Réflexions sur la typologie des tombes à inhumation : entre synthèses, interrogations et perspectives
p. 467-471
Texte intégral
1L’objectif de ce colloque était d’actualiser les informations relatives à la typo-chronologie des structures funéraires, finalement assez peu discutées de manière collective depuis le deuxième colloque ARCHEA intitulé Archéologie du cimetière chrétien qui s’était tenu à Orléans à l’automne 1994 (Galinié et Zadora-Rio 1996). Il répond aussi à la nécessité de considérer la typologie des sépultures comme une problématique à part entière de l’archéologie funéraire (Blaizot 2008 : 37), démarche largement exploitée et ayant montré tout son potentiel d’un point de vue des approches socio-culturelles dans certaines monographies conséquentes de ces dernières années.
2Outre l’appel à contribution classique, des demandes ciblées ont été lancées auprès de différents acteurs déjà investis dans cette large thématique. Les contributions recueillies illustrent une partie de la recherche archéologique sur le monde funéraire depuis une vingtaine d’années. Quarante-trois contributions sont ici rassemblées illustrant la diversité des problématiques, des territoires et des périodes, même si l’axe concernant la typo-chronologie pour le Moyen Âge est le plus largement représenté. Elles consistent d’une part en des études assez larges, englobant une aire géographique importante, qui sont généralement matérialisées par des textes relativement conséquents ayant mobilisé un certain nombre d’intervenants, et, d’autre part, en des études plus ciblées à l’échelle d’un territoire, dont la présentation est plus succincte, issues bien souvent de la transcription de posters.
3Le graphique ci-dessous donne une image des contributions par régions administratives, toutes plus ou moins représentées soit pas des travaux synthétiques, soit par des études particulières de sites. Trois pays limitrophes, plus un du Proche-Orient et un du territoire ultra-marin sont également évoqués.
Graphique de répartition des contributions par zones géographiques


4Comme le révèle le graphique précédant toutes les périodes chronologiques sont exploitées, les synthèses proposées débutent au début de l’Holocène pour couvrir une période de dix millénaires.
5Les recherches abordées concernent principalement la typo-chronologie avec 28 contributions, 13 autres sont orientées sur des sujets plus ciblés (tombes atypiques, prieuré, chapelle, pourrissoir, …), 4 portent sur les datations et 1 seule sur des questions de nomenclature. Cette partition reste toutefois arbitraire, un type funéraire par exemple peut sembler atypique pour une période donnée, ce qui renvoie donc directement à sa typo-chronologie.
6La question de la nomenclature est abordée à travers un état des lieux du thésaurus PACTOLS de Frantiq, outil du documentaliste comme du chercheur. Une étude sur le dossier Mort montre les évolutions récentes et les limites de PACTOLS en soulignant au final la nécessité d’utiliser un vocabulaire commun. La question des datations est examinée à travers trois contributions ciblées sur le Moyen Âge. La première concerne les statistiques bayésiennes et le logiciel ChronoModel appliqués à un site médiéval de l’Aube à partir de différentes sources radiométriques et stratigraphiques couplées à celles fournies par le matériel. Cette collaboration, associant archéologues et “dateurs”, aboutit à une finesse des différentes périodes d’utilisations funéraires. L’intérêt d’une approche pluridisciplinaire est également souligné par le travail mené sur une sépulture issue d’un ensemble funéraire paléochrétien de Lyon qui a livré un riche mobilier funéraire diachronique. Un bilan sur la typo-chronologie des sépultures du Bas-Empire et médiévales en Bourgogne soulève la question de la sélection des échantillons en fonction de différents paramètres archéologiques. Pour des périodes plus anciennes, au Néolithique et à l’âge du Bronze, où les sépultures collectives sont très fréquentes, seules les datations radiométriques documentent bien souvent les phases et la durée des utilisations sépulcrales. Des valeurs inédites sont ici fournies pour les Pyrénées-Atlantiques.
7Les tombes atypiques sont traitées à partir de deux exemples. Le premier concerne une nécropole antique à Évreux où l’indigence des défunts semble se caractériser par différents marqueurs que sont la position du corps (corps jetés), l’absence de cercueil et la présence de restes d’Équidés dans les comblements. Le second exemple illustre la persistance des tombes avec tegulae jusqu’au xiiie s. en Provence, en Corse et en Italie, ce qui justifie une révision de la typo-chronologie de ce mode funéraire. Les crises de mortalités liées à des épidémies se caractérisent quant à elle par la réalisation de sépultures dites multiples qui évoluent au fil des siècles, la gestion des corps devenant de plus en plus désorganisée. Une synthèse portant sur un large corpus européen du ve s. à la période moderne comble une lacune en soulignant la diversité des structures utilisées au fil des siècles. Une étude sur des pourrissoirs accolés à une église illustre la diversité des traitements des corps à l’époque médiévale mais ici sur le long terme, soit du xiii au xive s. Cette opération est à rapprocher de celle d’un prieuré rattaché à une abbaye qui contenait six caveaux familiaux avec des morphologies propres, des contenus différents en termes de défunts, et dont l’exploitation a nécessité une adaptabilité importante, peu compatible avec les conditions classiques d’une fouille préventive. Il est important de souligner que l’étude de tels ensembles est généralement très chronophage et que, par exemple, la fouille des pourrissoirs de Saint-émilion se déroule dans un cadre programmé, ce qui soulève la question des moyens à mettre en œuvre pour l’exploitation de tels sites. Les tombes en contexte monastique sont illustrées par deux établissements. Celui de Touraine a livré 450 tombes réparties sur une période de six siècles. L’analyse classique couplée à la réalisation de 80 dates radiométriques a permis la reconnaissance de plusieurs phases et espaces funéraires. Le contexte monastique semble avoir influencé le choix des structures funéraires. Le deuxième exemple est celui d’un cimetière provençal rattaché à un ordre mendiant ayant accueilli des tombes extérieures. Dans ce cas, l’évolution de l’organisation de l’espace sépulcral sur quatre siècles ouvre à une réflexion sur l’évolution des mentalités.
8La typo-chronologie des sarcophages est abordée dans un premier article prenant l’exemple du Cantal et soulignant la difficulté à préciser les périodes de fabrication et d’utilisation par manque de dates radiométriques. Le sud du Bassin parisien et le Centre-Ouest ont quant à eux fourni un large corpus de près de 5 000 sarcophages principalement représentés en Poitou. Cette étude traduit à travers les matériaux, les formes, les dimensions et parfois les décors, la diversité des aires culturelles concernées. La nature des tombes rupestres (en Touraine) est également discutée en raison de leur grande diversité de formes et d’aménagements. Situées en espace rural, elles ne semblent pas rattachées à une période particulière, bien que majoritairement alto-médiévales. Une logette céphalique est présente dans une tombe datée du milieu du iiie s. au ive s. ap. J.-C. Des cercueils antiques en plomb très bien conservés sont illustrés par une découverte dans la région nîmoise. Ils étaient déposés dans des tombes à niche latérale.
9Les approches typo-chronologiques en fonction des régions apportent des résultats contrastés assez complexes à synthétiser du fait du chevauchement de certaines approches territoriales et des différences méthodologiques concernant le traitement des données. Elles révèlent toutefois, et sans trop de surprise, que la documentation issue des fouilles récentes est en général plus facile à traiter. Elles vont cependant toutes autoriser des discussions sur un ensemble de variables mettant en relief des différences chronologiques sur le temps long et apporter également des données inédites sur des territoires encore peu documentés (par ex. en Auvergne mais surtout à l’étranger comme en Suisse ou en Arménie).
10Un grand nombre de contributions touchent le territoire français. Les investigations menées sur le territoire des Hauts de France permettent de couvrir des inhumations concernant les périodes pré- et protohistoriques assez peu représentées dans le nord de la France où aucun bilan n’avait encore été mené. Elles permettent également une approche typo-chronologique spécifique des pratiques funéraires dans l’Aisne de la fin du viie s. au début du xviie s. Pour le quart nord-est de la France, la collaboration de différents acteurs de l’archéologie funéraire nous offre une présentation méthodologique originale de traitement et d’analyse statistique globale de données unifiées, toutes périodes confondues, sur une base d’environ 10 000 tombes. Cette méthodologie sera ensuite utilisée pour plusieurs synthèses régionales (dont Bourgogne-Franche-Comté et Champagne-Ardenne).
11Des études plus ciblées, par exemple en Lorraine, traitent de la dynamique d’évolution des pratiques funéraires de la Préhistoire jusqu’à l’époque contemporaine (avec près de 5 000 tombes fouillées par différents opérateurs archéologiques). La même démarche est proposée pour la région de Champagne-Ardenne avec 1 400 sépultures réparties sur une période de 6 millénaires. La tentative de lecture typo-chronologique des sépultures à inhumation en Alsace du Néolithique à l’époque moderne met en avant deux écueils pour la compréhension des pratiques funéraires dans leur ensemble dans cette région, d’une part l’ancienneté de nombreuses découvertes et, d’autre part, les investigations limitées sur les cimetières médiévaux et modernes souvent fouillés sur des surfaces réduites. Les mêmes grilles analytiques appliquées à l’Île-de-France, et là encore grâce aux travaux de plusieurs acteurs de l’archéologie funéraire, permettent d’amorcer un vrai travail de synthèse avec des datations bien établies et des informations archéologiques pertinentes.
12Une approche méthodologique comparative des pratiques funéraires dans le sud-ouest de l’Angleterre et le nord-ouest de la France du viie au xie s. permet de pointer un certain nombre de difficultés, qu’il s’agisse des méthodes employées, de la précision des enregistrements, ou encore de l’absence de vocabulaire commun. Un focus porté sur les sépultures à inhumation dans l’espace médio-atlantique au second âge du Fer révèle de nettes distinctions entre les régions trans-manches et celles des marges orientales où les inhumations prédominent et les typologies des tombes sont plus variées.
13La typo-chronologie des tombes en Anjou, Poitou et Touraine apportent des compléments aux premières études menées dans la région, notamment en renseignant les périodes anciennes et les territoires de l’est et du nord de la région Centre-Val de Loire ; elle illustre également l’importance et la diversité des dispositifs funéraires en bois dans la typologie. Sur le territoire de l’Indre-et-Loire, la documentation archéologique montre que la pratique de l’inhumation est largement dominante entre le ier s. av. et le ier s. ap. J.-C., et réservée à la petite aristocratie guerrière, mais aussi que la crémation est largement sous-estimée. Des premières amorces de typo-chronologie sur 300 tombes médiévales pour une période allant du xe au xiiie s. sont proposées pour le nord de l’Auvergne et des variations typologiques sur plus de 3 000 sépultures à inhumation sont répertoriées en Bourgogne-Franche-Comté sur un large spectre chronologique, du Néolithique à l’époque moderne, avec des tendances de très longue durée (nombre d’objets déposés dans les tombes, variations architecturales position et orientation des individus, influence non négligeable du recrutement).
14En Poitou-Charentes et au nord de l’Aquitaine, la multiplication des opérations archéologiques pour la période médiévale a conduit à la systématisation des observations taphonomiques et leurs enregistrements avec un recours très fréquent aux datations radiométriques. Elles montrent une grande diversité des structures funéraires entre le viiie et le xie s. comparées à celles des siècles suivants et encourage la reprise d’études anciennes. Dans la partie occidentale de la région Occitanie la typo-chronologie des tombes à inhumation de l’Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge révèle des tendances que les auteurs fusionnent en trois groupes chronologiques potentiellement liés aux conceptions du devenir de l’âme et du corps des défunts.
15Une nouvelle synthèse régionale en Provence-Alpes-Côte d’Azur, menée sur la période du Haut Empire à l’époque contemporaine, témoigne d’une multiplication de nouvelles données associée à de nombreux progrès méthodologiques, dont une meilleure analyse des types de tombes et un affinement des datations, avec deux grandes tendances qui se dégagent pour les périodes les plus récentes, les tombes en pleine terre dominantes du xvie au xviiie s. sont remplacées par les coffres de bois aux xviiie et xixe s. Deux focus concernant la ville de Nice sont ensuite proposés, le premier sur l’étude en cours de la nécropole romaine de Nikaia du iie s. au ve s. ap. J.-C., le second sur le cimetière de l’ancienne cathédrale Sainte-Marie (Colline du Château) pour lequel est proposée la construction d’un référentiel typologique concernant 250 structures funéraires bien datées du ixe s. au début du xve s.
16Dans une micro-région du Var, la civitas de Forum Iulii, une approche typo-chronologique fondée sur l’étude de trois ensembles funéraires du Haut-Empire, révèle des spécificités liées à l’histoire locale, notamment l’arrivée de populations étrangères et l’existence de traditions funéraires propres à certains groupes d’individus.
17Pour la Corse est présentée une première approche diachronique pour une typo-chronologie de l’inhumation du Mésolithique à l’Époque moderne ; elle met en évidence une grande variété architecturale quelle que soit la période chronologique considérée.
18Quelques contributions témoignent également de l’enrichissement apporté par l’étude de données typo-chronologiques issues de sites étrangers. Pour l’Espagne, plus précisément dans le bassin nord occidental de la Méditerranée en Catalogne, du 4e au 2e millénaire av. n. è., est proposée l’élaboration d’une première base de données concernant plusieurs catégories de sépultures collectives (dolmen, grotte, grotte aménagée, hypogée, fosse simple et complexe) ainsi que les orientations à privilégier (notamment en termes de datations radiocarbones) afin de pouvoir discuter de potentiels liens entre les pratiques funéraires de la Catalogne et celles du Midi de la France. Une typo-chronologie totalement inédite sur un corpus de 1 283 sépultures tombes à inhumation de la Préhistoire au début du xxe s. est également présentée pour le territoire suisse. Outre le fait qu’elle dévoile certaines difficultés (manque d’homogénéité dans le vocabulaire, ambigüités dans les analyses taphonomiques, disparités dans les méthodes et la documentation), elle révèle la constance de certains types de tombes au cours du temps ainsi que les récurrences et les particularités propres à certaines périodes et ouvre de nombreuses pistes de recherche appelées à se concrétiser à court terme. En Italie du Sud, pour le site d’Arpi dans les Pouilles, le croisement de diverses données (topographie et typologie des tombes, mobilier, chronologie, observations anthropologiques) complète les connaissances sur les transformations urbaines et sociales d’une des plus grandes agglomérations dauniennes entre le vie s. av. J.-C. et le ier s. ap. J.-C.
19Des données inédites sont également fournies pour l’Arménie, grâce à la première analyse typo-chronologique des tombes de l’aire funéraire attenante à la basilique paléochrétienne d’Ereruyk sur une période comprise entre l’Antiquité tardive et l’Époque contemporaine. L’étude de 70 tombes (recrutement de la population inhumée et analyse des pratiques funéraires) constitue ainsi le premier référentiel pour le Caucase du Sud.
20Enfin est pointée une corrélation entre forme des cercueils et chronologie des cimetières d’époque coloniale de la Guadeloupe. La forme trapézoïdale qui prévaut du xviie au xviiie s. est progressivement remplacée par une forme hexagonale à partir de la deuxième moitié du xviiie s. Cette transformation peut être mise en relation avec l’accroissement de l’influence commerciale et culturelle de la sphère anglo-saxonne.
21En conclusion, l’avantage de cet ouvrage est de regrouper d’importantes contributions sur la thématique de la typo-chronologie des structures funéraires, tout en offrant un panorama de la diversité des thèmes abordés. Il nous fournit un ensemble de premiers résultats qui sont autant de pistes de recherches enthousiasmantes dont on espère qu’elles seront approfondies par davantage de travaux collectifs à court terme. Il s’agit d’une première étape d’appropriation de méthodes et d’outils et certains résultats sont d’ores et déjà consultables en ligne. Certaines des études qui nous ont été présentées sont d’ores et déjà intégrées à différents projets (dont des PCR) ce qui offrira sans aucun doute un espace de diffusion autre que celui de cette publication.
22On note une grande diversité dans les aires géographiques concernées et les périodes traitées mais il aurait été illusoire de couvrir uniformément tout le territoire. Toutefois, les opérations de terrain et de recherche reposant notamment sur l’activité, ces 20 dernières années, de l’archéologie préventive, fournissent de précieuses informations. Les comparaisons entre territoires et structures ne sont pas toujours possibles, c’est la difficulté majeure. Les descriptions sont inégales et les sources parfois incomplètes, mais deux raisons principales peuvent être évoquées. L’emploi d’une nomenclature est indispensable et il est nécessaire qu’elle soit aussi multilingue (études sur l’espace médio-atlantique par exemple) comme cela est souligné dans l’une des contributions. Le second point concerne les dates radiométriques essentielles aux classifications typo-chronologiques. Même quand elles existent, elles ne sont pas toujours suffisamment documentées. Un important travail d’uniformisation est encore nécessaire à l’établissement d’une typo-chronologie pour l’ensemble des périodes. L’archéologie est très largement tributaire des données chronologiques ; certes, cette dernière peut parfois être documentée par d’autres méthodes, mais il nous semble que le développement d’un outil constituant une base de données des dates radiométriques pour les structures funéraires pourrait être un projet soutenu par le Gaaf. Nombreuses sont les tentatives de cet ordre qui ont échoué. La principale difficulté résiderait à établir un outil facile d’utilisation, pas trop lourd tout en étant suffisamment précis. Voilà donc un projet ambitieux que nous soumettons à la réflexion à la nouvelle équipe du Gaaf.
Bibliographie
Blaizot 2008. Blaizot F. - Réflexions sur la typologie des tombes à inhumation : restitution des dispositifs et interprétations chrono-culturelles, Archéologie médiévale, 38 : 1-30.
Galinié et Zadora-Rio 1996. Galinié H. et Zadora-Rio E. (dir.) - Archéologie du cimetière chrétien. Actes du 2e colloque ARCHEA (Orléans, 29 septembre-1er octobre 1994), 11e supplément à la Revue Archéologique du Centre de la France, ARCHEA/FERACF, Tours, 310 p.
Auteurs
-
Patrice Courtaud
CNRS, UMR 5199 PACEA
-
Dominique Castex
CNRS, UMR 5199 PACEA
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