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Les Andes centrales du Pérou et leurs piémonts (entre Lima et le Péréné)

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Olivier Dollfus (†)

Quatrième partie. L'étage inferieur désertique des Andes et la région côtière

Chapitre V. Les remblaiements désertiques du piémont côtier

Texte intégral

1L'ennoyage détritique est important dans le piémont à proximité de Lima. Aux recouvrements éoliens et aux nappes alluviales à galets, déposées par les rivières au cours des périodes pluviales quaternaires, il faut ajouter les remblaiements « désertiques » mis en place par les chasses d'eau s'écoulant après les averses qui s'abattaient sur les reliefs de la frange pacifique et qui étaient caractéristiques d'un système morphoclimatique semi-aride contemporain des périodes « glaciaires » de la haute sierra et des périodes « pluviales » de l'étage des grands versants.

2On peut grouper ces remblaiements en plusieurs familles : les remblaiements élémentaires, de premier ordre, étalés au pied des versants et qui dépassent rarement un kilomètre carré ; les cônes de déjection couvrant plusieurs kilomètres carrés et les grands épandages détritiques, plus ou moins étagés.

3Cet ennoyage désertique n'est que très partiellement lié à la présence toute proche des montagnes andines ; le matériel détritique provient essentiellement des massifs rocheux côtiers et des reliefs de l'étage inférieur des Andes.

A) LES REMBLAIEMENTS ÉLÉMENTAIRES

4Leurs aspects dépendent étroitement du matériel issu des versants rocheux qui les encadrent.

1) Les remblaiements arénacés

5Au pied des versants blancs réglés, les pentes des remblaiements sont réduites (3° environ) et légèrement concaves ; la faiblesse de la pente est fonction de la relative finesse du matériel détritique qui est surtout arénacé. Le triage des sables est médiocre (qdphi supérieur à 2), mais il est très peu différent de celui du manteau colluvial couvrant les versants. Les fragments rocheux sont rares, à l'exception de quelques plaquettes issues de filons basiques ou quartzeux ; il n'y a pas de bancs ni de lentilles limoneuses. Les sables sont non usés et les cristaux, cassés, traduisent la microfissuration de la roche. Les rapports des quartz et des plagioclases sont les mêmes que dans la roche mère ; les grains ne sont pas altérés ni même oxydés, ce qui indique l'absence d'action chimique au moment de la mise en place des sables et postérieurement à leur dépôt. En dessous de 200 microns, des grains plus picotés, comportant un certain pourcentage d'éléments sombres, basiques, qui sont absents de la roche du versant, sont d'origine éolienne ; il doit s'agir de sables aspergés sur le versant et repris par le ruissellement. En dessous de 50 microns la fraction fine est pratiquement inexistante et il n'y a pas d'argiles. A la surface du remblaiement comme d'ailleurs sur les versants, on remarque parfois un très léger encroûtement cimentant une fine pellicule de un à deux millimètres composée d'arènes et de limons salés sédimentés par les garuas ; cette « micro-induration » superficielle limite les possibilités d'un vannage éolien léger mais elle indique aussi l'absence du ruissellement actuel.

6En projection horizontale, ces remblaiements sont souvent trapézoïdaux ; cette disposition est liée au recul des versants qui régressent parallèlement à eux-mêmes à partir d'une attaque initiale frontale. Entre Pampa Grande et Vitarte, dans la vallée du Rimac ces glacis détritiques se disposent selon des directions déterminées correspondant à des lignes de fracture NNW-SSE et NNE-SSW.

7Ces nappes arénacées se sont déposées à la suite d'averses qui provoquaient un ruissellement aréolaire sur les versants les décapant de leur manteau de désagrégation. L'écoulement à la surface de ces remblaiements s'effectuait par un système de chasses d'eau laminaires qui s'infiltraient rapidement en aval par suite de la grande porosité du matériel.

2) Les remblaiements au pied des roches mélanocrates

8Au pied des diorites, les remblaiements sont, on le sait, tres différents. Il s'agit de cônes triangulaires, en pente forte et concave ; leur surface est pavée de blocs parallélépipédiques, patinés en rouge-brun et sous lesquels s'est concentrée une matrice limoneuse orangée. Ces cônes de déjections torrentiels passent vers l'aval à des bourrelets de « solifluction » qui se déplaçaient lentement sous la pression de la masse d'amont après les plus fortes pluies imbibant en profondeur le matériel détritique. Le ruissellement postérieur à la mise en place de ces cônes les a nettoyés superficiellement de leurs limons et argües, laissant en relief les gros blocs qui forment des amas chaotiques. Il est difficile de savoir dans quelle mesure la déflation est intervenue dans ce nettoyage des éléments fins, surtout dans la région de Lima où les vents, sauf prés du littoral, sont modérés.

9Au pied des pentes granitiques convexes, creusées de taffoni, des langues sableuses se glissent dans les secteurs les plus fissurés, où la désagrégation granulaire est la plus intense. En surface ces glacis arénacés sont noirâtres, parsemés de petites plaquettes d'exfoliation se désagrégeant ; lorsque les biotites sont suffisamment abondantes dans l'arène, la surface du remblaiement peut être légèrement oxydée en orange et couvrir un mince horizon décoloré. Cette ozonation, timide et peu marquée, traduit l'absence actuelle de remaniements superficiels par le ruissellement. Elle signale cependant l'humectation superficielle de ces cônes par les garuas, dans la zone de balancements de la nappe des brouillards.

3) Les remblaiements proches de la côte, au pied des volumes sédimentaires et volcaniques

10Dans la frange côtière et dans les régions où affleurent les roches sédimentaires et volcaniques particulièrement fracturées, les nappes détritiques issues de l'attaque des versants sont particulièrement étendues. Leur pente est fonction de la surface du bassin versant et de la dimension du matériel.

11A la Herradura, entre les Cerros Marcavilca et Morro Solar, la nappe de remblaiement a une pente longitudinale concave de 10° dans le haut et de 4° à la base ; sa longueur est d'environ 300 m. En coupe les dépôts sont lites, comme dans certaines formations périglaciaires de bas de versants ; des fragments rocheux, disposés à plat, dans le sens de la pente et sans matrice interstitielle alternent avec des lits orangés plus limoneux et des pellicules sableuses. Des lentilles gypseuses, discontinues, s'interstratifient dans ces dépôts. Les plaquettes gréseuses (coefficient d'aplatissement : 3) sont très légèrement émoussées aux angles ; leurs surfaces planes sont rendues rugueuses par suite du déchaussement de grains. Elles sont recouvertes d'une fine pellicule de gypse et de sel, mais elles ne sont ni patinées ni vernissées. II est probable que le déchaussement des grains ainsi que le descellement des plaquettes de la roche en place fissurée, ont été facilites par des « effets de sel » lies à l'infiltration du sel lors des garuas ou par les embruns suivie de sa cristallisation lors de réchauffement de la surface rocheuse sous le soleil. Ceci suppose un climat ensoleillé, accompagné cependant de brumes matinales ou de fortes houles, mais également quelques fortes averses qui provoquaient un ruissellement entrainant le matériel préparé sur les pentes.

12Dans les lentilles sableuses, le triage est médiocre, les grains supérieurs à 200 microns sont usés, mats, revêtus parfois de ciment siliceux. Ils proviennent de la désagrégation des grès du Crétacé inférieur. En revanche une partie des sables inférieurs à 200 microns sont éoliens et l'on y trouve des minéraux lourds comme la mélanite qui est absente des séries mésozoïques. Dans les limons on observe de très petits fragments de quartz, des feldspaths et des argües variées, des illites surtout, ainsi que des sels solubles. Le gypse se concentre en lentilles, épaisses de quelques centimètres et de plusieurs mètres de longueur, disposées dans le sens de la pente comme les autres lits détritiques. Il est généralement coloré en surface ; il est lisse au toucher et s'il est parfois feuilleté, il est le plus souvent vacuolaire ; les petits cristaux de sulfate de sodium sont disposés sans orientation apparente. Une analyse montre qu'il contient également de petits cristaux de quartz, des limons, des argües (illites et kaolinite) et du chlorure de sodium (Laboratoire de recherches géochimiques de Nancy). Le gypse ne forme pas un encroûtement généralisé et continu, comme dans le Sud du Pérou, et ne se diffuse pas en filets dans la masse clastique comme dans la région de Pisco. Ces lentilles comme celles que l'on remarque à la Herradura, sont probablement dues au ruissellement entrainant le lessivage des formations détritiques, puis à la précipitation des sels par évaporation.

Fig. 53. — Granulométrie grossière des remblaiements détritiques du désert côtier (matrice sableuse).
A : remblaiement désertique au-dessus de Cieneguilla, datant de la dernière grande crise pluviale du Quaternaire récent. Vallée du Lurin, vers 400 m. Roches des versants : granodiorites et séries métamorphiques du Secondaire. Le remblaiement présente l'alternance de lits à blocs et de lentilles plus sableuses. L'échantillon est prélevé dans une lentille gravillonaire et sableuse. Le dépôt n'est pas altéré, qdphi = 0,45 ; hé = 0,35.
B : remblaiement au pied du Cerro Cabuyal, vallée du Chancay, secteur de Huaral. Roches des versants : granites et granodiorites. qdphi = 0,6 ; hé = 0,55.
C : remblaiement de « l'arenera » de la Molina, présentant l'alternance de lentilles à blocs et cailloux et de lits sableux. Roches des versants : granites et granodiorites, et des filons, aucune altération dans le dépôt. qdphi = 0,62 ; hé = 0,6.
D : remblaiement détritique de la Herradura, situé en bordure du Pacifique. Les roches des versants sont très fracturées (schistes, grès, calcaires et marnes) ; l'échantillon est prélevé dans un lit sablo-gravillonaire. Pas d'altération, mais un peu de chlorure de sodium et de gypse. qdphi = 1,1 ; hé = 0,95.
E : remblaiement de « l'arenera » Fray Martin, basse vallée du Rimac. Le bassin-versant est creusé dans des granites. Le dépôt est surtout arénacé. qdphi = 0,55 ; hé = 0,4.
F : remblaiement de la nappe supérieure de Pampa Grande, entre les vallées du Rimac et du Lurin. Dépôt de laves torrentielles et de ruissellements en nappes. Échantillon prélevé dans un banc sablo-gravillonaire. qdphi = 0,8 ; hé = 0,62.

13Il faut faire la distinction entre les lentilles gypseuses, interstratifiées dans une formation clastique et les très fines « croûtes » gypseuses, d'un millimètre d'épaisseur, que l'on remarque à la surface des remblaiements entre San Bartolo et Pucusana ; ce « micro-encroûtement » est actuel et il agglomère un matériel fin déposé par les garuas ; la cristallisation superficielle et la constitution des agrégats sont favorisées par les alternances d'humectations et d'insolations.

14Souvent, au pied des versants ou à proximité des plages, des bancs de sables éoliens, dont l'épaisseur est très inégale, de quelques centimètres à plusieurs mètres, sont recouverts de plaquettes rocheuses détachées des têtes rocheuses affleurant sur le versant, et qui ont glissé sur le sable comme des éboulis sur un « névé » ; ces passées sableuses peuvent également être fossilisées par des nappes détritiques aux éléments anguleux, étalées par un ruissellement brutal ; on en trouve des exemples au-dessus de la plage de Santa Maria à une soixantaine de kilomètres au Sud de Lima. Cette alternance indique la succession de phases sèches, éoliennes, et de phases torrentielles, survenant dans un milieu aride où la végétation reste absente.

15Les dépôts élémentaires du désert côtier se sont mis en place, à la suite de pluies violentes mais rares provoquant un ruissellement intense sur les pentes. Le litage s'explique par la vigueur inégale du ruissellement superficiel, qui ne creusait pas. Les cailloux anguleux étaient transportés lors des pluies les plus violentes, le ruissellement diffus étant responsable de la mise en place des lits au matériel plus fin, sablo-limoneux.

16Au débouché des grandes vallées descendant de l'étage inférieur des Andes s'étalent de larges cônes-glacis dont la surface était balayée par des nappes de ruissellement qui remaniaient les dépôts superficiels. La pente de ces cônes-glacis traduit un équilibre entre la charge et la compétence des nappes ruisselantes, équilibre remis en question après chaque crue. Entre Lurin et San Bartolo, ces larges cônes-glacis sont coalescents, peu inclinés (de 4 à 1 %), très faiblement emboités. Les lits, de plus en plus limoneux vers l'aval se suivent sur plusieurs centaines de mètres et s'interstratifient de lentilles caillouteuses mais aussi de nappes de sables étalées par le vent. On observe l'existence de chenaux, ravinant ces glacis. L'écoulement, moins chargé en fin de crue, se concentre et creuse, entaillant le remblaiement sur un à deux mètres de profondeur. Dans les chenaux un limon, déposé par la queue de crue, est craquelé par la dessication.

B) LES NAPPES DÉTRITIQUES ÉTAGÉES

17Dans les secteurs désertiques au relief médiocre, séparant deux rivières pérennes, alimentées par les précipitations de la haute sierra, s'étalent de grandes surfaces de remblaiements, souvent étagées. A proximité de Lima, deux exemples sont particulièrement représentatifs de ces formes.

Fig. 54. — Carte des remblaiements désertiques étagés au-dessus de Pampa Grande, entre le Lurin et le Rimac. L'équidistance des courbes est de 20 m. Les versants rocheux sont figures par des hachures. Les points ronds indiquent le remblaiement détritique le plus ancien.

1) Pampa Grande et les remblaiements entre le Rimac et le Lurin

18Deux grands niveaux de remblaiements désertiques s'étagent entre la Molina et la vallée du Lurin (figure 54).

19Le remblaiement inférieur se raccorde à la vallée du Rimac, en aval de la Molina. Il est encadré par des versants blancs lisses modelés dans les tonalites et des versants plans hérissés entaillant les diorites. Il a plusieurs centaines de mètres de largeur ; il est parfaitement plan. Aucun talweg ne l'entaille et en aval, prés de la Molina, il est partiellement recouvert par des sables éoliens. Sa pente, doucement concave est régulière ; elle est de 1°30' pour les cinq derniers kilomètres. Les carrières de « l'arenera la Molina » offrent des coupes d'une vingtaine de mètres de profondeur ; on en extraie des sables et des cailloux utilisés par l'industrie du bâtiment.

20Dans l'entaille verticale de la carrière on remarque l'alternance de lits caillouteux, de 10 à 50 cm de puissance et de lits sableux aux éléments plus ou moins fins. Le triage des sables est assez médiocre et la fraction limoneuse est très limitée. Les grains ne sont pas usés et les plagioclases sont beaucoup plus importants que les quartz, dans un rapport de 3 à 1 ; les rares biotites apparaissent en paillettes, inférieures à 200 microns. Les amphiboles sont intactes. La très légère usure angulaire observée sur les plagioclases est absente des quartz. La fraction de moins de 50 microns est formée d'une farine de petits cristaux de quartz, de micas et de plagioclases mais sans argile. Les dépôts ne sont pas altérés et on ne remarque aucune ferruginisation dans la masse ni de rubéfaction superficielle. Les lits sableux les plus continus sont finement stratifiés : chaque lit montre à la base des sables fins de moins de 250 microns, puis des sables plus grossiers, sablons et gravillons, puis en haut du lit des passées d'éléments fins.

21A proximité des cônes torrentiels, des cailloux apportés latéralement s'interstratifient en biseau dans le remblaiement axial. Les cailloux des lentilles sont anguleux et généralement déposés à plat ; ils présentent un léger émoussé angulaire (rayon de courbure de 1 à 2 mm pour des cailloux de 8 à 10 cm). Leurs surfaces sont planes ; sous la loupe les faces des granodiorites et même des diorites sont taraudées de petits alvéoles indiquant le départ d'un groupe de cristaux ; les alvéoles sont généralement teintées en rouge par une oxydation ferrugineuse ; elles ne dépassent guère 1 mm de profondeur. Les cailloux sont en roches sombres, souvent filoniennes ou bien il s'agit de gabbros et de diorites. Les granites sont rares et se désagrègent en arènes. Dans la masse du dépôt, des blocs qui atteignent un mètre de longueur proviennent des cônes latéraux étalés au pied des versants dans les diorites.

22La mise en place de ces formations détritiques, très perméables et peu altérées s'est faite par des nappes d'eaux s'écoulant au cours de crues brutales dont la courbe de débit s'inscrit en forme de cloche. Au maximum de la crue les cailloux étaient déplacés tandis qu'à la fin les sables se déposaient ; les rares limons transitaient jusqu'au Rimac. La désagrégation des roches affleurant sur les versants granitiques ne s'accompagnait pas d'une abondante production d'un matériel fin limoneux ou argileux, ce qui limitait d'autant la fraction fine.

23Vers l'amont, la nappe se rétrécit entre des versants blancs de tonalite et un talus entaillant un remblaiement détritique supérieur.

24A ce remblaiement correspond sur la rive droite un tronquage très limité, en glacis, du haut des collines granitiques.

25Les pentes des deux surfaces d'ennoyage sont pratiquement parallèles. Cependant le matériel composant la nappe supérieure est différent. Des dépôts de laves torrentielles aux blocs hétérométriques emballés dans une matrice limoneuse grise s'intercalent dans les lits sableux mis en place au cours de crues en nappe. Quelques lentilles gypseuses sont également interstratifiées. En surface le remblaiement supérieur est légèrement rubéfié ; les grains de feldspaths et de hornblende sont patinés, les quartz sont jaunis et les agrégats sont cimentés par des oxydes de fer libérés par les biotites qui ne subsistent plus qu'à l'état de squelette. Les galets de granites se désagrègent et les granodiorites se cassent et sont marquées par des auréoles de ferruginisation. La fraction fine liée à l'altération superficielle est relativement abondante : 14 % de particules ont moins de 40 microns dans la matrice de granulométrie inférieure à 2 mm.

26Ce haut remblaiement était balayé latéralement par le ruissellement parcourant un glacis détritique arénacé alimenté par la désagrégation des tonalites qui s'ennoient sous leurs propres débris. Le contact entre ce glacis, emprunté par la route de Cieneguilla, et le haut remblaiement s'effectue par un talus d'un mètre médiocrement dessiné. Cette longue pente sableuse concave n'est qu'apparemment suspendue au-dessus du remblaiement inférieur de Pampa Grande, mais elle s'est élaborée à la même période. En effet ce glacis arénacé ne domine jamais directement la nappe détritique de Pampa Grande ; il en est séparé par de basses collines granitiques et par une étroite lanière, témoin du glacis supérieur dans lequel il s'emboite à peine. Il se raccorde au rio Lurin. On peut observer en effet de part et d'autre de la nappe détritique la plus ancienne une diffluence entre les bassins du Rimac et du Lurin.

27Une diffluence de deuxième ordre a lieu à la tête du cône arénacé qui est tranchée, en sens inverse de la pente du cône par une gorge creusée dans des granites très diaclasés se désagrégeant en boules. La gorge débouche sur un cône en pente raide incliné vers le Lurin qui en a érodé latéralement la base à une époque où il n'était plus fonctionnel.

28La succession des étagements est relativement facile à établir. La nappe la plus haute, rubéfiée en surface, est la plus ancienne ; la rubéfaction s'est peut-être produite au cours du « pluvial » correspondant a la mise en place de la nappe inférieure de Pampa Grande. Ce dernier remblaiement s'est mis en place au moment où s'effectuait l'ennoyage des basses collines granitiques par le remblaiement arénacé modelé en glacis. La capture par déversement de la tête du glacis, favorisant le creusement de la gorge dans des granites tendres, a probablement eu lieu à la fin de la période torrentielle, caractérisée dans ce secteur par l'ennoyage des reliefs sous leurs propres débris. Enfin, dernier épisode, le cône de Cieneguilla a été érodé à la base par le Lurin à un moment où les pluies, tres rares, ne retouchaient plus guère le modelé de la région côtière mais où la rivière avait encore un débit soutenu par les pluies et la fonte des glaciers de la haute sierra.

29II est en revanche plus difficile d'analyser les périodes de creusement. Une première phase d'érosion se place avant la mise en place de la nappe la plus ancienne, le creusement s'effectuant alors en rapport avec un niveau de base inférieur à l'actuel. L'entaille de la nappe de Machay s'est faite lors du déversement de l'écoulement dans le bassin du Rimac dont le niveau de base local, à la fois plus proche et plus déprimé que celui du Lurin, s'est progressivement exhaussé au moment de l'étalement des formations détritiques corrélatives des « pluviaux » du Quaternaire récent.

2) Les remblaiements étagés entre le Chancay et le Raura

30Un deuxième exemple d'étagement de nappes détritiques s'observe dans la région du rio Seco-Pampa-Ihuanco, entre les vallées drainées par les rios Chancay et Raura.

31La basse vallée du rio Seco débouche directement dans l'océan. Elle comprend un plancher alluvial de 200 à 300 m de large qui est épisodiquement balayé par des crues en nappes venues de la partie supérieure du bassin. Ce plancher est encadré par des terrasses (t”), tres constantes, de 8 à 12 m d'altitude relative et qui s'emboitent elles-mêmes dans des remblaiements plus anciens (t’”) recouverts par des dunes de sables dont l'une verdit en « hiver », avec la végétation des lomas de Lachay. A huit kilomètres du Pacifique, la vallée s'ouvre en un large bassin où l'on retrouve la même succession de remblaiements étagés en contrebas de versants granitiques très fissurés, affectés de désagrégation granulaire intense. Cette forte désagrégation explique la faible altitude des collines rocheuses (une centaine de mètres au maximum) et l'extension des nappes détritiques issues de leur attaque.

32En amont et au Nord du bassin, le plancher alluvial, large d'une centaine de mètres est calibré entre des versants plans, puis, brutalement, laisse la place à une gorge creusée dans des granites hachés de failles. Au-dessus des gorges on remarque un deuxième étagement de nappes détritiques : la nappe inférieure se raccorde, en aval à la gorge et est balayée par les oueds venant du haut du bassin qui lèchent la base des versants rocheux en creusant une falaise d'érosion latérale, à la fois dans les volumes rocheux et dans une nappe détritique supérieure. Le remblaiement supérieur, formant une terrasse d'une vingtaine de mètres de hauteur, est irrigué grâce aux eaux dérivées du rio Raura (irrigation Santa Rosa, Pampa Ihuanco et Huancayo).

33A la nappe supérieure se raccorde de larges « embayments ». L'un, au matériel formé surtout de laves torrentielles venues du haut du bassin, se déverse par un seuil de 200 m de largeur dans la pampa Huancayo. Celle-ci, large de 2 à 4 km et longue d'une douzaine de kilomètres, s'incline en pente douce vers la vallée du rio Raura. En aval elle est recouverte de dunes. Son matériel comprend des lits arénacés, liés à la désagrégation des granites et des lentilles de cailloutis anguleux qui sont d'origine filonienne. La surface du remblaiement est très légèrement rubéfiée. Dans un banc sableux, les arènes sont assez médiocrement triées (qdphi 1, 4) ; la fraction fine inférieure à 40 microns est faible : 2,5 %. Les grains sont ferruginisés et les quartz, non uses, ont une couleur orange. Dans la fraction inférieure à 160 microns, de petits grains plus mats sont d'origine éolienne. La fraction fine est formée par une farine de petits éclats de quartz, de feldspaths et de paillettes de biotite. Les argües sont absentes.

34L'interprétation de l'étagement des surfaces paraît être la suivante : Au cours d'une première période, les remblaiements des pampas Ihuanuco et Huancayo évoluent en rapport avec le rio Raura et indépendamment de la partie inférieure du rio Seco. Il se produit ensuite une capture par déversement de la partie supérieure de ces pampas au profit du rio Seco dont l'étendue du bassin versant augmente alors considérablement. La gorge de raccordement se creuse ; les pampas d'Ihuanco, privées de l'alimentation du haut du bassin n'évoluent plus que très lentement, par ennoyage de la base des versants les plus proches. Les eaux de ruissellement ne parviennent plus à parcourir l'ensemble du remblaiement qui se couvre, en aval, de sables soufflés des plages de Salinas.

35Cependant tandis que pour le remblaiement entre Lurin et Rimac, l'étagement des surfaces semble correspondre à deux périodes nettement distinctes, il est probable que les déversements qui ont modifié les limites des bassins-versants des rios Seco et Raura se sont produits au cours d'une même période climatique ; les terrasses encadrant le plancher alluvial dans la basse vallée du rio Seco correspondraient alors à l'entaille de la pampa d'Ihuanco par le rio Seco. En effet on ne remarque pas de différences notables dans le degré des altérations superficielles affectant les dépôts. Si toutefois une chronologie devait être établie, la nappe d'Ihuanco se serait mise en place au cours de la première crise pluviale du Quaternaire récent, la capture par déversement s'effectuant au début de la dernière phase pluviale.

36Le bassin du rio Seco est encore parcouru très épisodiquement par des oueds. En février 1961, des pluies extrêmement violentes s'abattent dans le haut du bassin où les altitudes dépassent 2000 m. Elles déclenchent un fort ruissellement sur les versants, qui se transforme en une nappe d'eau boueuse, chargée de sables, s'écoulant sur une largeur de 200 à 300 m et sur une hauteur de 50 cm à 1 m. La nappe sape la base des versants rocheux et entraine des blocs laissés par les crues précédentes. Elle se précipite furieusement dans la gorge, y arrache la route qui l'emprunte, creuse des marmites et déchausse des blocs de granite de plus d'un mètre. En débouchant dans la basse vallée du rio Seco, elle s'écoule en suivant partiellement la route bitumée, ce qui réduit les pertes par infiltrations ; elle traverse la route panaméricaine et achève de se dessécher à quelques centaines de mètres de l'océan. En fin de crue, les eaux, plus claires, se concentrent dans un chenal qui creuse le plancher alluvial sur un mètre de profondeur et deux mètres de large. Quelques heures après son dépôt, cet épandage sablo-limoneux se craquèle. Il est formé de sédiments fins ; les 3/4 du poids de l'échantillon sont représentes par des sables et des limons de moins de 200 microns et le 1/4 est inférieur à 40 microns. Les grains ne portent pas les marques de corrosion chimique. Les quartz ne sont absolument pas usés et les plagioclases sont très légèrement arrondis aux angles. La très faible fraction argileuse comprend quelques illites (analyse aux rayons X faite au laboratoire de l'Institut de géographie de Paris). Le matériel déposé dans la basse vallée du rio Seco par cette « llapana » provient des étages du bassin versant situés à plus de 1500 m. On remarque qu'après un trajet d'une cinquantaine de kilomètres, les grains ne sont pratiquement pas usés. Ce flot boueux, s'étalant en nappe sur le plancher alluvial, a été cependant capable de creuser vigoureusement le secteur en gorge et ceci dans un laps de temps extrêmement court qui n'a guère dépassé un quart d'heure d'après des témoins.

C) LES REMBLAIEMENTS DÉSERTIQUES ENTRE LES RIOS OMAS ET CANETE

37Au Nord de Cerro Azul (Canete), la houle entaille en une falaise d'une centaine de mètres de hauteur un remblaiement détritique ennoyant un relief de collines. Ce remblaiement, très disséqué, s'abaisse de 300 à 400 m en quatre ou cinq kilomètres, entre le pied des cerros de Quilmana qui culminent vers 1000 m et les falaises qui bordent le Pacifique.

38La nappe détritique est creusée de vallons se terminant en valleuses. Ces vallons qui ne sont plus parcourus par un ruissellement, même exceptionnel, sont fermés en aval par des crêtes sableuses alimentées par des courants ascendants le long des falaises.

39Le remblaiement suspendu au-dessus du Pacifique est formé de blocs de dimensions variées, pouvant atteindre un mètre. Ils ne sont pas arrondis et seuls leurs angles peuvent être très légèrement émoussés. Les plus gros blocs sont généralement disposés à plat dans le sens de l'écoulement. Ils sont emballés dans une matrice argilo-limoneuse, médiocrement triée, consolidée par des sels qui ne constituent pas un encroûtement continu mais qui se diffusent dans la masse clastique. On n'observe pas de litage net dans le dépôt. Ce matériel a été mis en place par des chasses d'eaux brutales. La pétrographie des fragments est variée : les granites à grains moyens sont presque toujours complètement décomposés, les andésites sont altérées et les grès et les schistes se débitent en plaquettes. Une partie du matériel vient des Cerros de Quilmana et le reste provient de l'attaque des collines, progressivement ennoyées sous leurs propres débris. Il n'y a aucun apport andin, ce qui montre l'importance de l'ennoyage autochtone.

40Une reprise d'érosion a provoqué le creusement des vallons. Les formations de pente de ces vallons sont lités, les fragments caillouteux de petites dimensions (quelques centimètres) sont issus de l'éclatement et de la désagrégation, peut-être favorisée par le sel, des blocs de la nappe ancienne. Des petites dunes parsèment le fond des vallons dont la surface comme d'ailleurs celle du remblaiement supérieur, est couverte par un microreg de sables grossiers et de très petits éclats rocheux protégeant des sables blonds déposés en lits minces.

41On remarque que les vallons entaillent indifféremment les volumes rocheux, qui sont extrêmement fracturés quelle qu'en soit la pétrographie. ou la nappe détritique ancienne. Les pentes ont la même valeur qu'il s'agisse de celles des collines rocheuses ou de celles érodant le remblaiement ; ceci traduit un comportement analogue à l'érosion, mais indique aussi le rôle capital de la fracturation facilitant l'érosion des reliefs rocheux et par là la formation de nappes détritiques caillouteuses.

42La nappe détritique, dont les éléments se désagrègent et qui est creusée par de petites vallées, se serait déposée au cours de la grande période pluviale, torrentielle, du Quaternaire ancien. La désagrégation des galets et l'imprégnation par les sels (chlorure de sodium et gypse) se seraient effectuées avant et pendant les crises pluviales, plus atténuées du Quaternaire récent. Les vallons et leurs dépôts de pente dateraient de cette période.

43Le tronquage par l'océan de la nappe détritique s'est produit sous l'action de la houle au cours de la transgression flandrienne.

44On peut trouver d'autres exemples de remblaiements emboités dans le secteur central de la cote péruvienne de part et d'autre de Lima. La nappe détritique la plus ancienne, née de l'attaque des proches reliefs, est généralement salée et une partie des galets, notamment ceux de granite, sont désagrégés ; elle est entaillée par des vallons remplis de cailloutis et de sables qui ne sont pas consolidés et où les altérations, à l'exception de celles marquant les éléments de la nappe ancienne, ne sont pas poussées.

45La physionomie de ces remblaiements varie en fonction du matériel rocheux dont ils sont issus, de l'altitude des reliefs culminants et de la proximité des niveaux de base, que ce soit celui de la mer ou ceux des rivières auxquels ils se raccordent. Ainsi au Sud de Huacho, une nappe détritique de galets assez bien roulés, altérés dans la masse, s'abaisse vers la mer. Elle est creusée de vallons à fond plat remblayés par des cailloutis anguleux et des sables éoliens.

46Entre San Bartolo et Pucusana, de grands glacis de remblaiement, faiblement emboités, se raccordent à la vallée du rio Chilca, tandis que dans la presqu'ile rocheuse de Pucusana, des formations détritiques qui colmatent de petits vallons sont tronquées au-dessus de la mer entre la Honda et Santa Maria.

***

47La surface occupée par les ennoyages désertiques est très étendue dans le piémont de Lima. Le matériel des remblaiements provient surtout des collines de la région côtière et des versants de l'étage inférieur des Andes ; la montagne n'a que fort peu contribué à l'ennoyage de son piémont, sinon par des nappes alluviales à galets roulés.

48La mise en place de ces dépôts s'est faite à plusieurs reprises au cours des périodes torrentielles du Quaternaire. On distingue ainsi :

  • une nappe ancienne (t’”) au matériel de coulées et de laves torrentielles, où les blocs granitiques se désagrègent et qui est fortement imprégnée par des sels. Cependant, les croûtes superficielles ne sont pas continues comme au Sud de Pisco ou dans la région de Tacna,
  • une ou deux nappes plus récentes (t” a et t” b), souvent emboitées dans la nappe ancienne ou qui parfois se confondent pour ne former qu'une seule nappe au matériel remanié. Dans les coupes, le matériel détritique est bien lavé et est souvent lité ; des lits sableux alternent avec des passées de cailloutis anguleux. L'ensemble du dépôt n'est pas altéré ni cimenté. Localement, ces nappes sont recouvertes au pied des versants par des dépôts étalés pendant la petite crise pluviale de 1200 av. J.-C. (Dollfus, 31).

49Ainsi dans ce piémont pacifique les dépôts corrélatifs des périodes « à averses » du Quaternaire témoignent de l'existence d'un climat dont l'aridité était la caractéristique dominante. Le ruissellement diffus ou en nappe s'exerçait sur des pentes dépourvues de végétation ; les nappes détritiques, une fois mises en place, n'ont pas été profondément altérées, sauf lorsqu'elles étaient parcourues par un sous-écoulement.

50La nature des formations détritiques indique qu'aux périodes « pluviales » de la sierra correspondaient sur la cote des périodes, probablement sèches et ensoleillées coupées de rares mais tres violentes averses capables de mobiliser le matériel colluvial et de provoquer des ruissellements en nappe. En revanche, au cours des périodes « sèches » de la sierra, la cote baignait dans une atmosphère plus humide, aux brouillards fréquents s'accompagnant de la sédimentation de poussières, mais où les véritables précipitations étaient absentes. A la limite supérieure des brumes, la formation des patines ou des altérations tres superficielles était facilitée par les alternances d'humectation et d'insolation.

51Nulle part on ne trouve d'indices permettant de montrer qu'au cours du Quaternaire le climat ait pu être chaud et humide sur ce secteur central de la cote du Pérou.

52Une question se pose : comment s'expliquer l'absence de glacis d'érosion ? Pourquoi, sauf au Nord de Paramonga, les volumes rocheux affaiblis par la fracturation et la fissuration n'ont-ils pas été érodés en dégageant des glacis d'érosion ? Faut-il y voir 1'effet d'une trop grande abondance de débris d'un calibre trop grossier ? Les nappes détritiques se sont étalées dans des vallées vigoureusement creusées au cours de la grande phase du soulèvement andin ; l'histoire du Quaternaire montre l'alternance de remblaiements et de creusements retouchant un modelé dont les grandes lignes étaient déjà tracées avant les épisodes morphoclimatiques dont ces formations détritiques emboitées sont les témoins.

Table des illustrations

Légende Fig. 53. — Granulométrie grossière des remblaiements détritiques du désert côtier (matrice sableuse).A : remblaiement désertique au-dessus de Cieneguilla, datant de la dernière grande crise pluviale du Quaternaire récent. Vallée du Lurin, vers 400 m. Roches des versants : granodiorites et séries métamorphiques du Secondaire. Le remblaiement présente l'alternance de lits à blocs et de lentilles plus sableuses. L'échantillon est prélevé dans une lentille gravillonaire et sableuse. Le dépôt n'est pas altéré, qdphi = 0,45 ; hé = 0,35.B : remblaiement au pied du Cerro Cabuyal, vallée du Chancay, secteur de Huaral. Roches des versants : granites et granodiorites. qdphi = 0,6 ; hé = 0,55.C : remblaiement de « l'arenera » de la Molina, présentant l'alternance de lentilles à blocs et cailloux et de lits sableux. Roches des versants : granites et granodiorites, et des filons, aucune altération dans le dépôt. qdphi = 0,62 ; hé = 0,6.D : remblaiement détritique de la Herradura, situé en bordure du Pacifique. Les roches des versants sont très fracturées (schistes, grès, calcaires et marnes) ; l'échantillon est prélevé dans un lit sablo-gravillonaire. Pas d'altération, mais un peu de chlorure de sodium et de gypse. qdphi = 1,1 ; hé = 0,95.E : remblaiement de « l'arenera » Fray Martin, basse vallée du Rimac. Le bassin-versant est creusé dans des granites. Le dépôt est surtout arénacé. qdphi = 0,55 ; hé = 0,4.F : remblaiement de la nappe supérieure de Pampa Grande, entre les vallées du Rimac et du Lurin. Dépôt de laves torrentielles et de ruissellements en nappes. Échantillon prélevé dans un banc sablo-gravillonaire. qdphi = 0,8 ; hé = 0,62.
URL http://books.openedition.org/ifea/docannexe/image/1279/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 158k
Légende Fig. 54. — Carte des remblaiements désertiques étagés au-dessus de Pampa Grande, entre le Lurin et le Rimac. L'équidistance des courbes est de 20 m. Les versants rocheux sont figures par des hachures. Les points ronds indiquent le remblaiement détritique le plus ancien.
URL http://books.openedition.org/ifea/docannexe/image/1279/img-2.jpg
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