Conclusions générales
p. 569-573
Texte intégral
1Le Nord côtier forme un ensemble géographique remarquable par l’homogénéité d’ensemble du cadre naturel et de l’activité humaine et par la diversité des nuances régionales. Le milieu est constitué par un piémont aride et sa contrainte a pesé de toute sa rigueur sur la mise en valeur. Les fleuves issus des Andes proches ont apporté au cœur des pampas désertiques ou steppiques des sols limoneux et l’eau indispensable à la mise en valeur agricole, fixant pour au moins quatre millénaires les foyers de peuplement et les limites étroites de leur développement agricole. Celui-ci est caractérisé par la densité et l’importance des oasis par rapport à celles du Centre et du Sud. Cependant, l’irrégularité climatique a entraîné une instabilité de la production qui a poussé les hommes très tôt à s’organiser pour tirer parti de ressources parfois abondantes mais toujours fantasques.
2L’homme a façonné les paysages en aménageant l’espace depuis le premier millénaire de notre ère. Son action opiniâtre a permis de mettre en valeur les plaines alluviales par l’établissement de réseaux de canaux dès l’époque précolombienne ; puis le grand bouleversement de la conquête espagnole, en imposant une structure sociale inégale, enfin la révolution économique, en accentuant cette inégalité et en adoptant des cultures commerciales et en favorisant la mécanisation, ont imprimé leurs marques successives dans le paysage agraire. L’histoire préhispanique a légué la trame de la colonisation humaine. L’histoire coloniale a séparé géographiquement l’ager en réserves indigènes et grands domaines créoles. L’économie de marché et la révolution technique ont opposé la petite exploitation à la grande exploitation, les bocages boisés et confus aux immensités géométriques et nues des cultures industrielles, les communautés villageoises de cultivateurs indiens aux agglomérations de prolétaires métis.
3Le Nord côtier, plus que le Centre et le Sud, a été l’œuvre d’une harmonie entre le milieu et l’homme. La taille considérable des oasis a permis aux indigènes précolombiens une occupation massive et elle a entraîné un aménagement du sol rationnel générateur de civilisation. L’importance numérique et la cohésion culturelle des indiens, d’une part, et la diversité géographique des secteurs des grandes plaines alluviales du Nord, d’autre part, vont s’appuyer pour laisser après la conquête et la formation du latifundio industriel, des réserves vastes et fort peuplées d’indigènes sur les terres marginales, tandis que la richesse du sol, les grandes superficies et l’abondance relative de l’eau vont attirer les grands planteurs créoles, puis les capitalistes étrangers.
4Les communautés indigènes seront d’autant plus importantes que les oasis seront grandes et variées. Les colons espagnols, et ensuite les industriels seront attirés par le climat tropical et les grands espaces cohérents. Le Nord côtier est donc fait de l’opposition traditionnelle entre la petite et la grande exploitation et les différents rapports numériques entre elles donnent l’essentiel des nuances physionomiques et des caractères de l’économie.
5Au sud, La Libertad est formée de petites vallées, presque totalement dominées par le latifundio industriel, avec ses paysages dénudés et la faiblesse de ses activités commerciales, dont a longtemps pâti l’aristocratique Trujillo. Au nord, le Piura est constitué par de longues vallées très difficiles à mettre en valeur ; aussi garde-t-il une très forte proportion de communautés indigènes, au point qu’elles sont maintenant trop à l’étroit et que leur masse misérable ne peut servir de marché à Piura. Par ailleurs, la dispersion des ressources agricoles et minérales sur un vaste territoire empêche le regroupement autour d’un pôle régional. Le Lambayeque offre en revanche une concentration de l’ager et la permanence d’une petite et moyenne exploitation importante et aisée qui ont donné toutes ses chances commerciales à Chiclayo, leur capitale et centre géométrique du Nord côtier.
TABLEAU 157. Le Nord côtier dans le Pérou. (Pourcentages.)

1. Avec le Cajamarca côtier.
2. 1965.
3. 1964.
4. Au 31 décembre 1966.
5. 1960 (Provinces côtières seulement).
6Les provinces côtières septentrionales tiennent la seconde place dans la vie économique du Pérou, derrière la côte centrale qui abrite la capitale. Elles fixent sur 4,6 % de la superficie du territoire 13,3 % de la population et cette proportion a augmenté entre 1940 et 1961, puisqu’elle n’était lors du premier recensement que de 10,7. Loin d’être dépeuplées par l’émigration, ces provinces progressent à un rythme supérieur à celui du pays. Le rapport du produit côtier septentrional au produit national est supérieur à celui de la population et le produit per capita moyen du Nord l’emporte de 38 % sur la moyenne nationale. La contribution de cette zone à l’économie péruvienne est donc supérieure à la moyenne, malgré l’attraction de Lima, et 85 % de l’énergie, 23 % du produit agricole et 21 % de la valeur des exportations témoignent de son importance (tableau 157).
7L’équilibre entre les secteurs d’activité n’est pourtant pas atteint. Malgré le développement de l’infrastructure des communications et de la production d’énergie et des matières premières, le taux régional du produit industriel dépasse de justesse celui de la population, tandis que les banques locales n’ont pas encore drainé plus de 7 % de l’épargne du pays, quand la zone assure 16 % du produit interne brut du Pérou.
8La portée nationale de cet exemple régional reste très variable suivant les éléments, tant la Côte nord reste originale par rapport au reste du pays sur de nombreux points. Pour la mise en valeur cette étude fait apparaître les avantages économiques de la répartition du sol entre la petite et la grande exploitation sur un ager où s’opposent des terrasses de qualité très différente et d’aménagement distinct. Les aptitudes de l’une et l’autre à tirer parti des ressources ont rendu très marginale la moyenne exploitation, géographiquement mais aussi économiquement et socialement. Elle doit, en effet, adopter les systèmes de culture de la grande entreprise sans avoir le degré de concentration nécessaire pour rentabiliser les énormes investissements d’une modernisation de l’irrigation et de la mécanisation. La moyenne exploitation, au stade actuel de l’économie libérale augmente les coûts et maintient les salaires à un bas niveau au moment même où paradoxalement l’évolution politique et législative tend, par la Réforme agraire, à constituer un fort secteur de moyennes entreprises.
9Or, cet aspect fondamental du Nord côtier est dû à la particularité des régimes des fleuves régionaux et à la complexité de leur delta d’une part et à la permanence historique de gros foyers de peuplement indigène sur leur terre. Aussi, le témoignage de cette zone doit-il moins compter pour le reste du pays, même pour les régions côtières, par l’analyse de facteurs originaux que par les mesures de portée plus générales qu’il implique.
10La petite exploitation à la condition de pas être privée d’eau et de pas descendre en superficie au-dessous du minimum nécessaire à un foyer reste la seule possibilité d’occuper les terres marginales en contribuant à la production vivrière. Elle suppose des aménagements juridiques et un encadrement technique qui dépasse les efforts de l’actuelle réforme agraire et son sort dépend aussi d’un assainissement de la distribution commerciale. La grande exploitation, si son origine se rapporte incontestablement à des spoliations de terre ou d’eau, n’est pas actuellement toujours synonyme de la pire exploitation de l’homme par l’homme. Elle montre que sur de vastes superficies irriguées et homogènes elle peut obtenir les meilleurs rendements économiques et les concilier avec de plus justes rétributions. Cela revient à poser les termes de profondes réformes plus dans le sens des coopératives que dans celui d’une redistribution de la terre qui ne satisferait qu’un immense désir légitime de justice historique. Toute transformation des rapports agraires paraît devoir être inopérante sans un assainissement du marché. On ne voit donc pas, à propos d’une région déterminée mais suivant des facteurs généraux, comment on pourrait modifier les structures agricoles actuelles sans bouleverser les rapports fondamentaux de l’économie libérale contemporaine.
11Il en est de même de la vie de relation et du dynamisme régional. Ce n’est pas le latifundio qui, par sa structure, s’oppose au développement des industries locales, puisque, au contraire, il est le seul à disposer de capitaux importants, c’est à la fois son origine extrarégionale et les structures économiques nationales qui découragent les investissements à long terme, tandis que la centralisation administrative et économique du pays favorise à l’excès la capitale.
12L’exemple de Trujillo paraît cependant de valeur nationale. Une vieille bourgeoisie foncière bien enracinée se tourne vers les profits industriels après avoir résolu le préalable indispensable d’un crédit régional. Par ailleurs, l’Etat, en décentralisant son effort, fournit à la région, après la route panaméricaine, un port moderne, l’énergie électrique et un réseau de télécommunications hertzien.
13Les limites de la valeur d’exemple du Nord côtier sont ici atteintes car l’essentiel du dynamisme régional est dû à l’extension des aires cultivées par le latifundio dans des conditions naturelles exceptionnelles pour le Pérou et au cours d’une période de hauts cours des prix mondiaux particulièrement longue. Le Nord côtier reste donc un cas un peu isolé dans son propre pays, mais il peut être un excellent témoignage de la mise en valeur d’un piémont aride adossé à une cordillère bien arrosée et baignée par un océan.
14Quant à l’avenir de la Côte septentrionale, il est à deux facettes. La première est connue et elle est représentée par les ressources naturelles et le capital humain. Les deux sont très favorables. Les superficies irrigables vont être augmentées de moitié dans les huit années à venir et leur productivité améliorée. Le Nord est déjà le pourvoyeur de l’énergie pétrolière et il devrait offrir aux futures industries de la région et des secteurs voisins, côtiers ou andins, l’hydroélectricité à partir des grandes dérivations du versant atlantique et le gaz naturel qui dort encore dans son sous-sol. Quant au capital humain, il est inestimable. Le Nord côtier a su éviter les confrontations raciales. Les communautés indigènes parlent l’espagnol et leur fierté de se rattacher à l’indianité n’altère pas leur sentiment national et leur désir d’intégration dans l’économie générale.
15Le cholo du Nord préfigure le Péruvien dans un pays où de vastes régions ne connaissent encore que des blancs, des métis et des indiens. Le créole du Nord a su épargner l’indigène pendant les quatre siècles d’oppression, lui réserver sa place dans l’économie et lui faire accepter sa culture. Il a aussi le mérite d’avoir cohabité et de s’être mêlé avec lui. D’un naturel ouvert, il a également bien accueilli les étrangers qui ont apporté leur esprit d’entreprise et fondé le latifundio industriel, à la fois le plus productif et le plus socialement compréhensif de tout le Pérou. La symbiose et la fusion partielle des divers groupes raciaux qui ont su, au cours de l’Histoire, chacun dans leur secteur, mettre remarquablement en valeur les oasis, représente à nos yeux un des gages les plus sûrs de l’avenir régional.
16L’autre facette demeure une inconnue. Même atténuées par rapport au reste du pays, les inégalités sociales subsistent et hypothèquent le futur de toute cette zone. D’un côté, la masse des paysans sans terres augmente au rythme de la poussée démographique et va grossir les rangs d’un prolétariat rural que la mécanisation fait refluer sur les bidonvilles. De l’autre, une classe possédante foncière très étroite prélève la plus grande part du revenu zonal. Au milieu, une classe moyenne de commerçants et de représentants des carrières libérales effectue une ponction nettement supérieure aux services qu’elle rend.
17L’Etat et l’aide internationale interviennent pour augmenter les superficies offertes à des moyens propriétaires, mais laisse en son état misérable le microfundio. Pire, la Réforme agraire risque de renforcer celui-ci sans qu’un encadrement coopératif y porte remède. La stagnation des revenus de la plus grande masse empêche l’élargissement d’un marché local, et la concentration du capital disponible entre quelques mains achève de stériliser l’industrialisation régionale.
18Certes, le problème n’est pas propre au Nord mais ressort de tout un complexe socio-politique qui dépasse même le cadre péruvien. Faute d’emplois extra-agricoles et faute d’acheteurs pourvus de revenus décents, le Nord côtier ne pourra surmonter le déséquilibre fondamental de ses activités et continuera à pourvoir la nation et l’étranger en matières premières. Les masses rurales, un temps absorbées par les grandes colonisations, prendront le chemin de Lima où les ont précédés les paysans de la Sierra voisine ou de tout le Centre et le Sud du pays.
19Seules des décisions à l’échelon national pourront fixer au moins partiellement le revenu régional sur place et l’orienter vers l’industrialisation qui seule absorbera la poussée démographique. Elles devraient aussi permettre, en atténuant les disparités sociales, de faire du Nord côtier qui est déjà parmi les régions les plus agréables pour résider et les mieux dotées par la nature, une terre où chacun pourra vivre et non survivre.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Sociedad y gobierno episcopal
Las visitas del obispo Manuel de Mollinedo y Angulo (Cuzco, 1674-1694)
Pedro Guibovich Pérez et Luis Eduardo Wuffarden
2008
Indigenismo y nación
Los retos a la representación de la subalternidad aymara y quechua en el Boletín Titikaka (1926-1930)
Ulises Juan Zevallos Aguilar
2002
Los Andes y el reto del espacio mundo
Homenaje a Olivier Dollfus
Jean-Paul Deler et Évelyne Mesclier (éd.)
2004
Memorias en conflicto
Aspectos de la violencia política contemporánea
Raynald Belay, Jorge Bracamonte, Carlos Iván Degregori et al. (éd.)
2004
De los Andes hasta Pará
Ecuador - Perú - Amazonas
Marcel Monnier Edgardo Rivera Martínez (trad.)
2005
Del trono a la guillotina
El impacto de la Revolución Francesa en el Perú (1789-1808)
Claudia Rosas Lauro
2006
Ladrones de sombra
El universo religioso de los pastores del Ausangate (Andes surperuanos)
Xavier Ricard Lanata
2007