Les pratiques funéraires en Alsace du Néolithique à l’époque moderne. Lecture typo-chronologique des sépultures à inhumation
p. 37-53
Résumés
La recherche archéologique alsacienne est emprunte d’un dynamisme historique. L’intérêt pour les sites funéraires est très ancien et a donné lieu, pour l’ensemble de la chronologie, à de nombreuses synthèses remontant parfois au xixe s. Bien que réactualisés, certains de ces travaux anciens font encore foi de nos jours. Ce dynamisme régional persiste et de nombreux projets de recherche collectifs, portés par les différents acteurs locaux, ont déjà été réalisés ou sont aujourd’hui encore en cours. Nous proposons, sur la base de ces nombreux travaux, de brosser un panorama des caractéristiques constitutives des sépultures à inhumation alsaciennes pour l’ensemble de la chronologie, du Néolithique à l’époque moderne.
Archaeological research in Alsace (France) is steeped in historical dynamism. The interest in funerary sites is very old and it has given rise to numerous review papers for the whole chronology dating back as far as the 19th century. Although updated, some of them are still valid today. This regional dynamic persists and many collective research projects, supported by the various local stakeholders, have already been carried out or are in progress today. On the basis of this extensive work, we propose to provide an overview of the constitutive characteristics of Alsatian burial tombs for the entire chronology, from Neolithic to Modern times.
Entrées d’index
Mots-clés : typologie, chronologie, Alsace, inhumation, architecture funéraire, pratiques funéraires
Keywords : typology, chronology, Alsace, funerary architecture, burial, funeral practices
Texte intégral
Introduction
1L’Alsace, située à l’extrême est de la région Grand-Est, est délimitée géographiquement à l’est par le Rhin et à l’ouest par le massif vosgien. Elle jouxte l’Allemagne à l’est et la Suisse, au sud. Cette situation frontalière explique la particularité culturelle de l’Alsace par rapport aux départements limitrophes (notamment avec la Lorraine et la Franche-Comté) qui est marquée dès le Néolithique par des influences émanant principalement d’outre-Rhin.
2La compréhension et l’évolution des pratiques funéraires sont depuis longtemps au cœur des préoccupations scientifiques régionales et de nombreuses synthèses chronologiques ont déjà vu le jour (voir la bibliographie afférente dans chaque partie). Ces travaux sont nés des multiples collaborations entre les archéologues des différents opérateurs locaux d’archéologie préventive, les chercheurs de l’université de Strasbourg mais également grâce à de fréquentes collaborations franco-allemandes ou franco-suisses. Aujourd’hui, plusieurs projets collectifs de recherche d’envergure nationale et internationale sont en cours dans la région.
3Sur la base de l’ensemble de ces travaux, cet article propose de synthétiser les connaissances concernant les pratiques funéraires en Alsace, du Néolithique à la période moderne par le biais de la typo-chronologie des sépultures à inhumation1. Il convient de préciser que les données disponibles aujourd’hui sont très inégales selon les phases chronologiques, ce qui explique certaines disparités de la documentation en fonction des périodes.
1. Le Néolithique
4Les pratiques funéraires néolithiques alsaciennes sont aujourd’hui très bien documentées puisqu’elles ont fait l’objet, sous l’impulsion de différents chercheurs, de plusieurs articles de synthèse, de travaux collectifs de recherche et de nombreuses campagnes de datations radiocarbone depuis ces 25 dernières années (Jeunesse 1997 ; Lefranc et al. 2010 ; Lefranc, Denaire et Jeunesse 2014 ; Denaire et al. 2016).
5Tout au long du Néolithique, l’Alsace voit se succéder différents groupes culturels aux origines variées présentant des caractéristiques spécifiques. On distingue plusieurs grandes périodes, essentiellement basées sur la chronologie allemande.
1.1. Le courant danubien (5300 à 4000 av. J.-C. environ)
6Le courant danubien correspond aux cultures du Néolithique ancien (culture rubanée) et du Néolithique moyen. Le Néolithique ancien alsacien (5300-5000 av. J.-C.) est caractérisé par la culture rubanée, très homogène, qui s’étend sur une vaste zone géographique allant de la Moldavie à l’ouest du Bassin parisien. Le Néolithique moyen (4800-4000 av. J.-C.) voit à l’inverse l’émergence de plusieurs groupes culturels aux spécificités marquées, notamment dans le style céramique : le Hinkelstein, le Grossgartch, le Planig-Friedberg, le Roessen, le Bischheim rhénan, le Bruebach-Oberbergen puis le Bischheim occidental du Rhin supérieur (BORS).Toutefois, les pratiques funéraires, aujourd’hui bien documentées du fait d’un important corpus de sépultures mis au jour (300 pour le Néolithique ancien, 550 pour le Néolithique moyen), sont relativement homogènes pendant plus d’un millénaire. Les morts sont regroupés au sein d’ensembles funéraires qui comportent parfois plus de 100 individus, à proximité des zones d’habitat. Les sépultures, individuelles, sont de plan ovale ou oblong et le mobilier funéraire est abondant, composé de céramique, d’outillage lithique, de parure en matière dure animale, de dépôts alimentaires, d’ocre, etc. (Fig. 1).
Fig. 1 - Le courant danubien.

A : sépulture rubanée (Néolithique ancien) de Morschwiller-le-Bas (68). B : sépulture Grossgartach (Néolithique moyen) de Rosheim “Leimen” (67).
A. Photo : Antea-Archéologie. B. Photo : Inrap.
7Les principales différences concernant les modes d’inhumation résident dans la position et l’orientation des corps. Au Néolithique ancien, les individus sont en effet inhumés sur le dos ou le côté avec les membres repliés, alors qu’au Néolithique moyen, ils reposent sur le dos avec les membres en extension. On peut noter également qu’au Néolithique moyen, et notamment pour la culture Grossgartach, la présence de contenants en bois pour les défunts a ponctuellement pu être mise en évidence d’après des critères taphonomiques ce qui n’est pour l’heure pas le cas pour le Néolithique ancien.
1.2. Le Néolithique récent (4000 à 3400 av. J.-C. environ)
8À partir de 4000 av. J.-C. coexistent en Alsace les cultures de Michelsberg et de Munzingen. Leur émergence coïncide avec une rupture nette dans la manière d’inhumer les morts, caractérisée en premier lieu par la disparition des grands ensembles funéraires. La pratique très majoritaire pour cette période est l’inhumation en fosse de plan circulaire. Ces structures sont dispersées au sein même des zones d’habitats et le mobilier funéraire y est quasi inexistant. On recense dans toute l’Alsace environ 140 structures pour plus de 200 individus. Au Néolithique récent, le phénomène des dépôts humains en fosses circulaires, généralement assimilées à des silos désaffectés, est désormais bien connu. Cette pratique très homogène perdure entre 4500 et 3500 av. J.-C. sur une vaste zone allant de la vallée du Rhône à la Slovaquie (Jeunesse 2010). Les fosses peuvent accueillir un ou plusieurs défunts et, outre des corps complets, elles livrent également des parties anatomiques et des ossements isolés. Les défunts sont parfois accompagnés de mobilier, occasionnellement de restes animaux, ces derniers pouvant également faire l’objet de dépôts dédiés (Jeunesse 2010 ; Lefranc et al. 2010). Au sein de cette pratique, la position repliée sur le côté parait la plus récurrente et est aujourd’hui qualifiée de position “conventionnelle” (Jeunesse 2010). On lui oppose des positions plus anarchiques, qui sont très variées et au sein desquelles aucune récurrence ne se dégage. Deux cas de figure peuvent être observés : les dépôts individuels en position conventionnelle (Fig. 2, A) ; ou les dépôts pluriels, qualifiés de dépôts asymétriques, comprenant généralement un individu en position conventionnelle et un ou plusieurs individus en position désordonnée (Fig. 2, B). L’une des hypothèses émises pour expliquer ce type de dépôt est celle des morts d’accompagnement : à la mort d’un individu, un ou plusieurs autres sont mis à mort pour accompagner le premier dans la sépulture (Testart 2004 ; Gallay 2006 ; Jeunesse 2010). En plus de ces deux principaux types de dépôts, qui correspondent selon toute vraisemblance à des faits funéraires, on observe également dans ces fosses circulaires des dépôts individuels ou multiples de corps en positions désordonnées et sans aucun mobilier (Fig. 2, C et D). Ce sont ces cas de figure qui posent le plus de questions et leur caractère funéraire est encore aujourd’hui largement discuté (Lefranc et al. 2010).
Fig. 2 - Le Néolithique récent. Dépôts en fosses circulaires d’individus en position conventionnelle ou désordonnée.

A : Eckwersheim “KleineBreite” (67). B, C et D : Gougenheim “GingsheimerFeld” (67).
Photo : Inrap.
1.3. Le Néolithique final (3000 à 2150 av. J.-C. environ) et le Bronze ancien (2150 à 1700 av. J.-C. environ)
9À partir de 2750 av. J.-C. environ, on observe à nouveau une rupture nette dans la manière d’enterrer les morts, coïncidant avec l’apparition des cultures du Cordé/Campaniforme (35 sépultures) puis du Bronze ancien en 2150 av. J.-C. environ (69 sépultures). Le corpus est moins conséquent que pour les périodes précédentes, mais les pratiques funéraires sont toutefois bien documentées et ont récemment fait l’objet d’un article de synthèse (Lefranc et al. 2019). Les cultures de la toute fin du Néolithique et du Bronze Ancien amorcent la transition vers la Protohistoire. Les sépultures sont le plus souvent individuelles, isolées ou rassemblées en petits groupes funéraires. Le mobilier funéraire est peu abondant et généralement composé de céramique, d’objets en matériau lithique liés à l’armement et à l’archerie et de parure en matière dure animale.
10Au Campaniforme, les fosses sépulcrales sont en grande majorité de plan rectangulaire. Les défunts sont inhumés sur le côté ou sur le dos, les membres plus ou moins fléchis. Dans certains cas, des traces de bois ont été mises au jour, permettant de restituer la présence originelle d’une chambre funéraire surmontée d’une probable structure en élévation (Fig. 3, A et B).
Fig. 3 - Campaniforme/Bronze ancien.

A et B : proposition de restitution d’une sépulture campaniforme de Sierentz “les Villas d’Aurèle” (68). C : sépulture datée du Bronze ancien de Griesheim-sur-Souffel “Flaschen” (67).
A et B. Photo/DAO : Antea-Archéologie, DAO d’après Vergnaud et al. 2012 : 87. C. Photo : Antea-Archéologie.
11Pour le Bronze ancien, les sépultures les plus nombreuses correspondent à des creusements de plan ovale, a priori sans aménagement. Les défunts sont inhumés sur le côté, avec les membres fléchis (Fig. 3, C).
12Du point de vue des gestes funéraires et de la typologie du mobilier, l’Alsace s’intègre parfaitement au sein du groupe oriental campaniforme incluant la Bohème, la Moravie, l’Autriche, la Hongrie et la Bavière. La pratique récurrente consiste à déposer un individu sur un côté spécifique en fonction du sexe. Au Campaniforme, les femmes sont déposées sur le côté droit, tête au sud, et les hommes sont inhumés sur le côté gauche, tête au nord. Au Bronze ancien, les corps sont en grande majorité orientés selon un axe est-ouest avec la tête à l’est ou à l’ouest, mais le regard systématiquement dirigé vers le sud. Les individus féminins sont déposés sur le côté droit, tête à l’ouest et les individus masculins sont déposés sur le côté gauche, tête à l’est. La position des défunts et leur orientation en fonction du sexe sont deux caractéristiques partagées par l’Alsace et l’Allemagne du sud (cultures d’Arbon et de Straubing). La situation diffère légèrement dès lors que l’on s’éloigne en direction de l’ouest, en Lorraine par exemple, ou l’orientation selon le sexe est également la règle, mais où les individus reposent aussi bien sur le dos que sur l’un ou l’autre côté.
13Au Campaniforme comme au Bronze ancien, on rattache donc plus volontiers l’Alsace aux cultures de l’Europe de l’Est qu’à celles des groupes occupant l’ouest du territoire national.
14Ces cultures amorcent une transition vers des pratiques différentes du Néolithique, avec une monumentalisation croissante des sépultures.
2. La Protohistoire
15Les pratiques funéraires pour l’ensemble de la période protohistorique sont essentiellement connues grâce aux fouilles anciennes de nécropoles tumulaires bien conservées en milieu forestier. Plus de 1 800 tertres ont été répertoriés depuis le xixe s. sur l’ensemble du territoire alsacien. L’important corpus des sites funéraires a généré une masse considérable de données pour l’ensemble de la période protohistorique qui, malgré leur ancienneté et leur inégalité, a déjà permis l’élaboration de plusieurs synthèses monographiques ou régionales (Koenig et al. 1989 ; Plouin, Dunning et Judl 1996 ; Boës 2007 ; Landolt, Millet et Roth-Zehner 2010 ; Bräuning, Löhlein et Plouin 2012 ; Koenig et al. 2012 ; Wassong 2015 ; Véberet al. 2017) et plusieurs projets de recherche travaillant sur les pratiques funéraires sont en cours : le PCR sur “Les nécropoles protohistoriques du massif forestier de Haguenau2”, et le projet “Le Sud du Rhin supérieur au Hallstatt. Recherches sur l’organisation territoriale et les structures sociales3”.
16La reconnaissance et la datation des ensembles funéraires protohistoriques sont soumises à plusieurs difficultés. Leur caractérisation se fonde bien souvent sur la présence d’enclos fossoyés circulaires (plus rarement quadrangulaires) entourant une ou plusieurs sépultures, ou sur la présence réelle ou supposée de tumulus. En dépit de quelques exceptions, l’inhumation en monument circulaire constitue en effet la pratique majoritaire durant une grande partie de la Protohistoire. L’attribution chronologique d’un ensemble funéraire protohistorique à une phase précise est soumise à plusieurs écueils, au premier rang desquels la grande homogénéité des pratiques sur l’ensemble de la période et l’absence fréquente de mobilier dans les sépultures. Mais c’est la longue durée d’utilisation ou le réemploi des ensembles ou monuments qui constituent le biais le plus difficile à contourner et empêchent toute quantification précise par phase chronologique. Cette problématique a récemment été traitée pour le nord-est de la France (Koenig et al. 2012).
17En marge de ces espaces sépulcraux, la pratique de l’inhumation en silo est extrêmement fréquente. Bien que ces structures soient pour la plupart datées entre la fin du Hallstatt et le milieu de La Tène, la systématisation des datations radiocarbone a permis de confirmer cette pratique sur l’ensemble de la période protohistorique, dès le Bronze final. Le caractère funéraire de ces dépôts fait aujourd’hui encore largement débat et leur interprétation ne trouve pas vraiment de consensus. Nous ne développerons pas cette thématique ici et renvoyons aux synthèses régionales existantes (Landolt, Millet et Roth-Zenher 2010 ; Fleischer, Landolt et Roth-Zenher 2013).
2.1. Le Bronze moyen (1500-1200 av. J.-C.)
18Malgré le nombre important de tumulus répertoriés, les sépultures du Bronze moyen sont paradoxalement peu nombreuses et peu documentées. Cette sous-représentation est à mettre en relation avec l’ancienneté des fouilles, mais également des réutilisations successives de tumulus qui ont parfois détruit les sépultures du Bronze moyen. Cette période se caractérise par une monumentalisation des sépultures avec des tertres pouvant aller jusqu’à 40 m de diamètre pour une seule inhumation. Ces monuments, majoritairement individuels, peuvent être regroupés en vastes nécropoles tumulaires. Les aménagements funéraires reconnus se caractérisent par des fosses quadrangulaires de grandes dimensions et aménagées d’un coffrage de bois. Dans ces chambres funéraires, les défunts sont majoritairement déposés sur le dos, les membres en extension. Certaines tombes ne contiennent aucun objet, d’autres regroupent un mobilier abondant et parfois extrêmement riche essentiellement lié au costume funéraire, ainsi que des dépôts de vaisselle.
19La fin du Bronze moyen voit émerger la pratique de la crémation, qui perdure pendant tout le Bronze final (1200-800 av. J.-C.) et qui signe l’abandon progressif des grands tumulus érigés durant cette période. Ces derniers peuvent toutefois être très ponctuellement réinvestis pour installer des dépôts de crémation dans les tout derniers temps du Bronze final. Des découvertes récentes témoignent d’inhumations isolées datées de la fin du Bronze final, mais cette pratique reste très marginale.
2.2. Le premier âge du Fer (Hallstatt C/D3 : 800-460 av. J.-C.)
20La pratique de l’inhumation ne revient qu’à partir du tout début du premier âge du Fer mais coexiste encore un temps avec la crémation. La fondation de nouveaux monuments funéraires comme la réutilisation de tumulus fondés à l’âge du Bronze sont attestées.
21Les tumulus ou enclos du premier âge du Fer englobent désormais majoritairement plusieurs inhumations, installées de façon concentrique autour d’une sépulture centrale (Fig. 4). Au sein de ces tumulus, on trouve deux types principaux d’inhumations (Fig. 5, A et B) : de grandes fosses quadrangulaires correspondant à des chambres funéraires aménagées d’un coffrage de bois et des fosses oblongues plus ajustées, non coffrées.
Fig. 4 - Vue aérienne du tumulus Hallstatt de Pfulgriesheim “Kammerhacker” (67).

Photo : Antea-Archéologie.
Fig. 5 - Le premier âge du Fer. Types d’architectures funéraires.

A et B : plan des tumulus 1 à 4 de Bernolsheim-Mommenheim (67) et aménagements en bois préservés. C : plan des cercles de Bernolsheim-Mommenheim. D : sépulture en contenant monoxyle conservé à dans le tumulus 2b de Nordhouse “Buerckelmatt” (67).
A et B. Photo : Archéologie Alsace. C. D’après Fleischer et Leprovost 2015 : 56. D. Photo : Plouin et al. 1986.
22Dans les deux cas, la présence de contenant sépulcral est quasi systématique. Dans la majorité des cas, le type de contenant ne peut être déterminé, toutefois des contenants monoxyles sont attestés (Fig. 5, C).
23Les défunts sont déposés sur le dos, les membres en extension. Le dépôt de mobilier funéraire est souvent très inégal au sein d’un monument funéraire, avec des inhumations totalement dépourvues de mobilier, des inhumations contenant des récipients en céramique uniquement et des sépultures dites “riches”, contenant des dépôts d’offrandes et du mobilier lié à l’habillement, la parure ou l’armement. Ces disparités semblent traduire pour cette phase des différences de statut social entre les individus et également en fonction du genre, avec une démarcation de plus en plus nette des sépultures masculines très privilégiées. À l’extrême fin du Hallstatt, le dépôt de vaisselle en céramique disparaît, ce qui constitue un important marqueur chronologique. L’inhumation sous tumulus demeurait la pratique la mieux attestée pour la période du Hallstatt en Alsace jusqu’à de très récentes découvertes autour de Strasbourg, qui ont permis de mettre en évidence des variantes des pratiques funéraires, non documentées jusque-là, à savoir : un ensemble funéraire non tumulaire (Céciliot et al. 2021) et des inhumations installées dans un fossé (Goepfert et al. 2021).
2.3. Le second âge du Fer (La Tène A/B2 : 460-260 av. J.-C.)
24La fondation de nouveaux édifices coexiste avec une pérennisation de sites funéraires antérieurs. La pratique de l’inhumation sous tertre perdure avec des sépultures placées en périphérie de tumulus ou d’enclos plus anciens et témoignant une fois encore du caractère polarisant de tels édifices. Au sein des ensembles tumulaires, deux catégories d’inhumation semblent se distinguer : les sépultures sous tumulus et les sépultures en périphérie de tumulus. Sous les tertres, la présence de chambres funéraires coffrées ainsi que des contenants en bois sont attestés (Fig. 6, A). La vaisselle est toujours absente des dépôts funéraires mais dans les tombes les plus riches du début de la période, de la vaisselle d’importation méditerranéenne est parfois déposée. On trouve majoritairement des éléments de parure annulaire pour les femmes et des armes pour les hommes. Le statut social perceptible dans les inhumations les plus riches tend à se modifier : tandis que le nombre de tombes à armes semble décliner, les riches sépultures féminines paraissent perdurer. Les sépultures installées en périphérie de tumulus sont caractérisées par des fosses oblongues plus ajustées et témoignent de la présence de contenants. Elles sont très souvent dénuées de mobilier. Dans tous les cas, les défunts sont déposés sur le dos, les membres généralement en extension, même si on peut là encore noter quelques variations non significatives.
Fig. 6 - Le second âge du Fer. Types d’inhumations.

A : inhumation en contenant dans le tumulus de Marmoutier “Kurzaeckerle-Muehlmatten” (67). B : inhumation en contenant dans une sépulture isolée d’Obernai “PAEI”.
A. Photo : Archéologie Alsace. B. Photo : Inrap.
25Parallèlement aux ensembles tumulaires, de petits ensembles de tombes dites “plates” (supposées sans tumulus) émergent à La Tène A. Des tombes isolées sont également attestées dans des contextes funéraires datés de périodes antérieures ou à proximité d’habitat (Fig. 6, B). Dans le courant de La Tène B1, les ensembles tumulaires sont peu à peu abandonnés pour laisser place à l’utilisation exclusive de ces ensembles non tumulaires à La Tène B2. La découverte récente d’inhumations en enclos quadrangulaire et la mise en évidence de quelques structures de ce type en prospection aérienne pourraient suggérer l’existence d’enclos funéraires quadrangulaires dans les phases moyennes de La Tène, comme c’est le cas par exemple en Lorraine.
26L’indigence des données concernant les inhumations de La Tène B ne permet pas de rendre compte des architectures funéraires. Les parures annulaires constituent le mobilier caractéristique de La Tène B et une distinction stylistique (et donc culturelle ?) semble marquer une différence entre le nord et le sud de l’Alsace. La Tène C marque un retour à la pratique de la crémation qui perdure jusqu’à la fin de la conquête romaine. Toutefois, dans le sud de l’Alsace la pratique de l’inhumation reste ponctuellement présente tout au long de la période.
3. L’Antiquité
27Sur tout le territoire alsacien, la pratique de la crémation émerge pendant le processus de romanisation à la fin de la Protohistoire et devient quasi exclusive jusqu’au début du Bas-Empire. Quelques inhumations sont toutefois rencontrées de manière sporadique tout au long du Haut-Empire, période à laquelle ce mode de dépôt est largement minoritaire. C’est le début du ive s. qui marque un retour progressif à la pratique de l’inhumation. Les découvertes attribuées à cette période demeurent rares en Alsace et ne permettent pas une analyse synthétique à l’échelle régionale. La réflexion proposée s’appuie donc principalement sur un premier bilan non exhaustif des rapports d’opérations préventives et de quelques monographies de site, ce qui limite l’approche typochronologique. Le travail entrepris ici ne constitue donc qu’un point de départ qui mérite d’être plus amplement développé à l’avenir, toutefois quelques caractéristiques semblent déjà pouvoir se dégager pour le Haut-Empire puis le Bas-Empire.
3.1. Le Haut-Empire (fin du ier s. av. J.-C.- fin du iiie s. ap. J.-C.)
28Depuis quelques années, le corpus des inhumations au Haut-Empire s’est considérablement enrichi grâce à une généralisation des datations radiocarbone pour les sépultures dépourvues de mobilier4. La multiplication de ces analyses est une avancée majeure pour la discipline car elle met en avant une récurrence de la pratique durant toute l’Antiquité. Elle reste malgré tout assez marginale, correspondant à des sépultures isolées ou des petits groupes, dont l’effectif n’excède jamais cinq individus. Contrairement à d’autres régions, pour lesquelles les périnatals sont éligibles à ce traitement, en Alsace en l’état actuel des connaissances, aucun recrutement spécifique pouvant expliquer cette pratique ne semble se dégager. Des inhumations sont mises au jour au sein ou en périphérie de contextes domestique ou funéraire. Dans ce dernier cas, les inhumations se trouvent à proximité immédiate des sépultures à crémation ou séparés spatialement.
29À ce stade de nos recherches, l’emplacement des tombes, extrêmement variable, ne semble donc pas être dicté par des règles spécifiques. Les défunts sont inhumés dans des fosses de dimensions variables et deux principaux modes d’inhumation ont été repérés : le défunt peut être déposé dans la fosse et recouvert de sédiment rapidement après son dépôt ou il peut être inhumé au sein d’un cercueil cloué en bois. On recense aussi bien des individus reposant sur le dos que sur le ventre5 (Fig. 7). Aucune orientation ne semble être privilégiée, toutefois le dépôt des individus avec la tête à l’est est rare. Le dépôt de mobilier semble également peu fréquent et correspond surtout à de la vaisselle en céramique. Malgré un récent renouvellement des données, la taille toujours très réduite du corpus limite nos réflexions et seul l’apport de nouvelles découvertes permettrait de compléter et d’approfondir nos connaissances sur la pratique de l’inhumation au cours du Haut-Empire en alsace.
Fig. 7 - Le Haut Empire. Diversité des positions d’inhumation.

A : défunt déposé sur le ventre à Strasbourg “Route de Koenigshoffen” (67). B : individu inhumé sur le dos à Strasbourg “8-20 route des Romains” (67).
Photo : Archéologie Alsace.
3.2. Le Bas-Empire (fin du iiie ap. J.-C.- fin du ve s. ap. J.-C.)
30Les pratiques funéraires de l’Antiquité tardive ont été en grande partie appréhendées grâce à la publication synthétique des sépultures du faubourg occidental de Strasbourg (Blaizot et al. 2005) puis avec la découverte d’un ensemble funéraire de 22 sépultures à inhumations à Ittenheim “Lotissement du Stade” (Cartier-Mamie, Logel et Putelat 2009) attribué à la seconde moitié du ive s. au 1er tiers du ve s. On pourra citer également la nécropole de Sierentz “Hochkirch”, datée de la fin du ive s. et fouillée dans les années 1980 et dont la publication, bien qu’ancienne, permet d’avoir un aperçu complet des 54 sépultures fouillées (Heindinger et Viroulet 1986). Les données ont été en partie réétudiée au sein d’un programme de recherche soutenu par l’association ATEG (Antiquité tardive en Gaule)6 et l’UMR 7044 de l’université de Strasbourg mais l’absence de données récentes n’a pas permis à ce jour d’enrichir le corpus et de poursuivre les recherches sur cette période. Ces dernières années, seuls trois sites, Fegersheim-Geispolsheim “Rocade sud de Strasbourg” (Ferrier à paraître), Sélestat “Westrich-Riedwasen” (Thomas 2016) et Kembs “rue Paul Bader, Niedere Kirchaecker (diagnostic Dabek 2018), ont révélé la présence de groupes de sépultures attribuées au Bas-Empire. Si la morphologie des fosses sépulcrales est variable, l’architecture funéraire et la position des défunts semblent plus normées qu’à la phase précédente. En effet, les individus sont majoritairement inhumés dans des contenants en bois assemblés au moyen de chevilles de bois ou de clous et reposent sur le dos, la tête majoritairement à l’est, même si des variations persistent encore (Fig. 8). Le dépôt de mobilier devient plus fréquent et se diversifie avec la présence récurrente de vaisselle, d’éléments de parure, de dépôts alimentaires et de monnaies. Enfin, dès le début du ve s., certaines sépultures laissent entrevoir une influence de la culture germanique, comme observé à Niedernai (Zehnacker 1997) et Obernai (Féliu et al. 2017), prémices des pratiques funéraires mérovingiennes en Alsace.
Fig. 8 - Le Bas Empire. Types d’inhumation.

A : Sélestat “Westrich-Riedwasen” (67). B : Ittenheim “Lotissement du stade” (67).
A. Photo : Inrap. B. Photo : Archéologie Alsace.
4. Le Moyen Âge et la période moderne
31La période médiévale peut en partie se caractériser par la diffusion du christianisme, dont les caractéristiques principales transparaissent plus ou moins au travers des pratiques funéraires du début de la période7. Durant la phase de transition entre l’Antiquité et le haut Moyen Âge, la diffusion des dogmes chrétiens est assez inégale sur le territoire. Dans les zones rurales, les pratiques anciennes, d’influences germaniques et fortement ancrées en Alsace, semblent persister simultanément à la diffusion du christianisme. Ce syncrétisme, difficile à appréhender clairement en archéologie, laisse place à la religion chrétienne à l’extrême fin de la période mérovingienne, au cours de laquelle les cimetières paroissiaux commencent à se mettre progressivement en place.
4.1. Le haut Moyen Âge (périodes mérovingienne et carolingienne, fin ve-fin xe s.)
32Les pratiques funéraires alto-médiévales font l’objet depuis 2015, d’un important travail de synthèse dans le cadre d’un Projet Collectif de Recherche intitulé “Espaces et pratiques funéraires aux époques mérovingienne et carolingienne en Alsace (ve-xe s.)8”, dirigé par des archéologues issus des trois opérateurs d’archéologie préventive alsaciens. L’objectif de ce projet est de reprendre l’intégralité de la documentation pour 57 sites de référence (2 437 sépultures) afin d’engager une réflexion à l’échelle régionale. L’un des axes de recherche est spécifiquement dédié à l’élaboration d’une typo-chronologie des inhumations (Barrand-Emam, Chenal et Abert 2019).
33Face à la très grande variabilité des dispositifs funéraires, l’absence d’une terminologie claire a rapidement constitué un frein à la mise en place d’une typo-chronologie et il est apparu nécessaire de s’accorder collectivement sur un vocabulaire commun (Barrand-Emam et Châtelet 2016 : 31-53). L’élaboration d’une classification des inhumations, basée sur des critères discriminants et objectifs qui seront validés par des analyses exploratoires multivariées9, est en cours. Les résultats ne sont pas encore exploitables, cependant, les études préexistantes aux travaux du PCR permettent de définir les principaux traits des pratiques funéraires mérovingiennes, qui découlent majoritairement du phénomène des sépultures habillées et du dépôt d’objets, aux influences germaniques, trouvant leurs origines dans les sépultures de l’Antiquité tardive.
34Les sépultures sont regroupées au sein d’ensembles funéraires plus ou moins vastes pouvant compter de quelques sépultures à plusieurs centaines, situés en marge d’un habitat pour les plus petits groupes ou dans des zones dédiées, à l’écart des habitations, pour les ensembles communautaires. Une ou plusieurs sépultures privilégiées peuvent être ceintes d’un enclos fossoyé très majoritairement circulaire, bien que d’autres formes (ovales et rectangulaires) aient également été mises au jour. La présence de tumulus est très rarement avérée et est encore largement discutée selon les cas. Les fosses sépulcrales présentent une grande variabilité de dimension et de morphologie. Les dimensions en plan constituent d’ailleurs un critère particulièrement discriminant. Toutefois, depuis les travaux amorcés dans le cadre du PCR, elles ne sont plus appréhendées par le biais des données métriques brutes : en effet, c’est plutôt le rapport entre la largeur de la fosse et la largeur occupée par le défunt qui est pris en compte. D’après ce critère, trois principaux types de fosses, auxquels s’ajoutent quelques variantes, ont alors pu être définis (Fig. 9) : les fosses larges, les fosses étroites, et les fosses ajustées. Les fosses ajustées présentent parfois un caractère anthropomorphe, avec la conception d’une logette dédiée à la tête. Dans de plus rares cas, la longueur de la fosse est trop importante par rapport au corps et constitue un autre critère de détermination. La fosse sépulcrale est également caractérisée en fonction de son orientation, de son organisation interne (défunt placé au centre ou dans la moitié nord) et son type de creusement (parois verticales ou étagées) (Fig. 10).
Fig. 9 - Le haut Moyen Âge (mérovingien).

Types de fosses : A : fosse large à Sausheim “31 rue des Vergers” (68). B : fosse étroite à Kolbsheim “Vogeseblick” (67). C : fosse longue à Odratzheim “Sandgrube” (67) (photo : Archéologie Alsace). D : fosse ajustée à Erstein “Untergasse” (67).
A. Photo : Archéologie Alsace. B. Photo : Antea-Archéologie. C. Photo : Archéologie Alsace. D. Photo : Archéologie Alsace
Fig. 10 - Le haut Moyen Âge (mérovingien). Exemple de paroi étagée pour placer un système de couverture à Achenheim “Auswaerts der Linde” (67).

Photo : Inrap, DAO : d’après Chenal et al. 2017 : 96.
35Les tombes mérovingiennes peuvent être ou non aménagées d’un coffrage. Dans la très grande majorité des cas, les coffrages des fosses sont réalisés en bois, bien que quelques cas de coffrage en pierres aient déjà été observés (Fig. 11). Des dispositifs de couverture sont parfois mis en évidence, associés ou non à un coffrage de la fosse.
Fig. 11 - Le haut Moyen Âge. Coffrages en pierres.

A : coffrage en moellons à Illfurth “Buergelen” (68). B et C : coffrage en dalles à Odratzheim “Sandgrube” (67).
A. Photo : Antea-Archéologie. B. Photo : Archéologie Alsace.
36L’un des principaux types de sépultures mérovingiennes connu en Alsace se caractérise par la présence d’une fosse large, coffrée et couverte, présentant une organisation bipartite (dépôt de mobilier au sud et dépôt du défunt au nord) et un contenant propre au défunt. Ce type de structure, très fréquent, correspond au type “Morken” défini en 1959 (Böhner 1959) (voir Fig. 9, A).
37D’autres types d’aménagements funéraires sont également connus, parmi lesquels les fosses étroites non coffrées, avec ou sans couvercle, relativement répandues. On peut également évoquer les larges chambres funéraires coffrées à l’aide de dalles calcaires ainsi que de nombreuses combinaisons de l’ensemble des éléments architecturaux connus : des fosses larges sans coffrage mais couvertes, des fosses étroites non coffrées et non couvertes ; ou encore des fosses étroites couvertes, coffrées ou non.
38En 2014, un type particulier d’aménagement, jusqu’alors inconnu en Alsace, a pu être identifié (Barrand-Emam, Chenal et Fischbach 2013 : 208-214) et dont les seuls parallèles documentés alors avaient été découverts quelques années auparavant en Allemagne (Brendle 2012). Ce type, qui semble caractéristique du vie s., correspond à une chambre funéraire en fosse longue et étroite, coffrée à l’aide de planches biseautées ou de poteaux fendus et fichés dans le sol, juxtaposés les uns aux autres (Fig. 12). À Vendenheim “Route de la Wantzenau”, cet aménagement accueille une inhumation au sein d’un cercueil monoxyle avec un dépôt de mobilier situé à la tête et aux pieds du défunt, à l’intérieur mais également en dehors du contenant. D’autres exemples similaires ont depuis été découverts sur la nécropole mérovingienne de Kolbsheim “Knoblochsberg” (Mauduit et al. à paraître). La multiplication de ces découvertes témoigne de la grande variabilité des architectures et illustre bien le fait que la compréhension de l’ensemble des pratiques funéraires est fortement liée aux aléas des découvertes archéologiques. Dans un autre registre, elles témoignent également de l’homogénéité culturelle des groupes humains vivant de part et d’autre du Rhin.
Fig. 12 - Le haut Moyen Âge. Coffrages en planches plantées verticalement dans le sol à Vendenheim “Route de la Wantzenau” (67).

Photo/DAO : Antea-Archéologie, DAO : d’après Barrand-Emam et al. 2013, vol. 2 : 108.
39Quel que soit l’aménagement des fosses, les défunts sont quasi systématiquement déposés sur le dos, la tête orientée à l’ouest, les membres en extension, dans des contenants rigides en bois et sont inhumés habillés. Les sépultures féminines sont généralement dotées d’accessoires de parure (boucles d’oreilles, colliers en perles…), d’éléments vestimentaires (fibules, ceintures, éléments de chausses…) et utilitaires (par exemple d’une châtelaine accrochée à la ceinture et à laquelle peuvent être suspendus divers objets). Les sépultures masculines sont caractérisées par le dépôt d’armes (épées longues, scramasaxes, lances, boucliers et haches…) et le port ou le dépôt de ceintures à garnitures bipartites ou tripartites. Dans certaines sépultures une partie de la structure (le plus souvent dans la moitié sud ou au niveau des pieds) est réservée au dépôt d’objets. Ces dépôts sont généralement très diversifiés (vaisselle, dépôts alimentaires, armes, objets usuels, etc.)
40Ces considérations concernent en grande majorité les ensembles funéraires mérovingiens (ve-xe). En effet, la période carolingienne (xe-xie) est nettement moins bien représentée. Cette période de transition est marquée par l’essor du christianisme et le début du déplacement des ensembles funéraires en périphérie des lieux de culte. Les sépultures se caractérisent dès lors par la raréfaction des dépôts d’objets et par la prédominance des inhumations en contenant dans des fosses étroites (Fig. 13).
Fig. 13 - Le haut Moyen Âge (carolingien). Sépulture en fosse étroite de Wissembourg “3 rue de la Poudrière” (67).

Photo : Inrap.
4.2. Du Moyen Âge classique à la période moderne (début xie-xviiie s.)
41Cette longue période de près de dix siècles, sans cohérence historique en apparence, présente toutefois une très forte homogénéité des pratiques funéraires en lien avec la pratique très majoritaire du christianisme sur l’ensemble du territoire. La généralisation des dogmes chrétiens induit une règlementation de l’accès à l’aire sépulcrale et une forte normalisation des pratiques funéraires10. À ce titre, dès le Moyen Âge classique (xie s.), la typologie des inhumations demeure très homogène et, en dehors des datations radiocarbone, seuls le contexte et le mobilier éventuellement présent dans les tombes permettent de dater les inhumations.
42De nombreuses découvertes sont signalées sur l’ensemble du territoire alsacien pour cette longue période, mais elles sont majoritairement issues de fouilles anciennes des centres urbains où l’intérêt principal se porte le plus souvent sur la fondation des édifices religieux et leur évolution au cours du temps. Les cimetières sont généralement assez peu documentés et les analyses souvent limitées à une description de l’orientation des défunts, de la position des corps et une mention du mobilier quand il est présent. Depuis ces 20 dernières années, le corpus des inhumations médiévales et modernes continue d’être régulièrement alimenté, en révélant ponctuellement des sépultures sur l’ensemble de la région. Plus d’une trentaine d’occurrences récentes sont aujourd’hui connues, mais le nombre minimum d’individus est difficilement estimable. En effet, ces découvertes sont majoritairement occasionnées par des opérations de diagnostics archéologiques ou fortuitement lors de travaux d’aménagements urbains et font rarement l’objet de prescriptions de fouille. Très ponctuelles, elles offrent donc une vision très partielle des sites et, par conséquent, des analyses archéo-anthropologiques limitées à une quantification des inhumations et une qualification sommaire des architectures. Les sépultures sont généralement laissées en place et un individu fait parfois l’objet d’un prélèvement pour la réalisation d’une datation radiocarbone. En effet, les défunts sont généralement dépourvus de mobilier datant, ce qui handicape l’attribution chronologique et le phasage des sites et interdit toute approche typo-chronologique pertinente. Ces différents biais ont pour conséquence un ralentissement de la recherche archéologique pour ces périodes et des réflexions globales sur l’évolution des pratiques funéraires.
43Néanmoins, au regard de la documentation disponible, sept sites paraissent exploitables de par leur représentativité (NMI significatif) et la qualité des enregistrements pour poser les premières bases d’une réflexion synthétique (Thann “Place Joffre” Koch et Thiol 2004 ; Wissembourg “3 rue de la poudrière” (Nilles, Chenal et Schneider 2008) ; Wissembourg “Luisenruhe, Ancien prieuré Saint-Étienne” (Werlé 2011 ; Rosheim “Place Saint-Etienne” Vuillemin et al. 2017) ; Munster “Place du Marché” (Koch 2019) ; Sélestat “Boulevard du Général Leclerc, Place du Vieux Marché aux Vins et Place Gambetta” (Vuillemin 2021) ; Obernai “ancien couvent des capucins” (Minot à paraître). En effet, ils constituent un corpus d’environ 360 individus issus de fouilles récentes et présentent des enregistrements de terrain suivis d’analyses archéo-anthropologiques appropriées. Les tendances marquées qui ressortent de l’analyse de l’échantillon témoignent de son important potentiel.
44Les individus découverts sont issus d’anciens cimetières paroissiaux, très souvent occupés sur plusieurs siècles, dès les prémices du Moyen Âge classique (xie-xiie s.) jusqu’à la fin du xviiie s., moment de leur transfert en dehors des murs des villes. Cette longue période d’utilisation est caractérisée par de nombreux recoupements de sépultures et de multiples ossements sans connexion répartis sur toute la stratigraphie des cimetières. Les individus sont déposés exclusivement sur le dos et toujours orienté est-ouest la tête à l’ouest. Les défunts sont majoritairement placés dans des contenants en bois cloués ou chevillés, mais d’autres types d’architecture funéraire sont mentionnés de manière anecdotique (sarcophage en grès, fosse aménagée en galet) (Fig. 14). La présence d’habits et/ou de linceul est régulièrement mise en évidence par les observations taphonomiques et la découverte d’agrafes. Peu d’éléments de mobilier accompagnent les défunts hormis quelques rares objets religieux, médailles ou chapelets. Des sites plus spécifiques, comme des espaces funéraires conventuels, ont également été mis au jour, au sein desquels les mêmes gestes funéraires ont été observés, avec néanmoins des mentions de dépôt de chaux sur les corps des individus inhumés à l’intérieur des édifices religieux (Minot à paraître ; Koch et Thiol 2004 ; Koch 2019) (Fig. 14, à gauche). Cette pratique semble relativement courante pour ces périodes et découle des vertus prophylactiques de la chaux, alors utilisée dans le but d’éviter la propagation des odeurs de décomposition et la prolifération des maladies. Ces rapides considérations sont le fruit d’un regain d’intérêt pour les inhumations de cette période. Ces dernières font depuis peu l’objet de plus amples investigations afin de mettre en évidence des évolutions spécifiques de certains gestes ou certaines architectures funéraires et, ainsi, d’affiner la typologie des pratiques funéraires d’un point vue spatial et temporel. Dans ce but, depuis ces deux dernières années, une équipe alsacienne a intégré le Projet de Recherche Collectif, intitulé “Les cimetières modernes hors les murs dans le nord-est de la France” (Dohr et al. 2019), permettant d’engager un premier travail sur cette période et d’encourager le développement de réflexions synthétiques sur les pratiques funéraires chrétiennes depuis le Moyen Âge classique.
Fig. 14 - Le Moyen Âge et l’époque moderne. Sépulture en cercueil.

A et B : sépultures du cimetière de l’Abbaye de Munster (68), A : sépulture recouverte de chaux. C : sépulture du cimetière de la Commanderie Saint Jean à Sélestat (67).
A et B. Photo : Archéologie Alsace/Inrap. C. Photo : Archéologie Alsace.
Conclusion
45Ce rapide panorama typo-chronologique des inhumations alsaciennes peut faire l’objet d’un premier constat : l’avancée de la recherche diffère grandement en fonction des périodes. Ces différences sont évidemment inhérentes aux hasards des découvertes archéologiques, qui génèrent un dynamisme scientifique plus ou moins important selon les phases chronologiques. Ainsi, les grandes opérations d’archéologie préventive concernent souvent des secteurs suburbains qui, pour les sites funéraires, correspondent généralement à d’anciennes occupations rurales, au cœur desquelles on retrouve préférentiellement des ensembles néolithiques et alto-médiévaux, et plus rarement protohistoriques. À l’inverse, les ensembles plus tardifs (et notamment les cimetières médiévaux et modernes concentrés dans les centres urbains) font plus rarement l’objet d’investigations et sont bien souvent fouillés sur des surfaces réduites.
46Par ailleurs, l’ancienneté de nombreuses découvertes est un frein majeur à la compréhension des pratiques funéraires dans leur ensemble, et de la typo-chronologie en particulier. En effet, si les très nombreuses découvertes anciennes ont généré un corpus considérable, l’exploitation de ce dernier est rendue difficile en raison d’une documentation défaillante ou inadaptée. La réalisation de cet article nous permet de constater en second lieu qu’un important travail d’uniformisation est encore nécessaire à l’établissement d’une typo-chronologie pour l’ensemble des périodes, et notamment un travail considérable sur la terminologie. En effet, l’élaboration d’une typo-chronologie exploitable s’établit selon nous sur deux fondements principaux : des datations fiables et des descriptions objectives basées sur un vocabulaire adapté et commun à l’ensemble des observateurs. Cet aspect incontournable du travail de classification a par exemple fait l’objet d’une attention toute particulière dans le cadre du PCR “Espaces et pratiques funéraires aux époques mérovingienne et carolingienne en Alsace (ve-xe s.)” (Barrand-Emam, Chenal et Fischbach 2019).
47Fort de ces constats, gageons que les acteurs de l’archéologie alsacienne pourront poursuivre leurs travaux de synthèse dans cette optique et, à terme, proposer des approches statistiques comme cela a pu être déjà fait par d’autres régions dans le cadre de ce colloque. Malgré tout, le fort dynamisme régional a donné lieu, pour chaque période, à de nombreuses avancées scientifiques et les abondants travaux de synthèse qui en découlent permettent aujourd’hui de proposer un premier schéma typo-chronologique (Fig. 15), prémices, nous l’espérons, d’une typo-chronologie plus aboutie.
Fig. 15 - Schéma synthétique des principaux aspects typologiques des inhumations par période chronologique.

F. Chenal, Inrap ; A. Mauduit, H. Barrand-Emam, Antea-Archéologie ; A. Pélissier, Archéologie Alsace, DAO : F. Chenal, A. Mauduit.
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Notes de bas de page
1Nous tenons à remercier ici l’ensemble de nos collaborateurs qui ont pu nous apporter leur aide quelle que soit sa nature. Merci à eux pour leur contribution.
2PCR dirigé par L. Tremblay-Cormier (UMR 6298/7044), inédit.
3Projet dirigé par A. Bräuning (Conservation des monuments archéologiques, Stuttgart), titre original : Der südliche Oberrhein in der Hallstattzeit. Archäologische und bioarchäometrische Untersuchungen zu Siedlungsorganisation und zur Sozialstruktur, inédit.
4Dans le Bas-Rhin, les analyses radiocarbones ont permis de reconnaître notamment des sépultures du Haut-Empire à Crastatt (Guillotin 2010), à Obernai “Parc d’Activités Economiques Intercommunal” (Féliu et al. 2017), à Holtzheim “Parc d’activités Joffre” (Pierrevelcin 2020), à Strasbourg “Hôpital civil” (Murer et al. 2016), “2 route des Romains” (Murer et al. 2020) et “8-20 route des Romains” (Flotté et al. 2020).
5La position sur le ventre est exclusive à Crastatt (Guillotin 2010) et à Strasbourg “nœud routier A35/A351 et rue de Koenigshoffen” (Higelin à paraître).
6Le projet interdisciplinaire “Aspects des cultures matérielles et formes d’occupation des ive et ve siècles dans la partie méridionale de la vallée du Rhin supérieur (Alsace et Pays de Bade)”, dirigé par Gertrud Kuhnle (Inrap), a donné lieu à de plusieurs colloques et publications dans le cadre du colloque annuel et des journées d’actualités de l’ATEG depuis 2009 : https://ateg.hypotheses.org
7Ces questions ont été abordées par de nombreux auteurs, par exemple dans : Galinié et Zadora-Rio 1996 ; Rébillard 2003.
9Cette analyse est réalisée par Frédéric Santos (Université de Bordeaux, UMR 5199).
10Ces questions ont été abordées par de nombreux auteurs, par exemple dans : Alexandre-Bidon et Treffort 1993 ; Treffort 1996 ; Galinié et Zadora-Rio 1996.
Auteurs
Antea-Archéologie
Inrap, UMR7044 ArcHiMede
Archéologie Alsace
Antea-Archéologie, UMR7044 ArcHiMede

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