L’évolution des pratiques funéraires dans les chapelles seigneuriales (xive-xxe siècles) : du pourrissoir de cadavres au caveau à cercueils

Jacques Gélis

p. 401-408

Résumés

Les chapelles seigneuriales qui se multiplient à partir du xvs. disposent généralement d’un caveau funéraire qui sert de pourrissoir de cadavres. L’évolution du sentiment de la mort et le changement du rapport au cadavre conduisent à partir du xviie s. à transformer le caveau en dépôt de cercueils dans lesquels les corps sont désormais embaumés.

Seigniorial chapels multiplied in the 15th century and generally included a crypt used as a place of decomposition for corpses. The changes in the notion of death and relations with a dead body from the 17th century led to the crypt being transformed into a place to store coffins containing previously embalmed corpses.

Entrées d’index

Mots-clés : cadavre, pourrissoir, chapelle seigneuriale, caveau funéraire, embaumement, cercueil

Keywords : corpse, place of décomposition, seigniorial chapel, funeral vault, embalming, coffin


Texte intégral

1L’ensemble constitué, dans l’église paroissiale, par la chapelle seigneuriale et son caveau funéraire apparaît principalement à partir du xve s. ; il reprend les dispositions du caveau-pourrissoir, initié au cours du xie s. par les clunisiens. Cluny définissait alors un nouveau rapport de l’homme avec l’Au-delà (Iognat-Prat 1996 ; Chiffoleau 1980). Cette pastorale eut pour conséquence un changement d’attitude à l’égard du cadavre dont on accélérait le processus de décarnisation en exposant le corps dans un pourrissoir. Au bout d’un temps variable, de l’ordre de 15 à 24 mois, on procédait à une réduction de corps, l’objectif étant de limiter la place occupée par chaque défunt dans le sanctuaire.

2Le caveau seigneurial reprit ces dispositions. Situé juste sous la chapelle et ventilé par un ou deux soupiraux, il était destiné à recevoir la dépouille des morts de la famille et faisait office de pourrissoir. Les ossements récupérés étaient ensuite déposés dans un coin du caveau ou remontés dans la chapelle, pour rejoindre en quelque sorte matériellement et symboliquement le grand corps collectif des ancêtres morts.

3Cette chapelle-caveau différait des caveaux ordinaires. Elle avait en effet la particularité d’occuper dans le sanctuaire un espace plus important et plus solennel que les autres sépultures. C’était pour le seigneur une manière de se distinguer de ses sujets, d’illustrer son titre de “premier habitant” de la communauté villageoise.

4Du point de vue architectural, les chapelles seigneuriales n’obéissaient pas à un modèle unique, ce qui s’explique à la fois par la diversité des styles régionaux et par l’époque où elles ont été construites, c’est-à-dire entre la fin du xive et le xviiie, voire le xixe s. Elles étaient toujours situées à proximité du chœur de l’édifice, ou dans un bras du transept lorsqu’il en existait un. Il s’agissait parfois d’une construction rapportée, faisant alors saillie à l’extérieur de l’édifice. Mais quelle qu’ait été la disposition de la chapelle, de là où il était installé, le seigneur pouvait, tout en étant à proximité de la dépouille de ses ancêtres, suivre au mieux l’office divin avec sa famille (Gelis et Immel 2017 : 91).

1. Les deux pourrissoirs de Sainte-Mesme (78)

5L’église de Sainte-Mesme, une commune située à la limite des Yvelines et de l’Essonne, a été longtemps connue pour son pèlerinage, l’un des plus fréquentés du Hurepoix. Elle date pour l’essentiel des xive et xve s. ; mais au début du xvie, le seigneur local y fit construire à l’est de l’édifice une nouvelle chapelle qu’il plaça sous l’invocation de Sainte-Anne.

6Le site avait déjà été reconnu en 1985 (Immel et Berhault 2008) puis en 2004 (Immel et Berhault 2010), lorsque Philippe Charlier en entreprit l’étude en 2007 (Charlier et al. 2009). Il qualifia les deux pourrissoirs de “médiévaux”, ce qui est sans doute partiellement vrai pour le premier mais pas pour le second.

1.1. Le plus ancien des deux caveaux-pourrissoir

7Le caveau seigneurial le plus ancien, conservé dans le chœur de l’église de Sainte-Mesme, peut être pris comme référence. Orienté vers l’autel, il date de la fin du xive s. Un document de la fin du xviie s. le définit comme étant “la cave de dessous le chœur de cette église, le lieu ordinaire de sépulture de la famille des seigneurs-comtes de cette église.” (Preter 2012 : 16). C’est donc une sépulture privée, réservée au seigneur du lieu et à ses proches. Elle mesure 3,18 m de profondeur sur 3,25 de largeur et sa voûte hémisphérique a 2,50 m de hauteur à son sommet. Un petit muret périphérique court le long des murs et un muret central (0,70 m de hauteur sur 0,25 d’épaisseur) partage l’espace en deux cuves parallèles (3,18 m sur 1,26 m et 0,79 m de profondeur) au-dessus desquelles avaient été fixées initialement neuf barres assez rapprochées pour recevoir et maintenir un corps enveloppé dans son linceul. Ces barres qui étaient vraisemblablement en bois se sont dégradées et ont depuis longtemps disparu, mais neuf encoches sur chacun des côtés du pourrissoir montrent encore leur point d’ancrage.

8On accédait à ce caveau par une trappe située dans l’allée principale du sanctuaire. Cette ouverture était de modestes dimensions mais suffisamment large pour que deux fossoyeurs – l’un en haut, l’autre en bas – puissent y descendre les corps enveloppés dans leur linceul. Un escalier de quelques degrés facilitait l’accès au caveau qui était précédé d’un couloir. Comme la plupart des caveaux seigneuriaux ce pourrissoir était construit en brique, voûté et chaulé (Blanchard et al. 2015 ; Castex et al. 2019) (Fig. 1 et 2).

Fig. 1 - Sainte-Mesme (78), plan du caveau de la chapelle Sainte-Anne.

Relevé J.-J. Immel

Fig. 2 - Sainte-Mesme (78), chapelle Sainte-Anne, entrée du caveau-pourrissoir.

Cliché : J.-J. Immel

1.2. Le second caveau-pourrissoir

9On accède au second pourrissoir, situé dans la chapelle Sainte-Anne au sud du sanctuaire, par une large trappe constituée de quatre traverses en pierre. La dimension importante de cet accès dans cette chapelle construite plus tardivement est l’indice d’une modification des pratiques funéraires. Cette trappe n’ouvre pas sur un escalier mais directement sur le boyau d’accès au caveau. Une ouverture à parement de brique, sans doute pourvue autrefois d’une porte, permet de pénétrer dans ce caveau de 2,62 m de profondeur sur 2,11 m de large composé lui aussi de deux cuves de 0,97 m sur 0,90 m. La voûte est tronquée et plus basse que dans le premier caveau puisqu’elle ne culmine qu’à 1,70 m. Un muret central (0,24 d’épaisseur sur 0, 6 m de hauteur) sépare ici aussi les deux cuves, mais il n’existe pas de muret périphérique, les trois barres en métal à section ronde étant directement fixées dans le mur ; elles sont toujours en place, mais posent question : comment un cadavre aurait-il pu y être installé pour entamer un processus de décarnisation en n’étant soutenu que par trois barres transversales espacées ? Des barres par ailleurs disproportionnées puisque leur section atteint six centimètres d’épaisseur. Cette modification de la nature et de la disposition des barres installées au-dessus des cuves constitue l’indice d’un changement intervenu dans la fonction même des caveaux seigneuriaux (Fig. 3).

Fig. 3 - Sainte-Mesme (78), chapelle Sainte-Anne, le caveau-pourrissoir.

Cliché : J.-J. Immel.

1.3. Les inscriptions : le “langage” du caveau

10Des inscriptions figurent sur les murs du caveau le plus ancien. Certains caveaux de chapelles-seigneuriales comportent ce genre d’inscriptions tracées sans ordre apparent à la pointe sèche ou au charbon de bois. Avant la Révolution, il ne s’agissait pas de graffitis laissés par quelque visiteur intempestif : on ne se serait pas risqué autrefois à descendre dans un tel caveau pour y laisser son nom, car il aurait accusé immédiatement le violeur de sépulture. Seuls les révolutionnaires à la recherche du plomb des cercueils qu’ils savaient y trouver se risquèrent, dans un contexte bien particulier, à pénétrer ces lieux ; et ils n’y laissèrent pas leur nom… Ce n’est que plus tard, aux xixe et xxe s., que des noms, des initiales et des dates ont été tracés par des personnes qui se sont introduites dans le caveau après qu’il ait été désaffecté1. En réalité, les noms et les dates qui figurent sur les murs du caveau renseignent sur la chronologie des ouvertures du sépulcre lors de la descente de nouveaux corps.

Fig. 4 - Sainte-Mesme (78), chapelle du chœur, les inscriptions du caveau-pourrissoir.

Cliché : J.-J. Immel

11Sont donc inscrits ordinairement les noms et les prénoms des fossoyeurs, accompagnés d’une date. La voûte est alors conçue comme un support permettant de consigner les dépôts effectués2 (Fig. 4).

12Les registres paroissiaux de Sainte-Mesme témoignent de cette permanence de la descente de corps dans le caveau du chœur jusqu’à la date de 1762. Ainsi, le 15 décembre 1701, est mentionnée l’inhumation d’Anne de L’Hospital âgée de 77 ans dans “la cave du cœur (sic) de cette église de Sainte-Mesme, sépultures ordinaires des ancêtres”, ou encore le 1er décembre 1732, l’inhumation d’Elie Guillaume de L’Hospital, âgé de 38 ans et demi dans “la cave des seigneurs-comtes de Sainte-Mesme, laquelle est dans le chœur de cette église.” Ce sera ensuite l’autre “cave” qui jouera à son tour le rôle de caveau seigneurial : ainsi, le 14 juillet 1778 a lieu l’inhumation de Thibault de La Brousse, âgé de 95 ans, dans “la cave de la chapelle Sainte-Anne, lieu de la sépulture des seigneurs de Sainte-Mesme (Preter 2012)”.

13Il faut donc considérer ces inscriptions rustiques comme un simple memento des ouvertures du caveau sépulcral3 Dans ce lieu confiné, dans cet espace privé d’accès limité, les morts de la famille dormaient de leur sommeil éternel… La solennité et la reconnaissance s’exprimaient au contraire dans la chapelle au-dessus, dans cet espace lui aussi privé, mais offert à la vue. Sur des plaques armoriées, dont bon nombre furent détruites ou martelées d’abord pendant les guerres de Religion, puis à la Révolution, s’affichaient les noms des défunts : une façon pour les vivants de rappeler ce qui les rattachait à leurs ancêtres morts qui gisaient sous leurs pieds (Solignat 2012)

2. Du pourrissoir au dépôt de cercueils

14Un changement de fonction, qui avait donc commencé à apparaître dès la fin du xviie s., se généralisa aux cours des deux siècles suivants. Or, cette évolution de la fonction traduit en réalité très profondément une modification du regard porté sur le cadavre. Les conditions d’ensevelissement répondent désormais à de nouveaux critères. Il s’agit de conserver le corps dans son état “naturel”, c’est-à-dire de le maintenir le plus près possible de l’état dans lequel il était lorsqu’il était vivant. On mesure le chemin parcouru depuis le temps où le corps dans son suaire était déposé sur les barres du pourrissoir en attente de décarnisation. Désormais, “Il ne s’agit pas seulement de conserver quelque chose, mais de conserver un corps qui soit encore l’image de quelqu’un.” (Carol 2015) L’exigence de ressemblance du visage et d’intégrité du corps, grâce aux techniques d’intervention sur le corps, témoigne du changement intervenu dans le rapport à la mort et dans la manière d’envisager les fins dernières.

2.1. Quand l’image du mort change

15Le souci de préserver l’intégrité du corps en attente de résurrection est ancien. Il existait déjà au iie siècle lorsque le théologien Athénagore posait la question : comment se recomposera le corps dans le cas d’une dispersion des ossements ? Sa réponse était que Dieu serait capable de rassembler les parties, voire de recréer les pièces manquantes du squelette. Conciliant, Thomas d’Aquin estimait de son côté que la résurrection du corps n’exigeait pas la récupération de la totalité de la matière qui avait constitué l’homme… Toujours était perceptible la préoccupation de sauver le plus possible d’ossements. À la fin du Moyen Âge, la question avait resurgi en un temps où l’on commençait à porter une plus grande attention à l’individu et à sa destinée, et au xviiie s., on en arriva dans les milieux privilégiés à vouloir sauvegarder l’intégralité du corps, bref son intégrité, son apparence, en particulier les chairs que précédemment on demandait au pourrissoir de faire disparaître. On était désormais bien loin mentalement de l’exposition du corps dans le pourrissoir. Une perspective qui était devenue insupportable !

16Or cette mutation des sensibilités est perceptible sur le terrain. L’exemple de Sainte-Mesme montre que les deux caveaux ont cessé de recevoir des corps et donc de jouer le rôle de pourrissoirs bien avant la fin du xviiie s., celui du chœur, le plus ancien, cessant d’être utilisé vers 1740, le second, celui de la chapelle Sainte-Anne, sans doute vers 1770.

17Ces deux caveaux ayant donc été violés par les révolutionnaires qui en avaient vidé les cercueils, on ne trouva dans les caveaux, lors de la première investigation archéologique en 1985, que fort peu d’ossements, les plus nombreux et les plus importants ayant été transportés en 1793 dans le charnier du cimetière ; mais on nota la présence de clous, de poignées en métal, de ferrures de cercueils. Ce qui prouve que les deux caveaux ne jouaient plus leur rôle de pourrissoirs et qu’ils avaient été convertis en dépôts de cercueils. Que le pourrissoir de la chapelle Sainte-Anne soit pourvu de trois barres de métal de forte section témoigne de la nouvelle fonction du caveau : trois barres en métal se justifient lorsqu’il s’agit de supporter le poids de plusieurs cercueils céphaliques en plomb insérés dans des cercueils en bois.

2.2. Un corps mort mais qui doit paraître vivant

18Ces conditions nouvelles de sépulture s’expliquent par le fait qu’il est maintenant devenu possible de conserver les corps très longtemps grâce au travail de préparation réalisé par des praticiens spécialistes. À vrai dire, l’embaumement des corps n’est pas une nouveauté, mais ce fut longtemps une pratique réservée aux défunts de l’élite, en premier lieu aux dépouilles royales et princières ; puis au cours des siècles, des nobles et de riches bourgeois y recoururent4.

19Une telle intervention sur le cadavre implique une démarche codifiée, une série de traitements opérés par les hommes de l’art, par des chirurgiens qui suivent les prescriptions d’ouvrages spécialisés, comme celui de Philbert Guybert, Manière d’embaumer les corps morts5 (1645), ou celui de Louis Pénicher, Traité des embaumemens6 (1699). La manière d’opérer obéit toujours aux mêmes règles. Après avoir commandé à un artisan de fabriquer un cercueil en plomb aux dimensions du corps, et un baril également en plomb pour y mettre les entrailles, après avoir préparé des bandes pour les bras, les jambes et le corps, ainsi que des scalpels, des aiguilles et une scie, les praticiens procèdent à l’incision des trois “ventres”, c’est-à-dire des trois cavités : la tête, le thorax et l’abdomen. Ils récupèrent la cervelle, les poumons et les entrailles qui sont entreposés dans le baril en faisant se succéder tour à tour un lit d’organes, un lit de poudres aromatiques auxquelles on a ajouté du sel7. Les trois ventres vidés, on les lave avec de l’esprit de vin et on les remplit de poudres, d’étoupe, de coton ; on fait de même pour les ouvertures du corps. La tête, après traitement, est mise “dans un sac en forme de coiffe de nuit, qui a des cordons qu’on tire pour serrer autour du cou, afin que toute la tête soit exactement enveloppée8.” Les opérateurs s’occupent ensuite des bras, des cuisses et des jambes sur lesquels ils opèrent des “taillades qui pénètrent jusqu’aux os9” et dans lesquelles on verse les poudres aromatisées et salées ; puis on bande les membres. Enfin, “on emmaillote le corps avec la bande préparée à cet effet ; on le coud dans une toile cirée et on le serre avec de la ficelle, comme un ballot : on le met ensuite dans le cercueil qu’on fait souder par le plombier10.” Le crâne d’un enfant savamment scié, retrouvé dans le caveau du chœur de Sainte-Mesme, ainsi que les résidus de plantes et d’onguents qui ont pu être recueillis au sol témoignent de ce type d’intervention sur les corps.

20La nouvelle approche du cadavre à la fin du xviiie s. va faire évoluer cette manière traditionnelle de le conserver. Ce que l’on veut désormais, c’est préserver l’intégrité du corps dans la longue durée. Aussi, dans les familles aisées, ce corps n’est-il pas destiné à être mis en terre, tant cette idée maintenant révulse, mais dans ce caveau isolé du milieu naturel où il ira rejoindre celui de ses ancêtres. Les techniques d’embaumement vont devoir s’adapter pour répondre à cette nouvelle sensibilité. Et comme porter atteinte au corps par des “taillades” n’est pas plus supportable que de le laisser pourrir, c’est à la chimie que l’on va désormais demander les moyens d’assurer la momification du corps.

3. Les changements du xixe siècle

21Au cours du xixe s., les familles descendant d’anciens seigneurs locaux se trouvent confrontées à une difficulté. Ses ressortissants ne résident généralement plus de manière permanente sur place. Le décès ayant lieu à la ville, on se préoccupe de faire transférer le corps dans le caveau des ancêtres ; ce qui ne peut décemment être assuré qu’après traitement du corps. L’amélioration des procédés de conservation par embaumement et la multiplication spectaculaire des agences de thanatopraxie témoignent de ce changement (Carol 2015). Le corps peut alors affronter le transport par la route, puis, à partir des années 1850-1860, par le train. Après la cérémonie religieuse d’usage, le cercueil est descendu dans l’ancien caveau-pourrissoir pour y être entreposé, celui-ci jouant maintenant le rôle de sépulture souterraine définitive (Fig. 5 et 6).

Fig. 5 - Louville-la-Chenard (28), les cercueils dans le caveau réaménagé au xixe s.

Cliché : J.-J. Immel.

Fig. 6 - Louville-la-Chenard (28), dans la chapelle, le nom des défunts ensevelis dans le caveau.

Cliché : J.-J. Immel.

22Ce caveau-entrepôt de cercueils est entretenu par des familles qui, très attachées à leur sanctuaire, vont prétendre continuer au xixs. à y faire enterrer leurs défunts. Cet attachement au village et à son sanctuaire s’explique par l’idée que là est le berceau de la famille, que c’est son point d’ancrage territorial. Alors que le pourrissoir a perdu sa fonction première et qu’il est partout devenu tombeau collectif, on a maintenant le souci de mettre de l’ordre dans l’espace demeuré jusqu’alors fermé et secret du caveau funéraire. À l’intérieur, les noms des personnes, leurs dates de naissance et de mort, leur qualité et leurs titres sont gravés sur chacune des plaques qui servent de bouchoir aux alvéoles contenant des cercueils clairement individualisés. Ces marques d’identification sont reconstituées à l’étage supérieur, sur un mur de la chapelle seigneuriale, sous la forme d’un cénotaphe bien ordonnancé. Le meilleur exemple de cette double localisation du souvenir est sans doute fourni par la chapelle funéraire de Louville-la-Chenard (28)11.

3.1. Un double problème : conditions d’accès et saturation

23Au cours du xixe s., le caveau funéraire va pourtant poser un double problème aux familles. Le premier résulte des dispositions de la loi de l’an XII et concerne les conditions d’accès au caveau12 : comment y descendre et y faire descendre les corps dès lors que se trouvent condamnés la trappe et l’escalier situés dans la chapelle ? Les familles vont tourner la difficulté en faisant construire un escalier extérieur au sanctuaire, avec emprise sur l’espace public, mais obturé soit par une lourde dalle en pierre, soit par une grille verrouillée13. Certaines tolérances locales se sont pourtant perpétuées. Aujourd’hui encore, des cercueils sont introduits dans certains caveaux à partir d’une trappe fermée au plâtre située dans l’église même, trappe ré-ouverte puis refermée après chaque descente de cercueils14 (Fig. 7).

Fig. 7 - Longpont-sur-Orge (91), Trappe d’accès au caveau rebouchée au plâtre, et plaques funéraires.

Cliché : J. Gélis.

24Le second problème posé par ce caveau-entrepôt c’est celui de sa saturation, l’espace y étant en effet limité. Mais ce qui pouvait constituer une difficulté jusque dans l’entre-deux-guerres ne l’est plus aujourd’hui. Tout simplement parce que les comportements ont changé. La famille accorde beaucoup moins d’importance qu’autrefois au choix de sépulture dans le lieu d’origine de la lignée. Les défunts sont maintenant de plus en plus souvent enterrés dans leur lieu de vie et une simple plaque fixée sur le mur de l’ancienne chapelle seigneuriale vient rappeler leur identité et la date de leur mort, en les rattachant, sans que leur corps soit présent, à la mémoire familiale15.

25Bon nombre de caveaux de chapelles seigneuriales situés dans l’église paroissiale sont aujourd’hui tombés dans l’oubli, soit parce qu’ils ont été murés, soit parce que l’accès en est devenu trop discret pour qu’on le remarque. Leur abandon par des familles n’ayant plus d’attaches avec le village qui fut autrefois le berceau de la lignée, marque la fin d’une longue histoire. Et c’est souvent à l’occasion d’une intervention fortuite dans le sanctuaire que leur existence est découverte16.

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Notes de bas de page

1C’est le cas en l’église Saint-Ferréol de Saint-Fargeau-en-Puisaye (89).

2De manière significative c’est en général la voûte gauche qui est privilégiée, sans doute parce qu’il est plus aisé d’y tracer des caractères de gauche à droite. L’inscription a été parfois portée sur le fond, en marchant alors sur le muret central, comme c’est le cas dans le caveau du chœur à Sainte-Mesme.

3Ces mentions font donc partie intégrante de l’histoire du caveau funéraire.

4Sur la préparation des corps pour leur conservation, cf. Gélis 2012 ; Georges 2014 ; Charlier, Georges et Kramar 2009.

5Dans Toutes les œuvres charitables de Philbert Guybert, Rouen, Louis Du Mesnil, 1645 : 863-873.

6Traité des embaumemens selon les anciens et les modernes, avec une description de quelques compositions balsamiques et odorantes, Barthélemy Giron, Paris, 1699.

7On ajoute ordinairement quelques livres de sel commun à la poudre de toutes ces plantes (aromatiques) qui sert à remplir les grandes cavités.

8Diderot et d’Alembert, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, article “Embaumement” par le Chevalier de Jaucourt, t. XII, 1781 : 200-203.

9D’où des traces multiples de scalpel sur les ossements, lorsque les taillades sont très profondes. Encyclopédie : 201. C’est vraisemblablement un traitement de cette nature qu’a subi au XVIIIe s. le corps contenu dans un sarcophage en plomb de l’hôtel-Dieu de Tonnerre, Maurel et al. 2015.

10Encyclopédie, p. 201.

11Certaines familles ont fait un autre choix : celui de la chapelle privée construite à l’intérieur même du domaine, ou plus fréquemment celui d’une chapelle à l’architecture ostensible, édifiée dans le cimetière communal.

12Sur la loi de l’an XII qui organise désormais les conditions de sépulture, cf. Bertrand et Carol 2016.

13Dalle de pierre par exemple à Boutigny-sur-Essonne (91) jusque dans les années 1980, puis accès verrouillé avec une grille et une porte par la mairie. Grille à Louville-la-Chenard (28).

14Ainsi, à la basilique de Longpont (91) et à l’église paroissiale de Rambures (80), où des descentes de cercueils ont eu lieu ces dernières années.

15Cf. à Louville-la-Chenard (38), où plusieurs plaques concernant des membres de la famille, décédés loin de l’Eure-et-Loir, ont été apposées au cours des dix dernières années.

16C’est le cas de plusieurs caveaux récemment étudiés en région Centre-Val de Loire. Cf. Aubourg 2020.


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