Typo-chronologie de tombes médiévales dans le nord de l’Auvergne établie à partir de l’étude des sites de Souvigny et Montluçon (Allier)
p. 315-319
Résumés
Entre 2009 et 2012, une succession d’opérations préventives à Montluçon et Souvigny, a mis au jour près de 300 tombes médiévales. Leur bon état de conservation a permis la construction d’un référentiel typologique fiable. La restitution des architectures funéraires a bénéficié de la bonne lisibilité du terrain et de la conservation des bois mis en œuvre. Les modalités particulières de gestion et d’évolution de ces aires sépulcrales ont facilité les analyses stratigraphiques et l’établissement de chronologies relatives. La réalisation d’analyses dendrochronologiques et radiocarbones est venue compléter cette documentation en permettant de proposer, pour ce secteur géographique, une première typo-chronologie des tombes médiévales pour la période allant du xe au xiiie s.
Between 2009 and 2012, a series of preventive operations in Montluçon and Souvigny uncovered almost 300 medieval graves. Their good state of preservation enabled the creation of a reliable typological repository. Thanks to the good legibility of the terrain and the preservation of the wood used, the funerary architecture could be determined. The specific arrangements for managing and developing these sepulchral areas facilitated stratigraphic analyses and establishing relative chronologies. This documentation was completed with dendrochronological and radiocarbon analyses which made it possible to propose an initial typochronology of medieval graves for this geographical area for the period between the 10th and 13th centuries.
Entrées d’index
Mots-clés : pratiques funéraires, inhumations, typologie, Moyen Âge, Bourbonnais, datations radiocarbones
Keywords : funeral practices, burials, typology, Middle Ages, Bourbonnais, radiocarbon dating
Texte intégral
1. Deux sites différents mais complémentaires
1À Souvigny, de 2009 à 2012, quatre campagnes de fouilles préventives ont été réalisées en lien avec le réaménagement du centre-bourg1. Ces chantiers ont permis de mettre au jour 250 sépultures réparties dans différentes zones funéraires, utilisées du ixe au xiiie s. et dispersées sur une surface de près de 1 ha (Liegard 2019 et 2022). Les plus anciens défunts sont associés à la villa carolingienne détenue, au début du xe s., par Aymard, probable ancêtre de la famille des Bourbons. Par la suite, le développement de la ville autour de la résidence castrale et du prieuré clunisien va de pair avec la multiplication des espaces cimétériaux jusqu’au xiie s., période qui voit l’apogée du pèlerinage autour des reliques des saints Mayeul et Odilon, abbés de Cluny décédés et inhumés à Souvigny. À partir du xiiie s., l’abandon de certains lieux sépulcraux s’accompagne du regroupement des tombes dans le cimetière paroissial où l’occupation funéraire se densifie.
2À Montluçon, durant l’été 2010, préalablement à la construction du musée des musiques populaires, à une cinquantaine de mètres de l’accès principal au château des Bourbons, une fouille préventive2 a permis de mettre au jour une soixantaine d’inhumations s’échelonnant du début du xie au début du xve s. (Liegard et Rouzic 2015 ; Liegard 2018). Les investigations n’ont porté que sur une petite partie du cimetière paroissial, localisée au nord-est du chevet de l’église Notre-Dame, dans un secteur relativement préservé, entre le prieuré du même nom et les propriétés foncières privées attenantes.
3Sur la base d’un corpus constitué par les tombes médiévales étudiées sur ces deux sites distants d’une soixantaine de kilomètres, il a été possible de proposer une première typo-chronologie constituant un cadre référentiel qui faisait jusqu’alors défaut en Bourbonnais (Liegard 2016).
2. Des inhumations en bon état de conservation à la base de la typologie
4Depuis la fin du xxe s., le développement de l’archéologie préventive a entraîné la multiplication des interventions dans les cimetières médiévaux. Néanmoins, la plupart de ces opérations livre des données souvent difficiles à exploiter en raison d’un état de conservation des tombes relativement mauvais. Rares sont les sites recelant des vestiges explicites susceptibles de permettre la reconnaissance ou la restitution des aménagements funéraires en bois, très nombreux au Moyen Âge.
5À Souvigny comme à Montluçon, la nature argileuse du sous-sol s’est révélée favorable à la conservation des matériaux périssables. Ainsi, sur le premier site, il a été possible de constater que les tombes les plus anciennes étaient toutes associées, soit à des contenants monoxyles, soit à des coffrages en bâtière (Fig. 1 à 3). Dans les niveaux plus récents, la présence de couvrements en planches de bois a pu être mise en évidence. À Montluçon, ce dernier cas de figure est illustré par plusieurs inhumations des xie et xiie s. disposées dans des fosses profondes anthropomorphes associées, d’une part, à des planches de chêne reposant sur des banquettes latérales (Fig. 4) et d’autre part, à des pierres tombales matérialisant leur emplacement au niveau du sol du cimetière (Fig. 5).
Fig. 1 - Souvigny (Allier), centre bourg ; au xe s., les inhumations sont disposées dans des contenants monoxyles et des coffrages en bois en bâtière.

A. Fourvel.
Fig. 2 - Souvigny (Allier), centre bourg ; contenant funéraire monoxyle.

G. Jaouen, Sapda.
Fig. 3 - Souvigny (Allier), centre bourg ; coffrage en bois en bâtière de la fin du xe ou du début du xie s.

C. Bille, Sapda.
Fig. 4 - Montluçon (Allier), prieuré Notre-Dame ; fosses anthropomorphes des xie-xiie s.

A. Fourvel, Sapda.
Fig. 5 - Montluçon (Allier), prieuré Notre-Dame ; pierre tombale du xie ou xiie s.

S. Liegard, Sapda.
6Le faible taux de recoupements a aussi été un facteur essentiel dans l’analyse de ces sites. Pour une bonne part, les espaces funéraires étudiés se caractérisent par un développement relativement extensif, la répartition spatiale des tombes indiquant l’absence de véritables contraintes. Les vestiges témoignent également d’une gestion rigoureuse de ces aires au sein desquelles une organisation en rangées, plus ou moins régulières, se dessine (Fig. 6). Ce phénomène va de pair avec une perduration des marques de surface (empierrements, assemblages de blocs de pierres et de morceaux de planches de bois, pierres tombales…).
Fig. 6 - Souvigny (Allier), centre bourg ; coffrages en bois en bâtière des xe-xie s. disposés en rangée.

C. Bille, Sapda.
3. Une chronologie relative découlant de données stratigraphiques fiables
7Des phénomènes propres à chacun des deux sites ont favorisé la lecture stratigraphique des niveaux funéraires et l’établissement de chronologies relatives circonstanciées, ce qui est rarement possible dans les cimetières médiévaux urbains.
8En effet, à Souvigny, la durée d’occupation limitée de certains des espaces sépulcraux a facilité leur analyse stratigraphique. Dans d’autres secteurs, des phases de remblaiement ont permis de préserver les anciens niveaux de circulation, ce qui a simplifié le phasage des occupations funéraires (Fig. 7).
Fig. 7 - Souvigny (Allier), centre bourg ; inhumation sur lit de charbons de bois au-dessus d’une tombe du xiiie s. réutilisant un sarcophage mérovingien.

S. Liegard, Sapda.
Fig. 8 - Montluçon (Allier), prieuré Notre-Dame ; superposition d’inhumations (à gauche) et sépulture en cercueil accompagnée d’un dépôt funéraire (à droite), xiiie-xive s.

S. Sève, Sapda.
9Quant à Montluçon, la gestion rigoureuse des emplacements dédiés aux inhumations a conduit, d’une part, à la superposition de bon nombre d’entre elles (Fig. 8), et d’autre part, au maintien pendant plusieurs siècles des marques de surface associées (Fig. 5). De fait, la construction du diagramme stratigraphique s’en est trouvée simplifiée.
4. Des datations indispensables à l’établissement de la chronologie absolue
10La construction de chronologies relatives constitue une étape indispensable, mais cette dernière se doit d’être complétée par l’apport de données de chronologie absolue issues tant des études dendrochronologiques que des analyses par le radiocarbone.
11Les deux sites bourbonnais ont bénéficié de financements dédiés ayant permis la réalisation de plusieurs séries de datation engagées sur des sélections d’échantillons choisis pour leur intérêt typologique, mais aussi en fonction de leur position stratigraphique. Ces résultats ont complété les renseignements acquis par ailleurs et ont permis de jeter les bases d’une première typo-chronologie (Fig. 10). Celle-ci apporte des informations inédites, non seulement sur l’évolution formelle des tombes – les contenants monoxyles et coffrages en bâtière étant délaissés vers le début du xie s. au profit notamment des fosses avec simple couvrement, coffres maçonnés et remplois de sarcophages – mais aussi sur les dépôts funéraires parfois associés qui, bien que largement répandus, peinent encore à être datés précisément localement (Fig. 8 et 9).
Fig. 9 - Souvigny (Allier), centre bourg ; inhumation du xiiie s. accompagnée de trois coquilles Saint-Jacques.

S. Liegard, Sapda.
Fig. 10 - Typo-chronologie des inhumations en Bourbonnais du xe au xiiie s.

A. Fourvel.
5. En guise de conclusion
12Même si de nombreuses investigations ont été conduites dans les cimetières médiévaux du nord de l’Auvergne, les approches typo-chronologiques faisaient jusqu’alors défaut dans ce secteur géographique. Malgré le recours plus systématique, ces dernières années, à des méthodes d’analyse éprouvées et reconnues par l’ensemble de la communauté scientifique, la réunion d’un ensemble de conditions particulières (bonne lisibilité du terrain, bon état de conservation, faible taux de recoupements, contextes stratigraphiques bien datés…) reste indispensable à l’obtention de données à même de permettre ce type de développement.
13L’intérêt des corpus étudiés à Souvigny et Montluçon réside justement dans le développement d’une telle approche, ce qui reste peu courant en milieu urbain. Sur la base des connaissances acquises sur les inhumations médiévales en Bourbonnais, une réflexion a pu s’engager. L’ouvrage édité dernièrement sur les fouilles du prieuré Notre-Dame de Montluçon (Liegard 2018) a permis de présenter une première synthèse qui sera complétée à l’avenir par la publication monographique des résultats des chantiers conduits à Souvigny qui est en cours de préparation. De l’ensemble de ces travaux découleront de nouvelles interrogations qui devraient orienter les recherches à venir en vue de l’élargissement de ce premier référentiel régional.
Bibliographie
Liegard 2016. Liegard S. - La terre comme dernière demeure ; les pratiques funéraires d’époque romane dans le nord de l’Auvergne, in : Fray S. et Morel D. (dir.) - La terre à l’époque romane ; Exploitations, usages et représentations, Actes du 24e colloque international d’art roman (Issoire, 17-19 octobre 2014), Société des amis de l’Université de Clermont-Ferrand, Clermont-Ferrand : 219-242 (Revue d’Auvergne ; 619).
Liegard 2018. Liegard S. - Le prieuré Notre-Dame de Montluçon ; archéologie d’un site millénaire, Société des amis de l’Université de Clermont-Ferrand, Clermont-Ferrand, 367 p. (Revue d’Auvergne ; 625-626).
Liegard 2019. Liegard S. - Archéologie d’une ville médiévale bourbonnaise, Ville de Souvigny, Souvigny, 35 p. (Synthèse Souvigny ; 11).
Liegard 2022. Liegard S. - Souvigny, secrets de fouille ; Archéologie urbaine à Souvigny, Catalogue d'exposition, Ville de Souvigny, 144 p.
Liegard et Rouzic 2015. Liegard S. et Rouzic M. - Le cimetière paroissial de Notre-Dame à Montluçon (Allier), trois siècles d’occupation funéraire (xiie-xive siècles), in : Gaultier M., Dietrich A. et Corrochano A. (dir.) - Rencontre autour des paysages du cimetière médiéval et moderne, Actes du colloque du Gaaf (La Riche, 5-6 avril 2013), Publication du Gaaf, n° 4, 60e supplément à la Revue Archéologique du Centre de la France, Tours : 179-184.
Notes de bas de page
1Ces campagnes de fouilles préventives ont été réalisées par des équipes du service d’archéologie préventive du Conseil départemental de l’Allier, sous la responsabilité scientifique de Sophie Liegard.
2Cette fouille préventive a été réalisée par une équipe du service d’archéologie préventive du Conseil départemental de l’Allier, sous la responsabilité scientifique de Sophie Liegard.
Auteurs
-
Sophie Liegard
HADES, UMR 5648 CIHAM
-
Mikaël Rouzic
Inrap, UMR 5199 PACEA

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