Chapitre 7. Liberté et autorité
p. 113-137
Texte intégral
1Dans cette section, nous cherchons des pistes possibles de modulation des rapports d’autorité. Pour ce faire, il est d’abord proposé de saisir les principaux effets psychosociologiques des nouvelles formes d’auto-autorité pour ensuite cerner les logiques d’action (Bélanger & Thuderoz, 2010) et les dynamiques contradictoires (Sennett, 1981) dans lesquelles elles s’insèrent. Ce dernier survol met en lumière toute la complexité des rapports d’interdépendance entre les formes d’opposition ou de résistance et les formes de domination, tels qu’ils peuvent s’établir dans les milieux organisés de l’intervention sociale. A la lumière de ces analyses, il s’agit d’abord de saisir le processus d’appropriation de l’acte au cœur de l’actepouvoir pour comprendre ensuite comment ce dernier peut être potentialisé par le dispositif collectif de démocratie participative proposé par Mendel avec la sociopsychanalyse.
Effets psychosociologiques possibles de l’auto-autorité
2L’organisation du travail ainsi que les pratiques de gestion issues de la nouvelle gestion publique telles que la méthode Toyota ont comme premiers effets importants l’accélération des rythmes de travail, la rentabilisation du temps de chacun, ce qui génère parfois du stress, particulièrement chez le personnel ayant un travail relationnel comme les travailleurs sociaux, les infirmières, les éducateurs, etc. (Blais, 2006 ; Bourbonnais et al., 2000 ; Côté & Pérodeau, 2002 ; Gaulejac, 2005 ; Giauque et al., 2013 ; Larivière, 2010 ; Maranda, 2006 ; Rouillard & Gagnon, 2008).
3Plus précisément, des recherches exposent comment des individus (gestionnaires, professionnels et citoyens concernés) développent des « stratégies défensives » (Dejours, 2009) afin de préserver leur santé mentale (IPDTQ, 2006 ; Alderson et al., 2011). De plus, elles mettent en lumière comment certaines de ces stratégies fragilisent les repères sur lesquels s’appuie le processus subjectif d’appropriation de l’acte de travail (Mendel, 2003 ; Mendel & Prades, 2002 ; Loriol, 2006). Dans un tel contexte organisationnel, l’écart entre le « travail prescrit » et le « travail réel » est vu comme la principale « source de souffrance » des individus (Dejours, 2000 ; Molinier, 2008 ; Richard, 2014). Au cœur de cet « écart souffrant », l’on cible souvent le problème de la reconnaissance53 et de l’autonomie des individus (en tant que sujets) et de leur acte de travail (avec un « sens » et un « art » de faire spécifique).
4Par exemple, dans son ouvrage sur les effets de la NGP (nouvelle gestion publique) sur l’organisation du travail, Gaulejac (2011) observe de multiples tensions relatives aux contradictions que rencontrent les cadres et les employés soumis à ce régime gestionnaire. Il constate que les nouvelles formes d’organisation du travail de la NGP, inspirées de l’entreprise privée, ne permettent plus à certains employés de faire leur travail en fonction d’idéaux fondés sur des valeurs telles que l’égalité et la liberté, leur offrant la possibilité d’explorer la demande de services pour mieux s’y adapter et non d’en imposer l’offre déterminée par la direction. Des effets sur la santé tels que des troubles musculo-squelettiques, le burn-out, la dépression, la tentative de suicide, etc., représenteraient les symptômes d’une organisation du travail qui ne laisse plus certains de leurs employés s’approprier leurs actes professionnels. Des employés qui peinent à intérioriser les finalités de l’institution ou qui pensent ne plus être en mesure d’atteindre les objectifs posés par l’institution. Ainsi s’exprimait un gestionnaire intermédiaire dans un programme québécois de prévention en périnatalité et petite enfance (Dessureault, 2011 : 208) :
Oui, on le voit par les fameuses statistiques qu’on reçoit, puis qu’on nous dit : « Là, il va falloir être plus efficient ». Quand j’aperçois un document du Ministère qui s’appelle Orientations relatives aux standards d’accès, de continuité de qualité, d’efficacité et d’efficience, quand je présente ça à mon équipe, ils accrochent sur le titre, ils disent : « Qu’est ce que ça veut dire ? » Quand on entend le directeur général dire : « On va viser la performance parce que le sous-ministre veut que le système de la santé soit efficient, performant, efficace » que tu le veuilles ou non comme cadre intermédiaire. Moi, je ressens cette pression-là, je me sens coincé entre cette forme de pression-là et le respect de ce que les gens font, depuis toujours, en CLSC […] (Gestionnaire de proximité).
5Et voici les propos d’une travailleuse sociale œuvrant dans le soutien à domicile, interviewée dans le cadre d’une étude sur le sens que les travailleurs sociaux donnent à l’optimisation des services québécois (Ruel, 2016 : 88) : « […] c’était clair que les gens n’allaient pas bien. Les gens partaient en maladie, pleuraient, se rencontraient, ça ne faisait que chialer dans les corridors. Une autre affaire contre-productive (Participante 1) ».
6C’est pourquoi des employés tentent d’exercer des pratiques d’opposition face à cette approche gestionnaire et de conserver un certain rapport de force avec l’employeur (Bélanger & Thuderoz, 2010 ; Regol & Bélanger, 2003). Par contre, on peut envisager que, pour d’autres employés préconisant la prise en charge des clients, cette nouvelle organisation du travail puisse représenter une amélioration notable et qu’il vaille la peine de donner la chance au coureur. Surtout que l’on fait appel à leur autonomie, à leur esprit d’initiative et à leur créativité, à leur fierté du travail bien fait ou à leur engagement professionnel, tant qu’ils ne s’éloignent pas des objectifs de « l’entreprise publique » : « En définitive, les agents sont soumis à l’injonction d’exercer leur liberté en élaborant des projets conformes aux attentes des autorités chargées de les évaluer » (Gaulejac, 2011 : 152). Il s’agit ici d’une « autonomie obéissante », ce qui est paradoxal. Nous verrons plus loin que c’est justement par cette injonction paradoxale que l’auto-autorité parvient à s’instituer lorsqu’elle est, bien sûr, reconnue par les employés et les cadres. L’auto-autorité signifiant alors que : « Les personnages que l’autorité concerne – le dominant et le dominé – se retrouvent maintenant tous les deux à l’intérieur du sujet » (Mendel, 2002 : 230).
7Les modèles et les instruments de gestion plus « flexibles » tels que les dispositifs de participation et d’évaluation expriment avant tout que la rationalité des dispositifs hiérarchiques et bureaucratiques classiques ne suffit plus à asseoir l’autorité de l’organisation publique. Au contraire, le consentement de tous (gestionnaires, professionnels, citoyens concernés) est davantage recherché. Les modes de légitimation des décisions organisationnelles relèvent désormais moins d’un fondement rationnel univoque que d’un échange d’arguments dans le cadre d’un débat organisé avec les destinataires de cette décision (Vrancken & Kuty, 2001 : 320). Un tel virage managérial ouvre sur la question de la construction des capacités individuelles et collectives de débat et d’action, celle de la « démocratie » (Davezies, 2004 : 90). Le défi posé aux individus impliqués est de construire collectivement des capacités d’analyse, de débat et de prise en charge des espaces collectifs d’organisation des services publics.
8Mais la critique de la NGP vise justement cette fonction ambiguë de la participation des employés dans les exercices d’amélioration continue du travail pilotés par la direction, laquelle chercherait ainsi à s’approprier les savoirs tacites et connaissances des employés pour intensifier le travail et en augmenter la charge, au détriment des conditions de travail :
La participation consiste alors à demander aux ouvriers de s’auto-tayloriser, à livrer leur marge de manœuvre, perdant ainsi les marges de liberté. Plus encore, ces programmes visent à faire en sorte que les travailleurs épousent les objectifs de l’entreprise, s’identifient à l’entreprise de sorte que le syndicat s’en trouve affaibli. (Régol & Bélanger, 2003 : 16).
9C’est d’ailleurs ce type d’ambigüité qu’expriment ici des employés d’un ex-CSSS :
Le Lean a des outils bien rodés de psychologie du travail, les outils du Kaizen. On nous écoute bel et bien dans les réunions d’équipe, mais on réalise rapidement que notre pouvoir décisionnel sur l’organisation et les buts du travail, lui n’a pas changé, quand bien même on nous consulte sur nos tâches. Insidieusement, sous le couvert de la participation égalitaire, le Lean remodèle et réaffirme les relations de pouvoir au travail. (Comité STAT, 2012 : 5).
10Comme si la valorisation d’un espace de participation et de coopération dans la gestion devenait un décor derrière lequel on cache la réalité pérenne du pouvoir hiérarchique de l’organisation publique.54 Il s’agit bien d’un enjeu non négligeable, car « […] à partir du moment où il est demandé à l’individu de faire preuve d’intelligence, d’initiative, de sens des responsabilités et de créativité, c’est-à-dire d’accomplir un acte, il a tendance spontanément à désirer s’approprier du pouvoir sur cet acte, c’est-à-dire, concrètement, à mieux contrôler les tenants et les aboutissants de celui-ci, à en maîtriser le processus, etc. » (Mendel, 2003 : 219).
11Situons maintenant l’analyse des effets psychosociaux au plus près des rapports d’autorité afin de relever plus clairement les enjeux de pouvoir et leurs contradictions.
Réagir face à l’autorité
12Dans un article traitant des pratiques d’opposition des salariés à la domination managériale actuelle, Bélanger et Thuderoz (2010 : 427) s’interrogent sur le fatalisme de certaines analyses critiques face à l’emprise que la nouvelle gestion publique exercerait sur l’acteur consentant : « Se serait-il de lui-même enfermé dans la cage d’acier ? » Un extrait d’entrevues menées dans le contexte d’une étude doctorale auprès de gestionnaires (cadres) en travail social en France illustre bien la diversité des réactions des intervenants face à l’autorité :
Le nouveau management public, on le ressent fort… il y a peu de place pour la créativité… il y a les procédures et que les choses rentrent dans les cases… il y a moins de moyens, plus de contrôle de l’utilisation des deniers publics […] les professionnels réagissent par de l’insatisfaction qui se manifeste dans les réunions… ça râle […] les gens sont beaucoup dans le travail individuel… elles sont dans la relation à l’usager… moi je trouve que les équipes sont peu dans la revendication… comme si c’était une fatalité… les travailleurs sociaux sont peu virulents… en fait, les choses tombent tout le temps comme ça… et il faut mettre en œuvre… et c’est mis en œuvre […] il y a celles qui râlent et qui pensent à l’intérêt de l’usager si ce n’est pas bien fait… il y a celles qui ne sont pas révoltées, mais qui ne mettent pas en œuvre… et on est obligé de reprendre… on doit accompagner les équipes à la mise en œuvre c’est notre rôle de cadre… après on accompagne avec souplesse ou injonction… pour certaines, ça les arrange, ça leur permet d’être dans un traintrain… de faire rentrer les réponses dans des cases… et ça les dédouane de leurs responsabilités… les choses se décident en commission, d’autres ça ne leur convient pas et elles s’inscrivent dans des actions collectives pour être créatives (Molina, 2014 : 63-64).
13En effet, jusqu’à maintenant, nous avons montré qu’un nouveau rapport d’autorité (l’auto-autorité) tendait à s’instaurer au sein des organisations publiques via la mise en place de la nouvelle gestion publique. Bélanger et Thuderoz (2010 : 444) relèvent le caractère dynamique, ou plutôt relationnel, de l’auto-autorité en analysant le cadre et les rapports de domination/opposition dans lesquels elle prend forme. Ainsi, ces auteurs signalent, en se référant au sociologue Georg Simmel, que l’autorité n’évolue pas dans un rapport unilatéral :
Ce que l’on nomme « autorité », note-t-il dans sa Sociologie, « ne se réduit pas à la contrainte et à la simple obligation d’obéir » ([1908], 1999 : 163). Même si cette autorité est ressentie comme « écrasante », il n’empêche : « La collaboration du sujet subordonné est requise ». Ce qui est la preuve de son autonomie : jusque dans les rapports d’assujettissement les plus cruels, « il reste toujours une part considérable de liberté personnelle » (p. 162). […] La relation qui unit le dominant au dominé, poursuit Simmel, relève d’une « action réciproque extrêmement complexe ».
14Dans les efforts de définition de l’autorité déjà entrepris au début de cet ouvrage, nous avions bien souligné le rôle joué par les individus aux prises avec l’autorité, qui peuvent rendre cette dernière périssable (pour eux-mêmes à tout le moins) en ne la reconnaissant pas ; phénomène que nous pouvons retracer dans les travaux historiques. Dès lors que la croyance en la légitimité de l’autorité disparaît, des réactions diverses se mettent en place, dont celle de remplacer une autorité par une autre perçue comme plus légitime. Toutefois, parmi ces réactions, pensons aux « marges de manœuvre » ou, plus anciennement, aux « pratiques silencieuses » que les travailleurs sociaux utilisent pour s’approprier leurs actes de travail, de façon à récupérer un peu de leur autonomie professionnelle. Tentons d’aller au-delà du simple constat de la marge de jeu, qui se limite souvent à la sphère individuelle de l’initiative. Comment réagir face à une autorité qui n’obtient pas notre reconnaissance, qui n’en est donc plus une à nos yeux ? Comment y faire face sans s’enliser de nouveau dans un scénario familialiste reproduisant les rapports asymétriques de l’autorité ? Peut-on vraiment se passer d’autorité, comme le clament haut et fort les promoteurs de l’idéologie anarchiste (Baillargeon, 1999) ? Ce sont des questions difficiles, sur lesquelles nous aimerions jeter quelques éléments de réflexion ainsi qu’une piste d’action que nous jugeons digne d’intérêt.
15Sans nécessairement problématiser ces rapports d’opposition en fonction du seul phénomène d’autorité, Bélanger et Thuderoz (2010 : 446) présentent des logiques d’action sous-jacentes aux pratiques d’opposition « voilées » et « au grand jour » face aux rapports de domination instaurés par différents modèles managériaux d’entreprises privées en France. En se référant aux travaux de Martucelli (2004), ils évoquent d’abord un type de pratiques qui s’est développé en réaction à un rapport de domination qualifié d’assujettissement : « […] forme canonique d’imposition faite de discipline corporelle, d’arraisonnement des esprits et d’interpellation politique des dominés en tant que “sujets” » (2010 : 439). Nous y retrouvons les pratiques suivantes : « la récalcitrance » (faible engagement au travail, opposition ouverte au management), « la distance » (refus de rester à sa place, entre identification et opposition), « le retrait » (absence d’engagement ou de résistance ouverte, force passive) et « la militance » (engagement syndical, prise en charge de l’organisation productive).
16La deuxième forme de rapports de domination ferait appel à la méthode de la responsabilisation, celle qui tend à s’imposer actuellement dans les entreprises et les organisations publiques avec la nouvelle gestion publique : « […] il suppose que l’individu se sente responsable de ce qu’il fait, mais surtout de ce qui lui arrive ; il doit donc s’adapter en permanence, mobiliser ses ressources et capacités, on exige de lui qu’il s’implique dans l’organisation qui l’emploie, celle-ci le jugeant désormais capable de se prendre en charge » (Bélanger & Thuderoz, 2010 : 439). Les pratiques d’opposition identifiées à cette domination de la responsabilisation sont les suivantes : le « cynisme » (résistance voilée, formulation de suggestions bidon, refus de se rendre disponible en dehors des obligations, remplissage des fiches à l’avance, etc.), la « rébellion » (désengagement individuel, impertinence, refus d’entrer les données de production, etc.), le « renoncement » (dissidence, qui a cessé de croire, lutte contre l’autorité, en discute la légitimité, etc.).
17Ce répertoire de pratiques d’opposition à l’autorité, pouvant aussi être vécues comme de la domination, rend compte d’un rapport conflictuel avec les représentants de l’autorité en maintenant vivants les rapports asymétriques faisant l’objet d’opposition, et parfois même en les exacerbant. A ce sujet, le sociologue Sennett (1981) voit ces rapports comme des dynamiques contradictoires liant l’autorité à ses opposants. La première dynamique renvoie au rejet de l’autorité (1981 : 42). Selon lui, les pratiques rebelles à l’autorité participeraient de façon contradictoire à renforcer l’importance accordée à l’autorité que l’individu cherche pourtant à combattre. Bref, en la reconnaissant de façon négative, on procurerait à la personne détenant l’autorité un pouvoir sur soi indéniable. C’est ce que Sennett (1981 : 44) appelle « la dépendance désobéissante », signifiant par là que la révolte se fait au sein de l’autorité et non contre l’autorité. En fait, la désobéissance serait conditionnée par les normes fixées par l’autorité, cultivant ainsi la dépendance à cette dernière de façon conflictuelle. Selon le sociologue, le rejet seul ne nous libérerait pas de l’autorité : « Il s’agit en rejetant la légitimité des puissants, d’écarter le danger que représente l’aveu du besoin que nous avons d’eux. Ce qui permet d’être dépendant sans être vulnérable » (Sennett, 1981 : 70).
18Une seconde dynamique contradictoire que Sennett a observée est celle associée aux personnes qui ne rejettent pas l’autorité en soi, mais seulement un type d’autorité dont l’exercice est jugé insatisfaisant ou comme n’étant pas à la hauteur du rôle. L’idée est d’imaginer et de revendiquer une image positive de la bonne autorité, qui remplacerait celle jugée négative. Sennett (1981 : 246) parle ici de « substitution idéalisée ». Par exemple, ce type de rapport peut s’illustrer chez les personnes qui affichent leur espoir d’avoir un jour un « bon boss ». Elles ont besoin d’une image négative pour se représenter positivement une autorité qu’elles désirent.
19La troisième dynamique contradictoire de rapport d’opposition à l’autorité est celle du fantasme de la disparition de l’autorité. Le déni de son existence produit un aveuglement, non seulement sur les contradictions sociales des relations de pouvoir, mais aussi sur les dimensions inconscientes du rapport d’autorité, et revient en quelque sorte à accepter de reproduire à son insu des rapports d’autorité. Certaines pratiques autogestionnaires d’inspiration anarchiste témoignent d’ailleurs de cette dynamique car l’anarchisme se définit « […] presque uniquement par son opposition à l’autorité, il vise à libérer l’individu, mais n’ouvre pas sur des relations sociales et collectives qui dépasseraient le cadre de sa lutte » (Mendel, 2002 : 261 ; Drapeau, 2007). Selon Sennett (1981 : 246), ces trois réactions d’opposition à l’autorité conduisent paradoxalement à rendre la volonté d’une personne dépendante de celle d’une autre. Alors, comment éviter de nous prendre les pieds dans l’autorité au moment même où nous essayons d’en sortir ?
20Sennett (1981 : 283) termine son ouvrage sur l’autorité en formulant un choix impossible entre la quête d’une bonne autorité et l’abandon de cette quête : « Croire que cette recherche [d’une solidité, d’une sécurité représentées par l’autorité] pourrait être menée à son terme est en effet une illusion, et une illusion dangereuse, car seuls des tyrans pourraient alors faire l’affaire. Mais croire qu’elle ne devrait pas être entreprise du tout est également dangereux, car cela revient à donner une existence absolue à tout ce qui est. » Si ce sociologue nous met en garde contre les pièges et les illusions des rapports d’autorité, il ne nous propose aucune piste pour expérimenter d’autres modes de régulation des conflits et contradictions entre la société et les individus.
21Cependant, si nous revenons à nos préoccupations de départ concernant la gestion fondée sur l’auto-autorité du réseau de la santé et des services sociaux, notons qu’un spécialiste de la gestion des grandes organisations, Henry Mintzberg, avance que l’un des grands défis de la gestion de la santé est de faciliter la coopération entre les acteurs impliqués, tous traversés par des cultures et des lectures différentes de la réalité. En ce sens, pour Mintzberg (2007 : 12), le modèle autoritaire de l’entreprise ne convient pas : « La gestion d’enjeux aussi complexes ne peut être calquée sur celle des entreprises. Pour améliorer la gestion de la santé, il faut bien comprendre les particularités de cet univers et il faut réfléchir aux pistes de solution avec des gestionnaires et des professionnels actifs sur le terrain. » Il ajoute : « Ces réorganisations perpétuelles ont des effets très négatifs sur les professionnels et les travailleurs de la santé. Elles réussissent parfaitement à tuer leur motivation intrinsèque. Et les citoyens ne s’y retrouvent plus » (Mintzberg, 2007 : 12).
22C’est pourquoi nous consacrons la prochaine section à la proposition de Gérard Mendel, dont les efforts théoriques et pratiques ont été consacrés à problématiser un cadre d’intervention collective prenant justement en considération, non seulement cette idée de coopération entre les acteurs concernés, mais aussi plusieurs aspects des problèmes que nous avons soulevés face à l’autorité. Si l’autorité fut une construction anthropologique efficace et relativement stable sur le plan historique pour établir les limites symboliques et inculquer aux enfants les normes de socialisation à la vie collective au sein de la famille, le prolongement de son exercice dans la société tend à empêcher l’exercice d’une pratique démocratique entre des personnes n’ayant aucun lien de parenté.55 C’est justement à la reconnaissance ouverte du problème et à la gestion de la contradiction autorité-démocratie que Mendel s’est attaqué, ce qui a donné lieu à des pratiques dont les résultats sont présentés dans un certain nombre d’ouvrages et d’articles publiés par lui-même et les membres de son équipe (Mendel, 1992 ; 2002 ; 2003 ; Rueff-Escoubès, 2008 ; 2006 ; Prades & Parazelli, 2011).56
Renforcer la psychosocialité du sujet par un mouvement d’appropriation de l’acte
23Une façon différente de se positionner face à l’autorité nous est proposée par Gérard Mendel et ses collaborateurs dont nous faisons partie (Collectif Désisyphe).57 Dans le contexte de cet ouvrage, nous nous limiterons à synthétiser une partie de la pensée théorique de Mendel en relation avec l’autorité et la stratégie adoptée pour y faire face. Le lecteur intéressé pourra se référer à la liste bibliographique pour en savoir plus. L’intérêt de la position de Mendel face à l’autorité est d’envisager la possibilité non pas de faire disparaître l’autorité, projet impossible, mais d’en atténuer les effets psychosociaux d’asymétrie en soutenant un mouvement d’appropriation de l’acte des individus de façon collective. Pour ce faire, Mendel a développé un dispositif de démocratie participative conçu spécialement pour atténuer les effets d’autorité en problématisant les obstacles majeurs pouvant empêcher l’instauration de conditions égalitaires : « […] il s’agit là du processus démocratique non comme “vérité”, mais comme méthode de désoccultation des contradictions et de régulation négociée le moins inégalitairement possible » (Mendel, 2003 : 202).
24Nous l’avons vu tout au long de cet ouvrage, l’autorité telle que la définit Mendel est l’antinomie de la démocratie. Autrement dit, il ne peut y avoir d’autorité dite « démocratique », comme il est courant de l’entendre dire par certains éducateurs ou travailleurs sociaux, car cela correspondrait à une contradiction dans les termes ou une perversion. Comme le pouvoir de l’autorité tirerait sa puissance du fait des processus de socialisation opérés dans l’enfance et la famille du sujet, en agissant sur la régulation du processus d’appropriation de l’acte, ses manifestations dans le social entraveraient l’établissement de rapports égalitaires malgré les efforts rationnels des intervenants pour y arriver. L’autorité agirait sur le désir d’appropriation de l’acte des individus en suscitant de l’inhibition ou en contrôlant le mode de production et les produits de l’acte (ses effets) de façon à en faire bénéficier les seuls représentants de cette autorité, au sommet d’une hiérarchie, par exemple.
25L’obstacle est de taille car il est de nature inconsciente, en raison de l’angoisse d’abandon dont il a été question dans le chapitre trois de cet ouvrage et qui rendrait compte du fait que des individus se mettent à croire les représentants de l’autorité en se soumettant à eux, ou à ce qu’ils représentent, sans avoir été contraints de le faire. C’est ce que Mendel appelle le « familialisme » ou la « personnalité psychofamiliale », qui est ainsi sollicitée par ce rapport de pouvoir que constitue l’autorité et s’est construite au temps de l’enfance par la famille du sujet : « La question du psychofamilialisme est celle de sa place (et non de son existence) en regard de la nature des situations : sociale, propre au monde du travail […] » (Rueff-Escoubès, 2008 : 222). Mais il observe aussi que cette place du sujet devrait être relativisée ou complétée par la dimension psychosociale de la personnalité résultant de cette socialisation extra-familiale. Il s’agit des activités sociales qui s’exercent dans le cadre d’institutions et dont le fonctionnement implique des formes collectives d’organisation et d’activité en vue de finalités précises, par exemple construire des bâtiments ou des voitures, former de futurs diplômés, soigner des malades, produire un journal, etc. En effet, la société n’est pas une famille et c’est en développant un rapport à la spécificité du social de façon créative que l’actepouvoir du sujet peut s’exercer. Nous l’avons vu au chapitre cinq, l’actepouvoir est un concept que Mendel a formulé pour rendre compte non pas du pouvoir que les uns ont sur les autres, mais du pouvoir que le sujet développe sur ses propres actes (la maîtrise exercée sur l’acte par celui qui le réalise) et sur les effets de ses actes (le pouvoir de modifier la réalité). Au chapitre 3, nous avons aussi abordé ce concept pour signaler qu’il avait quelque chose à voir avec les fondements de la construction identitaire en lien avec la créativité tels que théorisés par Winnicott (l’objet transitionnel) : « Des expressions comme “on est ce qu’on fait” ou “ce qu’on fait nous fait”, si elles ne rendent pas compte de l’entier de la construction du sujet, indiquent la place qu’y prend l’acte […] » (Rueff-Escoubès, 2008 : 218). L’acte conçu comme actepouvoir par Mendel permet une confrontation avec le réel autrement satisfaisante que celle de l’action (pré-acte), car l’acte exprime tout l’engagement que le sujet peut investir psychiquement dans la réalité extérieure. Agir, voir les effets de ses actes, voir le « bout de ses actes » narcissisent la personne et la soutiennent. Rappelons que le caractère premier de l’acte est l’interactivité entre un sujet et la réalité, jamais maîtrisable, l’individu se trouvant lui-même transformé en permanence par les expériences traversées.
26Comprenant l’importance et la portée de cette hypothèse, Mendel (1992 : 15-16) a inscrit le concept d’actepouvoir dans une conception dynamique de son actualisation à l’aide du concept de « mouvement d’appropriation de l’acte ». Il définit ce mouvement comme une force de nature anthropologique :
En tout individu existerait une force de nature anthropologique qui s’exprime de manière non consciente à l’intérieur de la dimension psychique, et qui incite le sujet à « s’approprier » l’acte volontaire et conscient qu’il accomplit, l’activité, l’action qu’il développe. Ce mouvement vise deux objectifs : l’appropriation du contrôle du processus de l’acte, l’appropriation des effets de l’acte. En somme, si tout acte se définit par le pouvoir qu’il a de modifier l’environnement extérieur auquel il s’applique, cette définition ne préjuge en rien du statut du sujet par rapport à l’acte qu’il accomplit. La non-possibilité d’appropriation de son acte par le sujet n’empêche pas que cet acte développera quand même du pouvoir, mais le sujet, dans ce cas, ne sera en mesure de contrôler ni le processus d’exécution de l’acte ni les effets de l’acte. Par là, il ne pourra ni prendre intérêt ni trouver du plaisir à agir.
27Il ajoute : « Le mouvement d’appropriation de l’acte s’exprimera rarement de façon consciente. Il se trouve bien plus souvent enveloppé dans les thèmes généraux d’un droit à la liberté, à la dignité, à l’autonomie, tels qu’ils se développent habituellement dans le discours » (1992 : 257). Ainsi, pour que cette dimension psychosociale de la personnalité puisse s’exprimer, le mouvement d’appropriation de l’acte devrait être facilité et ne pas rencontrer d’obstacle à son accomplissement. C’est ici que les rapports d’autorité, lorsqu’ils existent, viennent générer un phénomène de culpabilité inconsciente dû au fait de vivre comme une transgression le désir de s’engager dans ce mouvement d’appropriation.
28Dans le contexte organisationnel de la nouvelle gestion publique, la conception de l’action est un pré-acte, donc hypothétique et planifié, visant à éliminer le risque en tentant de tout prévoir et en contrôlant les zones d’autonomie des travailleurs. Cependant, pour qu’il y ait acte, nous disions que le sujet doit rencontrer une réalité en dehors de soi qui lui résiste. Le contexte organisationnel actuel est fondé sur une conception de l’interactivité sujet-réalité comme une opposition frontale et non comme un entremêlement « […] où chacune des deux forces perd son originalité au sein de l’ensemble nouveau constitué par l’acte » (Mendel, 1998 : 88). De là émerge le risque, mais aussi l’engagement du sujet dans l’acte même : « Comprendre l’acte comme porteur d’une part d’indécidabilité, spécifiquement dans les métiers de l’humain où l’interaction est centrale, permet de déconstruire l’injonction paradoxale d’engagement de soi et de refus du risque, injonction très agissante sur l’agir des professionnels dans l’intervention sociale » (Libois, 2011 : 25-26). Bref, la façon dont une organisation fonctionne touche aux conditions de notre créativité et de ses applications, d’où une attention importante accordée aux conditions de l’organisation du travail qui peuvent limiter ce pouvoir par la voie de la hiérarchie. C’est pourquoi la proposition du dispositif d’intervention collective de Mendel est non pas de changer radicalement le cadre actuel de gestion, ce qui serait irréaliste, mais d’offrir un cadre différent qui s’ajoute à l’existant et dont le mode d’organisation et les règles associées ont été pensés pour favoriser un mouvement d’appropriation de l’acte.
29La conception de ce cadre favorisant le mouvement d’appropriation de l’acte rompt temporairement avec les conditions organisationnelles instituant l’auto-autorité en faisant appel non pas au rapport asymétrique entre un grand et un petit, mais à des collectifs de travail établissant un dialogue selon des règles de communication égalitaires. Il s’agit d’offrir un cadre différent de celui proposé par la nouvelle gestion publique actuelle afin d’y favoriser les dimensions psychosociales (au détriment des dimensions psychofamiliales), c’est-à-dire collectives, liées aux jeux des rapports sociaux et non pas aux fantasmes imaginaires des liens familiaux nourrissant l’angoisse d’abandon. La section suivante présente un aperçu de cette approche.
Le dispositif institutionnel Mendel : un aperçu
30Le dispositif Mendel a fait l’objet d’applications en France, en Belgique, en Argentine et au Québec à partir de groupes de sociopsychanalyse qui se sont mis en place pour développer ce type d’intervention psychosociologique. Il est le résultat de nombreux ajustements dans le contexte de recherches-actions, et ce, depuis plus de quarante ans. Rappelons d’abord qu’il a été conçu pour travailler l’articulation entre l’individualité et le collectif, de façon à renforcer la psychosocialité du sujet. Sur le plan de la méthodologie, son but est de « […] modifier, le temps de la méthode, l’organisation habituelle du travail, en regroupant les personnes par catégories professionnelles ou hiérarchiques, de sorte que chacun des membres de ces groupes soit en situation de mieux percevoir les tenants et aboutissants de son acte de travail, ainsi que son articulation avec toutes les catégories et niveaux de l’organisation » (Rueff-Escoubès, 2008 : 73).
31On situe ce dispositif comme un troisième canal de communication dans l’organisation, aux côtés des syndicats et des instances représentatives de la structure organisationnelle existante. Les questions concernant les salaires, les promotions, etc. ne sont donc pas abordées dans ce dispositif, mais davantage les problèmes de fond et de conditions associés aux actes de travail appartenant à différents collectifs de travail au sein d’une organisation. L’idée est d’inscrire ce cadre dans la vie de l’organisation, de façon à favoriser une constante participation de tous les acteurs du bas vers le haut du lieu de travail, et ce, en dehors du poids subjectif des personnalités. Voyons plus concrètement comment le dispositif institutionnel Mendel (DIM) se met en place.
La mise en place d’un cadre58
32La mise en place d’un cadre relevant du DIM doit être considérée selon le point de vue de l’institution qui en fait la demande et celui de la méthode d’intervention. Il s’agit d’abord de délimiter le champ des possibles car une institution trop petite n’aura pas les effectifs nécessaires pour l’application du DIM (une ou deux personnes par catégorie professionnelle ou d’actes de travail), de même qu’une trop grande institution telle qu’un CISSS ou un hôpital nous conduira à débuter avec une partie réduite et significative de l’établissement. Le cadre de la méthode d’intervention repose sur les quatre constantes suivantes :
- Des groupes homogènes de métier
- Des relations indirectes entre ces groupes via l’écrit (et un coordonnateur)
- Des échanges centrés exclusivement sur l’acte de travail
- Des règles spécifiques de fonctionnement
33Avant de démarrer le dispositif en tant que tel, un travail préparatoire est réalisé par le groupe de sociopsychanalyse (SP), qui aura à identifier les deux premières constantes (les groupes homogènes de métier et leurs interactions) en réélaborant l’organigramme selon le regard théorique propre à la SP. Il s’agira de dégager des groupes homogènes de métier et des groupes homogènes sur le plan de la hiérarchie. Par la suite, les intervenants du groupe SP présentent à l’organisme demandeur une proposition de fonctionnement sur les règles du jeu concernant les échanges de communications par écrit entre les groupes, en prévoyant une période exploratoire de deux ou trois cycles (un cycle comprenant l’expression de tous les groupes ainsi que les réponses). Cette première étape est importante car le dispositif consiste à regrouper les individus impliqués dans l’organisation selon la nature de leurs actes de travail, en formant des groupes institutionnels homogènes. En effet, le mouvement d’appropriation de l’acte n’émerge pas du vide, il s’enracine dans une pratique partagée avec d’autres individus ayant à produire les mêmes actes. C’est en atténuant les effets d’autorité à l’aide de règles égalitaires de communication et de la formation de groupes homogènes selon les actes de travail mis en œuvre dans l’organisation qu’un rapport à la spécificité du social peut s’engager. Les groupes homogènes de métier ou institutionnels constituent l’unité de base de l’intervention sociopsychanalytique. Le groupe homogène permet de capter la psychosocialité du sujet. Ce sont des collectifs exerçant la même activité (le même acte de travail) au même niveau de la division du travail dans l’organisation. L’homogénéité du groupe favorise un climat de confiance et de coopération, étant donné la plus grande proximité des intérêts. Cela tient à la communauté et à l’égalité de situation des membres de ces groupes. La formation de ces groupes homogènes entraîne souvent une réorganisation de l’organigramme hiérarchique en rassemblant des gens qui font le même boulot, recomposant ainsi ce que la division du travail avait émietté en actes partiels.
34La deuxième étape consiste à inviter les membres de chacun des groupes homogènes à se concerter au sein de leur groupe pendant une période de deux heures en moyenne, selon des règles d’usage pour le fonctionnement d’un groupe de travail (par exemple, régulateur, secrétaire, ordre du jour, alternance du droit de parole, compte-rendu non nominatif, etc.). Il importe de garantir l’anonymat dans le contenu du compte-rendu devant circuler entre les groupes homogènes impliqués, de façon à garantir la liberté d’expression et faire en sorte que ce soit le groupe qui s’exprime et non un ou deux individus, en s’assurant de la participation de tous et de leur accord sur le contenu d’une communication à transmettre.
35C’est d’ailleurs l’objectif de ces discussions intragroupe que de produire une communication intergroupes par la médiation d’une tierce personne (le coordonnateur), qui agit comme un relais de transmission des demandes et des réponses entre les différents groupes. C’est ce que nous appelons une communication indirecte, du fait que les groupes ne se voient pas face-à-face mais communiquent par écrit, la règle du jeu étant de répondre au groupe destinataire. Il est capital que chaque groupe soit informé (par écrit) des échanges produits entre tous les autres groupes et que les interférences inutiles, telles que les conflits de personnalité, soient minimisées. La négociation des changements ou des développements au sein de l’organisation se fait alors de groupe à groupe et non de façon individuelle. L’émergence du mouvement de l’appropriation de l’acte exige donc une structure qui redonne aux individus l’occasion d’accéder à la maîtrise de quelque chose par un discours collectif devenant le vecteur d’appartenance d’une implication collective. En fait, ce qui est principalement à l’œuvre dans ce type d’exercice collectif, c’est une action sur la division technique du travail social : « c’est à la déliaison de l’acte global de travail, provoquée par la division technique et organisationnelle, que s’oppose la reliaison par le dispositif » (Mendel, 1992 : 71). En effet, comment s’approprier ses actes en l’absence d’une vision complète de l’action produite ? Le pouvoir de l’acte social, qu’il soit communautaire, institutionnel ou industriel, ne peut alors ni être perçu ni même envisagé comme un droit, compte tenu de la fragmentation généralisée des activités sociales et de production qui favorise la dispersion de la vie humaine en autant d’identités partielles qu’il existe de fonctions et d’expertises professionnelles spécialisées.
36De plus, l’intérêt particulier de ce type de fonctionnement réside dans le retour des réponses que chaque groupe sera assuré d’obtenir, ce qui n’est pas sans impact sur la motivation des participants :
L’acte d’expression du groupe sera assorti de la vérification du pouvoir qu’il crée par le retour des réponses des autres groupes et particulièrement de la hiérarchie : ce ne sera pas un illusoire « coup d’épée dans l’eau » de l’établissement ou le leurre d’une mise en scène participative sans suite. Quelque chose sera réellement changé dans la réalité du travail des personnes, en même temps que leur métier verra se préciser – via ces échanges intergroupes institutionnels – sa place, sa fonction et ses limites dans l’institution. Les suites attendues par les groupes ont un impact décisif sur la dynamique de l’intervention et sur les motivations des participants à la poursuivre (Rueff-Escoubès, 2008 : 77).
37Toutefois, c’est aussi parce que la structure du dispositif modifie les formes d’organisation habituelles des acteurs impliqués que des réactions de recul peuvent survenir à la suite d’une avancée. Mendel (1997 : 112) précise que le fait d’avoir un réel pouvoir sur ses actes peut créer des mouvements psychologiques de culpabilité inconsciente vécus comme des transgressions de l’autorité parentale, amenant par exemple les acteurs à nier leur propre réalisation. Le rôle du régulateur (ce peut être une équipe de deux) est alors important pour accompagner le groupe dans l’identification de ces manifestations, rappeler aux participants ce qu’ils ont déjà accompli et souligner le fait que tout changement important de comportement est souvent accompagné de ce mouvement de recul.
38Après plusieurs cycles de communication intergroupes, on peut observer des effets intéressants sur la façon dont les groupes modifient leurs représentations des uns et des autres et s’engagent dans des dynamiques de négociation sur les moyens envisagés pour traiter des aspects problématiques de leur travail dans l’institution. Dans le cadre méthodologique proposé, les individus sont libres de débattre des problèmes et des thèmes à discuter au sein de leur propre groupe, mais ils doivent en négocier l’intérêt auprès des autres groupes. En ce sens, il n’y a pas d’objectifs de résultats prédéterminés par d’autres acteurs que ceux des groupes eux-mêmes. Ce cadre de gestion entre donc en opposition avec celui du Lean management qui, nous l’avons vu, ne mobilise les travailleurs que sur les problèmes pouvant menacer l’efficacité fonctionnelle de l’action programmée selon des critères analogues à la production industrielle. Quant au DIM, il a été conçu de façon à favoriser le mouvement d’appropriation de l’acte non seulement des travailleurs, mais aussi de la hiérarchie, qui subit elle-même les effets d’auto-autorité transmis par le Lean Management.
39En instaurant une dynamique plus égalitaire de pouvoir sur le plan de la communication, le DIM ne remplace pas le rapport d’autorité qui tend actuellement à s’imposer (l’auto-autorité) par un autre rapport d’autorité, mais par l’instauration d’un espace transitionnel collectif59 où la créativité et l’initiative des sujets sont sollicités, non pas pour servir les seuls intérêts exprimés par la hiérarchie institutionnelle, mais aussi ceux du groupe de pairs (collectif de travail) auquel ils appartiennent socialement. Un déplacement tend alors à se créer du psychofamilialisme vers la psychosocialité. Autrement dit, entre la servitude et l’actepouvoir. Il ne s’agit donc pas d’une « autorité démocratique », contradiction dans les termes selon Mendel, mais d’un cadre de socialisation à des normes d’objectivation de la vie collective ayant une visée démocratique. Bref, tout l’effort de cette conceptualisation théorique, mise à l’épreuve empiriquement depuis plus de quarante ans, est d’essayer de sortir de cette fiction relationnelle que représente le rapport d’autorité, qui ne cesse d’exploiter des fantasmes de soumission chez les uns et de toute-puissance chez les autres. Ajoutons que ce n’est pas la mise en concurrence entre les travailleurs qui est valorisée dans le DIM, mais la coopération entre collectifs de travail interdépendants. Ce qui n’exclut pas des discussions entourant les conflits potentiels inhérents aux visions et aux intérêts divergents au regard des prescriptions de l’institution. Au contraire de la conception toute-puissante de l’action de la nouvelle gestion publique, le dispositif fait appel à l’expérience acquise et empirique des travailleurs concernant les exigences théoriques de la hiérarchie, de façon à faire la part des choses entre la projection d’une action visée et les actes accomplis par les travailleurs ayant rencontré des contraintes et des opportunités non prévues par la gestion planificatrice. La logique du dispositif de cette approche a donc pour effet de renforcer le pouvoir des individus sur leurs actes de travail.
Quelques exemples d’application
40Le DIM a été appliqué dans une variété d’organisations. Par exemple, parmi les expériences qui perdurent, mentionnons des dispositifs implantés en France depuis les années 1980 : une entreprise de transport public de la RTP de Poitiers (depuis 1986), dans les écoles primaires (depuis 1982), dans une maison de retraite de la région de Nice (depuis 1990), dans un service de pédiatrie (depuis 2003). D’autres organisations françaises ont bénéficié du dispositif, tels des partis politiques, des syndicats, un centre de formation pour travailleurs sociaux, une institution pour personnes handicapées, etc. Dans tous les cas, l’implantation d’un DIM s’est faite au sein même d’une institution en impliquant les collectifs de travail que nous retrouvions en son sein, incluant la direction et parfois, lorsque cela se présentait, les destinataires des interventions.60
41Cependant, au Québec, hormis quelques expériences éphémères et disparates dans les années 1970, aucune implantation formelle du DIM n’a été expérimentée au sein même d’une organisation. Par contre, de 1997 à 2006, une application adaptée du DIM a été expérimentée dans l’univers des jeunes de la rue et plusieurs organisations ont été mobilisées et impliquées dans le projet. C’est ce que nous avons appelé le DIM en milieu ouvert, étant donné l’exigence de composer avec un milieu constitué de plusieurs organisations et non d’une seule. Voici une synthèse de cette expérimentation.
Penser le DIM en fonction d’un espace interinstitutionnel : les jeunes de la rue à Montréal
42Une situation urbaine spécifique est à l’origine de l’émergence d’un dispositif Mendel auprès des jeunes de la rue à Montréal. Mentionnons l’intensification de la répression policière et l’éviction des jeunes de la rue dans les espaces publics du centre-ville à cause des projets de revitalisation urbaine, et ce, dès la moitié des années 1990 (aménagement d’espaces vacants, distribution abusive de contraventions, fermeture des parcs publics, etc.). Ajoutons le réflexe de ces jeunes de créer des familles fictives, étayant ainsi leurs désirs d’autosuffisance fortement investis d’un imaginaire de l’autonomie naturelle (Parazelli, 2000a, 2002). Notons aussi que, jusqu’à la mise sur pied du dispositif Mendel, seuls les intervenants prenaient la parole pour les jeunes de la rue afin de les défendre et d’exprimer leurs besoins, étant donné les relations habituelles d’affrontement en face-à-face avec les policiers ou les autorités municipales. Cette situation menaçait d’entraîner les jeunes de la rue dans une impasse où ceux-ci, déjà marginalisés, le seraient encore davantage, sans pouvoir exprimer leurs désirs ni contribuer à chercher des solutions de façon démocratique. Bref, le dispositif Mendel s’offrait alors comme une opportunité de citoyenneté à la marge du social.
43Expérimentée à Montréal pendant sept ans, l’application du dispositif s’est accomplie en trois moments distincts entre l’année 1997 et 2006. La première phase prit la forme d’un projet pilote (1997 à 1999), qui fut évalué dans le cadre d’une recherche postdoctorale entreprise par Michel Parazelli (2000b), professeur à l’Ecole de travail social de l’Université du Québec à Montréal. Le deuxième moment correspond à l’implantation et au développement du dispositif, suite aux recommandations positives des participants lors de l’évaluation. Cette deuxième application dura trois ans (de 2001 à 2004) et un groupe fut ajouté, celui des policiers (Colombo, 2004). Elle fut possible grâce à une subvention de la Fondation de la famille McConnell. C’est aussi à ce moment que fut mis sur pied, en 2001, un groupe de sociopsychanalyse, le Collectif Désisyphe, afin de superviser de façon collective les diverses applications du dispositif Mendel ; ainsi s’engagèrent des liens de collaboration avec le groupe Desgenettes de Paris. Une troisième application a eu lieu de 2004 à 2006, avec l’appui d’une subvention du gouvernement du Canada visant à soutenir des initiatives pour les sans-abri. Elle a fait l’objet, à son tour, d’une autre série d’améliorations du cadre, toujours à l’aide d’une évaluation participative par les participants du dispositif (Larouche, 2006).
› Mode d’organisation
44L’organisation du dispositif vise à relier les fonctions d’intervention dispersées par des regroupements d’acteurs, non sur la base d’une fonction ou mission institutionnelle commune mais selon les actes de travail communs. Cette modification organisationnelle offre la possibilité aux participants-te-s de dépasser leur responsabilité partielle en la reliant à celle des autres acteurs. Par exemple, le dispositif est composé de cinq groupes homogènes qui se réunissent à raison d’une fois toutes les six semaines pour les jeunes de la rue, une fois tous les trois mois pour les autres groupes : deux groupes de douze jeunes de la rue sont sélectionnés par les organismes partenaires qui œuvrent auprès des jeunes de la rue. Comme les réunions portaient sur l’acte de travail, les jeunes ont reçu à chaque séance une rémunération forfaitaire ; un groupe de dix intervenants jeunesse qui sont en contact direct avec des jeunes de la rue ; un groupe de quatre policiers patrouilleurs recrutés par le quartier général du Service de police de Montréal ; et un groupe de six responsables institutionnels, c’est-à-dire d’acteurs susceptibles de modifier légalement le monde de la rue, à savoir : la Ville de Montréal, le Service de police de la Ville de Montréal, l’Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux, etc. Précisons que le rôle de ce dernier groupe est de prendre des décisions qui ne concernent pas le dispositif, mais le monde de la rue, en concertation avec leur organisme ou service.
45Ces différents groupes se rencontraient régulièrement et communiquaient avec les autres groupes par écrit. Notons que ces groupes étaient accompagnés par une équipe de deux régulatrices, membres du collectif Désisyphe, qui assuraient le respect des règles du jeu et intervenaient lorsque les mouvements de groupe le nécessitaient. Il n’y avait pas de rencontre face-à-face dans les échanges intergroupes, seulement dans les discussions intragroupe. Les rencontres étaient rythmées selon des cycles correspondant à la période durant laquelle tous les groupes s’étaient rencontrés une fois, sauf pour les groupes de jeunes, qui se rencontraient deux fois, chaque période s’étendant environ sur trois mois. Au terme d’une série de trois cycles, une synthèse des communications était faite afin d’assurer une continuité dans le processus d’appropriation de leur histoire par les groupes. Cela permettait aussi de s’assurer que des réponses avaient été données à toutes les communications. Les rencontres, qui duraient environ deux heures, étaient réparties en cinq temps : la concertation sur les communications reçues, un échange sur l’acte de travail/de vie de rue et sur les communications reçues, une synthèse de la discussion, la préparation d’une communication et une synthèse générale de l’ensemble de la rencontre. En ce qui concerne les aspects quantitatifs des trois applications, soulignons que, lors du projet pilote mené sur année (1998-1999), il s’est tenu vingt-neuf réunions et que trente-six communications écrites ont été échangées entre les quatre groupes présents. Lors de l’expérience de 2001-2004, cent vingt-neuf communications ont été échangées lors de cent dix-neuf réunions. Pendant la troisième application (2004-2006), il s’est tenu quarante réunions des groupes homogènes et cinquante et une communications ont été produites.
› Spécificités de ce dispositif
46Cette application dans le milieu ouvert de la rue comporte des spécificités : elle nécessite un travail de coordination important ainsi qu’un effort particulier de concertation des organismes partenaires. En effet, contrairement à un milieu fermé tel qu’une entreprise ou une école, par exemple, le milieu ouvert de la rue est constitué de différents acteurs qui ne sont pas tous rassemblés dans une même entreprise. En appliquant le dispositif dans ce milieu, on révèle en fait des relations qui existent dans la réalité entre ces acteurs, mais qui ne sont pas clairement officialisées comme dans l’organigramme d’une entreprise, par exemple. En milieu ouvert, il est donc nécessaire d’établir un espace spécifique pour permettre aux organismes partenaires de pouvoir se concerter. En effet, à la différence d’un milieu fermé, les participants aux réunions sont des organismes qui jouent un rôle dans le milieu de la rue. Or, pour que le dispositif ait un impact non seulement auprès de ces délégués, mais aussi au sein même de leur organisme, il est nécessaire de prévoir un espace de concertation avec les gestionnaires de ces organismes. Ainsi, depuis la troisième application, à la fin d’une série de trois cycles, une réunion de concertation rassemble les gestionnaires des organismes et des institutions partenaires. Elle a pour but de leur permettre de se concerter, sur la base d’un bilan intermédiaire des échanges, à propos des effets du dispositif, de sa pertinence pour leur organisme, de leurs éventuelles suggestions d’amélioration ainsi que de leurs attentes pour la suite.
› Effets de l’intervention (1997-2006)
47Précisons d’abord que les résultats attendus ne sont pas évalués prioritairement en fonction des actions réalisées sur le terrain susceptibles de découler des échanges au sein du dispositif, mais surtout en fonction de l’appropriation par les participants d’un processus de communication démocratique. En ce sens, ce dispositif en milieu ouvert transforme les règles du jeu habituelles en instaurant des règles démocratiques. Il favorise une prise de conscience des enjeux et des réalités des positions d’acteurs, mais pas au point de produire de nouvelles interventions dans le milieu, les acteurs n’étant pas contraints de travailler ensemble comme dans un milieu fermé. Le dispositif permet non seulement de révéler une certaine organisation de ce complexe institutionnel de la rue, mais il offre aussi aux participants l’opportunité de mieux comprendre la place qu’ils occupent au sein de ce milieu et qu’ils partagent avec d’autres acteurs produisant le même acte de travail ou social. Cette prise de conscience permet de donner un sens à la place qu’ils occupent au sein de ce complexe institutionnel, puisqu’elle leur permet de comprendre ce qu’ils font et pourquoi. Quant au contenu des communications entre les groupes, plusieurs sujets tels que les perceptions mutuelles de la marginalité sociale ou les problèmes de discrimination policière ont aussi été soulevés par les jeunes et les policiers ; par ailleurs, des informations juridiques ont été échangées et des idées de projets formulées. Soulignons aussi que l’un des effets importants de ce dispositif est la reconnaissance sociale des jeunes par des acteurs qui s’en tiennent habituellement à des relations d’affrontement ou d’exclusion.
48D’autres effets ont trait à la déconstruction de certaines visions des choses ; par exemple, les groupes de jeunes de la rue se sont rendu compte de leurs difficultés à élaborer une communication commune, compte tenu de leurs aspirations différentes. Par ailleurs, le fait de changer leur façon habituelle de communiquer avec les policiers (de l’attaque à l’ouverture) à permis d’établir un pont. Face aux communications adressées aux policiers et à celles que ces derniers leur adressaient, les jeunes ont été surpris autant que les policiers de constater qu’ils rencontraient les mêmes difficultés pour dépasser les questions de conflit et de discrimination. Avec ce dispositif, il ne s’agit pas de nier les différences de position, mais de créer des conditions qui permettent d’en tenir compte. Ainsi, c’est parce qu’ils sentent que leur place sociale est reconnue au sein du dispositif que les jeunes estiment avoir le droit d’exprimer leur sentiment de non-reconnaissance par les autorités urbaines et la police. En extériorisant leurs doutes quant à l’intérêt des policiers et des élus à participer au dispositif ou à leur fournir une réponse authentique, ils manifestent leur sentiment de ne pas être reconnus dans la réalité comme des interlocuteurs valables par ceux-ci.
49Quant aux intervenants, ils ont mis en commun leur vision de leur travail lors de la dernière application. Ils ont constaté qu’ils ne se renouvelaient pas beaucoup et ne travaillaient pas vraiment à la mobilisation des jeunes. Dans le groupe des responsables institutionnels, beaucoup de résistances à jouer le jeu du dispositif se sont manifestées : ils tenaient beaucoup à conserver des relations en face-à-face, ce qui avait pour effet de minimiser l’efficacité du dispositif. Ces personnes sont habituées à un processus de démocratie délégative et représentative, mais pas au modèle participatif proposé par le dispositif. On peut émettre l’hypothèse que leur résistance vient du fait qu’ils visent des interventions bien précises pour atteindre des résultats à l’aide du dispositif, mais dans un cadre de démocratie délégative. Il leur est alors difficile de ne pas modifier leur position, d’où leur opposition à une relation en position égalitaire. Il en résulta un antagonisme par l’absence de dialogue, étant donné que, au regard des responsables institutionnels, le dispositif ne permettait pas de renforcer leur propre position face aux autres, contrairement à l’usage en vigueur dans le cadre d’une table de concertation traditionnelle.
50On pourrait pousser plus loin la réflexion en disant que ce dispositif favorise la redéfinition des enjeux liés à la rue. On peut dire que ce « monde » des jeunes de la rue, des organismes, des institutions et même des bailleurs de fond, qui soutiennent l’initiative depuis sept ans, a mis en évidence l’intérêt et le désir de trouver de nouveaux moyens, de nouvelles façons de faire. A un autre niveau, les participants ont aussi été confrontés à un nouvel imaginaire collectif autour de la conception des jeunes de la rue, de l’intervention, de l’autorité, du dialogue. Ajoutons qu’à la suite de l’expérience-pilote d’une année (1999-2000), le dispositif fit la une du quotidien Le Devoir (Myles, 2000) sous le titre suivant : « Réalité sociale ou sac à symptômes ? La rue reconnue ! Quand les jeunes négocient d’égal à égal avec les élus. » Quatre ans plus tard, soit au terme de la deuxième application, le même quotidien (Myles, 2004) titrait : « Les jeunes marginaux veulent être pris au sérieux. Une expérience permet une amorce de dialogue entre policiers, politiciens et jeunes de la rue. »
51Aux termes de cette présentation, il nous est apparu nécessaire de présenter un aperçu d’une approche expérimentée depuis une quarantaine d’années et dont la proposition repose sur une problématisation des rapports d’autorité traversant l’organisation du travail en institution. Et, surtout, une approche qui ne demeure pas seulement dans la « projection psychofamilialiste » ou la « dépendance désobéissante ». On peut envisager que ce type de dispositif soit introduit dans une seule organisation plutôt qu’en milieu ouvert, tel que nous l’avons expérimenté avec les jeunes de la rue. Par exemple, le dispositif Mendel donnerait ainsi l’opportunité à des intervenants sociaux de dialoguer avec la direction et les cadres intermédiaires, par groupes de pairs facilitant la liberté de l’expression, sans face-à-face, de façon à mettre en discussion les aspects professionnels qui nuisent à l’appropriation de leurs actes de travail sans y être contraints par les seules exigences institutionnelles. Il leur serait ainsi possible de proposer des pistes de solutions en meilleure concordance avec les conditions et l’expérience de leur métier.
Notes de bas de page
53 Certaines pratiques de gouvernance telles que l’évaluation par les résultats contribuent à faire perdre de vue le « travail réel » des individus impliqués dans les services publics de santé, qu’ils soient praticiens, gestionnaires ou même citoyens concernés. Il devient donc plus difficile pour les différents acteurs de reconnaître le sujet et son acte, que ce soit directement (valorisation de l’acte de travail) et/ou indirectement (en donnant le temps et les moyens adéquats pour sa réalisation) (Honneth, 2000).
54 Mentionnons ici le constat critique d’un rapport d’évaluation de la réforme québécoise de 2003 (préfigurant celle de 2015) produit par le ministère de la Santé et des services sociaux lui-même (Québec, 2010 : 45) : « L’inévitable alourdissement de la structure hiérarchique qu’entraîne la fusion des établissements est un facteur de démobilisation important qui, selon le personnel, joue à plusieurs niveaux (perte de proximité avec ses supérieurs, affaiblissement des modes de communication, effritement de l’autonomie professionnelle, transformation du mode de gestion davantage top-down). En effet tous les CSSS composent avec un personnel qui perçoit encore peu de changements positifs à la fusion, qui déplore une hiérarchisation et une bureaucratisation accrues, “trop de marches à l’escalier” et peu d’effets sur le travail d’équipe et sur l’amélioration des services. »
55 Karsz (2014 : 199) qualifie la famille comme « […] l’une des modalités socio-historiques du vivre ensemble d’un ou plusieurs sujets […] » et signale d’ailleurs que : « Au-delà des affaires de famille et grâce à elles, les questions de parentalité désignent l’ensemble des démarches, interventions et discours attachés à la régulation privée des rapports sociaux publics. »
56 Evitons une première confusion possible. Si la théorie et le dispositif que nous propose Mendel traitent directement des conditions propices à l’appropriation de l’acte, ils se distinguent pourtant des théories évoquant l’empowerment ou sa version francisée du « développement du pouvoir d’agir » (Lemay, 2007 ; Le Bossé et al., 2009). Non seulement cette notion polysémique n’offre pas de problématisation de l’autorité ou du régime d’autonomie actuel, mais elle ne distingue pas l’acte de l’action et ne considère pas les rapports inconscients qui s’y jouent (Parazelli & Bourbonnais, 2017). L’empowerment ne s’intéresse qu’à l’action dans une perspective pragmatique de conscientisation, de motivation et de mobilisation des ressources. Si, idéologiquement, on ne peut réprouver le désir de développer un pouvoir aux individus ou aux groupes pour agir sur les conditions sociales, économiques ou politiques, on peut toutefois s’interroger sur la rigueur du travail théorique autour de l’empowerment, qui va un peu dans tous les sens idéologiques (Bacqué & Biewener, 2013 ; Karsz, 2008).
57 Voir le site officiel de la sociopsychanalyse : www.sociopsychanalyse.com
58 Les indications suivantes proviennent du chapitre trois de l’ouvrage de Rueff-Escoubès (2008 : 73-97) et du site de la sociopsychanalyse : www.sociopsychanalyse.com/interventions-2/dispositif-institutionnel-mendel
59 Voir note 20.
60 Pour en savoir plus, voir la liste bibliographique du site de la sociopsychanalyse : www.sociopsychanalyse.com/bibliographies
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