ainsi dans les deux cas des pièces de section triangulaire. Les couteaux doubles sont des éclats dont les deux bords latéraux constituent des tranchants.
87En ce qui concerne les dimensions, on a constaté que les couteaux doubles étaient légèrement plus longs et étroits que les couteaux a dos naturel ou abattu.
88Les tranchants sont soit vifs d′éclat, avec de fines écaillures dues a l′utilisation, soit retouchés ; il est probable que cette retouche correspond a un réaffutage des outils. Ces tranchants sont rectilignes ou légèrement convexes, plus rarement denticulés ou a coches (dans ces deux cas, il s′agit évidemment de tranchants retouchés). En outre, ils présentent souvent, sur environ un tiers de leur longueur, a partir de l′extrémité distale, un lustre indiquant clairement que ces couteaux ont été utilisés pour couper des tiges végétales, de céréales ou d′ichu. Nous avons d′ailleurs appelé “faucilles”, par analogie avec des outils similaires du néolithique européen, les plus beaux des couteaux a retouche denticulée : tres régulière, cette retouche faite de petites coches adjacentes transforme le bord tranchant en une petite scie. Ces faucilles sont, de tous les outils tranchants, ceux qui présentent le lustre le plus accentué.
89— rabots, grattoirs et raclettes (planche 15) : d′autres éclats de taille plus variable (de 4 a 7 cm de longueur), plus épais et de forme plus trapue que les couteaux, parfois même presque carrés ou discoides, ont un bord utile aménagé par une retouche abrupte externe. Cette retouche est généralement distale mais tend parfois, dans le cas des éclats discoides, a envahir le pourtour de l′éclat ; 1′ angle du bord ainsi aménagé a une valeur moyenne de 80°/90° (alors que l′angle du tranchant des couteaux ne dépasse guère 70°). C′est pourquoi nous les considérons comme des rabots, des grattoirs ou de petites raclettes, selon leur taille et le profil de leur bord retouché.
90Les rabots, façonnés sur les éclats épais les plus grands, sont retouchés a grands enlèvements sur une assez large portion du pourtour ; le bord utile ainsi aménagé est irrégulier, souvent même sinueux. Ils ont pu être utilisés pour racler les peaux, écorcer des branches, ou tout autre usage de raclage grossier.
91Les grattoirs sont plus finement retouchés par de petits enlèvements lamellaires ou écailleux, et le bord utile est plus régulier que celui des rabots ; généralement convexe, denticulé dans quelques cas, ce bord retouché est souvent émoussé, et de petites stries parallèles, perpendiculaires au bord, sont repérables a la loupe binoculaire sur la face interne de l′outil. Ces grattoirs peuvent avoir eu des usages multiples : grattage des peaux (plus finement qu′avec les rabots), façonnage des outils de bois ou d′os.
92Quant aux raclettes, plus petites encore, elles sont irrégulièrement retouchées sur une partie de leur pourtour, mais il est difficile de savoir s′il s′agit d′une retouche intentionnelle ou du résultat d′une utilisation.
93— coches, becs et perçoirs (planche 15) : quelques éclats de formes quelconques, courts et larges, de 4 cm de longueur moyenne, présentent sur un bord une ou plusieurs coches, adjacentes ou non, façonnées par une petite retouche externe ou interne et généralement irréguliere. Les coches ont entre 5 et 7 mm de largeur et 2/3 mm de profondeur ; le bord en est fréquemment émoussé et finement écaillé sur les deux faces. Il est probable que ces pièces ont été utilisées pour racler du bois ou de l′os. Nous verrons plus loin que l′outillage de bois et d′os fabriqué par les Asto comprenait des baguettes ou des fuseaux de bois, des spatules et des poinçons d′os, dont le diamètre correspond assez bien a celui des coches. Il est même possible que ces coches n′aient pas été vraiment façonnées, mais dues simplement a l′usage, ce qui expliquerait l′irrégularité de la retouche.
94Lorsque deux coches sont adjacentes, ou lorsqu′une coche est adjacente a une troncature ou a une cassure, une sorte de pointe courte et large se trouve ainsi dégagée. Les plus fines de ces pointes ont été utilisées comme des perçoirs, tandis que d′autres plus épaisses ont du servir de becs pour inciser du bois ou de l′os.
95f/Objets divers de pierre : reste enfin une série d′objets rencontrés occasionnellement dans les villages asto, et dont l′usage ne nous est pas toujours apparu clairement.
96Bien reconnaissables sont les polissoirs a main : blocs ou galets de formes diverses, en roche très fine (en général un gres métamorphique), ils comportent soit des faces très polies et brillantes, soit une profonde rainure rectiligne sur une face. Ces derniers ont sans doute servi a polir ou affûter les pointes ou spatules d′os, tandis que les polissoirs a face plus ou moins arrondie ont pu polir aussi bien la poterie que l′os.
97En revanche, d′autres objets restent énigmatiques. Ainsi les petits galets plus ou moins sphériques, de 1 a 2,5 cm de diamètre, et dont la surface luisante laisse penser qu′ils furent lonquement maniés. Trop petits pour qu′il s′agisse de bolas, ils se rencontrent dans plusieurs édifices, épars sur le sol ; a Chuntamarka, 2 maisons en contenaient chacune 6 et a Ku-niare, une maison en contenait 12. La roche qui les constitue est souvent très dense, et plusieurs sont en maqnétite ou hématite. S′agit-il, comme le suggère Ravines14 d′objets servant a compter ? Cet auteur en a vu utiliser par des paysans de la région de Huancavelica : une boule un peu plus grosse, représentant la dizaine, est gardée a la main, tandis que les petites représentent les unités. Ou bien s′agit-il de poids ? On connaît quelques exemples de balances a fléau accompagnées d′un petit sac contenant des boules de pierre de différentes grosseurs, trouvées dans des tombes du littoral d′époque tardive. Le fait que plusieurs de ces petites boules soient de minerai pesant plaide en faveur de cette explication, mais nous n′avons trouvé aucune pièce de bois ou d′os ayant pu constituer des fléaux de balance. En outre, les documents que nous possédons indiquent que ces petites balances n′étaient utilisées que pour peser l′or ou les matières précieuses ; leur présence dans les chaumières asto parait donc douteuse15.
98On trouve également, au nombre de 1 ou 2 par édifice, des galets ovales et plats d′environ 6 a 8 cm de longueur, dont nous ignorons totalement la signification. Ils ne portent aucune trace d′usage, et ne sont pas polis comme le seraient de petites mains de meule.
99Tous ces outils ou objets de pierre que nous venons de décrire ne se rencontrent pas au hasard dans les villages. Certains se trouvent presque toujours a l′extérieur, d′autres de préférence dans les habitations, ou ils occupent sur le sol une place plus ou moins précise. Or, ces emplacements ou nous rencontrons maintenant les objets durent être déterminés par différents éléments a différentes époques de l′histoire des sites ; tout d′abord l′usage qui en était fait par les Asto et le prix qu′ils y attachaient (objets soigneusement conservés dans les maisons, ou abandonnés sur place après usage), maïs aussi les transferts ou destructions dont ils ont pu faire l′objet plus tard, après que les villages eussent été abandonnés par leurs habitants.
100Ainsi, presque toutes les maisons fouillées renferment un ou plusieurs instruments de mouture. Cependant, si les mains de meule, les pilons et les molettes doubles sont relativement abondants, les supports massifs (meules dormantes et mortiers) sont rares, et souvent ne correspondent pas a la répartition des éléments actifs complémentaires. C′est ainsi que dans plusieurs cas, on a des pilons sans mortier et des mains de meule sans meule. Faut-il alors considérer comme seul indice sur d′activités de mouture, la présence d′une meule ou d′un mortier dans la maison ? ou bien peut-on supposer que ces deux éléments, quoique volumineux et pesants, ont été emportés par les habitants ou récupérés a une époque ultérieure par les paysans des environs ? Dans le premier cas, les activités de mouture auraient donc été concentrées dans 1 ou 2 édifices d′une unité seulement, mais les instruments légers (pilons et mains de meule) auraient été transportés et déposés dans n′importe quel édifice de l′unité. Dans le second cas, la mouture et le broyage des matières végétales s′effectuaient dans presque toutes les constructions de l′unité. Personnellement, nous penchons plutôt en faveur de cette hypothèse, car d′une part on retrouve en effet aujourd′hui de nombreuses meules de facture manifestement préhispanique, utilisées par les paysans actuels, d′autre part, sur les sites, les mortiers et les meules, rares dans les habitations, sont plus abondants a l′extérieur mais presque toujours brisés ; a deux reprises même (Astomarka A et Chuntamarka F), la meule dormante était dans la maison, mais irisée et retournée, ce qui est bien le fait d′un vandalisme intentionnel.
101Lorsque la meule est dans la maison, elle se trouve en général placée a peu de distance du mur, du coté opposé a la porte. Enfin, les activités de mouture ont du bien souvent avoir lieu a l′extérieur, comme c′est souvent le cas aujourd′hui, dans la cour de l′habitation.
102Les instruments aratoires sont relativement rares dans les habitations, a l′exception des grands galets façonnés, dont nous avons vu qu′ils pouvaient aussi bien avoir servi a briser ou écraser des os qu′a retourner la terre. Les brise-mottes a perforation centrale sont également rares dans les habitations, alors que, a Astomarka par exemple, ils abondaient a l′extérieur, tous brisés d′ailleurs.
103Le petit outillage sur éclat se trouve exceptionnellement dans les édifices, et presque tous les beaux outils, a l′exception de quelques faucilles, ont été trouvés a l′extérieur. En revanche, dans presque tous les édifices, nous avons trouvé, sinon un ou plusieurs nucleus débités, du moins une certaine quantité de déchets de débitage, dont plusieurs peuvent parfois etre remontés sur un nucleus trouvé dans la maison (Yawyupata A par -exemple) ; on peut supposer que le débitage s′effectuait dans les habitations, et que les outils ont été ensuite emportés par les habitants lors de leur exode ; ceux que nous avons trouvés auraient été des objets perdus.
104Les armes ou engins de chasse posent un problème un peu particulier : si les bolas et les massues se trouvent aussi bien dans les édifices qu′a l′extérieur, quoique en petit nombre car il s′agissait certainement d′objets de valeur, les quelques pointes bifaciales ont toujours été trouvées a l′extérieur. C′est une des raisons pour lesquelles nous n′excluons pas l′hypothèse d′objets beaucoup plus anciens. Le fait de rencontrer en surface des punas andines de l′outillage datant de plusieurs milliers d′années n′a rien d′extraordinaire et, comme nous l′avons dit plus haut, la typologie ne nous apporte dans ce cas aucune aide.
105Derniere remarque enfin : cet équipement lithique se trouve, en quantités plus ou moins grandes, dans toutes les constructions que nous avons fouillées, qu′elles renferment ou non un foyer, que la poterie y soit ou non abondante. Ceci semble confirmer la non-spécificité des édifices composant une unité ou du moins, si l′on admet l′hypothèse de phases d′abandon et de réoccupation successives, le fait qu′un même édifice ait pu, au cours des siecles, remplir des fonctions diverses.
106L′examen de cet équipement lithique appelle enfin quelques remarques de nature différente, ayant trait a la facture même de l′outillage.
107Le manque de soin apporté a la taille de la pierre en général, le débitage souvent informe, le fait qu′il existe peu de types morphologiques ou fonctionnels précis, tout ceci montre clairement qu′il s′agissait pour les Asto d′un équipement de fortune, fabriqué pour un usage immédiat et souvent abandonné ensuite, a l′exception de quelques pièces. Cet outillage est finalement peu diversifié, malgré les variations constatées selon les sites. En effet, les contraintes imposées par le type de matière première, différent suivant les sites (calcaires prédominant a Shanki, silex et chaille a Antas et Astomarka, andésite a Ollute, calcaire et andésite a Laiwe), expliquent que des solutions différentes aient été choisies pour remplir une même fonction : ainsi, pour un même usage qui était de labourer, les habitants des sites ou les galets aplatis de calcaire ou autre roche étaient abondants ont fabriqué des houes ovales relativement épaisses ; ceux d′Astomarka ont aménagé des plaques minces d′andésite en houes discoïdes très minces, tandis qu′a Ollute, les blocs massifs d′une autre sorte d′andésite étaient façonnés en pics-fouissoirs presque cylindriques.
108L′ensemble de l′outillage, a l′exception de quelques outils, est peu spécifique, et nombreux sont les exemples d′outils brisés réemployés pour un usage tout différent : un petit mortier, ou une main de meule cassée, sont grossièrement retaillés et se transforment en houes a main. Ailleurs, des pilons brisés serviront de percuteurs, ou de tranchets grossiers après retaille de l′extrémité.
109A l′exception des faucilles et des grattoirs (outils dont la fonction nécessite une forme de tranchant spéciale n′existant pas a l′état naturel), les outils retouchés sont rares. Les bords les plus tranchants sont les bords vifs d′éclat, et les outils “retouchés” doivent être le plus souvent des outils usés, dont le tranchant a été réaffuté, lorsque la matière première est rare et que l′instrument doit être conservé longtemps. Rien de tel ici ou la matière première, quoique de qualité variable, était toujours abondante. L′éclat, taillé rapidement au moment ou l′on en avait besoin, était ensuite jeté.
110Deux catégories d′outils seulement ont été fabriquées avec soin : les instruments de mouture (meules et pilons souvent soigneusement bouchardés, mortiers polis), et les faucilles. Or il s′agit dans les deux cas d′un outillage propre a un groupe d′agriculteurs. Lorsqu′il s′agissait de l′outillage concernant leur principale activité de subsistance, les Asto pouvaient devenir de bons artisans. Le reste du temps, pour couper un quartier de viande, couper une peau ou écorcer une branche, ils prenaient n′importe quoi.
111Les remarques qui précèdent valent également pour les armes, bolas eu massues, toujours soigneusement façonnées.
L′outillage d′os
112a/Objets façonnés : 38 pièces façonnées en os de lama ont été trouvées au cours des fouilles, toujours contenues dans les sols d′édifices, qui les ont préservées de l′humidité, ou faisant partie du mobilier funéraire d′une tombe.
113La forme de l′os employé (os plat ou os long) et celle de l′extrémité ou du bord utile permettent de distinguer plusieurs types d′outils.
1141) Outils pointus (planche 16 figures 1, 2, 4) : des aiguilles, obtenues par débitage et polissage d′une longue esquille osseuse, proviennent généralement d′une diaphyse tibiale ou radiale. L′extrémité distale est affûtée en pointe par polissage, tandis que la partie proximale est plate et large ; dans la plupart des cas, cette extrémité a été amincie pour y perforer un chas ; plus rarement, lorsque l′aiguille a été débitée sur un os long de petit diamètre,, l′extrémité proximale conserve toute une portion du canal médullaire, par laquelle on devait enfiler le brin. Toutes ces aiguilles mesurent entre 10 et 17 cm de longueur et les pointes en sont mousses. Il est probable qu′elles ont servi a coudre des matières peu résistantes (par exemple des tissus de laine) ou a tresser des filets (filets de portage 7), plutôt qu′a coudre des cuirs résistants.
115Au contraire, quelques outils pointus façonnés sur des esquilles d′os plus larges, et pourvus d′une pointe aiguë mais plus robuste, sont probablement des poinçons, destinés a perforer les peaux. Ces pièces sont toutes brisées et nous ignorons la forme de la partie proximale.
1162) Outils plats (planche 16 figures 3, 5, 7, 8) : 4 spatules ont été façonnées sur la partie large (correspondant au départ de l′épiphyse) d′un fragment d′un gros os long fendu longitudinalement ; cette extrémité, régularisée et polie, présente un tranchant oblique. Il peut s′agir d′instruments de potier, racloirs ou esteques, ou de couteaux de tisserand. Nous avons trouvé par ailleurs 3 instruments plats, d′environ 10 cm de longueur et 4 cm de largeur, rectangulaires ou trapézoïdaux, faits sur un morceau d′omoplate de lama. La partie mince de l′os, découpée, forme un bord rectiligne au tranchant légèrement biseauté. Le lustre que l′on observe le long de ce bord semble indiquer que ces outils servaient a racler des matières souples, telle la peau, mais il est également possible qu′il s′agisse de petits couteaux de tisserand, utilisés avec des métiers a tisser très étroits (métier a tisser les ceintures par exemple).
117Egalement façonné sur un morceau d′omoplate, nous avons trouvé une sorte de peigne a larges dents séparées par des encoches en V. Le fait que le fond de ces encoches soit légerement lustré et émoussé incite a penser qu′il s′agit d′un peigne de tisserand.
118Enfin, trois fusaioles, petits disques de 4 a 6 cm de diamètre, ont été taillées dans un fragment d′os iliaque, perforé au centre. Notons que ces fusaioles d′os sont très rares, alors que les fusaioles de ferre cuite abondent sur tous les sites.
1193) Tubes (planche 16 figure 6) : 2 tubes, d′environ 8 cm de longueur, ont été obtenus en découpant un fragment mésial de diaphyse tibiale ; a chaque extrémité, les bords des incisions ont été ensuite régularisés et polis en biseau. Nous ignorons totalement l′usage de ces pièces. Peut-être s′agit-il d′emmanchements, destinés a fixer de petits outils de pierre (grattoir ou couteau) ; il ne subsiste cependant aucune trace d′une ligature ou d′une matière résineuse quelconque, qui aurait assuré l′insertion de l′outil dans le manche. On peut rapprocher de ces deux tubes 2 demi-tubes, faits d′un fragment osseux analogue mais partagé en deux longitudinalement, et dont nous ignorons également l′usage.
120Tous ces objets portent des traces de fabrication dues a l′emploi d′un outillage de pierre. Les os devaient être sciés a l′aide des éclats a bec. Les marques longitudinales que l′on observe sur le fut des aiguilles proviennent sant doute d′un raclage avec un grattoir ou un éclat a coche ; le chas des aiguilles et la perforation centrale des fusaioles, présentant un profil biconique, furent tres probablement obtenus par la rotation d′un perçoir ou d′un bec, agissant a partir de chacune des faces de l′objet. Les stries obliques de polissage sont dues au frottement d′un morceau de gres ou de toute autre roche grenue. Quant a l′affûtage des pointes, un tres beau polissoir de gres métamorphique, retrouvé sur le site de Willkaymarka, nous en montre la technique : la pierre présente en son milieu une incision en V profonde de quelques millimètres, qui porte des stries longitudinales causées par le frottement du sable employé comme abrasif (planche 17 figure 3).
121b/Fragments d′os utilisés (planche 17) : outre les objets façonnés, il existe un certain nombre de fragments (13 au total), généralement des esquilles allongées mesurant entre 7 et 13 cm, et dont l′extrémité est pointue et de section aplatie ou cylindrique. Les os choisis semblent avoir été débités par percussion afin d′obtenir une esquille allongée, mais on n′y observe aucune des traces de façonnage visibles sur les outils précédemment décrits. Seules les pointes en sont polies par l′usage, et nous pensons qu′ elles furent utilisées comme poinçons ou couteaux a tisser.
122Les outils en bois de cervidé rentrent également dans cette catégorie d′objets non façonnés. Il s′agit de bois de chute de guémal, dont on a utilisé, soit la ramure complète, soit un seul des deux éléments (perche ou andouiller). Les extrémités en pointe sont émoussées et brillantes, tandis que la partie mésiale présente une légère usure et un lustre résultant probablement de la préhension. Actuellement, des bois identiques sont utilisés par les tisserands (bien que le guémal soit devenu plus rare dans ces régions) pour tasser et écarter les fils sur le métier, a la façon des couteaux précédement décrits.
123Si l′on considère la répartition de cet équipement osseux, on remarque qu′il est relativement concentré : sur 23 édifices, seuls 9 renfermaient de ces objets, au nombre de deux ou plus. Ceci tendrait a prouver que les outils d′os répondaient a un usage spécifique, pour des taches qui ne s′effectuaient pas dans tous les édifices (contrairement aux instruments de mouture par exemple). On remarque d′ailleurs que les 3 raclettes ou couteaux a tisser se trouvaient dans l′édifice A d′Astomarka, que les 2 tubes d′os proviennent d′un même édifice de Kuniare, qu′a Chuntamarka enfin, 1 spatule, 1 andouiller de cervidé et le peigne proviennent de la construction A. La réunion de ces trois outils très différents dans leur forme sinon dans leur usage confirme l′hypothèse qu′il s′agit bien d′un outillage de tisserand.
objets divers (planche 18)
124Sous ce terme nous avons regroupé les quelques instruments de métal et de bois, très rares, que nous avons retrouvés, ainsi que divers objets — pièces d′ornement ou amulettes — qui ne font pas partie de l′équipement domestique a proprement parler.
125Nous n′avons trouvé que 6 objets de métal dans l′ensemble des villages asto : une petite pince ronde, en cuivre (probablement une pince a épiler), près de la construction A de Shanki ; une pince identique et deux aiguilles de bronze, dans une caverne funéraire a proximité du village d′Antas ; un minuscule fragment de feuille d′or, probablement un fragment de bijou, dans l′édifice A de Chuntamarka.
126De toute évidence, les objets de métal devaient être fort rares dans les communautés paysannes andines. A l′exception peut-être de pointes de bronze ou de cuivre pour les bâtons a fouir, et que les Asto ont du emporter avec eux lors de l′abandon des villages, presque tout l′outillage agricole était comme nous l′avons vu en pierre. Nous n′avons retrouvé que des objets de petite taille, oubliés ou égarés par leurs propriétaires.
127Une autre catégorie d′objets — ceux de bois ou de calebasse — es^ presque totalement absente dans les ruines des villages. Cette rareté n′a cependant rien a voir avec la valeur des objets, qui devaient, au contraire des objets métalliques, être relativement courants. Nous avons en effet retrouvé dans plusieurs cavernes funéraires (ou les conditions de conservation furent bien meilleures que dans le sol des habitations) des restes d′instruments de bois, fuseaux et fusaioles, couteaux de tisserand de diverses formes, et coupes de taille variée faites de demi-calebasses, et qui devaient servir de plats ou d′écuelles (formes rares dans la céramique).
128Objets de valeur cette fois, les quelques amulettes que possède toute famille indienne ont du erre soigneusement récupérées au moment de l′exode forcé. Nous avons retrouvé seulement la petite réplique en terre cuite d′un épi de mais, personnifiant la Sara-mama, “mere du mais” et protectrice des récoltes, et dont l′équivalent moderne est l′épi de mais, véritable cette fois, accroché auprès de la porte de chaque chaumière andine. Une petite pierre-figure, dont la forme naturelle ressemble vaguement a celle d′un lama, retrouvée dans un édifice de Kuniare, était peut-être aussi un fétiche protecteur du bétail.
Notes de bas de page
1 Voir en annexe le texte de James Schoenwetter.
2 D.J. Shove, étudiant les cercles de croissance d′arbres détruits et ensevelis par l′avance d′un glacier Scandinave, note qu′une période d′étés chauds (qui correspondent a des cercles de. croissance plus épais) s′achève brusquement vers 1590, et que le Little Ice Age qui lui succède comporte a son tour trois phases froides (1614-1650, 1708|-1751, 1835-1870) séparées par un court réchauffement. “Tree rings and climatic chronology”, in R. Fairbridge (éd.), Solar variations, climatic change and related geophysical problems, New York, 1961, p. 605.
L′avancée des glaciers alpins, a partir de 1550, marque le début de cette récession climatique, a laquelle les auteurs européens donnent le nom de Femau. G. Manley, “Late and postglacial climatic fluctuations...”, in R. Fairbridge (éd.), op. cit., 1961, p. 166. Voir également F. Mayr, “Untersuchungen über Ausmass und Folgen der Klima — und Gletscherschwankungen seit dem Beginn der postglazialen Wannezeit”, Zeitschrift für Geomorphologie, Berlin, 1964, p. 279 et 283.
3 R.R. Goldthwait, “Evidence from Alaskan glaciers of major climatic changes”, in World climate from 8000 to O B.C., Royal Meteorological Society, London, 1966, p. 40653.
C.J. Heusser, “Some comparisons between climatic changes in northwestern North America and Patagonia”, in R. Fairbridge (éd.) op. cit., 1961, p. 648-653.
4 N. Bellair et G. Delibrias “Variations climatiques durant le dernier millénaire aux iles Kerguelen”, Comptes-Rendus de l′Académie des Sciences de Paris, tome 264, 1967, p. 2087.
5 V. Oppenheim, “Las glaciaciones en el Perú”, Boletín de la Sociedad Geológica del Perú, tome 18, Lima, 1945, p. 37-43.
6 N. Bellair, “Palynologie d′une tourbière de Pointe-Denis (Péninsule Courbet, Kerguelen)”, Bulletin de l′Association Française pour l′étude du Quaternaire, Paris, 1970, p. 51.
7 L′étude de la faune a été confiée a Thérèse Poulain (Chargée de Recherche au CNRS — ERA n° 52), dont on trouvera le texte en annexe. Les chiffres que nous donnons ici différent de ceux que l′on trouvera dans ce texte ; nous avons en effet exclu de nos comptes, pour le présent chapitre, le matériel osseux provenant de Rokcha, dont nous ignorions auparavant qu′il n′appartenait pas a la chefferie asto.
8 Garcilaso Inca de la Vega, Comentarios reales de los Incas (1604), Lima, 1960, livre VI, chao. X, p. 171.
9 G.M. Foster, “Life-expectancy of utilitarian pottery in Tzintzuntzan, Michoacan, Mexico”, American Antiquity, tome 25, Salt Lake City, 1960, p. 606-609.
10 Les estimations de Foster reposent sur l′étude de la poterie culinaire dans 4 demeures de Tzintzuntzan. L′étude de Lewis (1969) est basée sur l′étude de 14 familles mexicaines.
11 N. David, “On the life span of pottery, type frequencies, and archaeological inference”, American Antiquity, tome 37, p. 141-142.
12 C. Morris, op. cit., 1971, p. 139.
13 Les données numériques et les tableaux d′analyse concernant l′outillage sur éclat sec trouvent en annexe de ce volume.
14 R. Ravines, communication personnelle, 1972.
15 M. Rostworowski de Diez Canseco, Pesos y medidas en el Perú pre-hispánico, Lima, s.d., p. 23 et suivantes.
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