L’aménagement céphalique de la sépulture 59 de la nécropole antique de Soissons (Aisne, Bas-Empire)
p. 419-423
Résumés
La fouille préventive réalisée à Soissons (Aisne), 3 rue Leroux, par la société Éveha a permis de mettre au jour une fraction d’une vaste nécropole inédite, datée du Haut et du Bas Empire. Lors de la fouille de la sépulture 59, un ensemble de blocs de calcaire encadrait le crâne de l’individu, dessinant ce que l’on pourrait supposer être un “aménagement céphalique”. Des datations radiocarbones ont été entreprises, situant la sépulture entre le milieu du iiie et la fin du ive s. ap. J.-C.
The rescue excavation, in Soissons (02) - 3 rue Leroux, by Eveha revealed a part of a vast unpublished necropolis dating from the early and late Roman Empire. During the excavation of tomb 59, a set of limestone blocks framed the skull of the individual, outlining what would seem to be a “cephalic arrangement”. Radiocarbon dating was conducted, situating the burial between the middle of the 3rd and end of the 4th century AD.
Entrées d’index
Mots-clés : Picardie, Aisne, nécropole antique, Bas-Empire, aménagement céphalique
Keywords : Picardie, Aisne, Antiquity necropolis, Late Roman Empire, cephalic arrangement
Texte intégral
Introduction
1La fouille du 3 rue Leroux et 15 bis rue Porte de Crouy à Soissons dans l’Aisne fait suite à une opération de diagnostic menée en 2009 par Sylvain Thouvenot (Inrap). Du 21 août au 21 décembre 2017, le bureau d’Études et de Valorisation Éveha s’est vu confier la conduite de l’opération sous la responsabilité de Ali Rouibi.
2L’ensemble prescrit forme un quadrilatère se développant selon un axe sud-ouest nord-est et totalisant une superficie d’environ 1 599 m².
1. Présentation du contexte archéologique
3L’aire funéraire est installée sur la rive droite de l’Aisne, dans le quartier de Saint-Médard développé dans un large méandre de la plaine alluviale, sur une terrasse non inondable. Elle semble s’insérer le long de la voie romaine Compiègne-Laon, passant probablement sous l’actuelle rue “Porte de Crouy” (Hugonnier 2019). À proximité du site, diverses opérations de diagnostic ont été réalisées, permettant de renseigner davantage l’étendue de la nécropole. La première au “11 bis rue Porte de Crouy” effectuée par L. Hugonnier (2018) fait mention de moins d’une dizaine de sépultures dont une datée du ive-ve s. Cet ensemble pourrait relever du même que celui découvert sur notre parcelle, renseignant ainsi une extension vers le sud de la nécropole.
4Un deuxième diagnostic, “rue des Miracles” indique l’absence de fosse sépulcrale (Hugonnier 2019), marquant potentiellement la limite septentrionale de l’aire funéraire. En l’état actuel des découvertes, la nécropole s’étendrait sur une centaine de mètres a minima.
5Utilisé dès le Haut-Empire, probablement à la fin du ier s. ap. J.-C, l’espace sépulcral se perpétue durant le Bas-Empire, voire jusqu’au début du vie s. ap. J.-C.
6La nécropole se compose de 193 faits funéraires répartis en 177 inhumations primaires, 12 réductions et 4 fosses sépulcrales vides (position et comblement semblable aux fosses sépulcrales) (Fig. 1). Les fosses ont toutes été creusées méthodiquement dans le substrat sableux et sont majoritairement individuelles et primaires.
Fig. 1 - Plan de la nécropole “3 rue Leroux” et localisation de la sépulture 59.

DAO : G. Auger, C. Chouette, Éveha.
1.1. Les pratiques funéraires
7Au sein du site “3, rue Leroux”, seule l’inhumation est pratiquée. Ce rite semble commencer au deuxième tiers du ier s. Une prépondérance des contenants en matériaux périssables de type cercueil cloué et coffrage est constatée. Toutefois, l’inhumation en amphore ou en coffrage de tegulae, habituellement observée dans le sud-est de la Gaule (Blaizot 2009), est également attestée. La rareté des dépôts frappe au sein de la nécropole. Quels que soient son domaine et sa période, le mobilier n’est présent que dans 20,9 % des tombes.
1.2. Les données paléobiologiques
8L’étude paléobiologique a porté sur 176 individus, livrant 82 individus périnatals et immatures dont 2 fœtus, ainsi que 94 adultes. La part des individus immatures est quasiment similaire à celle des individus adultes n’indiquant pas de recrutement spécifique. Contrairement à ce qui a pu être observé à “La caserne Gouraud” (Gissinger 2012), les individus périnatals et immatures ne bénéficient pas d’un espace dédié et s’intègrent avec les individus adultes.
9Divers nuclei, par le regroupement de quelques sépultures, se dessinent au sein du site. Au regard des données biologiques, des regroupements familiaux sont envisagés, sans qu’ils puissent être définis avec certitude.
2. La sépulture 59
2.1. Fosse sépulcrale
10La fosse 59, orientée est-ouest, a été creusée dans le substrat sableux et comblée par un sédiment sablo-limoneux gris clair à noir hétérogène et meuble (US 2405 et 2406). De forme quadrangulaire, elle mesure 1,76 m de long et 0,58 m de large. Elle possède un fond plat qui cote à 40,574 m NGF, à 0,58 m sous le niveau de décapage (Fig. 2).
Fig. 2 - Vue zénithale de l’aménagement avant fouille de la sépulture 59.

J. Lyautey, Éveha.
11Elle accueille un individu immature âgé de 5 ans et demi à 9 ans et demi (Moorrees 1963a et 1963b ; Scheuer et Black 2000), disposé sur le dos, orienté est-ouest, la tête à l’est. Des infiltrations liées à la présence de latrines modernes, à l’est de la structure, ont participé au mauvais état de conservation de la partie supérieure du squelette. Le crâne est surélevé. Le membre supérieur droit est de position indéterminée. Le membre supérieur gauche est replié, la main reposant à plat en vue dorsale sur l’ilium gauche. Les membres inférieurs sont quant à eux en extension, les pieds disloqués (Fig. 3). Enfin, aucun mobilier n’accompagnait le sujet.
Fig. 3 - Vue zénithale de la sépulture 59 avant démontage.

J. Lyautey, Éveha.
2.2. Espace de décomposition et architecture funéraire
12La position du bloc cranio-facial, en vue supéro-antérieure, traduit une contrainte en amont. L’atlas et l’axis présentent une bascule vers l’est ; en connexion stricte, elles apparaissent en vue inféro-antérieure. Le reste du rachis cervical repose à plat, en vue antérieure. La bascule des éléments des pieds et leurs migrations entre les deux tibias, indiquent une contrainte en aval.
13Les connexions disloquées de certaines articulations persistantes (crâne-atlas, axis-troisième vertèbre cervicale) et la mise à plat des volumes du corps suggèrent une décomposition en espace vide. Néanmoins, le maintien en équilibre instable des patellas, les constrictions latérales au sein du thorax et l’absence de sortie des ossements en dehors du volume interne du corps, arguent pour une sépulture habillée.
14Les observations taphonomiques ne mettent pas en exergue de délimitation linéaire imputable à des effets de paroi le long du corps. Néanmoins, l’hypothèse d’une probable planche latérale à l’ouest des pieds peut être soulevée. Les altitudes inférieures de l’individu soulignent un dépôt à même la fosse (Fig. 4).
Fig. 4 - Tableau récapitulatif des cotes altimétriques.
Point | Altitude supérieure | Altitude inférieure |
P.1 | 40,805 m NGF | 40,735 m NGF |
P.2 | 40,825 m NGF | 40,765 m NGF |
P.3 | 40,865 m NGF | 40,745 m NGF |
P.4 | 40,865 m NGF | 40,805 m NGF |
Crâne | 40,745 m NGF | 40,559 m NGF |
Côtes | - | 40,585 m NGF |
Ilium | - | 40,585 m NGF |
Os pieds | - | 40,585 m NGF |
15Lors de la fouille, deux blocs de modules inégaux (un en calcaire, l’autre en grès gris) ont été observés. Ces derniers reposent perpendiculairement sur deux autres éléments calcaires. Cet aménagement est installé sur des banquettes latérales, situées au nord et au sud.
16Les cotes altimétriques indiquent alors un repos supérieur au fond de fosse et du crâne du sujet (Fig. 4 et 5). L’ensemble, encadrant le bloc crânio-facial, dessine un aménagement céphalique.
Fig. 5 - Relevés en plan et des coupes de la sépulture 59.

J. Lyautey, DAO : C. Chouette, Éveha.
17La continuité des banquettes se perd au sein de la fosse, liée à l’altération du sédiment par les latrines, ayant rendu la lecture en plan complexe. Le fond pourrait être surcreusé, avec un plan anthropomorphe et un probable agencement de banquettes latérales.
18Ainsi, le maintien de l’espace vide de la fosse est envisagé par l’aménagement d’une couverture en matériau périssable. Cette dernière devait reposer sur les banquettes latérales et la disposition des blocs, placés en périphérie, participait à leur maintien.
3. Discussion
19Des datations radiocarbones ont été entreprises, situant la sépulture entre le milieu du iiie et la fin du ive s. ap. J.-C.1. Le fond de fosse anthropomorphe n’est pas inconnu pour la période, comme en témoigne la sépulture 08 du site de Ty Korn dans le Finistère (Colleter et al. 2012). Les datations déduites du mobilier d’accompagnement situent la tombe bretonne à la période du Bas-Empire.
20À Soissons, bien que l’aménagement ait participé activement au maintien du système de fermeture, une symbolique de protection peut être supposée. Les fouilles anciennes de la nécropole de Breny (Aisne), située à 25 km, ont mis au jour des sépultures gallo-romaines pourvues d’aménagements en pierre. Ces derniers protégeaient la tête (Kazanski et Bayard 2002). Ce fait est également attesté sur le site “Lycée Saint-Euverte” à Orléans dans le Loiret (tegulae)2 ou à Dezize-lès-Marange en Saône-et-Loire (Kasprzyk et al. 2016).
Conclusion
21La sépulture 59 issue de la nécropole antique du “3, rue Leroux” à Soissons se distingue par son aménagement interne. Sa datation haute, milieu du iiie-fin du ive s. ap. J.-C., constitue son originalité. En effet, il n’est pas sans rappeler, que l’apparition d’un tel aménagement céphalique, semble intervenir dans le sud de la France à partir du ve s. (Tronçin 1987).
22L’origine de la logette serait la forme aboutie du coussinet avec alvéole ayant pour fonction de contraindre le crâne en position surélevée et droite. Ces dispositifs témoignent alors d’une importance apportée à cette partie supérieure des individus (symbolique de protection ?).
23Sa découverte permet ainsi d’agrémenter les données typo-chronologiques pour la période du Bas-Empire dans le Nord de la France.
Bibliographie
Blaizot 2009. Blaizot F. - Pratiques et espaces funéraires de la Gaule durant l’Antiquité, Gallia-Archéologie de la France antique, 66.1, 383 p.
Colleter 2012. Colleter R. et al. - Le cimetière de Ty Korn à Gouesnac’h (Finistère) : Un ensemble funéraire original de l’Antiquité tardive en Bretagne, Gallia, 69.1 : 309-344.
Gissinger 2012. Gissinger B., Robin N., Corsiez A., Filipiak B., Kaurin J., Lepetz S. et Zech-Matterne V. - Fouille d’un quartier funéraire des ier et iie s. dans le suburbium de Soissons/Augusta Suessionum: Aires de crémation et inhumations d’enfants, Gallia, 69.1 : 3-67.
Hugonnier 2018. Hugonnier L. - 11 bis rue Porte de Crouy : De l’Antiquité tardive à l’époque moderne dans le quartier Saint-Vaast, Rapport de diagnostic archéologique, Glisy, Inrap Nord-Picardie, 97 p.
Hugonnier 2019. Hugonnier L. - Soissons (02), rue des Miracles, Rapport de diagnostic archéologique, Glisy, Inrap Nord-Picardie, 88 p.
Kasprzyk 2016. Kasprzyk M. et al. - Sépultures, monuments funéraires et nécropoles de l’Antiquité tardive dans la partie centrale de la province de Lugdunensis prima (Lyonnaise Première, cités des Éduens et de Chalon, fin du iiie-milieu du ve siècle), in : L’Antiquité tardive dans l’est de la Gaule, II, 41e suppl. à la Revue archéologique de l’Est : 121-154.
Kazanski et Bayard 2002. Kazanski M. et Bayard, D. - La nécropole gallo-romaine et mérovingienne de Breny (Aisne) d’après les collections et les archives du Musée des Antiquités Nationales, Vol. 4, Éditions M. Mergoil, 270 p.
Moorees 1963a. Moorees C.F.A. et al. - Age variation and formation stages for ten permanent teeth, Journal of Dental Research, 42(6) : 1490-1502.
Moorees 1963b. Moorees C.F.A. et al. - Formation and Resorption of Three Deciduous Teeth in Children, American Journal of Physical Anthropology, 21 : 205-213.
Scheuer et Black 2000. Scheuer L. et Black S. - Developmental juvenile osteology, Academic Press, San Diego, 587 p.
Troncin 1987. Troncin Ph. - Les tombes anthropomorphes du ve au xve siècle dans le Midi de la France, in : Raynaud C. (dir.), Nécropoles languedociennes de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Age, Archéologie en Languedoc, 4, Revue trimestrielle de la fédération archéologique de l’Hérault, Lattes : 157-190.
Notes de bas de page
1Âge 14C conventionnel : 1725 ± 30 BP, date 14C calibrée : 245-395 cal AD (à 95,4 %).
Auteur
Éveha, UMR 5199 PACEA

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