27 Plus précisément, Foucault écrit à ce sujet (1980, dans Defert & Ewald, 2001b : 908) : « Si l’accumulation du capital a été l’un des traits fondamentaux de notre société, il n’en va pas autrement pour l’accumulation du savoir. Or, l’exercice, la production, l’accumulation du savoir ne peuvent pas être dissociés des mécanismes de pouvoir avec lesquels ils entretiennent des relations complexes qu’il faut analyser. Depuis le 16ème siècle, on a toujours considéré que le développement des formes et contenus du savoir était l’une des plus grandes garanties de libération pour l’humanité […] Or c’est un fait déjà constaté par l’Ecole de Francfort que la formation de grands systèmes de savoir a eu aussi des effets et des fonctions d’asservissement et de domination. »
28 Cette réciprocité entre le savoir et le pouvoir est également précisée dans un cours au Collège de France, Théories et institutions pénales, que Foucault présente sous la forme d’une hypothèse de travail (Foucault, Résumé des cours au Collège de France : 1970-1982, Paris, Julliard, 1989, p. 20).
29 Il parle également de régime de véridiction, en tant qu’« ensemble des règles qui permettent, à propos d’un discours donné, de fixer quels sont les énoncés qui pourront y être caractérisés comme vrais ou faux » (Foucault, 2004b : 37).
30 Il est intéressant par ailleurs de relever que Foucault (1977, dans Defert & Ewald, 2001b : 236) désigne ses ouvrages comme des fictions, permettant de provoquer des effets de vérité : « Je me rends bien compte que je n’ai jamais rien écrit que des fictions. Je ne veux pas dire pour autant que ce soit hors vérité. Il me semble qu’il y a possibilité de faire travailler la fiction dans la vérité, d’induire des effets de vérité avec un discours de fiction, et de faire en sorte que le discours de vérité suscite, fabrique quelque chose qui n’existe pas encore, donc fictionne. On fictionne de l’histoire à partir d’une réalité politique qui la rend vraie, on fictionne une politique qui n’existe pas encore à partir d’une vérité historique ».
31 Aballéa (2003 : 19-20) fournit une autre possibilité de formulation de ce type de savoir du professionnel, qu’il théorise en quatre types : théorique, de par l’appui qu’il prend sur les sciences humaines pour la lecture des situations auxquelles les professionnels sont confrontés ; procédural, afin d’établir les règles à respecter pour pouvoir conduire l’action ; pratique, en tant que capacité à considérer la situation dans sa particularité, résultant essentiellement de l’expérience du professionnel ; et enfin comme savoir-faire, renvoyant à ce qu’il appelle les « trucs du métier », l’art de la pratique en quelque sorte.
32 Lire à ce sujet Bonvin, Dif-Pradalier & Rosenstein (2012 : 13-15, 19).
33 Plus largement, autour du champ médical et l’apparition d’un nouveau champ de positivité entre 1750 et 1820, impliquant de nouveaux concepts, objets, théories, etc., voir ibid., p. 409.
34 Notre formulation de la prévention à quatre entrées renvoie notamment à un modèle de prévention à trois niveaux, utilisé par exemple dans le domaine de la violence : 1] prévention universelle (vise l’ensemble de la population ou certains groupes précis, indépendamment du risque que présente chaque individu) 2] la prévention sélective (s’adresse aux personnes ou aux groupes qui présentent un risque de développer un comportement violent) 3] la prévention indiquée (concerne les personnes qui ont déjà fait usage de la violence).
35 Au sujet de la réorganisation du service d’aide sociale de la Ville de Lausanne : « Désormais les travailleurs sociaux peuvent se concentrer sur l’« autonomisation » des bénéficiaires. Un projet est élaboré avec chacun : suivre un cours de langue, apprendre à gérer son budget, trouver une formation. […] Cet accompagnement doit permettre à un plus grand nombre de personnes de s’affranchir de l’aide sociale. La seule commune de Lausanne distribue 100 millions de revenus d’insertion par an à quelque 8 000 personnes. Une diminution du temps passé à l’aide sociale, même modeste, couvre largement les frais engagés pour la réinsertion » (Mousson, 2010 : 2).
36 Un autre exemple dans lequel apparaît ce triptyque prévention-coût-réseau est le Dossier du mois Artias (2008, juillet-août) intitulé « Initiative des villes : politique sociale ». Il y est question de promotion de l’intégration et d’approche préventive dans les villes par la mise sur pied de systèmes d’alerte et de détection précoce. Ces systèmes intègrent une collaboration en réseau (institutions, disciplines), permettent d’« éviter des coûts matériels et sociétaux consécutifs importants » et sont au final désignés comme bénéfiques à trois titres : pour les personnes mieux intégrées, la cohésion sociale et les finances des pouvoirs publics.
37 Articles des 20.5.2011 (Sur les traces des fraudeurs) ; 23.3.2011 (Travailler un mois pour toucher l’aide sociale) ; 31.10.09 (La dénonciation des abus de l’aide sociale est nécessaire) ; 9.1.10 (Il prend 360 jours-amendes pour avoir arnaqué l’aide sociale et Le canton aura son inspection sociale) ; 7.10.2010 (Un escroc à l’aide sociale amendé) ; 10.12.10 (Les abuseurs auront dorénavant plus de peine) ; 18.2.2010 (L’aide sociale de Fribourg tancée pour des sanctions ubuesques) ; 20.2.2010 (Un désaveu pour l’aide sociale).
38 Articles des 15.3.2010 (Le service social bien dirigé) et 17.8.10 (Lausanne décharge ses assistants sociaux des paiements mensuels).
39 Articles des 14.4.2010 (« Si jamais », l’exclusion sociale s’expose) et 30.8.2011 (Un guichet social ouvert à tous).
40 Articles des 18.4.2011 (Faire de l’apprentissage la sortie de secours de l’aide sociale) ; 14.6.2011 (Soudain, je n’ai plus d’argent et Services sociaux, 60 cas de plus) ; 4.10.2010 (Etre au social n’est pas vraiment un choix, il faut se battre tous les jours).
41 Article du 22.5.2010 (L’aide sociale atteint 6,3 millions en 2009).
42 Article du 16.8.2011 (Deux femmes tuées dans une fusillade).
43 Article du 25.3.2011 (Les employés du service social tirent la sonnette d’alarme).
44 . Article 14.1.2011 (L’inaltérable fibre sociale du tuteur).
45 Ces articles sont également parfois l’occasion pour les professionnels de relever le pourcentage peu élevé des bénéficiaires de l’aide sociale qui commettent ce genre d’abus (5 %). Aucun article n’a cependant eu pour thème principal leur pourcentage peu élevé.
46 Nous pensons également à son équivalent fribourgeois, l’AFAAP (Association fribourgeoise action et accompagnement psychiatrique). Dans le cadre des festivités pour les 20 ans de cette association en 2012, des personnes atteintes de maladie psychique et membres de l’association ont pu témoigner devant la caméra d’un professionnel de leurs parcours, des changements que la maladie a entraînés dans leur existence mais aussi de ce que cette association a pu leur apporter dans le cadre de leur rétablissement. Des moyens et courts-métrages ont ainsi été réalisés, que le tout public a pu visionner durant les festivités. A ce sujet, voir le Rapport annuel 2012, p. 10.
47 Nous nous référons à la conférence de Keller : Défendre le travail social ou défendre la justice sociale ? donnée le 13.11.10 à Lausanne dans le cadre de la Journée SSP/SUD/AvenirSocial intitulée Quel avenir pour le travail social ? Keller propose sept thèses sur l’avenir du travail social, dont l’une postule que les professionnels seraient « tentés par la nostalgie et le corporatisme ».
48 Pour se faire une idée plus précise des moyens consacrés, lire le Dossier du mois Artias d’octobre 2006, rédigé par Marc Piguet et qui a pour titre « Le contrôle des prestations d’aide sociale ». Et, plus récemment et pour le canton de Fribourg le Concept cantonal sur le dispositif de prévention et de contrôle des abus dans l’aide sociale (Direction de la santé et des affaires sociales, 2015).
49 Contrairement à ce qui précède et pour la suite de notre propos, nous entendons par institution sociale toute entité sociale structurée, organisée et active dans le champ du travail social. Il peut s’agir d’associations, de fondations mais aussi d’entités mises sur pied par un canton ou une commune.
50 Lire notamment sa brochure (pp. 2 et 10 plus particulièrement), le rapport annuel 2010 (pp. 2 et 19), l’article de Clotilde Buhler intitulé « La Tuile joue le rôle de voiture-balai » paru dans Actualité Sociale, pp. 8-10 en nov.-déc. 2010, ainsi que son site internet.
51 L’identité visuelle de l’association nous semble à ce titre révélatrice. Le logo représente un personnage plutôt souriant, paisible, présenté de profil, également caractérisé par un certain embonpoint, tenant dans sa main droite un parapluie synonyme d’unique protection contre les intempéries. Autre personnage, un ange, à son tour souriant, tenant dans sa main droite une lanterne et désignant de son doigt sans doute le lieu d’accueil. Tel que le relève un professionnel, il s’agit d’exprimer, tant par les formes que par les couleurs du logo, le message et les valeurs que l’association veut transmettre : « l’accueil des personnes en situation d’urgence est un acte de solidarité, de confiance et d’espoir » (Rapport annuel 2010, « Nouvelle identité visuelle », p. 10).
52 A ce sujet, comme l’écrit Milburn (2004 : 4), la mise en avant par Foucault de cette relation entre biopolitique et Etat social a « contribué à mettre en cause les politiques sociales comme élément de maintien de l’ordre social », entrant en quelque sorte en conflit avec d’autres approches pour lesquelles il s’agit au contraire de les renforcer et de les retravailler dans un contexte de crise et de démantèlement de l’Etat-providence.
53 Nous renvoyons ici aux analyses de Didier Fassin (notamment, 2005 : 172-181). En résumé, la critique de Fassin porte sur le fait que l’on ne se penche plus sur les causes – de la déviance sociale, d’une quelconque maladie due à l’insalubrité, etc. – mais que l’on soigne prioritairement sans interroger ce qui est à l’origine sociale et environnementale de l’état qui exige des soins. Les soins seraient en quelque sorte la seule nécessité reconnue, la question sociale faisant place à des questions de santé publique, celles-ci excluant celle-là.
54 Donzelot semble confirmer une telle position de Foucault. En effet, dans un entretien en 2006 avec Alvarez Uria, il souligne que lorsque le philosophe « a analysé cette histoire de la gouvernementalité néolibérale qui pointait sous ses yeux à la fin des années soixante-dix, il s’est rendu au siège du parti socialiste français pour s’entretenir avec ses dirigeants les plus innovateurs dans le genre de Michel Rocard, pour leur dire que, plus que la bureaucratie existante, il fallait inventer une gouvernementalité de gauche capable de s’opposer aux techniques de gouvernement néolibérales» (Donzelot, 2006, cité dans Moreno Pestaña, 2011). Par ailleurs, dans un article intitulé « Michel Foucault et l’intelligence du libéralisme » (Esprit, 2005), Donzelot présente Foucault comme son ancien maître dont la parole, après avoir été « un temps familière, excitante » est désormais devenue « irritante et comme étrangère ». Il reconnaît cependant « l’étonnante actualité de cette analyse du libéralisme [par Foucault] un quart de siècle après qu’elle eût été formulée » (Donzelot, 2005 : 62).