Chapitre 4. Le site du prieuré après la Révolution
p. 101-113
Texte intégral
1Les terrasses occidentales, largement détruites au milieu du 18e siècle, connaissent de nouveaux usages profanes et religieux de la Révolution à la fin du 19e siècle, au gré des propriétaires successifs du coteau ou de toute l’abbaye. Comme toujours, les sources anciennes sont peu nombreuses et peu précises, et très souvent de seconde main, tandis que l’archéologie n’apporte que peu d’éléments bien identifiés et datés.
2À la fin de l’édition de l’Histoire de Marmoutier (1875, t. II), l’abbé Chevalier publie deux procès-verbaux de visite et d’estimation de l’abbaye, le premier dressé en 1791 et le second en date du 17 frimaire an VI (7 décembre 1797), ainsi que « la série des derniers propriétaires de Marmoutier, depuis la Révolution jusqu’à nos jours. » En 1881, l’abbé Poüan consacre pour la première fois un article à la chapelle et au culte des Sept-Dormants, qui reprend largement le travail de dom Martène et de ses continuateurs, mais offre l’avantage de rassembler en un seul volume tout ce qui a trait à l’édifice et plus largement au prieuré. Les travaux opérés sur le coteau par les Sœurs de la congrégation du Sacré-Cœur de Jésus entre la fin des années 1860 et la fin des années 1880 sont quant à eux connus par quelques archives contemporaines et le compte-rendu des découvertes de 1868 dans le journal catholique La Semaine Religieuse, repris dans les cahiers dactylographiés de Sœur Robinet entre 1947 et 1954. Plus récemment, Bastien Chérault a consacré son Master aux usages et transformations de l’abbaye de la Révolution au tout début du 20e siècle (Chérault 2011, 2012).
4.1. Le sort de l’abbaye après la Révolution
3Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les révolutionnaires n’affichent aucune volonté de détruire l’abbaye65. Si le plateau de Rougemont66 est vendu en janvier 1791 au citoyen Guizol, les bâtiments abbatiaux au pied du coteau sont transformés en « maison de réunion » pour accueillir les moines souhaitant persévérer dans la vie régulière, pour quelque temps seulement puisqu’ils en furent expulsés le 18 août 1792. De juin 1793 à octobre 1796, Marmoutier est utilisé comme hôpital militaire pour les armées de l’Ouest avant d’être, une fois le calme revenu, mué en bien national. Le procès-verbal d’estimation du 7 décembre 1797 précise qu’il est « possible de distraire du couvent deux objets particuliers qui se trouvent étrangers et absolument indépendants de l’édifice [l’église et l’ensemble des bâtiments conventuels] », à savoir « 1° La maison dite abbatiale et la cour renfermée de murs », ainsi que « 2° Une maison qui se trouve située à l’angle nord-ouest de la cour de l’église ainsi que plusieurs petites terrasses pratiquées sur le penchant du coteau au nord de la cour de l’église » (Chevalier 1874-1875 : t. II, p. 617). Ce second item correspond à la maison du Portier attenante au portail Sainte-Radegonde et aux terrasses de l’ancien prieuré des Sept-Dormants, dont une description détaillée est fournie au chapitre 3 du procès-verbal (Chevalier 1875 : t. II, p. 627-628). Le citoyen Ambroise Gidoin acquiert l’ensemble pour 15 000 francs67 ; presque tous les bâtiments de l’abbaye sont alors méticuleusement démolis pour récupérer les matériaux de construction (Fig. 113). En 1818, le domaine est vendu aux époux Morand qui poursuivent l’œuvre de démolition (Chérault 2012 : 39).
Fig. 113 – L’église abbatiale en cours de démolition au début du 19e siècle.

Aquarelle de Morillon, 1802, coll. Société Archéologique de Touraine, DF To 265.
4En 1840, le domaine de Marmoutier passe entre les mains d’un médecin tourangeau, Saturnin Thomas, qui établit sa résidence dans l’ancien logis abbatial. Puis, en 1847, la propriété est vendue une nouvelle fois, à la congrégation des Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus, qui y installe un pensionnat pour jeunes filles et patiemment, dans les décennies qui suivent, construit et restaure plusieurs des bâtiments et lieux de l’abbaye : ainsi Marmoutier retrouve sa vocation religieuse et en 1856 son extension ancienne lorsque les Sœurs rachètent le domaine de Rougemont (Chérault 2012 : 134‑142).
5Aujourd’hui, l’ancien monastère est partagé entre trois propriétaires principaux : l’établissement scolaire de Marmoutier relevant toujours de la congrégation des Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus ; la Ville de Tours qui a acquis en 1981 une bande de terrain située au pied du coteau – où se dresse l’essentiel des vestiges médiévaux et modernes – et le coteau lui-même ; enfin sur le plateau de Rougemont une association gère un centre de formation et une maison rurale.
4.2. Les terrasses occidentales de la Révolution au milieu du 19e siècle
6Le 13 février 1799, la partie occidentale du coteau de Marmoutier est adjugée pour la somme de 141 000 francs au notaire Charles Boisquet représentant le citoyen Jean-Baptiste Guizol qui est déjà propriétaire de Rougemont (ADIL-L.588 ; Chérault 2012 : 127). Le procès-verbal d’adjudication précise que la propriété souffrira d’un droit de passage accordé au citoyen Bouchet-Barbier pour le transport des matériaux de la tour des Cloches partiellement effondrée.
7C’est peut-être à Guizol que l’on doit la construction de l’escalier qui permet aujourd’hui encore de monter de la maison du Portier à l’extrémité occidentale de la deuxième terrasse et de là jusque sur le plateau (Fig. 114). Il s’agit là de la modification la plus notable de l’aspect du coteau occidental de l’abbaye avant les restaurations de la fin du 19e siècle (Fig. 115 et Fig. 116).
Fig. 114 – Vue générale de l’escalier menant de la maison du Portier au plateau de Rougemont, depuis le sud-est.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2015.
Fig. 115 – Vue panoramique des terrasses occidentales, depuis le sud-ouest.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2015.
Fig. 116 – Proposition de restitution 3D du coteau occidental de Marmoutier au début du 19e siècle.

M. Chartier et D. Morleghem, UMR 7324 CITERES-LAT, 2018.
8Les différentes terrasses sont utilisées à des fins agricoles, les cavités servant d’étable ou de remise (Fig. 117 et Fig. 118). À l’occasion des fouilles de 1868, les Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus rappellent que les tombes rupestres de la première terrasse ont été comblées et qu’un nivellement a été opéré. Les cavités sont parfois surcreusées tandis que des « maçonneries grossières » permettent de cloisonner les espaces (Chérault 2012 : 162‑163). Les vestiges de cette période sont ténus, soit que les Sœurs les aient fait disparaître lors des restaurations, soit que leur identification sur le terrain reste incertaine.
Fig. 117 – Exemple de structure à possible fonction agricole : fond de fosse avec traces de combustion (F.2598).

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
Fig. 118 – Vue de la « galerie des Solitaires » (collatéral nord de la chapelle médiévale), avec quelques creusements vraisemblablement contemporains, depuis l’est.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
9Ainsi, dans la cavité la plus occidentale de la première terrasse (espace 5), plusieurs petits trous et encoches constituent les négatifs de structures légères en bois (cloisonnement ou auges par exemple). Les aménagements les plus notables de la salle correspondent à un puits circulaire percé depuis la deuxième terrasse (F.2673) et à deux grandes fosses – ou puits ?68 – (F.2672 et F.2673) d’un diamètre de 1 m environ et profondes de 1,50 m au moins, très vraisemblablement à fonction agricole (Fig. 119) (Marmoutier 2017 : 70). L’ensemble pourrait correspondre à un jetoir à raisins69, dont le débouché se trouvait soit dans ladite cavité – il s’agirait alors d’une cuve fermée par un couvercle en bois ? –, soit plus bas dans les carrières accessibles depuis le pied du coteau. Dans la seconde moitié du 19e siècle, les religieuses de Marmoutier ont voulu voir dans ces structures un baptistère lié au sanctuaire des Sept-Dormants (Fig. 120).
Fig. 119 – Vue générale du possible jetoir de la salle 5.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
Fig. 120 – Rock Baptistery of S. Martin, Marmoutier, Excavated and occupied by S. Martin, Bishop of Tours. A.D. 371-396.

On the right-hand side is the well, on the left the font for immersion. The niches in the wall are for the holy oil.
Baring-Gould 1911.
4.3. La redécouverte et la restauration
des terrasses par les Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus
10La « redécouverte » du Repos de Saint-Martin en 1859 (Creissen et Lorans 2019), à l’extrémité du bras nord du transept de l’église abbatiale – dernier vestige de l’édifice encore en élévation –, marque le début d’une forte activité de la part des religieuses pour retrouver les traces des saints ayant marqué l’histoire de Marmoutier. À cette époque, les « grottes » et les rares maçonneries subsistantes de l’ancien prieuré des Sept-Dormants sont masquées par les éboulements et la végétation, et seule la forme générale des terrasses se distingue encore.
4.3.1. La redécouverte de la chapelle des Sept-Dormants et la fouille de la première terrasse
11En 1868, la chute d’un arbre révèle l’entrée d’une galerie, que les religieuses ne tardent pas à explorer, avec l’approbation de l’archevêque de Tours Monseigneur Guibert. Ces fouilles ont fait l’objet de courtes descriptions dans la revue catholique La Semaine Religieuse, reprises en partie dans une note envoyée le 5 juin 1868 à la Société des Bollandistes70.
12Le 27 mars 1868, on trouve une tombe creusée dans le roc qui n’a apparemment jamais été ouverte. Elle contient un squelette entier dont les os sont placés contre « la muraille extérieure » (le mur sud fermant alors la cavité ?). Lors de la démolition d’un mur, un fragment d’inscription est mis au jour (cf. chap. 1, § 1.3.3). Le lendemain, trois nouvelles tombes contiguës sont fouillées, contenant chacune très peu d’ossements. L’une d’elles est couverte d’une large et longue ardoise tandis que les deux autres sont fermées par des pierres en tuffeau jaune. Les 29 et 30 mars, d’autres tombes – leur nombre n’est pas précisé – sont mises au jour, qui n’ont apparemment jamais été ouvertes et qui contiennent des squelettes entiers. Pour les Sœurs, ces tombes sont avec certitude celles des Dormants. Néanmoins, si les archéologues tourangeaux consultés sont d’accord sur l’ancienneté des vestiges, les preuves manquent pour dire qu’il s’agit là des tombes des sept saints. Leur constat rejoint celui formulé un siècle plus tôt lors de l’ouverture des tombeaux à l’occasion du chapitre général de la Congrégation de Saint-Maur (Grandmaison 1855). Les fouilles arrêtées, les ossements sont regroupés dans la fosse rupestre F.2512, sous la forme d’un ossuaire71, refermée par un couvercle de sarcophage du haut Moyen Âge orné d’un motif à triple traverse aujourd’hui très érodé72.
13Malgré l’engagement des Sœurs en faveur du rétablissement du culte martinien à Marmoutier et la fréquentation importante du lieu saint dès sa redécouverte, il faudra attendre onze années pour que la chapelle des Sept-Dormants soit reconstruite, dans des dimensions bien plus modestes que celles de l’édifice roman (cf. chap. 2, § 2.5.2).
4.3.2. La redécouverte et la restauration de la grotte de Saint-Léobard
14En 1886, alors qu’elle ramasse du bois sur la deuxième terrasse, une religieuse tombe dans un trou entre les broussailles, mettant au jour une nouvelle cavité sur le coteau (Fig. 121). Elle est tout de suite attribuée à saint Léobard († 593), ermite auvergnat mentionné par Grégoire de Tours comme vivant à proximité de l’enceinte monastique dans une grotte qu’il avait lui-même creusée73. Très vite, les religieuses s’attellent à la tâche afin de rendre à la cavité sinon son aspect originel du moins son extension maximale. Ainsi, pour atteindre le fond elles démolissent les « grossières maçonneries » supposées avoir été construites depuis la Révolution pour rendre une partie de la cavité habitable. On ne peut toutefois exclure que ce cloisonnement ait été plus ancien d’un siècle, du temps où les terrasses étaient louées à des particuliers.
Fig. 121 – Plan et coupe longitudinale de la grotte de Saint-Léobard.

UMR 7324 CITERES-LAT, 2023.
15La forme générale de la cavité est celle d’un O irrégulier de 10,56 m de long du nord au sud et de 11,40 m de large d’ouest en est ; la hauteur sous voûte est comprise entre 1,75 et 2,95 m suivant les espaces. Les parois et les ciels ne conservent que peu de traces d’outils ; la friabilité de la roche dans laquelle est creusée la grotte expliquant cette mauvaise conservation. Le principal outil utilisé est le pic (visible dans le couloir en U notamment).
16L’avant de la cavité est composé de deux salles d’où partent des galeries basses formant un U au fond duquel est creusé un puits quadrangulaire d’au moins 4,90 m de profondeur descendant jusqu’aux carrières dites du Chemin des Grottes. La salle occidentale est dépourvue d’aménagement, si ce n’est une statue installée dans une niche derrière la fenêtre occidentale du mur de façade. Mais elle est décorée – en quelque sorte – de fausses concrétions et de fausses fissures directement taillées dans le roc ou constituées de blocs de tuffeau et de mortier, peintes en jaune afin de se confondre avec le rocher naturel (Fig. 122 et Fig. 123)74. La salle orientale a été largement sur-creusée afin de gagner en hauteur sous plafond et permettre l’installation d’un autel en granite mouluré sur lequel est sculptée une croix latine pattée flanquée de deux colombes aux ailes semi-ouvertes semblant s’abreuver, tandis que sous la table on voit un chrisme (Fig. 124 et Fig. 125). L’ensemble de la cavité est carrelé ; le niveau de sol varie suivant les endroits, à tel point qu’un escalier a été aménagé à l’entrée de la galerie orientale. Une partie du ciel incurvé présente des traces de marteau taillant et peut-être de polka.
Fig. 122 – Vue de la paroi occidentale de l’espace ouest de la grotte de Saint-Léobard, depuis l’est.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
Fig. 123 – Vue rapprochée des concrétions et fissures créées au 19e siècle à l’intérieur de la grotte de Saint-Léobard, ainsi que de la nature de la roche (joint de stratification, diaclase, lits de silex).

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
Fig. 124 – Vue de la salle orientale de la grotte de Saint-Léobard, depuis le couloir est.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
Fig. 125 – Vue de l’autel de la grotte de Saint-Léobard.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
17La cavité est fermée au sud par un mur de style néo-byzantin en tuffeau jaune et brique, couronné par un faux appareil réticulé, érigé en 1886-1887, portant l’inscription « Cellule de saint Léobard » (M.6014 ; Fig. 126). Deux portes assurent la circulation des visiteurs. Comme pour la chapelle des Sept-Dormants, c’est à l’atelier tourangeau Lobin qu’a été confiée la réalisation des vitraux des portes et des fenêtres. L’oratoire dédié à saint Léobard et la statue du Sacré-Cœur qui le surmonte sont bénis le 25 mai 1887 par l’archevêque de Tours.
Fig. 126 – Vue générale de la façade de la grotte de Saint-Léobard et du puits de Saint-Gatien, depuis le sud-ouest.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
18À l’extérieur, au milieu de la façade, se trouve le puits dit de Saint-Gatien, dont le conduit circulaire descend au moins jusqu’aux carrières situées 11 m en contrebas. D’après sa forme et son emplacement, il s’agit certainement d’un puits à eau. La représentation la plus ancienne de la deuxième terrasse, vue vers l’est avec la tour des Cloches en arrière-plan, montre ce puits, surmonté d’une cheminée, devant l’« entrée de la grotte de saint Gatien » que la tradition localise alors sur la première terrasse (Fig. 127). Cette entrée correspond vraisemblablement à l’item no 12 du procès-verbal d’estimation des terrasses : « à l’extrémité de cette galerie [des Solitaires = le bas-côté nord de l’ancienne chapelle romane] est un escalier en pierre, rampant, conduisant à une autre terrasse supérieure, ayant soixante pieds de longueur sur quinze pieds de largeur, puits dans la dite terrasse » (Source T). Rien ne subsiste de cet « escalier en pierre » (?), situé à l’emplacement de l’actuel escalier Saint-Léobard (cf. infra).
Fig. 127 – « Entrée de la grotte de saint Gatien ».

K. Girardet dans Chevalier 1869 : 181.
4.3.3. La redécouverte et la restauration de la grotte de Saint-Patrick
19En 1886 toujours, à l’occasion de la construction du mur de soutènement du coteau, une nouvelle cavité est mise au jour par les ouvriers qui avaient été prévenus par une sœur d’origine irlandaise, O’Mahony, de la présence d’une dépression visible au sol depuis longtemps qui laissait entrevoir l’existence d’un vide. Trop heureuse de cette découverte, la sœur la dédie au saint patron de l’Irlande, Patrick, dont la tradition a fait à tort un disciple de Martin.
20La fouille de la cavité, menée depuis la partie sud de la voûte effondrée, révèle plusieurs objets comme des débris de fioles ou de bouteilles dont le verre est épais, ce qui pour les Sœurs indiquerait leur caractère très ancien. Aucune découverte notable n’est réalisée.
21Le lieu est rapidement restauré. Un plafond en ciment vient couvrir la partie sud. On creuse un escalier dans l’angle nord-est afin d’y accéder depuis la deuxième terrasse ; en effet, dans son état originel, c’est depuis le sud que l’on accédait à la cavité (cf. chap. 3, § 3.1.1). Une petite niche est aménagée au centre de la paroi nord pour accueillir une statue du saint (Fig. 128).
Fig. 128 – Vue de l’angle nord-ouest de la grotte de Saint-Patrick montrant la saignée médiévale et la statue installée en 1886.

Fonds Arsicaud, ADIL-5Fi001612.
22La grotte de Saint-Patrick, comme celle de Saint-Léobard, contribue à l’établissement du culte d’un saint. À chaque fois qu’une grotte est aménagée, c’est un nouveau saint à vénérer. Pour saint Léobard, les religieuses disposent de reliques, pour saint Patrick, elles ont une épine d’arbuste (Chérault 2012 : 187).
4.3.4. Les autres aménagements du coteau
23La restauration des saintes grottes est accompagnée de plusieurs aménagements destinés à mettre en sécurité les terrasses et surtout à faciliter la circulation des visiteurs. Murs de soutènement du coteau et parapets sont ainsi construits au fur et à mesure de la restauration des cavités.
24En 1868, en parallèle de la construction d’une nouvelle chapelle, un escalier à vis étroit, dit de Saint-Gilles, est aménagé dans une tourelle d’escalier effondrée située au pied de la tour des Cloches (Fig. 129). L’accès médiéval à la première terrasse se trouve ainsi restitué. Un second escalier à deux volées a été aménagé plus à l’est, sans doute pour répondre à l’afflux important des fidèles. C’est celui-ci que l’on emprunte aujourd’hui pour monter sur le coteau, le premier ayant été condamné par un muret à son débouché.
Fig. 129 – Vue depuis l’est de l’escalier dit de Saint-Gilles.

Années 1980, carte postale, coll. F. Gay.
25En 1886, un autre escalier, dit de Saint-Léobard, est construit à l’extrémité occidentale de la première terrasse, à l’angle de ce qui était auparavant la nef principale de la chapelle romane (Fig. 130). Il débouche face à la porte orientale de la grotte de Saint-Léobard, ce qui pourrait être un indice quant à la circulation au sein de la cavité. Le fidèle pouvait ainsi se recueillir d’abord auprès de l’autel avant de remonter symboliquement le temps en pénétrant dans les entrailles du rocher pour aboutir, après un demi-tour dans la galerie adjacente, dans la salle occidentale pensée comme une véritable grotte naturelle et partant fort ancienne, c’est-à-dire évoquant le temps du saint (Fig. 131).
Fig. 130 – Vue depuis l’est de la première terrasse : à droite l’extrémité de la façade sud de la chapelle des Sept-Dormants et au fond l’escalier de Saint-Léobard.

Fonds Arsicaud, ADIL-5Fi001605.
Fig. 131 – Grotte de Saint-Léobard, vue depuis l’entrée de la galerie orientale partant de l’autel (à droite) et du passage vers la salle occidentale (à gauche).

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
26Dans le même temps, au-dessus de la façade de la grotte de Saint-Léobard, le coteau est conforté par un mur de soutènement directement posé sur le rocher (M.6014). À l’ouest, une alcôve à arc surbaissé devait accueillir une statue aujourd’hui disparue mais dont le socle reste visible ; elle est flanquée à l’ouest d’un placard également vide aujourd’hui. C’est à l’aplomb de la façade de la grotte et du puits de saint Gatien qu’a été installée la niche monumentale néo-gothique accueillant la statue du Christ (Fig. 132).
Fig. 132 – Vue générale de la façade de la grotte de Saint-Léobard et du mur de soutènement du coteau couronné par la statue du Christ.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
27C’est la même année que sont fermées les cavités occidentales de la première terrasse, travaux à l’occasion desquels on découvre la grotte de Saint-Patrick. Chaque espace est couvert en tout ou partie d’un plafond en ciment armé. Un grand mur percé de baies en plein cintre en tuffeau blanc de taille variable ferme l’ensemble, laissant entrer la lumière et permettant aux visiteurs de sortir sur un petit balcon délimité au sud par une balustrade également en tuffeau blanc (Fig. 133).
Fig. 133 – Vue générale des terrasses occidentales de l’abbaye, depuis le sud-ouest.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2010.
28Quelques aménagements sont réalisés :
à l’extrémité de la deuxième terrasse, le mur moderne M.6015 est prolongé au sud tandis qu’un portail en tuffeau blanc marque le passage vers le sommet du coteau (Fig. 134) ;
sur la terrasse haute et autour : consolidation des maçonneries et aménagement d’un escalier aux marches en grès pour accéder au chemin menant au sommet de la tour des Cloches ; réfection de l’escalier rupestre situé le long de M.6036, par la retaille de certaines marches et ajout de dalles de grès pour compléter les manques (Fig. 135).
Fig. 134 – Deuxième terrasse, vue générale de M.6015 et du portail en tuffeau blanc construit dans les années 1880, depuis l’est.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2016.
Fig. 135 – Terrasse haute, vue générale de l’escalier longeant M.6036, depuis le sud.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
29Les travaux s’achèvent en 1894 par la rénovation du mur (M.6003) de la galerie des Solitaires – une appellation des Soeurs ? –, l’ancien collatéral nord de la chapelle creusé dans le roc (Fig. 136). Des tirants sont posés, quelques pierres remplacées et des joints refaits.
Fig. 136 – Première terrasse, vue générale de M.6003, depuis le sud-est.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
Conclusion
30Les terrasses occidentales de l’ancien monastère ont connu au 19e siècle de nombreux aménagements dus à la ferveur des religieuses de la Congrégation du Sacré-Cœur de Jésus. Dans un site presque entièrement ruiné depuis la Révolution, cet espace a permis la création de deux chapelles sur chacune des principales terrasses, l’une renouant avec le culte des Sept-Dormants, l’autre érigée en mémoire d’un saint ermite du 6e siècle, Léobard. La dédicace à saint Patrick en revanche résulte plus des circonstances de sa découverte que d’une solide tradition historique. C’est grâce à ces travaux que nous sont parvenus quelques éléments médiévaux, dont le plus important est la succession d’arcs qui séparaient le vaisseau central du bas-côté nord de la chapelle érigée au 12e siècle. La désignation de l’ancien bas-côté comme galerie des Solitaires renvoie aussi à la tradition érémitique à l’origine du monastère de Marmoutier : n’oublions pas que Martin a choisi ce lieu comme un refuge, pour y mener une vie solitaire, loin de la foule des visiteurs qui se pressaient à la cathédrale. C’est cette première forme de monachisme qui est mise à l’honneur sur les terrasses occidentales du site jusqu’au 19e siècle, renouant ainsi avec les premiers temps de l’Église comme l’indique également l’appellation du puits de saint Gatien, premier évêque de Tours selon Grégoire de Tours mais dont l’existence n’est plus admise aujourd’hui par la critique historique (Pietri 1983 : 30). En créant cette succession de chapelles, les religieuses permettaient le développement d’une liturgie processionnelle sur le coteau, dominé par la statue du Christ, une dévotion attestée jusque dans les premières décennies du 20e siècle. On ne peut que regretter que les témoins de cette renaissance martinienne aient souffert d’un extrême vandalisme qui a notamment fait disparaître tous les vitraux, et ce dans les années 1980-1990. Souhaitons qu’une nouvelle entreprise de restauration soit menée à bien dans les années à venir !
Notes de bas de page
65Cette partie reprend largement la courte synthèse publiée par B. Chérault en 2014 dans Marmoutier, un grand monastère ligérien (Antiquité – xix e siècle) (Lorans et al. 2014 : 34‑38), ainsi que le premier chapitre de son mémoire de Master (Chérault 2012 : 18‑54).
66Distinction est alors faite entre d’une part le « domaine de Rougemont » sur le plateau, avec ses caves accessibles depuis le chemin longeant l’église abbatiale au nord, d’autre part le « domaine de Marmoutier » qui s’étend dans la vallée.
67Valeur en numéraire.
68Pour des questions de sécurité et de logistique ces structures n’ont pu être fouillées.
69« Dans la région de Loudun (Vienne), ouverture pratiquée dans le tuffeau, depuis la cour et le bord de la route, et qui permet de jeter le raisin directement dans le pressoir. On trouve aussi jettouère » (Lachiver 1887 : 992).
70Note de ce qui a été envoyé aux Bollandistes au sujet des récentes fouilles faites à la grotte des 7 dormants, conservée dans Robinet 1947-1954 : t. VII.
71Pour une description détaillée de cette structure, voir Corpus de preuves « Tombes rupestres », § 3.
72Le couvercle est toujours resté visible, son usure étant sans doute due à la fréquentation importante de la terrasse et aux intempéries.
73« Et sic viam carpens, oratione comite, sancti Martini basilicam est ingresus ; circa quam paucis diebus demoratus, transito amne, ad cellulam Majori monasterio propinquam, de qua Alaricus quidam recesserat devotus accessit […] » (Grégoire de Tours, Vita Patrum, chap. XX, II).
74La restauration des parties hautes du Repos de Saint-Martin a aussi voulu donner l’illusion d’une grotte en pratiquant des saignées dans les blocs de tuffeau à l’intérieur de la chapelle haute, consacrée en 1856 (Creissen et Lorans 2019 : 131 et Fig. 8).

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Actes des 41es Journées internationales de l’AFAM. Chartres (Eure-et-Loir) – 29 septembre au 2 octobre 2021. Vol. 2
Bruno Bazin, François Capron, Alexis Corrochano et al. (dir.)
2024
Marmoutier (Tours). De l’oratoire Notre-Dame au prieuré des Sept-Dormants
Recherches sur Tours volume 13
Daniel Morleghem, Élisabeth Lorans et Jean-Hervé Foulon
2024