Chapitre V. Le modelé des grands versants en contrebas des plateaux
p. 127-135
Texte intégral
1Les grands versants en pente forte qui bordent les plateaux sont modelés dans les séries paléozoïques et dans celles de la couverture mésozoïque. Ils se sont développés en relation avec l'enfoncement pliocène du Mantaro et le creusement des têtes de vallées du versant oriental des Andes. Ils sont situés en dessous de l'étage de la puna, entre 3200 et 3800 m, dans un milieu plus sec, plus abrité que celui des hauts plateaux. Leur climat est lié aux conditions topographiques et dépend de l'exposition. Ils sont recouverts par une steppe arbustive, adaptée à la sécheresse due à une pluviosité inférieure à celle de la puna et au ruissellement rapide sur des pentes raides. Les lupins, les aloès, les genêts qui parsèment ces versants s'amarrent profondément dans le sol mais ne le protègent qu'imparfaitement au début de la saison pluvieuse. Le gel nocturne pendant la saison sèche ne joue aucun rôle actif. Mais partout on retrouve les témoignages des changements climatiques quaternaires qui ont donné à ces pentes un profil qu'elles ont conservé.
A) LES VERSANTS DANS LES SÉRIES PALÉOZOÏQUES
2A l'Est de Huancayo, les versants qui s'enfoncent dans le panneau de la surface de la puna s'inclinant vers le bassin sont modelés dans des schistes coupés de bancs de grès, dans des conglomérats, des laves et des cendres du Paléozoïque.
3Le type de pente le plus répandu au-dessus du bassin est convexo-concave et présente un secteur médian plan. La concavité est plus ou moins marquée selon les possibilités d'évacuation des dépôts colluviaux à la base du versant. Elle est souvent absente et le secteur médian plan peut être directement en contact avec le remblaiement horizontal à la base de la pente ; la valeur moyenne de celle-ci est comprise entre 20 et 25°. La roche en place n'affleure qu'en chicots émergeant du manteau colluvial dans le haut de la pente. Le manteau colluvial est généralement de plus en plus épais vers le bas et sa puissance est liée à l'accumulation d'une matrice limoneuse rougeâtre emballant des plaquettes rocheuses issus des bancs résistants.
4En coupe, dans la partie moyenne de la pente, on a la zonation suivante :
- la roche en place, altérée et fracturée, se fragmente en plaquettes entraînées vers le bas par la masse colluviale ;
- un horizon qui peut atteindre plusieurs mètres d'épaisseur, composé de fragments non usés, hétérométriques, disposés sans orientation apparente dans une matrice médiocrement triée (qdphi supérieur à 2) et dont le pourcentage de limons varie selon la nature de la roche-mère (élevé quand il s'agit de schistes facilement délitables et délayables). Les sables sont formés par des petits fragments de roches non usés et parfois de sables quartzeux usés et salis provenant des grès rouges du Paléozoïque. Dans cet horizon on voit souvent des festons et des poches remplies de cailloux en formation ouverte (tranchée de la route au-dessus de Tarma). Les altérations superficielles sont, apparemment, réduites dans ce matériel meuble et mobile. On remarque, sous un pavage de ruissellement, plus épais en amont des racines des arbustes, une légère décoloration du manteau détritique, naturellement teinté en rouge ou en lie de vin comme la roche en place dont il provient (schistes, rhyolites et grès rouges).
5Des nuances peuvent être apportées à cette description assez générale. Sur les lobes rocheux qui s'avancent vers l'intérieur du bassin de Huancayo, le haut des croupes est souvent râclé et la roche en place affleure. Sur l'éperon situé entre Concepcion et San Jeronimo, les micaschistes ne sont recouverts que par une pellicule de terre de 3 à 10 cm emballant quelques éclats rocheux. En revanche, dans les rentrants, au-dessus de vallons évasés et tourbeux, les pentes sont coupées de terrassettes, d'arrachements en paquets ou de loupes de solifluction. Celle-ci était, au cours des périodes plus froides et humides du Quaternaire, favorisée par la granulométrie du manteau colluvial composé de petites plaquettes emballées dans un limon très abondant.
6Dans la région de Huancayo et à l'Est de Jauja, les versants sont plus ou moins dissymétriques : les pentes exposées au NE sont douces, marquées par une longue concavité basale tandis que les pentes à regard occidental sont plus raides. Au cours des périodes froides les versants orientaux profitaient du dégel matinal qui s'accompagnait de phénomènes de solifluction ou de ruissellement superficiel tandis que les versants occidentaux restant, plus longtemps à l'ombre, dégelaient moins ou plus rarement.
7Autour de Tarma, la concavité basale n'est guère développée : les versants sont convexo-plans. Le matériel colluvial était déblayé par la rivière au fur et à mesure de son arrivée au bas de la pente. La rivière, qui descendait des hauteurs calcaires et parfois englacées de l'amont, était peu chargée : en léchant le bas de la pente, elle évacuait les dépôts descendus du versant et les étalait dans le lit d'inondation. Lorsque l'enlèvement de ce dépôt par la rivière était égal au débit colluvial, le versant reculait parallèlement à lui-même sans développer de concavité basale.
8Actuellement l'érosion visible est due, d'une part au ruissellement diffus qui nettoie la surface des pentes des éléments fins et fait glisser les plaquettes rocheuses à plat sur le versant, de l'autre au ruissellement concentré qui creuse des ravins profonds de plusieurs mètres lorsque la nappe colluviale est épaisse. Ces ravinements qui remontent vers l'amont s'éteignent généralement quand ils s'élargissent à la base : l'installation des arbustes dans le fond freine et divise le ruissellement.
9Les mouvements de masse sur ces pentes sont ralentis par le manque d'humidité. Ils sont probablement très réduits : les dépôts colluviaux récents ne viennent pas recouvrir au pied des versants les nappes alluviales mises en place au cours de la dernière crise fluvioglaciaire.
10Ces versants ne sont pas encroûtés ; on n'y décèle pas une zonation d'altération caractéristique pouvant avoir une valeur paléoclimatique. Leur aspect et leur profil montrent qu'ils ont évolué sous un climat nettement plus humide et où le gel jouait un rôle assez actif : la gélifraction, s'exerçant sur les têtes rocheuses, fournissait des éclats et les formes de solifluction indiquaient une bonne imbibition par les eaux du manteau colluvial. Or actuellement, en dessous de 4000 m, le gel ne fragmente plus les roches à nu et les précipitations, dans ces vallées sèches, sont insuffisantes pour déclencher des phénomènes de solifluction.
B) LES VERSANTS MODELÉS DANS LA COUVERTURE MÉSOZOÏQUE
1) Les grands versants encroûtés
11Dans les régions où les séries calcaires affleurent largement, les versants des grandes vallées et les rebords des plateaux sont couverts de dépôts de pente périglaciaires encroûtés. On en trouve des exemples sur la bordure occidentale du bassin de Huancayo, dans la vallée du Mantaro en aval de la Oroya, et sur le flanc oriental du causse de Juni au Sud de Tarma.
12Dans le bassin de Huancayo, les versants au-dessus d'Ahuac et de Chongos sont modelés dans les séries calcaires et sont orientés à l'ΕΝΕ. Leur originalité morphologique est liée à la présence, sous la corniche ou l'affleurement rocheux sommital, de grands talus périglaciaires, à la fois plans et encroûtés, dont la pente est comprise entre 22 et 30°. L'encroûtement majeur qui donne l'allure générale au profil longitudinal, cuirasse les dépôts à fragments anguleux hérités de la première période froide. Lorsque, parmi les carbonates qui ont précipité en formant l'encroûtement, la dolomie est plus abondante que la calcite, la dalle est mécaniquement très résistante, comme au-dessus de Chongos. Elle se casse difficilement au marteau. L'analyse d'un fragment de matière encroûtante, faite à Nancy au laboratoire de recherches géochimiques, sur un échantillon prélevé à 3500 m, au-dessus de Chongos, montre très peu de calcite, mais de la dolomie et des quartz, venant probablement de la désagrégation de bancs gréseux. Les encroûtements dolomitiques, plus résistants que ceux de calcite, ont été plus sensibles à la gélivation lors des dernières grandes phases froides quaternaires. Des talus secondaires se sont construits au cours des périodes froides du Quaternaire récent, à partir de la carapace formée par l'encroûtement des fragments anguleux gélivés lors de la première grande période froide (g’”). Ils s'emboîtent d'ailleurs dans la carapace qui est plus ou moins démantelée. Mais les talus élaborés à partir de l'attaque par le gel des dépôts hérités de la première période froide sont moins importants que ceux qui se sont formés au pied des affleurements de la roche en place dans le haut du versant. Ceci tendrait à prouver que les encroûtements de pente résistent mieux à la gélifraction que les calcaires dolomitiques du Jurassique dont ils sont issus. Les dépôts de gélifraction qui les forment sont également encroûtés, mais moins solidement que la carapace. Sur les replats, dans les anfractuosités et aux bas des pentes, des plaques de terre brune et rouge, de produits de décalcification, masquent les croûtes grises et blanchâtres.
13Les vallées entaillant le causse, à l'Ouest et au Sud de Tarma, ont pratiquement toutes des versants encroûtés en dessous de 3800-3900 m. Ainsi, de part et d'autre de la route de Tarma à la Oroya, on trouve, encadrant le village d'Ayabamba, lui-même construit sur des travertins calcaires moulant le fond de la vallée, des formes variées de croûtes et d'encroûtements de pente.
14Les versants exposés à l'Est et au NE ont des pentes d'une trentaine de degrés correspondant à celles des talus d'éboulis périglaciaires qui recouvrent la base des escarpements.
15Une coupe dans la formation encroûtée montre de bas en haut :
- une dalle très résistante discordante sur la roche en place et où il est difficile de distinguer à l'œil ce qui est éboulis de ce qui est encroûtement. Au microscope on remarque les petits fragments calcaires issus des roches de la couverture mésozoïque et les très petits cristaux des carbonates, disposés sans orientation et qui cimentent la brèche. Quelques grains de quartz et très peu d'argiles (0,7 %) complètent la matrice ;
- un limon argileux, rouge, surtout épais dans le bas de la pente. Il peut parfois avoir été entièrement décapé par l'érosion ;
- des éboulis périglaciaires, en fragments de 3 à 5 cm de longueur, de 1 à 2 cm d'épaisseur, médiocrement consolidés. Leur surface est recouverte en aval d'Ayabamba par une croûte feuilletée passant parfois à une pellicule lisse, ondulée, douce au toucher et qui correspond à une pellicule de calcite transparente qui moûle l'encroûtement.
16Au-dessus de Tarmatambo la route tranche une formation analogue mais où les fragments rocheux de la première période froide (g’”) se distingue nettement dans l'encroûtement. Leur dimension est, en moyenne, deux fois supérieure à celle des éclats rocheux issus de l'attaque par le gel des escarpements au cours des phases froides du Quaternaire récent (g”). On observe également que dans la masse clastique consolidée datant de la première grande période froide quaternaire, la taille des fragments diminue progressivement de bas en haut.
17Ces formations de pente très fortement consolidées drapent surtout les versants bien ensoleillés le matin. Une première explication peut être donnée pour comprendre leur élaboration. Après la mise en place des dépôts gélivés au cours de la période la plus froide, un changement climatique s'amorce : le froid nocturne, qui subsiste, est atténué par rapport au maximum de la phase « froide », l'insolation, surtout matinale, est meilleure et le rythme saisonnier, faisant alterner une saison sèche et une saison pluvieuse, reprend toute son ampleur. Les eaux de pluie, ruisselant sur le versant, lorsqu'elles tombent en fin d'après-midi, se refroidissent pendant la nuit et, en se refroidissant, deviennent plus agressives et attaquent les calcaires. Le matin, en deux heures de temps, tout au moins actuellement, la température à la surface de la pente peut passer de 0° avant le lever du soleil à 30° lorsqu'elle reçoit les rayons perpendiculairement au versant. Ce réchauffement brutal favorise à la fois la précipitation du bicarbonate de calcium en calcite accompagnée du départ du CO2 libre et l'évaporation des eaux de ruissellement avec dépôt des sels, d'où la cimentation des éboulis. Le nettoyage des calcaires dans le haut laisse, comme produit de dissolution, des argiles et des limons formant une « terra rossa » qui peut être transportée par le ruissellement au bas de la pente. Quand tout le versant est encroûté, la végétation a du mal à s'implanter. La carapace, étant imperméable, est nettoyée par les eaux qui ruissellent sur la croûte sans avoir le temps de l'attaquer et de la dissoudre. Les pellicules, translucides, qui moulent les encroûtements peuvent être considérées soit comme des patines d'exsudation, soit comme une croûte zonaire.
18Sur les pentes exposées au SW, l'aspect de l'encroûtement est généralement différent.
19Au-dessus de Tarma, en amont de Huascay, la route, dans un tournant en épingle à cheveux, coupe sur dix mètres les dépôts colluviaux quaternaires. Dans la tranchée on voit de bas en haut :
- une brèche à gros éléments anguleux, de plus de 10 cm de longueur, qui sont disposés sans orientation et emballés dans une matrice sablo-limoneuse rougeâtre formant des lits et des lentilles entre des masses plus brèchiques. Brèche et matrice sont consolidées par un ciment calcaire, mais la résistance du sédiment consolidé est moindre pour la matrice que pour la brèche qui est très dure ;
- une couche brun-rouge, argilo-limoneuse, non consolidée, sans carbonates, de 40 cm à 1 m d'épaisseur ;
- une grèze du Quaternaire récent (g”), non consolidée, disposée en deux bancs caillouteux, aux petits éclats calcaires orientés à plat sur la pente, séparés par une couche argileuse. Le lit inférieur est le plus épais (une vingtaine de centimètres) ;
- un horizon superficiel orange passant à un sol gris où s'accrochent, sur une pente d'une quinzaine de degrés, les racines des graminées et de quelques arbustes (Dollfus et Tricart, 29).
20Cette coupe offre à la fois des similitudes et des différences avec celle notée sur le versant d'en face.
21Similitudes en ce qui concerne les dépôts des périodes froides, mis en place de façon analogue, par la gélifraction à la surface des affleurements rocheux et par gravité dans le haut de la pente, par glissement et ruissellement dans le bas de la pente. Le gel, au cours de la première grande période froide quaternaire, a fourni de plus gros éclats qu'au cours des phases froides du Quaternaire récent. Ces différences dans la taille des éléments gélivés issus d'un même matériel est l'indice, au moins au début de la première période froide, d'un gel plus intense et plus profond qu'aux période froides suivantes. Mais les similitudes dans la mise en place des dépôts de gélivation ne se retrouvent pas dans les modalités de l'encroûtement postérieur au dépôt.
22Au cours des périodes de réchauffement les différences dues à l'exposition se marquent davantage. Dans la brèche ancienne (g’”), au-dessus de Huascay, sur le versant exposé au SW, la matrice est percée de petits canaux de 1 à 2 mm de diamètre, tapissés de calcite, qui indiquent le passage des racines plongeant dans le sol pour y chercher l'eau pendant la saison sèche. L'encroûtement est, dans ce cas, partiellement lié au niveau des racines tandis que sur le versant d'en face, mieux ensoleillé, il s'est formé en rapport avec le ruissellement et le réchauffement des eaux parcourant la pente le matin. Sur le versant SW, les formations de pente du Quaternaire récent (g” a et b) ne sont pas encroûtées alors qu'elles le sont de l'autre côté de la vallée ; seuls, quelques nodules de carbonates, de 2 à 3 mm, signalent un concrétionnement calcaire que l'on retrouve, embryonnaire et diffus dans les sols jaunes ou oranges, aménagés en terrasses et qui portent des cultures. Dans ces sols la matrice inférieure à 2 mm contient de 6 à 7 % de CO3Ca (mesure effectuée au calcimètre Bernard). Enfin sur ce versant, les sols d'altération couvrant les dépôts hérités des périodes froides sont plus épais. En revanche sur le versant ensoleillé le matin, ou bien ils n'ont pas pu se former par suite de l'intensité du ruissellement ou bien ils ont été déblayés au fur et à mesure de leur élaboration par le ruissellement.
23Certains versants sont également encroûtés en surface, mais indépendamment de leur exposition. C'est le cas de ceux de la rive gauche du Mantaro, en aval de la Oroya. Bien qu'exposés à l'WSW, ils sont plombés par d'épaisses dalles de tufs et de travertins. Ces dalles se sont formées par la précipitation des carbonates contenus dans les eaux de sources jaillissant sur les versants de la vallée en contrebas des grands volumes calcaires des plateaux de Juni. On y distingue de la calcite mais également de l'aragonite en grands cristaux.
24Ainsi l'élaboration du modelé de ces grandes pentes se fait en plusieurs temps : D'abord l'attaque par le gel des affleurements rocheux. Les grès du Crétacé inférieur sont peu sensibles à la gélifraction, les calcaires massifs du Trias résistent mieux au gel que les calcaires dolomitiques du Jurassique : aussi les plus belles nappes d'éboulis et de dépôts de pente se trouvent-elles en contrebas des corniches de calcaires dolomitiques. L'encroûtement paraît s'effectuer plus rapidement lorsque la calcite est le carbonate dominant. En revanche l'encroûtement dolomitique, une fois réalisé, est mécaniquement extrêmement dur ; cependant il est plus sensible à la gélivation que les encroûtements plus calciques. Mais les croûtes carbonatées sont généralement plus résistantes au gel que les roches dont sont issues les brèches.
25Ces encroûtements témoignent de la grande stabilité des versants au cours du Quaternaire, stabilité à laquelle ils ont contribué. Les dépôts de pente du Quaternaire ancien ou du moins celles qui sont corrélatives de la « vieille glaciation » descendent jusqu'au fond des vallées actuelles, ce qui indique la relative stabilité du niveau de base régional constitué par le Mantaro. Les encroûtements en plombant la surface des pentes comprises entre 15 et 30° protègent le versant. Les quelques retouches de détail apportées au profil des pentes après la mise en place du manteau colluvial lors de la première grande crise froide corrélative de la « glaciation Mantaro », sont les marques des crises froides du Quaternaire récent mais elles restent limitées et ne modifient guère l'aspect des versants dont la ligne générale a été acquise lors de l'encroûtement des dépôts de la première époque froide. L'emboîtement des formations de pente est modeste.
26Il en est différemment dans les vallées entre Sicuani et le Cuzco où les terrasses et les cônes quaternaires, encroûtés en surface, s'emboîtent les uns dans les autres. Il est vrai qu'il s'agit davantage dans cette région de dépôts alluviaux et torrentiels que de formations de pente.
2) Les versants calcaires non encroûtés et la signification des « terres rouges »
27Des pentes, orientées à l'Ouest, qui correspondent souvent à la surface substructurale de plis ployant les calcaires jurassiques, ne sont pas encroûtées. Les calcaires jurassiques qui plongent, périclinalement, sous les remblaiements du Sud du bassin de Huancayo sont taraudés en surface de lapiés aux bords anguleux, raides, qui sont remplis d'un sol de décomposition rouge violacé. Cette terre est formée, pour les deux tiers au moins, d'éléments de la dimension des limons et des argiles ; la fraction inférieure à 2 microns représente 19 % d'un échantillon d'après une analyse faite à Nancy qui indique que l'argile est riche en kaolinite, en illite et qu'elle contient un peu de quartz et 7,2 % d'hématite finement cristallisée. L'échantillon a été prélevé à 3450 m, dans un milieu climatique où la température moyenne de l'air, sous abri est d'environ 11° et où les précipitations, réparties de décembre à avril, totalisent de 500 à 700 mm par an,
28L'analyse des argiles d'un échantillon analogue, mais prélevé à 3600 m à proximité de la route de Nahuinpuquio, et effectuée à Strasbourg par M. Lucas au Laboratoire de géologie, montre une égale répartition entre la kaolinite et Tillite ouverte, résultat que confirment les analyses thermiques différentielles et aux rayons X faites à l'Institut de géographie de Paris.
29Les granulométries des échantillons des sols argilo-limoneux rouges et orangés couvrant les dépôts de la dernière grande période froide du Quaternaire récent (g” a) et ceux élaborés pendant le grand interglaciaire qui sépare la première période froide (glaciation Mantaro) du Quaternaire récent sont très semblables. Tout au plus observe-t-on que le pourcentage des particules très fines, inférieures à 0,04 microns, est plus élevé pour le sol de l'interglaciaire (cf. courbes granulométriques). Les types d'argiles sont semblables : kaolinites et illites. Le pourcentage de Fe203 contenu dans la fraction argileuse est compris entre 5 et 10 %. Cependant la rubéfaction est plus accentuée sur les terres rouges du pourtour du bassin de Huancayo qui sont situées en dessous de 3500 m.
30Les « terra rossa » sont des produits de décalcification, caractérisés par l'altération argileuse et la concentration du fer. Il est possible que la gélivation au cours des périodes froides antérieures à leur élaboration en contribuant à la fragmentation des roches et des particules du sol, ait été un élément favorable à la formation de ces sols.
31L'alternance d'une saison humide et assez chaude, favorisant l'altération, et d'une saison sèche limitant le développement d'une couverture végétale et la constitution d'un manteau humique, a été une condition climatique déterminante. L'existence d'un manteau humique provoquerait la peptisation des éléments ferrugineux alors que l'exposition de ces sols au soleil entraîne la précipitation de l'oxyde ferrique déshydraté en hématite. La rubéfaction doit se poursuivre actuellement au bas des pentes où les limons argileux s'accumulent par ruissellement. Elle est moins forte sur les sols de culture, plus humides, où la quantité de matière organique transformable en humus est plus forte. Bien que le pourcentage en Fe2O3 ne soit pas inférieur dans les argiles limoneuses de certains sols de la puna, la rubéfaction est moins poussée par suite d'une plus médiocre cristallisation de l'hématite dans un milieu resté moins chaud et plus humide que celui des bassins intérieurs.
32Il faut peut-être dissocier l'altération argileuse, poussée jusqu'à la formation de la kaolinite, de la rubéfaction des sols. Cette dernière, sous certaines conditions (exposition sur des pentes calcaires bien ensoleillées), peut être actuelle tandis que la constitution des kaolinites s'est effectuée pendant les périodes plus chaudes, marquées par l'alternance d'une saison humide et d'une saison sèche. L'élaboration de ces argiles est liée à un bon drainage du sol provoquant le lessivage des cations. On doit donc admettre qu'au cours des interglaciaires et qu'après la dernière phase froide tardiglaciaire, les températures étaient plus élevées qu'elles ne le sont actuellement. En effet, dans ces montagnes tropicales, la température dans le sol, à 30 ou 40 cm de profondeur, est voisine de la température moyenne annuelle enregistrée sous abri à un mètre du sol et elle ne varie guère pendant l'année. Elle est d'une douzaine de degrés à 3300 m et de 9° à 3700 m.
33Il est intéressant de noter que dans ce milieu assez sec des bordures des bassins intra-andins situés à plus de 3200 m, on trouve, dans les régions calcaires, des dépôts périglaciaires de versants, des formes d'encroûtements et des sols d'altération rubéfiés très voisins de ceux décrits dans le domaine méditerranéen.
34On remarque aussi que les sols formés au cours des interglaciaires, une fois recouverts par les produits de la gélivation de la période froide suivante n'évoluent guère et conservent à peu de choses près, leurs caractéristiques granulométriques et chimiques.
35Ces quelques observations, à partir de la description des formes des pentes de leurs dépôts et de l'analyse de quelques échantillons de sols posent des problèmes que seules des études scientifiques sur les conditions d'altérations dans les montagnes tropicales permettront de mener à bien.
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