URL originale : https://books.openedition.org/feracf/393
Les sépultures atypiques de la nécropole antique du clos du Duc à Évreux (Eure)
Sylvie Pluton-Kliesch, Céline Bemilli et Véronique Théron
p. 385-393
Résumés
À côté des sépultures antiques très normalisées, certaines fouilles laissent entrevoir des modes d’inhumations atypiques. C’est le cas de la nécropole d’Évreux (Eure) où cette atypie est multiple. Il s’agit tout d’abord de la position particulière du corps des défunts (procubitus, sur le côté, position contrainte, etc.) et de l’absence de cercueil. La particularité de ces sépultures est renforcée par la présence, dans leur comblement, de quartiers de carcasses d’équidé. Il semble exister un lien entre le mode d’inhumation et le statut social des défunts.
In addition to the highly standardized ancient burials, some excavations suggest unusual modes of burial. This is the case of the necropolis of Evreux (Eure) where this a-typicity is multiple. Firstly, the position of the body is specific (procubitus, sideways, constrained position, etc.) and there is no coffin. The uncommon characteristic of these burials is reinforced by the tomb being filled with large pieces of horse carcass. There seems to be a link between the social status of the deceased and the burial practises.
Entrées d’index
Mots-clés : Antiquité, Gallo-romain, équidés, rituel, société, inhumation, contenant funéraire
Keywords : Antiquity, Gallo-Romans, equid, ritual, society, burial, funerary container
Texte intégral
1L’étude des sépultures mises au jour dans la nécropole antique du Clos au Duc, à Évreux (Eure), s’intègre parfaitement au thème des communications sur la typo-chronologie des sépultures atypiques. Ces sépultures sont dites atypiques par rapport aux rituels d’une population précise, sur un secteur donné, pour une période chronologique limitée.
2La ville actuelle d’Évreux a été créée ex nihilo, peu après la conquête romaine. Chef-lieu de la cité des Aulerques Éburovices, elle porte le nom de Mediolanum Aulercorum et est rattachée à la province de la Gaule Lyonnaise. À la périphérie de cette ville se développent plusieurs nécropoles. La plus importante, celle du Clos-au-Duc, est installée à flanc de coteau, au sud de la ville, le long d’un axe de communication reliant Évreux à Chartres. Ce secteur est actuellement très urbanisé. La nécropole est connue dès le xixe s. par de nombreuses découvertes fortuites liées à divers travaux, dont l’implantation du chemin de fer Paris-Cherbourg et sont relatées par les érudits locaux (Kliesch 2011). Depuis une vingtaine d’années, la nécropole est étudiée dans le cadre d’une succession d’interventions archéologiques ponctuelles qui ont livré plus de 200 sépultures secondaires à crémation et 230 sépultures à inhumation. Cette nécropole semble durer du ier au ive s. de n. è. Les crémations, prépondérantes au ier s., sont progressivement remplacées par les inhumations. Ces dernières sont généralement classiques car elles correspondent à ce que l’on retrouve dans le monde romain. Les défunts sont inhumés selon un rituel codifié qui se traduit en archéologie par la mise au jour de squelettes inhumés généralement en décubitus dorsal, les membres inférieurs en extension, à l’exception des sujets morts en période infantile qui sont souvent inhumés en position fœtale. Les corps sont généralement déposés dans des cercueils en bois qui peuvent être chevillés (ier s.) ou cloués (ier-ive s.) (Pluton-Kliesch sous presse). Le Bas-Empire se distingue par l’utilisation de cercueils en plomb et de sarcophages réservés à une élite. Durant toute la période antique, les défunts sont habillés et les éléments de parures sont fréquents : fibule, perle, bague, pendentif, chaussures aux semelles clouées. On retrouve également des éléments de toilette (pot à onguent en verre, amphorisque en plomb), des oboles à Charon, des chaussures non portées, des cruches en céramique contenant probablement une boisson, mais également de petits dépôts alimentaires (quartier de poulet, poisson, œuf de poule). Les autres éléments retrouvés dans le comblement des fosses correspondent aux reliquats des repas rituels et commémoratifs. Il s’agit d’ossements animaux correspondant à la triade alimentaire classique (porc, bœuf, caprinés – mouton et chèvre) présentant de nombreux stigmates de découpe bouchère (coup de tranchet, de couteau) caractéristiques des rejets boucherie et/ou d’assiette.
3Chaque nécropole livre à côté de ces sépultures codifiées quelques sépultures particulières. C’est le cas à Évreux, au 3bis rue de la Libération, où 118 sépultures à inhumation datées de la fin du ier s. à la fin du iiie s. ont été retrouvées. Si aucune organisation spatiale ne semble se dessiner, les datations 14C, la chronologie relative et la datation du mobilier permettent de distinguer trois phases d’ensevelissement. La première phase, correspondant à la fin du ier s. et à la charnière ier-iie s., regroupe 34 défunts. La troisième regroupe trois sépultures datées de la fin du iiie s. Les dépôts funéraires de ces deux phases sont classiques. Ce sont les 67 inhumations de la phase 2 qui illustrent notre propos. Ces sépultures couvrent le iie et le tout début du iiie s.
1. Dépôt atypique des défunts
1.1. Position atypique des corps
4La position atypique la plus répandue est l’inhumation en procubitus (17 adultes, dont 4 femmes et 10 hommes, et 1 juvenis). La plupart des corps ont été enterrés en pleine terre (Fig. 1). Les membres inférieurs peuvent être hyper-fléchis (2 occurrences - 1 femme mature et 1 jeune homme), les calcanéus ramenés vers les os coxaux. Une telle position nécessite l’utilisation d’un lien serré. Un autre défunt inhumé sur le ventre a le membre supérieur gauche en extension (Fig. 2).
Fig. 1 - Vue générale de la sépulture 35 contenant un homme adulte mature inhumé en pleine terre sur le côté gauche, le côté droit est resté en surélévation.

S. Pluton-Kliesch, Inrap.
Fig. 2 - Vue de la partie supérieure du jeune adulte (sép. 19) inhumé en procubitus, le membre supérieur gauche en extension et en élévation en amont du crâne.

S. Pluton-Kliesch, Inrap.
5Douze adultes, 1 juvenis (15-17 ans) et 4 immatures âgés de 7 à 10 ans ont été inhumés latéralement, les membres souvent repliés. 10 d’entre eux ont été inhumés sur le côté gauche (6 adultes âgés de plus de 30 ans et 4 immatures), les autres (6 adultes et un adolescent) ont été inhumés sur le côté droit.
6Si les défunts déposés en décubitus dorsal représentent 43,1 % des adultes de la phase 2, certains ont une position contrainte. C’est le cas de l’individu 21 dont le membre supérieur droit a été placé dans son dos : le coude droit se retrouve en arrière de l’épaule gauche, la main, en supination, est en connexion anatomique stricte derrière les vertèbres thoraciques. Cette position ne peut se faire sans un déboitement de l’épaule réalisé avant le début de la décomposition du corps puisque les connexions labiles des ossements de la main sont étroites.
763,5 % des défunts associés à la phase 2 sont en position atypique ou contrainte. Si ce pourcentage reste élevé, il n’est cependant pas inédit. En effet, plusieurs nécropoles, dont celles de Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme) (Bel et al. 2002) et d’Avenches “en Chaplix” en Suisse (Castella 1999) présentaient de nombreux sujets adultes inhumés en procubitus (respectivement 73,3 % et 38 %).
1.2. Les fosses sépulcrales
8La position particulière des corps s’accompagne d’une architecture funéraire qui ne l’est pas moins (Pluton-Kliesch et al. 2009). En effet, les cercueils cloués très usités durant tout le iie s. sont totalement absents de la phase 2. Vingt-sept défunts ont été inhumés directement en pleine terre (7 immatures et 19 adultes). Quatorze autres ont été inhumés dans un contenant en matériau périssable rigide rectangulaire non cloué. Il s’agit essentiellement de coffrages aménagés dans le fond des fosses sépulcrales (13 occurrences). L’utilisation de ces coffrages a pu être mise en évidence par les analyses taphonomiques (décomposition du corps en espace vide) et par la présence d’effets de parois très nets. Ces aménagements étaient accessibles depuis la surface et ont parfois accueilli plusieurs défunts. Ces fosses sépulcrales, relativement simples dans leur construction, sont également plus petites que celles de la phase 1. Leur volume en m3 est forcément plus réduit (respectivement 0,84 m3 et 1,56 m3), correspondant à une seconde phase d’inhumation, elles sont moins profondément enfouies. Toutefois, leur taille est également moindre. Les fosses sépulcrales de la phase 1 mesurent en moyenne 1,62 m² (± 0,82) à l’ouverture, celles de la phase 2 : 1,19 m² (± 0,37). Leur creusement a nécessité un travail moins important et leur forme est également moins régulière et variée (allongée, ovale).
1.3. Des dépôts multiples
9Six sépultures doubles ont été mises au jour, elles sont toutes rattachées à la phase 2. Dans au moins trois cas, il est possible d’affirmer que ces inhumations sont successives.
10Une première fosse a accueilli deux défunts déposés tête-bêche. Le premier est un jeune homme adulte inhumé sur le côté gauche, la tête au sud (le corps a ensuite basculé vers le fond de la fosse). Le second, un jeune homme également, a été déposé sur le côté droit, la tête au nord (Fig. 3). Ces deux corps n’ont pas été inhumés simultanément car on observe la présence de sédiment d’infiltration sur les pourtours de la fosse. Il n’y a pas eu de recreusement de la fosse sépulcrale, mais la réouverture d’une fosse fermée par un simple couvercle. Les corps étaient enveloppés dans un élément périssable souple qui a permis le maintien des connexions labiles et celui d’os en équilibre instable.
Fig. 3 - Inhumation successive de deux jeunes hommes adultes déposés tête-bêche dans un espace vide (sép. 141 et 142).

S. Pluton-Kliesch, Inrap.
11Une deuxième fosse contenait les squelettes d’un homme âgé inhumé en décubitus dorsal, la tête au sud, et d’un immature âgé de 10 ans (± 2 ans) inhumé sur le côté gauche, la tête au nord (Fig. 4). Les infiltrations ponctuelles de sédiment observées entre les corps impliquent la réouverture d’une fosse fermée par un système de fermeture amovible.
Fig. 4 - Inhumation successive d’un homme âgé et d’un immature âgé de 10 ans, déposés tête-bêche dans un espace vide (sép. 144 et 145).

S. Pluton-Kliesch, Inrap.
12Une troisième fosse a accueilli un immature âgé de 5 ans (± 2 ans) inhumé en décubitus la tête au sud, puis un adolescent (juvenis) inhumé en procubitus, la tête au nord (Fig. 5). Les corps se sont décomposés dans un espace vide. On observe la mise à plat totale des volumes thoraciques et celle partielle des ceintures pelviennes, mais également le déplacement de l’extrémité distale du fémur droit du second défunt lors de la décomposition de l’enfant dont le déhanchement correspond au tassement du sédiment de la fosse sépulcrale située au-dessous.
Fig. 5 - Inhumation successive d’un immature âgé de 5 ans et d’un adolescent déposés tête-bêche dans un espace vide (sép. 92).

S. Pluton-Kliesch, Inrap.
13Dans ces trois cas, les défunts ont été placés dans une simple fosse fermée par un couvercle accessible au niveau du sol et rouverte afin d’y déposer le second individu. La présence de planches sur le pourtour des fosses est probable. S’agit-il d’une volonté de regroupement familiale ou plutôt d’un gain de temps pour le fossoyeur qui n’a qu’une seule fosse à creuser pour deux défunts ?
2. Un comblement atypique
14Le sédiment de comblement des fosses sépulcrales antiques livre assez régulièrement du mobilier archéologique (tessons, faune, etc.) correspondant aux restes des repas funéraires commémoratifs. Dans tous les cas, les restes alimentaires sont des aliments consommables, et parfois consommés (porc, coq, bœuf, mouton, poissons, fruits, légumes, pains, etc.).
15Or, à Évreux, de nombreuses tombes ont livré des ossements ou des quartiers d’équidés. Ces cas, rares, ne sont toutefois pas inédits. À la période romaine, le cheval n’est pas complètement absent des quartiers de viande déposés en contexte funéraire. Il est présent par exemple à Rodez (Lignereux et al. 1998), sur la nécropole d’Avenches “En Chaplix” (Olive 1999), ou plus récemment sur celle de Louvres (Vigot et Coussirat 2014).
16Ces ossements ne correspondent pas au reliquat d’un repas funéraire puisque le cheval n’est normalement plus consommé à l’époque romaine, encore moins au iie s. de n. è. dans une agglomération romanisée en plein essor. Ces ossements d’équidés proviennent des vastes dépotoirs péri-urbains qui se trouvent, comme les nécropoles, à la sortie des villes. À Mâcon (Barthélemy et Lepetz 1999), un épandage de plus de 2 000 os provenant d’une quinzaine d’équidés (iie-iiie s.) a été trouvé en périphérie de la ville (Lepetz et al. 2010).
17La question d’une association volontaire entre les restes d’équidés et les défunts se posait pour cinq sépultures qui présentaient une association nette et complexe entre les squelettes humains et des portions de carcasses d’équidé (sépultures 7, 10, 43, 91 et 117). Ces sépultures datent du iie s. de n. è.
18Pour exemple, la sépulture 7 semble avoir été immédiatement colmatée (Pluton-Kliesch et al. 2009). Le défunt, un homme adulte mature, a été déposé en décubitus dorsal. Le membre supérieur droit et les membres inférieurs sont en extension, le gauche est légèrement fléchi, le coude éloigné du tronc. Au-dessus du corps ont été placées six séries d’ossements d’équidés en connexion (Fig. 6). 1 à 20 cm de sédiment séparent l’humain de la première carcasse ; il comporte un fragment de mandibule et une première portion de membre postérieur. Vient ensuite un équidé adulte (au 3/4 complet) posé sur le flanc droit. On observe des traces de crocs de chien sur la 6e cervicale et quelques traces de découpe sur l’humérus. Posé immédiatement sur cet ensemble se trouvait une portion de rachis adulte associée à un coxal et au membre postérieur gauche presque complet. De nombreuses pathologies caractéristiques de la monte ont été relevées. Au-dessus de cet ensemble se trouvait un rachis associé aux côtes. L’axis était au même niveau altimétrique que les éléments les plus hauts dans la fosse, le rachis cervical plongeant ensuite vers le fond et la cage thoracique reposant à quelques centimètres au-dessus du squelette humain. Le rachis lombaire de cet animal passait par-dessus les autres ensembles anatomiques et l’on pouvait voir une déviation à angle droit du rachis entre les 10es et 11es vertèbres thoraciques. Cette position évoque un forçage ayant pour but de contenir la carcasse dans un espace contraint. Le dernier ensemble comprend un membre postérieur droit en connexion (du fémur rongé par les chiens à la première phalange) et un amas composé d’un crâne, de mandibules et d’os longs. La position et la présence de sédiment entre certaines parties squelettiques des différentes carcasses suggèrent qu’elles étaient dépourvues de viscères, que les attaches ligamentaires étaient présentes et que la décomposition s’est faite en milieu fermé. L’imbrication des squelettes implique un dépôt synchrone et un comblement rapide.
Fig. 6 - Décomposé du dépôt successif d’un homme mature puis de six carcasses d’équidés plus ou moins complètes (sép. 7).

V. Théron, Inrap.
19Un autre cas (sépulture 10), le plus complexe de la nécropole, associe dans un espace contraint au moins 5 portions de carcasses d’équidés à 3 défunts (Fig. 7). Des effets de parois sont parfaitement perceptibles de tous les côtés et l’on se pose la question de la présence d’un coffrage simple (aucun clou n’a été découvert). Il est également possible que ces effets correspondent au creusement (Fig. 8). Le premier défunt est un juvenis (18-20 ans) de sexe féminin. Cette adolescente a été déposée en décubitus dorsal, la tête au sud, le corps préalablement enveloppé dans une enveloppe souple en matériau périssable. Le second défunt est un homme adulte âgé, placé tête-bêche sur le côté droit. Du sédiment d’infiltration est par endroits visible entre les squelettes (Fig. 9). Directement sur le deuxième défunt a été placé un segment d’équidé femelle adulte. Les restes sont constitués d’une portion du rachis, d’une trentaine de côtes, du sacrum, des coxaux et du fémur gauche. Plusieurs apophyses vertébrales présentent de légères exostoses, résultat probable d’un début de traumatisme lié à la monte. Une petite incision a été relevée sur la face externe d’une côte. Une dizaine de côtes étaient déconnectées de la cage thoracique et semblaient de prime abord se trouver au-dessus des autres dépôts. Cependant, leur position indique une connexion anatomique initiale avec les thoraciques et il s’avère qu’elles ont juste été poussées sur le côté de la structure lors de l’inhumation d’un bébé, alors que les ligaments reliant ces côtes aux vertèbres étaient suffisamment décomposés. La position du coxal par rapport au fémur suggère un léger effondrement et par conséquent un contexte plutôt ouvert. Est ensuite mis en place une portion de cheval mâle adulte comprenant les quatre dernières vertèbres cervicales, les vertèbres thoraciques et lombaires, une quinzaine de côtes, le sacrum et le coxal. Plusieurs côtes présentent des stries courtes et fines sur leurs faces externes. La carcasse a été déposée en connexion mais une séparation en angle droit, sans trace de forçage entre deux vertèbres lombaires, suggère une intervention postérieure au dépôt et une volonté de forcer cette carcasse à entrer dans un espace limité. Le troisième ensemble est composé d’une cage thoracique. Une apophyse vertébrale présente une trace de croc tandis qu’une incision fine se situe sur la face externe d’une côte. On observe ensuite le dépôt d’une portion d’un cheval adulte composé de 13 thoraciques associées à 12 côtes, celui d’un tronçon de rachis cervical d’un cheval adulte, puis d’un amas d’os. Dans cet amas se trouve un crâne dont la partie incisive cassée est située au-dessus du crâne du second défunt, séparé par 1 à 2 cm de sédiment d’infiltration indiquant un espace vide. Le comblement final de la fosse se caractérise par le dépôt d’un enfant mort en période infantile protégé par une amphore coupée en deux, dont le fond retourné a été déposé en premier sur l’enfant suivi de la partie supérieure.
Fig. 7 - Décomposé du dépôt successif (sép. 10) d’une adolescente, d’un homme âgé, de cinq portions d’équidés et d’un bébé inhumé sous une amphore découpée (en gris).

V. Théron, Inrap.
Fig. 8 - Photographie de la surface de la sépulture 10.

H. Paitier, Inrap.
Fig. 9 - Vue de profil de la sépulture 10 dans laquelle on observe la présence plus ou moins importante de sédiment entre les défunts et les différentes carcasses d’équidés.

S. Pluton-Kliesch, Inrap.
Conclusion
20Si la plupart des sépultures mises au jour sur la nécropole du Clos-au-Duc à Évreux correspondent aux rituels funéraires connus pour l’Antiquité, l’un des secteurs regroupe des individus inhumés différemment au cours du iie s. Ce secteur présente une forte densité de sépultures, des fosses petites, irrégulières, désorganisées et parfois rouvertes. Les corps sont posés dans des positions atypiques et variées, sans soins, directement en pleine terre ou dans des coffrages, sans mobilier vestimentaire ni d’accompagnement. Les défunts sont essentiellement des hommes adultes. Leurs squelettes présentent une hygiène de vie plutôt mauvaise, mais sans grande différence avec les défunts inhumés de manière ordonnée. L’absence de traumatismes, comme les fractures des membres ou de défense, indique qu’il ne s’agit pas de guerriers. Aucun traumatisme professionnel n’a également été observé (usure particulière des articulations ou des dents). L’absence de charnier et les analyses paléoparasitologiques infirment l’hypothèse de sépultures de catastrophe liées à une épidémie. Les seuls pathogènes retrouvés sont des vers intestinaux (Trichuris sp. et peut-être d’Ascaris sp.) courants en période romaine. Les symptômes de la trichiurose sont douleurs abdominales, nausées, vomissements, fatigue. L’homme s’infecte par ingestion accidentelle des œufs avec des légumes ou des fruits de consommation crue souillés par des déjections, ou par géophagie. Une hygiène corporelle précaire (mains sales) et l’utilisation d’excréments pour la fertilisation des sols de culture favorisent le cycle biologique du parasite. L’importance de l’urbanisation semble d’ailleurs être à l’origine d’une explosion écologique de ces pathogènes que sont les vers intestinaux. La présence récurrente des animaux dans les villes, en particulier le porc, semble également avoir permis le maintien des cycles biologiques de ces deux parasites (Le Bailly 2009).
21L’absence de soin apporté à des corps qui semblent souvent avoir été jetés, associé à la simplicité des fosses, indique la présence d’indigents. D’ailleurs certains auteurs interprètent ces sépultures atypiques comme celles d’individus de rang inférieur “dont les proches n’auraient pas eu les moyens d’assurer une crémation” ou d’individus décédés “contre nature” (accident, suicides, etc.), voire de parias ou de criminels (Castella 1999). Les analyses isotopiques, avec des valeurs de δ15N plus élevées, confirment un spectre alimentaire plus large pour ces défunts par rapport à ceux inhumés en position classique (Herrscher et al. 2017). Cette diversité alimentaire plus importante pourrait traduire une nourriture opportuniste
22La présence d’équidés dans les fosses conforte cette idée. La viande de cheval n’est plus consommée et ces gestes ne correspondent en rien à ce que l’on connaît des usages funéraires à la période romaine (Lepetz et Van Andringa 2004 et 2006). Tout cela va même à l’encontre de la notion même de rituel qui est constitué d’une succession de gestes codifiés effectués dans un ordre donné et précis (Lepetz et al. 2010, 2013). Il ne s’agit pas d’un rituel, mais de l’enfouissement de carcasses encombrantes dont le dépotoir se trouvait à proximité, illustrant la collusion entre ces deux zones d’activités. Ces sépultures atypiques reflètent l’absence de statut social de ces indigents, à l’image des “puticuli des atrae Esquiliae romaines, ces trous qui étaient le cimetière des pauvres et des criminels” (Belayche 2003).
Bibliographie
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Rencontre autour des typo-chronologies des tombes à inhumation
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