Typo-chronologie des tombes à inhumation dans le nord de la France
p. 373-383
Résumés
Le colloque de Tours de 2009 a été l’occasion de mener pour la première fois une enquête territoriale sur la typo-chronologie des tombes à inhumation dans le nord de la France. Malgré des lacunes dans quelques zones géographiques et à certaines périodes et une représentativité variable des données à notre disposition, nous avons pu établir un premier bilan depuis les plus anciennes sépultures connues dans la région au Néolithique ancien jusqu’aux plus récentes, datées du milieu du xixe s. De grandes tendances dans l’évolution des architectures funéraires au sens large se dégagent d’ores et déjà, ce qui est très prometteur pour l’avenir, lorsque de nouvelles fouilles viendront alimenter le corpus de sépultures étudiées.
The 2009 Tours meeting was an opportunity to conduct the first territorial survey on the typochronology of burials in northern France. Despite gaps in certain geographical areas and for some periods and a variable representativeness of the data at our disposal, we were able to establish a first assessment of the oldest known burials in the region to the most recent, dating from the Ancient Neolithicto the middle of the 19th century. Major trends in changes of funeral architecture in the broad sense are already emerging, which is very promising for the future, when new excavations will add to the corpus of burials already studied.
Entrées d’index
Mots-clés : typologie, inhumation, anthropologie de terrain, sépulture, coffrage (sépulture), caveau, chambre funéraire, tombe en fosse
Keywords : pit grave, burial chamber, vault (burial chamber), typology, field anthropology, pit burial, burial
Texte intégral
1Dans un contexte où aucun bilan n’avait encore été mené, cette enquête territoriale sur les modes d’inhumation a permis de commencer des recherches sur la documentation disponible et l’état des données dans le nord de la France. Pour cette première synthèse diachronique, le contexte géographique qui s’impose demeure proche du cadre administratif de la région, reflet de l’organisation des différents acteurs de l’archéologie préventive mais aussi des opérations liées à l’aménagement du territoire au fil des dernières décennies. Ainsi, le bilan présenté concerne essentiellement les départements du Nord et du Pas-de-Calais, et dans une moindre mesure ceux de la Somme et de l’Aisne, sans pouvoir tenir compte encore de la fluctuation des frontières chrono-culturelles. Il pointe les écueils dus aux contextes d’enfouissement, aux données anciennes et à la localisation inégale des interventions sur le territoire.
1. Le corpus : représentativité des données et effectifs
2Alors que les critères principaux pour constituer le corpus sont la reconnaissance d’une architecture funéraire bien comprise et une datation fiable, la mauvaise conservation des sépultures régulièrement observée – due à la nature principalement limoneuse du sous-sol – nous prive d’un grand nombre de tombes. Nous avons choisi de faire un tri des sépultures a priori et un rendu en types selon leur architecture au sens large. Le terme de “type” ici recouvre aussi bien les éléments architecturaux (forme de la fosse, coffrage, cercueil, niche, etc.) que les éléments participant à la préparation du corps (linceul, coussin céphalique, etc.) : on distinguera donc un type “cercueil + linceul” d’un type “cercueil + linceul + coussin céphalique”.
3Ceci implique donc qu’il y ait eu, pour la partie interne de la tombe, une analyse taphonomique au moment de l’enregistrement ou a minima que la documentation photographique soit suffisamment bonne pour que cette analyse ait lieu a posteriori. Ce choix a éliminé d’emblée les sépultures mal conservées ou mal datées et a mis l’accent sur les ensembles issus de fouilles récentes, ayant bénéficié de l’approche archéo-thanatologique. Nous avons toutefois fait une entorse à ces règles volontairement strictes pour les périodes anciennes, sans quoi presque aucune inhumation protohistorique n’aurait été représentée ici.
4Le déséquilibre s’accentue encore au regard de la répartition des sites clairement liée à l’aménagement actuel du territoire. Pour le Nord et le Pas-de-Calais, l’extension des centres urbains et leur réhabilitation privilégient la mise au jour des grands ensembles funéraires qui se développent à partir de la période romaine.
5Pourtant, les sites à caractère funéraire sont nombreux : en 2019, un récolement non exhaustif nous permet de comptabiliser 667 sites qui se partagent de façon presque égale entre pratique de l’incinération (327) et de l’inhumation (340). Après analyse de 2 739 sépultures et en retenant les critères présentés au début de ce chapitre, nous ne pouvons retenir que 53 sites, pour un total de 2 686 sépultures.
2. Premiers regards sur les ensembles chronologiques
2.1. Protohistoire
6Les inhumations des périodes pré- et protohistoriques sont, de façon générale, assez peu représentées dans le nord de la France (Fig. 1). Le faible nombre de tombes mises au jour et fouillées, leur mauvaise conservation et l’ancienneté des fouilles sont des biais qui rendent les données peu exploitables pour en tirer une typologie. Toutefois, depuis le Néolithique et jusqu’à la fin de l’âge du Fer, les modes de dépôts observés mettent en évidence la variété des pratiques et des tendances qui tranchent avec l’homogénéisation des périodes plus récentes.
Fig. 1 - Sites retenus pour la Protohistoire.

S. Oudry, Inrap.
7Ainsi, au cours de la vaste période que représente le Néolithique, les inhumations individuelles semblent avoir pu coexister avec les inhumations collectives. Les exemples de Loison-sous-Lens, “les Oiseaux”, (Fig. 2, no 1) daté entre 4529-4335 av. J.-C. et de Brunémont, “rue Blanche Terre” (Fig. 2, no 5), daté entre 2872-2566 av. J.-C. offrent des similitudes de dépôt (Praud et al. 2009 ; Deckers et Gutierrez 2012). Il s’agit à chaque fois de sépultures isolées découvertes dans un contexte d’habitat. De conservation médiocre, les fosses ovales accueillent des défunts, membres inférieurs fléchis, indifféremment vers la gauche ou la droite. Faute de données suffisantes, il ne peut être déterminé si les individus ont bénéficié d’un contenant souple ou rigide mais le dépôt d’offrande dans la fosse est attesté à Loison-sous-Lens par la présence d’un micro-vase.
Fig. 2 - Localisation des sites mentionnés dans le texte ou présentés en illustration.

1 : Loison-sous-Lens (62), les Oiseaux - 2 : Masnières (59), les Hauts de Masnières - 3 : Pont-à-Vendin (62), Carrière - 4 : Wimereux (62), la Pointe-aux-Oies - 5 : Brunémont (59), rue Blanche Terre - 6 : Noeux-les-Mines (62), Porte sud du Béthunois - 7 : Douvrin (62), rue de Lennes - 8 : Dainville (62), Gérico - 9 : Etaples (62), la Pièce à Liards - 10 : Hordain (59), la Fosse à Loups - 11 : Capelle-Fermont (62), RD 939 - 12 : Boulogne-sur-Mer (62), Stade de la Libération - 13 : Thérouanne (62), Chaussée Brunehaut - 14 : Rue (62), Foraine de Hère - 15 : Bavay (59), rue de la Gare - 16 : Dourges (62), le Marais - 17 : Nempont-Saint-Firmin (62), rue du Warnier - 18 : Carvin (62), Willerval - 19 : Lesquin (59), au Chemin Perdu : Harly (02), rue de la Marne - 21 : Fontaine-Notre-Dame (59), le Petit Fontaine - 22 : Saint-Quentin (02), rue Adrien Nordet - 23 : Orchies (59), le Carnoy - 24 : Sains-en-Gohelle (62), 230 rue Lamartine - 25 : Douai (59), Place Saint-Amé - 26 : Bapaume (62), 68, rue de la République - 27 : Mont-Saint-Eloi (62), Abbaye du Mont-Saint-Eloi - 28 : Hénin-Beaumont (62), rue du Marais - 29 : Meurchin (62), Place Jean-Jaurès - 30 : Douai (59), Place Carnot - 31 : Boulogne-sur-Mer (62), Crypte de la Basilique Notre-Dame - 32 : Calais (62), Eglise Notre-Dame - 33 : Saint-Omer (62), Place Saint-Jean - 34 : Lille (59), rue de Tournai - 35 : Boulogne-sur-Mer (62), Place Navarin - 36 : Loos (59), Centre pénitentiaire.
S. Oudry, Inrap.
8Dans le même laps de temps on connaît pour le nord de la France trois sépultures collectives d’architecture et d’ampleur différentes. À Pont-à-Vendin, “Carrière” (Fig. 2, no 3) (Dastugue et al. 1991), la structure n’est pas documentée, il est uniquement fait mention d’au moins six individus adultes et immatures, inhumés dans une fosse creusée dans l’argile. La datation radiocarbone indique une utilisation entre 3361 et 1934 av. J.-C. ; éventuellement contemporaine du fonctionnement de la sépulture de Masnières “les Hauts de Masnières” (Fig. 2, no 2) (Gaillard et Gustiaux 2014), elle-même datée en radiocarbone de 3500 à 2200 av. J.-C. En l’absence d’une fouille exhaustive, la densité des inhumations et le nombre minimum d’individus ne nous sont pas connus. En revanche, on sait que les défunts étaient accompagnés d’offrandes céramiques et lithiques.
9Un unique exemple de sépulture collective mégalithique a été mis au jour sur le site de “la Pointe aux Oies”, à Wimereux, en 1930 (Fig. 2, no 4) (Piningre 1979).
10Cette sépulture attribuée au Néolithique final (2900-2200 av. J.-C.) sur la base du mobilier, compte au moins six individus, pour lesquels nous ne possédons aucune information, tant du point de vue des données taphonomiques que des données biologiques.
11Ces sépultures dont les fourchettes de datation sont très lâches, témoignent d’une gestion collective des défunts propre au Néolithique. Aux périodes suivantes, l’inhumation individuelle en fosse est à nouveau la norme. Isolées en contexte d’habitat, les rares tombes qui entrent dans ce corpus illustrent, à l’image de la sépulture 5165 de Nœux-les-Mines (Fig. 2, no 6) l’utilisation d’enveloppe souple (Leriche et al. 2019). Datée par radiocarbone, cette dernière se situe entre 2285 et 2060 av. J.-C. et est rattachée au Campaniforme grâce à son mobilier (Fig. 3).
Fig. 3 - Nœux-les-Mines (62), Porte sud du Béthunois, sép. 5165.

V. Marié, Inrap.
12Au cours de l’âge du Bronze, on observe des inhumations individuelles en fosse associées à de petits enclos circulaires. Individus adultes et immatures sont déposés sur le dos ou le côté, membres inférieurs fléchis dans des fosses de plan ovale ou rectangulaire mais sans aménagement spécifique. Dans deux cas, à Dainville “Gérico” (Fig. 2, no 8) et Douvrin “rue de Lennes” (Fig. 2, no 7), les indices taphonomiques laissent supposer la présence d’une enveloppe souple (Jacques et Prilaux 2006 ; Henton 2014).
13Le même type de dépôt se retrouve encore pendant le premier âge du Fer sur le site de “la Pièce à Liards” à Étaples-sur-Mer (Fig. 2, no 9) (Henton et al. 2011). Dans cette petite nécropole, les individus sont déposés membres inférieurs fléchis, dans des fosses quadrangulaires à angles arrondis ou sub-ovalaires. Ce site permet également de noter l’utilisation récurrente du contenant rigide en matériau périssable (Fig. 4).
Fig. 4 - Étaples (62), la Pièce à Liards, sép. 2002.

R. Clotuche, Inrap.
14À la fin de l’âge du Fer, la période laténienne est fortement caractérisée par la pratique de l’incinération. Les inhumations se font alors beaucoup plus rares et relèvent de gestes dont on ne sait s’ils sont à rattacher à la sphère funéraire. Il s’agit de restes humains retrouvés dans des structures d’habitat désaffectées. Deux sites ont pu être reconnus pour ce corpus : Hordain, “la Fosse à Loups” (Fig. 2, no 10) et Capelle-Fermont, “RD 939, le Château Fort” (Fig. 2, no 11) où l’utilisation d’une enveloppe souple a pu être déterminée (Séverin et Gaillard 2006 ; Merkenbreack et al. 2015).
2.2. Période romaine
15La documentation disponible devient plus abondante pour la période romaine et les sites où des inhumations ont été fouillées sont répartis sur tout le territoire (Fig. 5). On notera un déséquilibre à Bavay, importante agglomération à l’époque romaine et qui ne présente qu’une seule occurrence retenue pour cette étude. La plupart des inhumations mises au jour à Bavay l’ont été anciennement, au cours d’exploitations de sablières ; les données sont donc difficilement exploitables pour notre propos.
Fig. 5 - Sites retenus pour les périodes historiques.

S. Oudry, Inrap.
16Si la pratique de la crémation est la norme reconnue pour le Haut-Empire, force est de constater que l’inhumation n’a jamais véritablement disparu du territoire. Elle reste toutefois très minoritaire avant la seconde moitié du iiie s. av. J.-C. Les dépôts observés entre 50 av. J.-C. et 200 ap. J.-C. sont en fosse recouverte de dalles de grès posées à plat comme à Boulogne-sur-Mer “stade de la Libération” (Fig. 2, no 12), en vase pour des individus immatures à Rue “Foraine de Hère” (Fig. 2, no 14) ou sous hypogée à Thérouanne “Chaussée Brunehaut” (Fig. 2, no 13) (Thuillier et al. 1996 ; Leriche et al. 2008 ; Gapenne et al. 2019). On le constate, les inhumations pour la période du Haut-Empire sont peu nombreuses et réservées à des types très spécifiques : sépultures monumentales ou classe d’âge particulière.
17On note un hiatus ou tout du moins un nombre de sépultures plus réduit jusqu’au dernier tiers du iiie s. où l’inhumation se généralise et où les tombes architecturées creusées dans le limon font leur apparition. La présence de banquettes latérales est courante, elles sont parfois accompagnées de niches, localisées aux extrémités ou bien dans les parois latérales. Le site de la “rue de la Gare” à Bavay (Fig. 2, no 15) en a fourni plusieurs exemples (Fig. 6) (étude en cours, responsable : D. Labarre - Inrap). Les banquettes servent le plus souvent de support à un couvercle, tandis que les niches sont conçues pour accueillir du mobilier. Des exemples plus élaborés de tombes architecturées sont visibles à partir du milieu du ive s. ; on peut alors parler de véritables chambres funéraires comme à Nempont-Saint-Firmin “rue du Warnier” (Fig. 2, no 17) où l’ensemble est composé de parois de bois et traverses posées au sol sur lesquelles est déposé un contenant pour le défunt (Lelarge et al. 2013).
Fig. 6 - Bavay (59), rue de la Gare, sép. 2841.

S. Oudry, Inrap.
18Le contenant est fréquemment cloué, mais il arrive qu’il soit assemblé d’une autre manière, sans éléments pérennes. Les types d’assemblages de contenant ne nous sont généralement pas connus. Il n’y a que peu d’exemples bien datés de sépultures où le défunt est en linceul ou sans contenant. Aucun cas bien daté et probant de sépulture en pleine terre n’est retenu pour cette période. Des cas particuliers sont illustrés par un seul exemple de cercueil en plomb trouvé à Boulogne-sur-Mer “Porte Gayole” et daté de 350-425 d’après le mobilier ou encore, la présence d’un enclos fossoyé circulaire autour d’une sépulture à Dourges “le Marais de Dourges” (Fig. 2, no 16) (Sauvage 1904 ; Blancquaert et al. 2007). De même, un premier coussin céphalique a été identifié à Carvin “Willerval” (Fig. 2, no 18), il date du ve s. (Praud et al. 2015).
2.3. Époque mérovingienne
19La période mérovingienne donne une impression de plus grande diversité des architectures, avec une douzaine de types retenus. La majorité d’entre eux est en fosse, avec un contenant, de préférence non cloué. Ces contenants peuvent être déposés sur des traverses, particulièrement visibles dans les sols limoneux. Des blocs de calage en calcaire sont aussi observés. L’utilisation du linceul se répand à partir du milieu du viie s., il peut être associé à un contenant.
20Le dépôt en pleine terre en espace colmaté reste hypothétique, avec un seul exemple. Les chambres funéraires, déjà observées à la séquence précédente, sont toujours en usage.
21Dans les secteurs à substrats crayeux, quelques sarcophages sont connus pour cette période. C’est le cas dans le sud de notre zone d’étude, à Harly “rue de la Marne” (Fig. 2, no 20) à partir du dernier tiers du viie s. et dans le courant du viiie s. (Pinard et al. 2015). En dehors de ces secteurs précis, les plaines et plateaux limoneux de la région ne semblent pas avoir été favorables à l’usage massif des sarcophages (Oudry-Braillon et Kacki 2015).
22D’autres types moins répandus sont observés, comme la sépulture à logette céphalique et profil en gradin, datée de la fin du viie s. à la fin du viiie s. à Lesquin “au Chemin Perdu” (Fig. 2, no 19), l’unique exemple de cercueil monoxyle régional, daté du vie s. (530-570) illustre encore la potentielle diversité de la période (Deflorenne et al. 2015).
2.4. Époque carolingienne
23L’inhumation en fosse reste la norme et son creusement peut être quadrangulaire ou bien anthropomorphe. Dans ce dernier cas, le défunt est déposé en linceul parfois sous un couvercle de bois.
24Les contenants non cloués sont majoritaires et un seul cas probant de cercueil cloué est connu pour la période à Douai, dans la collégiale Saint-Amé (Fig. 2, no 25) (Louis et al. 2014). La présence conjointe d’un contenant et d’un linceul est attestée dans au moins deux cas et il arrive que la tête du défunt repose sur un coussin céphalique.
25Lorsqu’il s’agit d’une fosse simple, les indices de linceul ou de coussin céphalique existent également (Fig. 7), on en connaît des exemples à Fontaine-Notre-Dame “le Petit Fontaine” (Fig. 2, no 21) (Marcy et al. 2017).
Fig. 7 - Fontaine-Notre-Dame (59), le Petit Fontaine, sép. 2013.

Inrap.
26Le coffrage, déjà observé à l’époque romaine, réapparaît durant la première moitié du xe s. Les matériaux utilisés peuvent être du grès maçonné ou du calcaire associé à des dalles de couverture, du bois ou plus rarement des tuiles, comme dans le seul exemple de ce type à Orchies “le Carnoy” (Fig. 2, no 23) (Dananai et Robelot 2017).
2.5. Moyen Âge central
27Les bornes chronologiques retenues (1000-1300) ne sont pas à prendre de manière stricte. En effet, nous sommes souvent face à des incertitudes quant aux datations des sépultures de cette période, leur plus grand nombre – en comparaison avec d’autres périodes – ne favorisant pas les datations radiocarbone. Un total de 44 types regroupant 1 615 sépultures a été retenu, ce qui en fait le plus grand effectif pour notre zone d’étude.
28La sépulture en fosse simple reste présente sur toute la durée de la période : les individus y sont en général déposés habillés ou recouverts d’une enveloppe qui peut être contraignante ou non, comme cela a été observé à Douai aux abords de l’ancienne église paroissiale Saint-Jacques (Fig. 8) sous la place Carnot (Fig. 2, no 30) (Venet et al. 2013). La question des dépôts en pleine terre d’individus non habillés n’est pas tranchée car les éléments taphonomiques à notre disposition ne sont généralement pas suffisants. Les fosses anthropomorphes ou à logette céphalique sont encore présentes sur la période, qu’elles soient creusées dans le limon ou dans un substrat plus calcaire comme à Sains-en-Gohelle “rue Lamartine” (Fig. 2, no 24) (Beauval et al. 2012). Il arrive que des systèmes de couverture des fosses, quelle que soit leur forme, soient conservés : cela a été observé dans l’abbaye du Mont-Saint-Eloi (Fig. 2, no 27) sur une sépulture datée du xiie s. et couverte de dalles de grès (Willot et al. 2016).
Fig. 8 - Douai (59), Place Carnot, sép. 98.

CADDAP.
29À partir de 1150-1200, le cercueil cloué semble faire une arrivée en masse. Ce type de contenant avait toujours été plus ou moins présent dans les périodes précédentes, mais il devient largement majoritaire à partir du milieu du xiie s. Il est présent aussi bien dans les contextes de cimetières paroissiaux que conventuels et monastiques, signe qu’il s’agit d’une adoption par toutes les catégories de populations. D’après les éléments taphonomiques, le défunt peut être déposé habillé, directement dans le cercueil comme à Boulogne-sur-Mer (Fig. 2, no 31) dans le cimetière de la paroisse St-Joseph, aux abords de la basilique Notre-Dame (Blamangin et al. 2019). Il peut aussi être enveloppé dans un linceul ou une enveloppe souple avant le dépôt ; encore une fois, cela a été observé dans divers contextes. La présence de coussins céphaliques est rare et ne semble pas être concomitante de celle d’un linceul, l’un excluant peut-être l’autre. Les effectifs sont toutefois trop faibles pour s’en assurer et les prochaines fouilles portant sur des sépultures de ces périodes permettront sans doute de trancher. Un seul exemple de cercueil chevillé est connu pour cette période, à l’abbaye du Mont-Saint-Éloi.
30Lorsqu’elle peut être restituée, la forme des cercueils est rectangulaire, hexagonale ou trapézoïdale. Les parties liées aux couvercles sont très souvent manquantes, ce qui nous prive de nombreuses informations, notamment sur les décors que pouvaient porter ces couvercles. Un exemple suffisamment bien conservé de cercueil décoré a été découvert à Meurchin “place Jean Jaurès” (Fig. 2, no 29) (Panloups 2013) : il présente un Christ en croix sur le couvercle, réalisé au repoussé sur une feuille en alliage cuivreux, et un liseré de pastilles clouées sur le pourtour du cercueil.
31La distinction entre coffrage et caveau peut être difficile à établir, nous avons retenu comme critères de distinction les dimensions, la forme et le caractère taillé ou non des blocs utilisés. Les caveaux sont des aménagements de grandes dimensions et de forme rectangulaire, laissant un large espace au cercueil. Les blocs utilisés sont taillés pour former des parallélépipèdes rectangles de modules réguliers. À l’inverse, les coffrages sont généralement ajustés aux dimensions de l’individu et peuvent être de forme variable : on note des aménagements aussi bien quadrangulaires qu’oblongs et surtout la présence dans certains exemples de logettes céphaliques. Les blocs sont seulement équarris et la présence de mortier pour l’assemblage des blocs est connue aussi bien pour les caveaux que pour les coffrages.
32Les caveaux maçonnés font leur apparition au début du xiiie s. et restent peu nombreux pour la période. Ces caveaux sont construits en blocs de calcaire et accueillent un cercueil cloué, comme à l’abbaye du Mont-Saint-Eloi (Fig. 9).
Fig. 9 - Mont-Saint-Eloi, abbaye du Mont-Saint-Eloi, sép. 2685 (DA 62).

33Les coffrages sont toujours très présents, aménagés en blocs de calcaire ou en grès, selon les ressources locales. L’utilisation de mortier a été notée mais elle n’est pas systématique. Comme mentionné ci-dessus, nous avons plusieurs exemples avec des logettes céphaliques, excluant de fait l’utilisation d’un cercueil. La présence d’un plancher sous le défunt a été remarquée et des dalles de couvertures sont régulièrement mises au jour comme à Bapaume “68 rue de la République” (Fig. 2, no 26) (Dalmau, Agostini et Delobel 2017). Les éléments de datation dont nous disposons pour les coffrages indiquent qu’ils sont en usage sur toute la période, soit du milieu du xe s. à la fin du xiiie s.
34Enfin, il faut mentionner un type peu rencontré : la plate-tombe. Un exemple est connu à Saint-Omer “place Saint-Jean” (Fig. 2, no 33) mais il n’a malheureusement pas été fouillé (Willot et al. 2015). Cette plate-tombe était en céramique et il n’en subsiste que le lit de pose et le négatif des carreaux.
2.6. Bas Moyen Âge
35À partir du xive s., on observe une tendance à la réduction du nombre de types d’architectures, traduisant certainement une normalisation des pratiques : 21 types sont rattachables à cette période, contre 44 pour la séquence précédente. Certains types semblent disparaître : les fosses à creusement anthropomorphe ou les coffrages à logette céphalique ne sont plus répertoriés pour cette période. On observe également un déclin net de la sépulture sans contenant : nous n’avons que deux exemples de sépulture en fosse bien datés. Dans les deux cas, issus de la fouille de la Place Saint-Jean à Saint-Omer, il s’agit de fosses destinées à des individus immatures en contexte paroissial et dans l’un des cas, le défunt a été enveloppé dans un linceul (Willot et al. 2015).
36Les cercueils sont tous cloués, à l’exception d’un cas provenant d’un contexte particulier à Boulogne-sur-Mer, aux abords de la basilique Notre-Dame (Blamangin et al. 2019). Il s’agit d’un cercueil chevillé assemblé pour un périnatal déposé dans un ossuaire. La bonne conservation du cercueil permet de certifier l’absence de clous et l’individu a bénéficié d’une datation radiocarbone le plaçant entre 1290 et 1410. Les défunts sont déposés avec ou sans linceul dans le cercueil. La présence d’un coussin céphalique est attestée ; elle est parfois associée à l’utilisation d’un linceul.
37Les formes des cercueils sont toujours variées et l’on retrouve les formes rectangulaire, trapézoïdale (Fig. 10) et hexagonale. L’utilisation de ferrures métalliques pour renforcer le cercueil n’a été observée qu’à Lille (Fig. 2, no 34) dans le couvent des Dominicaines (Cercy et al. 2021). Les décors sur les cercueils restent difficiles à identifier mais sont représentés au moins par un cas, à l’abbaye du Mont-Saint-Éloi : la bande de résine naturelle entourant le cercueil peut faire partie de cette catégorie, mais sert peut-être plus probablement à renforcer le cercueil, que ce soit pour son étanchéité ou le transport (Willot et al. 2016).
Fig. 10 - Lille (59), rue de Tournai, sép. 3196.

N. Gryspeirt, Inrap.
38La sépulture 2844 de cette même abbaye doit être mentionnée car il s’agit d’une sépulture privilégiée, seul représentant de ce type d’architecture. Les observations faites par les auteurs permettent de restituer une large fosse quadrangulaire à marquage de surface et baldaquin, avec un cercueil cloué trapézoïdal et coussin céphalique.
39Les coffrages ne semblent plus être en usage à cette période ; les seuls aménagements pérennes sont les caveaux maçonnés en pierre de taille représentés par deux types. Pour le premier type, les caractéristiques sont identiques à celles des caveaux de la période précédente mais les exemples sont peu nombreux : deux d’entre eux sont connus à l’abbaye du Mont-Saint-Éloi. Le second type de caveau fouillé Place Saint-Amé à Douai présente des éléments complémentaires et a été utilisé comme pourrissoir (Louis et al. 2014). Dans l’assise de base, deux ou trois corbeaux débordants sont répartis sur chacun des longs côtés et la face occidentale présente une niche quadrangulaire ; un défunt y a été déposé dans un cercueil cloué. Trois aménagements de ce type ont été identifiés sur le site.
40Enfin, même s’il ne s’agit pas de sépulture à proprement parler, il nous fallait mentionner les ossuaires qui sont des architectures spécifiques, destinées à recevoir les ossements issus des curages des cimetières fortement utilisés. Deux exemples datés du xve s. et fouillés sont connus pour cette période, l’un à Calais (Fig. 2, no 32) dans l’église Notre-Dame et l’autre à Boulogne-sur-Mer, aux abords de la basilique Notre-Dame ; il faut noter que ce dernier a également accueilli trois sépultures primaires (Duvaut et al. 2011 ; Blamangin et al. 2019). Il existait certainement des ossuaires de ce type dans la plupart des cimetières urbains, mais leur prise en compte par l’archéologie est très récente.
2.7. Époque moderne
41Comme pour la période précédente, la sépulture individuelle en fosse sans contenant pérenne est très rare : un seul cas bien identifié a été répertorié à Sains-en-Gohelle “rue Lamartine” et il est de nouveau destiné à un individu immature (Beauval et al. 2012). Il est possible en fait que ce type de sépulture – linceul en fosse sans cercueil – soit plus courant qu’on ne le croit, car son identification dépend d’une bonne conservation du squelette.
42Les autres types de sépulture en fosse sans cercueil ne concernent que des sépultures multiples. Ces dernières peuvent toutefois être en cercueil, comme c’est le cas place Saint-Amé à Douai (op. cit.).
43Les cercueils cloués sont toujours majoritaires pour cette période et seuls deux exemples de cercueils assemblés différemment sont connus. À Lille “rue de Tournai”, nous avons un cas de cercueil chevillé daté de la fin de la période et à Saint-Quentin “rue Adrien Nordet” (Fig. 2, no 22), un cas de contenant non cloué trapézoïdal (Thévenard et al. 2018). Les défunts continuent à être déposés en linceul, avec parfois un coussin céphalique. Les formes des cercueils sont moins observables ; elles n’ont pu être notées que pour deux types : le cercueil cloué trapézoïdal représenté par quinze exemples et le cercueil cloué hexagonal, représenté par deux exemples. Nous ne souhaitons pas nous avancer en disant que le cercueil rectangulaire a disparu, il nous faudrait un peu plus d’éléments datants pour s’en assurer.
44L’époque moderne marque le début des coffrages maçonnés en briques. En contexte paroissial, ils sont massivement utilisés dans toutes les églises fouillées de Douai : ancienne église Saint-Jacques et Saint Nicolas, collégiale Saint-Amé (Fig. 11). Il est à noter que ces coffrages y ont été repérés exclusivement à l’intérieur des bâtiments. Ils ont également été vus à Hénin-Beaumont (Fig. 2, no 28) en contexte conventuel mais les éléments de datation pour ces coffrages y sont insuffisants (Lantoine et al. 2018). Dans les exemples fouillés, le coffrage de briques, assemblé grossièrement, vient enfermer le cercueil cloué.
Fig. 11 - Douai (59), Place Saint-Amé, exemple de coffrages de briques.

CADDAP.
45Enfin le caveau maçonné en grès persiste à Douai dans la collégiale Saint-Amé : il s’agit du seul exemple connu. Il a désormais clairement une vocation collective avec pas moins de sept individus déposés à divers moments.
2.8. Époque contemporaine
46On observe pour la période post-révolutionnaire une chute brutale des effectifs qui peut s’expliquer par deux raisons. Tout d’abord parce que l’archéologie funéraire de cette période est encore balbutiante dans la région et aussi parce qu’après la translation des cimetières hors les murs amorcée durant le xviiie s., la très grande majorité des sépultures des xixe et xxe s. est désormais localisée au sein des cimetières actuels, encore en usage.
47À Boulogne-sur-Mer “place Navarin” (Fig. 2, no 35), un cimetière de transition a été repéré mais les conditions n’ont pas permis sa fouille ; il a seulement été noté que les individus y étaient majoritairement inhumés en cercueils quadrangulaires et fosses individuelles (Cercy et al. 2013). À Loos (Fig. 2, no 36), dans le courant du xixe s., le cercueil cloué est de rigueur dans le cimetière de la prison et le défunt vraisemblablement habillé et chaussé (Notte et al. 2018 : 242).
3. Vers une typo-chronologie des inhumations du Nord de la France
48Comme cela a déjà été évoqué, ce premier bilan régional a mis en lumière une documentation très inégale en matière de qualité et de représentativité des corpus chronologiques. Dans l’objectif de créer une typo-chronologie des modes d’inhumation, les critères stricts qui doivent mener à une méthodologie appliquée à chaque type de sépulture réduisent fortement le nombre de tombes admises dans cette enquête.
49Pour cette première étape, il ressort que la documentation issue des fouilles récentes est en général plus facile à traiter et à intégrer. La généralisation des études taphonomiques et l’harmonisation des enregistrements anthropo-biologiques associées à des enregistrements de terrain plus largement reproduits dans les rapports d’opération offrent non seulement une plus grande quantité de données mais aussi un accès plus facile.
50Si la bonne qualité de l’enregistrement permet toujours de retirer les informations essentielles, force est de constater que dans la région, les périodes les plus anciennes, mal représentées et mal conservées, entrent difficilement dans une étude statistique. Les grandes tendances qu’elles permettent d’observer sont pourtant bien réelles et bien circonscrites sur certaines périodes (Fig. 12). S’il n’a pas été possible d’aboutir pleinement ici à une typo-chronologie pour toutes les périodes reconnues, le bilan positif que l’on retire de cette enquête s’avère très encourageant quant aux possibilités de relecture de la documentation et donc d’enrichissement du corpus. L’approfondissement de ce travail et l’intégration régulière des éléments issus de nouvelles fouilles permettront d’affiner cette typologie.
Fig. 12 - Tendances chronologiques des 25 principaux types d’inhumation observés. En l’état actuel de nos recherches, nous avons opté pour un regroupement de certains types proches, afin de simplifier la lecture de cette illustration et parce que nous n’avons parfois pas assez d’exemples pour qu’ils puissent être considérés comme significatifs (Gantt - R).

S. Oudry, Inrap.
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Auteurs
Inrap, UMR 7268 ADES
Inrap
Inrap
Centre départemental d'archéologie du Pas-de-Calais, UMR 8164 HALMA
Communauté d'agglomération du Douaisis, Direction de l'archéologie préventive
Inrap, UMR 5199 PACEA

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