Chapitre 3. Le prieuré Notre-Dame-des-Sept-Dormants (fin du Moyen Âge-1720)
p. 85-99
Texte intégral
1La chapelle Notre-Dame-des-Sept-Dormants fut constitutive d’un prieuré situé à l’intérieur de l’enclos monastique dont la date de création n’est pas connue et pour lequel les sources sont pour le moins lacunaires. La première attestation, indirecte, de l’établissement remonte à 1453 : à cette date, on apprend qu’un certain Martin Binet, prieur des Dormants, reçoit une voix à l’occasion de l’élection de l’abbé (Chevalier 1874-1875 : t. II, p. 324). Toutefois, malgré l’absence de sources textuelles relatives à sa fondation, elle résulte probablement du développement du culte des Sept-Dormants à partir de la seconde moitié du 12e siècle.
3.1. Un prieuré à flanc de coteau : composition et organisation des espaces et des bâtiments
2Comme nous l’avons déjà indiqué, les archives relatives à la topographie du prieuré sont peu nombreuses et relativement tardives. Il s’agit de deux vues cavalières de la fin du 17e siècle, d’un dessin des ruines du coteau daté de 1776, ainsi que de deux descriptions, l’une attribuable au premier tiers du 18e siècle, l’autre correspondant à l’évaluation de l’abbaye en 1797. Les sources matérielles apportent quelques éléments complémentaires très ponctuels.
3.1.1. Topographie générale du prieuré à l’époque Moderne
3Le prieuré des Sept-Dormants, outre sa localisation au sein-même du monastère, présente la particularité d’être composé de structures semi-troglodytiques étagées sur plusieurs terrasses aménagées par la communauté monastique au fil des siècles. Il s’étend sur environ 3 000 m2, du rebord de la falaise au sud, dominant l’entrée occidentale de l’abbaye, l’hôtellerie et le parvis de l’église abbatiale, jusqu’à la tour des Cloches à l’est, aux vignes plantées sur le plateau de Rougemont au nord, et à l’enceinte de l’abbaye à l’ouest.
4Paradoxalement, l’unique description du prieuré avant la Révolution est contenue dans un registre daté des années 1747-1779 (« Livre de recette générale », ADIL-H.369 ; Source Q), soit plus de vingt ans après sa suppression et au moment de la chute du coteau survenue en mars 1747 ou juste après.
Le prieuré de Nôtre Dame des Sept Dormants
Dont est titulaire Dom Charles Yvicquel, situé dans l’enclos de l’abbaye, paroisse de sainte-Radegonde, consiste en la chapelle vulgairement appellée des Sept Dormants, attenante à l’escalier du gros clocher de ladite abbaye, maison priorale, jardin, une grotte ; escalier, jardin bas & une cour renfermée de murailles, dans laquelle est un appenty servant de fagotier, écurie et caves, un autre petit enclos où il y a un jardin à fleur et un four ; en une terrasse appellée Montorgeüil joignant le clos de Rougemont qui est de six pieds plus basse que ledit clos, et en une pièce de terre attenante audit clos de Rougemont, dans laquelle y a une fuye à pied de massonnerie en partie ruinée. Le tout composant l’enclos de ladite chapelle et prieuré contenant au total cinquante cinq chaînées deux quarts & demy deux vingt cinquième.
5À l’exception peut-être des jardins et des caves décrits au milieu du texte, il est possible de replacer avec assez d’assurance chaque item dans un espace donné et d’établir la correspondance avec les vestiges conservés (Fig. 93) :
1re terrasse : « la chapelle vulgairement appellée des Sept Dormants, attenante à l’escalier du gros clocher de ladite abbaye » ;
2e terrasse : « maison priorale, jardin, une grotte » ;
3e terrasse (et aussi cour de la maison du portier en contrebas ?) : « escalier, jardin bas & une cour renfermée de murailles, dans laquelle est un appenty servant de fagotier, écurie et caves, un autre petit enclos où il y a un jardin à fleur et un four » ;
4e terrasse (ou terrasse haute) : « une terrasse appellée Montorgeüil joignant le clos de Rougemont qui est de six pieds plus basse que ledit clos » ;
sur le plateau : « une pièce de terre attenante audit clos de Rougemont, dans laquelle y a une fuye à pied de massonnerie en partie ruinée ».
Fig. 93 – Proposition de restitution 3D du prieuré et de ses abords à la fin du 17e siècle.

M. Chartier et D. Morleghem, UMR 7324 CITERES-LAT, 2018.
3.1.2. Une chapelle et un petit ensemble troglodytique sur la première terrasse
Une chapelle et des cavités à l’ouest
6La première terrasse est occupée :
à l’est par une chapelle de style roman construite vraisemblablement dans le dernier quart du 12e siècle, qui n’a guère changé d’aspect extérieur jusqu’à sa destruction dans la seconde moitié du 18e siècle à la suite de la chute du rocher en 1747 (cf. infra, § 3.4.3)55 ;
à l’ouest par un ensemble de galeries et de cavités creusées dans le roc, largement effondrées en 1747, dont ne témoignent plus que quelques ressauts, feuillures et niches parfois bouchés par du mortier (Fig. 94 et Fig. 95).
7Le nombre, la forme, la distribution et la fonction des galeries situées à l’ouest de la chapelle restent difficiles à appréhender du fait de leur mauvaise conservation et des transformations opérées au 19e siècle (cf. chap. 4). En l’absence d’élément architectural caractéristique (à une exception peut-être, cf. infra) et de stratigraphie, ces espaces souterrains restent difficiles à dater ; leur organisation générale suggère toutefois un lien avec la chapelle (contemporanéité ou postériorité), permettant d’avancer une datation médiévale.
Fig. 94 – Négatif d’une salle souterraine et aménagements divers à l’ouest de l’entrée originelle de la grotte de Saint-Patrick.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2013.
Fig. 95 – Négatif d’une salle souterraine à l’est de l’entrée originelle de la grotte de Saint-Patrick.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2013.
La grotte de Saint-Patrick, un ermitage médiéval ?
8La grotte de Saint-Patrick, située à l’extrémité occidentale, se singularise par sa forme autant que son accès (Fig. 96 et Fig. 97). Elle est de plan légèrement trapézoïdal, mesure 4 m de profondeur sur 3 à 4 m de largeur, et possède un ciel plat quand les autres cavités – depuis le haut Moyen Âge – présentent plutôt un plan ovoïde avec un ciel courbe et un fond en cul de four. L’accès se faisait initialement au sud par une porte de 1,50 m de large sur 1,80 m de haut, dont les feuillures sont encore conservées. Le seul aménagement intérieur correspond à une saignée, sorte d’étagère, de 30 cm de profondeur et 20 cm de haut creusée au pic sur toute la longueur de la paroi occidentale, au contact du sol, qui est soulignée par une moulure à pans coupés réalisée au marteau taillant ou au ciseau. Cette moulure rappelle la forme des tailloirs romans. La simplicité de l’aménagement invite à la prudence, mais avec la forme régulière de la salle, une datation des 11e-12e siècles de la grotte de Saint-Patrick pourrait être avancée.
Fig. 96 – Plan de la grotte de Saint-Patrick.

UMR 7324 CITERES-LAT, 2023.
Fig. 97 – Vue générale de l’intérieur de la grotte de Saint-Patrick, depuis l’entrée aménagée au 19e siècle.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2013.
9Cette cavité, discrète et à vocation probable d’habitation, située à peu de distance de la chapelle des Sept-Dormants, rappelle que plusieurs religieux se sont retirés à Marmoutier pour mener une vie érémitique, en particulier l’abbé Hervé de Villepreux qui se défit de sa charge en 1187 et fit creuser une grotte à proximité des Dormants où il vécut jusqu’à sa mort (cf. chap. 2, § 2.2.3). À la fin du 17e siècle, on localisait cette grotte « entre la chapelle des Sept-Dormants et l’autel où la tradition tient que saint Gatien assembloit les premiers fidèles de Tours » (Chevalier 1874-1875 : t. II, p. 165), mais d’après une note de dom Abrassart, ni la grotte ni l’autel n’étaient plus visibles en 1786. Aucun vestige ne vient en appui de cette tradition, et à l’inverse, on est plutôt tenté de localiser la grotte d’Hervé de Villepreux dans la partie complètement effondrée du coteau, c’est-à-dire à l’ouest de la première terrasse ; l’hypothèse la plus probable alors est qu’il s’agisse de la grotte de Saint-Patrick.
3.1.3. Le logis du prieur : quelques traces ténues sur la deuxième terrasse et la terrasse haute
10L’existence d’une maison priorale ne fait aucun doute, car plusieurs sources la mentionnent, mais son emplacement reste incertain, les vestiges d’habitat étant particulièrement ténus sur le coteau.
La grotte de Saint-Léobard : le premier logis du prieur ?
11On la placerait volontiers initialement – à la création du prieuré, à une date indéterminée donc – dans la grotte de Saint-Léobard, supposée remonter au haut Moyen Âge, qui après un usage technique (montée des matériaux pour la construction de la tour des Cloches au 11e siècle, cf. chap. 2, § 2.1) a pu servir de nouveau comme habitation, et en l’occurrence de premier logement au prieur des Sept-Dormants. On ne peut malheureusement l’affirmer, faute d’archives et en l’absence de fouille archéologique de la « grotte », mais il est néanmoins certain que la cavité était habitable à l’époque Moderne dans la mesure où elle était louée et occupée par des laïcs dans le courant du 18e siècle (cf. § 3.4.1).
Un logis moderne à l’ouest de la deuxième terrasse
12À l’extrémité occidentale de la deuxième terrasse, deux murs perpendiculaires en moyen appareil de tuffeau blanc, M.6015, orienté nord-sud, et M.6017, orienté ouest-est, datables de l’époque Moderne, pourraient constituer les derniers vestiges d’une maison priorale (Fig. 93 et Fig. 98)56. Un sondage réalisé en 2021 le long de M.6015 a permis de constater la quasi-absence de stratification ancienne (cf. chap. 4) et d’observer la fondation du mur (Fig. 99), permettant de restituer un niveau de sol à 65,92 m NGF ; le rocher n’a pas été atteint mais une tranchée pratiquée 1,60 m à l’est en 2017 (sondage 2, Fig. 100 et Fig. 101 ; Marmoutier 2017 : 71) laisse supposer qu’il n’est pas beaucoup plus bas ; quoi qu’il en soit, celui-ci n’a pas été recherché pour asseoir M.6015, à l’inverse de M.6017 qui repose directement dessus. Au contraire, il semble y avoir eu un important remblaiement du secteur au moment de la construction du bâtiment de sorte à niveler le terrain à l’emplacement d’un ancien talweg.
Fig. 98 – Vue générale de M.6015 depuis l’est.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
Fig. 99 – Vue rapprochée du sondage au pied de M.6015, depuis l’est.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017).
Fig. 100 – Vue générale depuis le nord du sondage 2 (2017), montrant [en bas, couleur jaune] le rocher conservé.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2016.
Fig. 101 – Vue rapprochée de la base de M.6017 au contact du rocher, depuis le sud.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
13Seuls deux aménagements sont visibles dans M.6015, qui appartiennent apparemment à deux phases différentes :
à peu près au centre du mur conservé, un placard (EA 2697) aménagé au moment de la construction du mur est encore bien conservé ; il mesure 50 cm de large pour 80 cm de hauteur, son appui étant à 72 cm par rapport au niveau de sol supposé du bâtiment ;
50 cm au sud, une feuillure verticale (EA 2696) de 2,60 m de hauteur a été creusée dans le mur, destinée à recevoir l’huisserie d’une porte ; il s’agit peut-être d’un cloisonnement secondaire du bâtiment, qui permet de restituer un rez-de-chaussée d’un peu moins de 3 m de hauteur sous plafond, surmonté d’un étage ou d’un comble.
Le projet avorté d’une grande maison priorale ?
14La Vue du Monasticon Gallicanum, datable entre 1672 et 1689, montre à l’ouest de la chapelle des Sept-Dormants une grande bâtisse à deux étages et combles légendée en 5 « Domus domini 7 Dormientium » (Fig. 3). Mais la Vue de Gaignières (1699), où sont représentés les bâtiments notables de l’abbaye, ne montre à l’ouest et au-dessus de la chapelle qu’une vaste terrasse aménagée en jardin (Fig. 10) : pas de trace du bâtiment dont subsistent pourtant les murs M.6015 et M.6017, ni même de la maison représentée sur le Monasticon sur la terrasse supérieure.
15La haute terrasse à l’ouest du prieuré, que l’on peut identifier à celle appelée « Montorgueil » dans les archives, pourrait témoigner du projet de construction d’une maison priorale à la fin du 17e siècle. Le sondage réalisé en 2021 dans l’angle nord-ouest a permis d’identifier un terrassement du rocher et quelques aménagements (Fig. 102). La terrasse mesure environ 100 m2, avec un niveau de circulation à 70,50 m NGF ; elle a été aménagée en entaillant le rocher au nord et grâce à un important remblaiement, d’environ 3 m, au sud. Un escalier taillé dans le roc (EA 2678) le long du mur de l’enceinte médiévale (M.6036) permet d’accéder à un second niveau qui n’a été qu’entraperçu lors de la fouille, à 72,60 m NGF environ (Fig. 103). Le seul autre aménagement observé correspond à un grand creusement dans M.6036 (EA 2679 ; 2 m de large sur 50-60 cm de profondeur), que l’on peut supposer être l’emplacement d’un grand placard ou d’une cheminée.
Fig. 102 – Vue de M.6036 installé directement sur le rocher et de l’escalier semi-rupestre aménagé à son pied, depuis le sud-est.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
Fig. 103 – Relevé de M.6036 installé directement sur le rocher et de l’escalier semi-rupestre aménagé à son pied.

UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
16Il semble que la construction du bâtiment visible sur le Monasticon Gallicanum n’ait pas été menée à son terme57. Pour des raisons financières avant tout peut-être : en effet il est peu probable que les seuls revenus du prieuré, assez modiques (cf. infra), auraient suffi à payer la construction. Était-elle alors provisionnée sur les fonds de l’abbaye (aucune archive ne le mentionne) ou bien aurait-elle pu être assurée par un mécène comme l’a été la restauration de l’oratoire en 1690 ? Si l’habitation représentée sur le Monasticon Gallicanum avait été achevée, elle aurait assurément renforcé le caractère ostentatoire du secteur occidental de l’abbaye, dominant l’entrée principale et donc vue de tous ceux qui pénétraient dans l’enclos. Mais dans la seconde moitié du 17e siècle, la communauté avait fort à faire, avec l’aménagement des terrasses orientales, la construction de la nouvelle aile orientale du cloître amorcée en 1661, puis celle, restée inachevée, de la nouvelle salle capitulaire dans l’aile méridionale : les espaces à l’usage direct de la communauté ont été privilégiés et ont dû engloutir une très large part de ses moyens (Hurel 1985 : 168-175).
3.1.4. Les vestiges difficilement identifiables ou peu étudiés
17Les observations et les fouilles réalisées sur le coteau occidental de l’abbaye et tout autour ont permis d’identifier plusieurs autres constructions dont la nature, la fonction et la datation ne sont toutefois pas toujours bien cernées.
Une section de clôture et une tour d’escalier médiévales ?
18Les vestiges d’un long mur en petit et moyen appareil de tuffeau jaune, orienté nord-sud et directement posé sur le rocher à peine retaillé, ont pu être observés entre les deux terrasses les plus occidentales, ainsi que sur le côté ouest des rampes construites au début du 19e siècle à l’entrée du monastère. M.6036 (Fig. 103) et M.6024 (Fig. 104) limitent la haute terrasse à l’ouest, M.6025 au sud et M.6026 à l’est. En contrebas, un sondage réalisé en 2021 a permis de retrouver le prolongement de ces deux murs, arasés pour permettre le passage vers la troisième terrasse, la plus occidentale (Fig. 105).
Fig. 104 – Vue générale de M.6024, depuis l’ouest.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2018.
Fig. 105 – Vue de la maçonnerie arasée dans un sondage réalisé en 2021 à l’entrée de la troisième terrasse, depuis l’ouest.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
19Les dimensions des blocs, la nature de la pierre et la mise en œuvre laissent peu de doute au fait qu’il s’agit d’un pan de clôture datable du Moyen Âge ou du début de l’époque Moderne. Sa facture ne permet guère de trancher. Difficile également de dire s’il s’agit d’un tronçon de l’enceinte monastique ou bien de l’extrémité originelle du prieuré des Sept-Dormants : en effet, l’on n’est pas tout à fait encore ici sur le plateau de Rougemont, intégré à l’abbaye vers le milieu du 14e siècle, dont le tronçon le plus occidental de l’enceinte est situé quelques dizaines de mètres plus à l’ouest et auquel M.6024-6036 sont rattachés par un autre tronçon de mur orienté nord-ouest/sud-est.
20Le côté ouest des rampes aménagées après la Révolution à l’entrée du monastère pour monter sur le plateau reprend en partie un mur en moyen appareil de tuffeau jaune (M.6035 ; Fig. 106) et son retour au nord (Fig. 107). Sans doute faut-il y voir les derniers vestiges d’une petite tour quadrangulaire située à la jonction de l’enceinte et de la seconde porte d’entrée occidentale du monastère, encore en élévation à la fin du 17e siècle (Fig. 93) mais détruite en 1747 (Fig. 112). Le procès-verbal de l’expertise des dégâts occasionnés par l’effondrement rédigé le 24 mars 1747 semble valider cette interprétation :
« au bout de la terrasse avons remarqué manière dune tour carré la ou est le degré pour monter sur la terrasse des Sept-Dormans qui est aussy renversé par la mesme chutte du rocher dont en reste encore une vieille carcasse et vieu pillier qui est prêt à renverser comme aussy le restant dudit degré qui ne tien plus à rien qu’il faut parachever de demolir pour en eviter autre dangér de la chutte pour la retablir raport de lusage pour pouvoir monter sur laditte terrasse attendu que c’est lunique endroit pour le service de monter et descendre » (ADIL-H.943 ; Source P).
Fig. 106 – Vue générale de M.6035 depuis la cour de la maison du Portier à l’ouest.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2018.
Fig. 107 – Vue du retour nord de M.6035, depuis le nord-ouest.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2018.
21La facture de la maçonnerie rappelle celle du mur de soutènement de la deuxième terrasse (M.6013) et de la tour des Cloches. Une datation médiévale peut être avancée, plutôt autour des 11e-12e-13e siècles, si l’on considère que cette tourelle d’escalier pouvait servir à monter sur la première terrasse (au niveau des galeries et cavités occidentales) et plus haut sur le coteau, participant ainsi à la gestion du flux des pèlerins venant prier à la chapelle des Sept-Dormants.
Un ensemble troglodytique
22Plus à l’ouest, la troisième terrasse (67,60 m NGF) correspond à une vaste cour d’environ 130 m2 autour de laquelle s’ouvrent plusieurs cavités (Fig. 108) : au nord, la plus importante d’entre elles, composée de deux salles et pourvue d’une cheminée, est fermée par une maçonnerie percée d’une fenêtre et d’une porte ; à l’ouest et à l’est, plusieurs petites cavités correspondent à des remises dont certaines étaient fermées par des portes, ainsi qu’à un possible four. L’ensemble est particulièrement dégradé et dangereux d’accès, par conséquent il n’a pu être exploré. Ce type de structures archéologiques reste difficile à dater, mais d’après la forme des espaces souterrains et les archives relatives au prieuré une datation entre le 16 e et le 19 e siècle peut être avancée. Si une datation post-révolutionnaire ne peut être exclue, cette troisième terrasse pourrait bien correspondre à la « cour renfermée de murailles, dans laquelle est un appenty servant de fagotier, écurie et caves, un autre petit enclos où il y a un jardin à fleur et un four » évoquée dans la description du prieuré datée de 1669 (Source K).
Fig. 108 – Vue générale de la troisième terrasse, depuis le sud-ouest.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2015.
Plusieurs « pièces de terre » sur le plateau
23Enfin, en dehors de l’enclos prioral proprement dit mais accolés et toujours à l’intérieur du monastère, le prieuré possédait « une allée ancienne par où les prieurs des Dormants alloient à Rougement contenant trente chaînes trois quarts » et « la vigne des grandes plantées, près les grandes plantées de ladite abbaye contenant soixante dix neuf chaînées demy quart » (ADIL-H.369 ; Source Q). La première correspond au chemin menant de la terrasse haute jusqu’au niveau supérieur actuel de la tour des Cloches, encore emprunté aujourd’hui pour monter sur le plateau de Rougemont. La seconde, surmontant la terrasse haute, correspond à « une pièce de terre attenante audit clos de Rougemont, dans laquelle y a une fuye à pied de massonnerie en partie ruinée ». L’ensemble est actuellement boisé et dépourvu de vestige archéologique. Seul un plan des vignes de Rougemont daté de 1742 garde le souvenir des « Vignes des Sept Dormans » (Fig. 109).
Fig. 109 – Plan des vignes de Rougemont de 1742, avec en bas à gauche la mention « Vignes des Sept Dormans ».

ADIL-H.305.
3.2. État financier et foncier du prieuré
des Sept-Dormants à l’époque Moderne
24La charte de 846 en faveur de l’oratoire Notre-Dame mentionne quelques biens dans la vallée de la Vienne (Source A), dont on ignore complètement ce qu’ils sont devenus dans les siècles ultérieurs58. On doit attendre 1669 pour disposer d’un état détaillé des revenus et des charges du prieuré, qui reprend des états incomplets du début du 16e siècle.
25L’« Estat des revenus et charges du prieuré des Dormants » de 1669 (ADIL-H.327 ; Source K) ne mentionne pas les biens détaillés dans la charte de 846 connue seulement par l’édition qu’en fit Mabillon en 1704 : « un pré et demi dans la dépendance de Tours, dans un lieu appelé Tavant » ni « le petit manse […] en lieu nommé Casellis, et un quartier de terres à proximité dudit monastère […] soit les vignes, les terres cultivées et en friches, les communaux ainsi que les prés et les pâturages ». Les vingt livres de rente du prieur Louis Cerclet correspondent quant à elles assez certainement aux maisons et jardins devant « l’ymaige Saint-Roch » acquis en 1525 et rapportant en réalité dix-sept livres annuelles.
26En 1669, l’ensemble des revenus du prieuré est modeste et s’élève à 55 livres 1 sol 10 deniers, dont 23 livres issues du revenu des vignes des Dormants sur le coteau de Rougemont. Il est par ailleurs précisé que « le sacristain doibt entretenir d’huille la lampe des Dormants jour et nuit, et doit fournir audit prieuré sept grosses et sept petits flambeaux de cyre ». Les charges sont constituées de plusieurs rentes dues à l’abbé et des réparations à faire sur la chapelle et le logis, ainsi que d’une messe hebdomadaire. On notera que si l’entretien de la chapelle et des bâtiments prieuraux incombe normalement au prieuré lui-même, les travaux d’embellissement et de restauration de la chapelle en particulier sont, d’après les sources anciennes, décidés par l’abbé de Marmoutier59 ou financés par quelques religieux fortunés (cf. chap. 2)60.
27La documentation disponible permet de dresser la liste des possessions du prieuré en dehors du monastère de Marmoutier à partir du 16e siècle. Elles sont peu nombreuses, localisées non loin de l’abbaye – en particulier dans le bourg de Saint-Symphorien –, et ne semblent guère s’être accrues depuis le début du 16e siècle. Leur origine reste mal connue :
un état des revenus du début du 16e siècle (H.327) mentionne l’acquisition le 27 juin 1525, par retrait féodal, des maisons situées le long de la levée de la Loire à Saint-Symphorien-des-Ponts-de-Tours, sur les deniers du prieur Louis Cerclet ;
l’état de 1747 – reprenant largement celui de 1669 – mentionne des actes notariés du début du 17e siècle et antérieurs dont les originaux ne nous sont pas parvenus.
28Le prieuré tire ainsi un peu plus de la moitié de ses revenus des rentes sur plusieurs maisons proches de l’abbaye ou situées non loin dans le bourg de Saint-Symphorien-des-Ponts-de-Tours, mais aussi de terres et bois situés immédiatement à l’est de l’abbaye (au lieu-dit les Rochettes) ou plus loin dans la paroisse de Vouvray (Fig. 110).
Fig. 110 – Rentes issues des biens du prieuré situés en dehors de l’enclos monastique.
Description et localisation des biens | Sources | Revenus |
Une maison devant le petit cimetière de l’église Saint-Symphorien-des-Ponts-de-Tours | état début 16e s. (H.327) | 6 l. t. |
autre état 16e s. (H.327) | 6 l. t., dont 42 s. 6 d. à la Pitance ; reste au prieur 77 s. 6 d. | |
quittance, 1648 (H.327) | 6 l. t. | |
état 1669 (H.327) | 6 l., dont reste 4 l. | |
livre de recettes 1747 (H.369) | ||
Maisons et jardins devant « l’ymaige Saint-Roch » ou « devant le Vieux Calvaire », le long de la levée de la Loire (Saint-Symphorien-des-Ponts-de-Tours) | état début 16ee s. (H.327) | 17 l. t. |
autre état 16e s. (H.327) | 17 l. 10 s. t | |
état 1669 (H.327) | 17 l. 10 s. | |
livre de recettes 1747 (H.369) | 17 l. 10 s. | |
conférence des Sept-Dormants, 1785 (H.218) | 17 l. 10 s. | |
Maison « Foucher », située près du carroi des « Coullombiers » (même maison que ci-dessous ?) | autre état 16e s. (H.327) | 8 s. 4 d. t. |
état 1669 (H.327) | 8 s. 4 d. | |
livre de recettes 1747 (H.369) | 8 s. 4 d. | |
Maison au carroi des « Coullembiers » (Saint-Symphorien ?) | état début 16e s. (H.327) | 16 s. 4 d. t. |
Terres et bois de taillis au lieu-dit La Rouletière (Parçay-Meslay) | état début 16e s. (H.327) | 17 s. 6 d. t. + 2 b. froment & 2 b. seigle |
état 1669 (H.327) | 2 l. 12 s. + 17 s. 6 d. + 2 b. froment & 2 b. seigle | |
livre de recettes 1747 (H.369) | 17 s. 6 d. + 2 b. froment & 2 b. seigle | |
Deux pièces de terres labourables au pied du coteau des Rochettes, baillées à partir de 23 mars 1691 | livre de recettes 1747 (H.369) | 5 l. |
Total des rentes | 28 l. 13 s. t. |
3.3. Les prieurs des Sept-Dormants
29Nous connaissons le nom de neuf moines ayant occupé la charge de prieur des Sept-Dormants entre le milieu du 15e siècle et le milieu du 18e siècle, dont les dates de début et de fin de charge sont toutefois rarement précisées. La très grande majorité des informations les concernant provient de l’Histoire de Marmoutier rédigée par dom Martène à la fin du 17e siècle ainsi que de quelques pièces d’archives originales rédigées en latin ou en français entre 1491 et 1747, qui se limitent le plus souvent à la mention d’une nomination, d’une démission ou d’un décès.
30Martin Binet est le premier prieur connu. On sait seulement de lui qu’il reçoit une voix à l’occasion de l’élection de l’abbé en 1453 (Chevalier 1874-1875 : t. II, p. 324).
31Johannes Laleman a pu lui succéder, puisque son décès est évoqué dans une bulle papale de 1491 à l’occasion de la nomination de Brice Houssaye, dont on ne sait rien et qui mourut sans doute en 1501 (ADIL-H.327 ; Source C).
32Un texte en latin sur parchemin daté du 10 juillet 1501 mentionne la nomination de Jacques Delveaux en tant que prieur des Sept-Dormants (ADIL-H.327 ; Source E). Le document est particulièrement intéressant puisqu’au verso un autre texte, toujours en latin, relate la cérémonie d’installation qui eut lieu le 14 juillet : aspersion d’eau bénite, cloches sonnées, remise des clefs de la chapelle et de la maison prieurale, visites des dépendances du prieuré.
33Louis Cerclet a pu lui succéder directement, avant son départ pour la Sarthe en 1514 (cf. infra) ; il est l’un des signataires du document de 1501 évoqué ci-dessus. Son nom est cité dans la Chronique des prieurés de Marmoutier rédigée par Jacques d’Huisseau vers 1625 : il y est dit que le revenu du prieuré est fort modeste et qu’il ne lui reste que « vingt livres de rente léguées par Louis Cerclet, prieur des Sept-Dormants et de Bellème [dans la Sarthe, à partir de 1514] » (Salmon 1854 : cxlvi-cxlvii et 396‑398).
34Gilles Robiet est l’un des prieurs les mieux connus, mais pas au titre de cette charge qu’il a tenue dans la seconde moitié du 16e siècle (Salmon 1854 : cxxviiii‑cxxix ; Chevalier 1874-1875 : t. I, p. viii-ix, t. II, p. 289, note 2). On sait de lui qu’il a fait sa profession à Marmoutier en 1543 et qu’il est mort à un âge avancé. Il a été gardien du trésor des chartes de l’abbaye, responsabilité qu’il a sans doute quittée, à une date inconnue, pour devenir prieur des Sept-Dormants. Il est l’auteur d’une histoire de l’abbaye de Marmoutier rédigée en français aujourd’hui perdue61 et autour de 1564 d’un traité intitulé De l’origine et antiquité de la célèbre abbaye de Mairemoustier62.
35D’après dom Rabory, Bertrand Viette, né en 1570, est mentionné comme prieur des Sept-Dormants en 1601 lors d’un baptême à l’église de Saint-Ouen [Sainte-Radegonde] » (Rabory 1910 : 396). Il meurt en 1658 à l’âge de 88 ans, quelques années après s’être défait de son prieuré (en 1652, cf. infra), puisque « le nécrologe [de l’abbaye] le qualifie d’olim prior Dormientium » (Dorange 1875 : 120). En 1644, il rédige un office en l’honneur des Sept-Dormants (BM Tours, ms. 214 ; Dorange 1875 : 119-120). Il offre aussi, en 1646 une châsse d’argent pour y placer les reliques de saint Corentin (Chevalier 1874-1875 : t. II, p. 508 ; Rabory 1910 : 393) puis en 1649 une autre châsse en argent pour accueillir celles de saint Léobard jusqu’alors contenues dans une « vieille châsse en bois » (Chevalier 1874-1875 : t. II, p. 508 ; Rabory 1910 : 396).
36Son successeur se nomme Simon Houdry, chanoine de la cathédrale de Tours. Sa nomination, consécutive à la démission de Bertrand Viette, est actée en 1652 par Victor le Bouthillier, archevêque de Tours (ADIL-H.327 ; Source J). On ne sait rien d’autre de lui.
37Le dernier prieur des Sept-Dormants s’appelle Charles Yvicquel. De lui, on sait relativement peu de choses. Son nom est mentionné en 1742 et 1743 dans le recueil des actes capitulaires, au sujet de la location des terrasses. Il est par ailleurs expressément cité comme prieur des Sept-Dormants en 1747 (année de sa mort) dans le livre de recette générale des prieurés de l’abbaye (ADIL-H.369 ; Source Q). On peut supposer qu’il était déjà prieur lors de la suppression du prieuré en 1720, la charge disparaissant et le prieuré étant réuni à la mense abbatiale à la mort du prieur alors en exercice. Il était aussi procureur général de l’abbaye et, de 1736 à 1747, alors que le prieuré des Sept-Dormants n’a plus guère d’usage et que ses bâtiments ne sont plus entretenus, prieur de l’Île Tristan près de Douarnenez dans le Finistère (Peyron et Abgrall 1907 : 282).
3.4. Les dernières décennies du prieuré
38Si on sait peu de choses de la création et des premiers siècles d’existence du prieuré, ses dernières décennies sont relativement bien documentées.
3.4.1. La location des terrasses du prieuré
dans la première moitié du 18e siècle
39Si la chapelle est encore en activité au début du 18e siècle, le prieur ne semble plus habiter sur le coteau, ce que l’on déduit de plusieurs mentions de la location des terrasses des Sept-Dormants contenues dans les registres de délibérations du chapitre (ADIL-H.386 ; Source M). Les mentions restent vagues, notamment concernant le « logement » baillé qui correspond sans doute à la maison du prieur située à l’extrémité occidentale de la deuxième terrasse ; en effet, s’il s’était agi de la grotte de Saint-Léobard, les procès-verbaux de délibérations ne mentionneraient-ils pas son caractère rupestre ?
40Ainsi, le 13 mars 1719, « la communauté ayant de la peine de voir M. Nicolas Chevalier demeurer dans l’enclos de ce monastère depuis qu’il a épousé une jeune femme, et surtout depuis qu’elle est grosse » lui offre mille écus de dédommagement pour sortir du logement qu’on lui avoit loué à vie. Ce même logement, ses jardins, et le haut de l’ermitage des Sept-Dormants est ensuite loué à M. de Soldeville, chevalier de Malte non profès, « voulant mener une vie retirée dans la continence d’un perpétuel célibat » (Chevalier 1874-1875 : t. II, p. 558 ; ADIL-H.386 ; Source M).
41Deux années plus tard, le 6 juin 1721, le chevalier de Soldeville a déjà remis à la communauté les « petits jardins maintenant plantez en vigne par rangées avec quelques arbres fruitiers […] situez sur les hauteurs ou est aussi située la chapelle des Sept-Dormants et un petit espace d’environ 23 chaînées de terre aussi planté en vigne et de quelques arbres fruitiers situé un peu au dessus desdits jardins » (ADIL-H.386 ; Source M). L’ensemble est alors baillé pour neuf années au sieur Garreau à qui l’on bailla le même jour la maison du Portier et ses dépendances, au pied du coteau et à l’entrée du monastère63.
3.4.2. La suppression du prieuré en 1720
42Au début du 18e siècle, l’abbé et les religieux de Marmoutier se plaignent des faibles revenus et des multiples charges de l’abbaye, et sollicitent du roi la suppression d’une douzaine de prieurés dont les revenus pourraient ainsi être attribués au monastère. Le 21 décembre 1720, Louis XV « consent que les titres de douze Prieurez cy après nommez soient éteints et supprimez pour estre les Revenus et tout ce qui en dépend, unis, annexez et incorporez à ladite abbaye de Marmoutiers […] partagez entre ledit sieur abbé et les religieux de ladite abbaye, par egalles portions, a condition neantmoins d’acquitter ou faire acquitter sur les lieux les charges, pensions et fondations dont lesdits prieurez peuvent estre tenus, et d’y faire continüer le service divin ». Le 13 janvier 1721 les moines réunis en chapitre actent la réunion de ces prieurés à la mense abbatiale, ce « qui fournira au corps de l’abbaye des revenus raisonnables pour en soutenir les charges » (Fouéré-Macé 1892 : 139).
3.4.3. Abandon et destruction de la chapelle et du prieuré dans le courant du 18e siècle
43Une baisse de fréquentation du sanctuaire plusieurs siècles après l’instauration du culte rendu aux Sept-
Dormants pourrait sans doute expliquer le peu d’attention portée à l’édifice dans le courant du 17e siècle, qui fut néanmoins restauré une ultime fois en 1690. Dans tous les cas, moins de vingt ans après, le coup de foudre de 1707 qui entraîna la chute d’une partie de la tour des Cloches sur la chapelle marque le début du véritable déclin de l’édifice mais aussi du prieuré.
44Si les terrasses sont entretenues grâce à leur location à des laïcs, la chapelle ne semble bénéficier d’aucun entretien particulier. Dans la nuit du 20 au 21 mars 1747, de fortes pluies causent la chute partielle du coteau : l’essentiel de la première terrasse où se trouvent la chapelle et plusieurs cavités s’effondre, entraînant vraisemblablement avec elle la partie occidentale de la deuxième terrasse où se situent des jardins et l’ancienne maison priorale. Dès lors, en dehors des terrains les plus hauts et situés les plus à l’ouest, le prieuré n’est plus guère accessible ni utilisable (Fig. 111). Il bénéficie néanmoins encore, ou plutôt l’abbaye, de maigres revenus (cf. supra).
Fig. 111 – Proposition de restitution du prieuré après l’effondrement de 1747.

M. Chartier et D. Morleghem, UMR 7324 CITERES-LAT, 2018.
45Le 6 mai 1769, à l’occasion du chapitre général de la Congrégation de Saint-Maur qui se tient à Marmoutier, on procède à l’ouverture de plusieurs tombes encore accessibles au milieu des ruines de la chapelle. Le procès-verbal dressé à cette occasion (ADIL-H.327 ; Source R) décrit longuement les sept tombes fouillées et attribuées aux sept saints (cf. chap. 2, § 2.5). Cela étant, « aucune preuve authentique que les susdits tombeaux fussent les restes précieux des saints […] », qui ont ensuite « été placés dans un coffre de bois de chêne long de trente pouces, et large de neuf pouces et demy avec une notte du présent procès-verbal […] et le dit coffre fermé et scellé du sceau de la congrégation a été déposé dans la sacristie de l’église ».
46Rappelons ici que près d’un siècle auparavant, en 1681, d’autres ossements, alors conservés dans une châsse de bois doré fracturée, avaient déjà été transférés de la chapelle des Sept-Dormants dans l’église, « dans l’une des chasses vides au-dessus de l’autel de Notre Dame de Pitié » (ADIL-H.327 ; Source L). On ne connaît pas l’origine de ces reliques – supposées – des Dormants.
47La seule représentation réaliste de la chapelle et du prieuré à l’état de ruines est de la main de L.-F. Cassas. Le dessin réalisé en 1776 montre l’ensemble du coteau occidental depuis le portail de Sainte-Radegonde et la maison du portier à l’ouest jusqu’à la tour des Cloches à l’est (Fig. 112). On peut en particulier y observer :
l’arrachement de maçonneries à l’ouest, en contrebas de la terrasse haute, qui pourrait correspondre aux vestiges de la tourelle dont ne reste que le mur M.6035 ;
la terrasse haute, dont le mur oriental (M.6026 presque invisible aujourd’hui car doublé par un mur du 19e siècle) présentant deux ou trois contreforts ; elle est surmontée par un tronçon d’enceinte sans doute idéalisée d’après le crénelage représenté, ainsi que par une tour non mentionnée dans les textes mais qui pourrait être représentée (décalée plus haut sur le plateau et dans des proportions aberrantes) sur les vues de Gaignières et du Monasticon Gallicanum ;
au-dessus des carrières ouvertes au pied du coteau, les ruines de la chapelle, dont la géométrie est difficile à bien cerner, mais dont on arrive à comprendre l’intégration au coteau et dont on reconnaît des arcs, le voûtement de la nef maçonnée et la façade orientale ;
aux pieds de la tour des Cloches, l’escalier à vis dite de saint Gilles, donnant accès à la tour et à l’entrée orientale de la chapelle des Sept-Dormants, est resté intact après l’effondrement de 1747.
Fig. 112 – Dessin des ruines des terrasses occidentales de Marmoutier par L.-F. Cassas, 1776.

© Musée des Beaux-Arts de Tours, D. Couineau).
48Les derniers vestiges de la chapelle romane sont détruits en 1786. L’espace souterrain contenant les tombeaux des Dormants est muré à cette occasion, et « on ne les voit [plus] que par une petite fenêtre qu’on a laissé du côté du midi » (Chevalier 1874-1875 : t. II, p. 581).
Conclusion
49Le prieuré Notre-Dame-des-Sept-Dormants, établi à l’intérieur même du monastère, constitue sans nul doute un phénomène rare qui reste à expliquer plus précisément. Nous n’avons pas affaire à un établissement à part entière qui aurait vécu de manière autonome par rapport à l’abbaye : le site lui-même, composé de plusieurs terrasses, ne permettait pas la construction de tous les bâtiments requis, même pour une petite communauté de quelques moines. De fait, seuls sont mentionnés la chapelle, la maison du prieur et des dépendances difficiles à localiser et seuls sont connus les noms de quelques prieurs à partir du 15e siècle. Le prieur et les quelques moines qui pouvaient desservir la chapelle avec lui devaient avant tout accueillir les pèlerins, canaliser leurs dons et à ce titre ils remplissaient un rôle d’intermédiaires entre l’intérieur et l’extérieur du monastère, tout proche que le site était de l’accès principal situé au nord-ouest de l’enclos. Ainsi, ce prieuré était sans doute plus une « fiction juridique », destinée à faciliter la gestion des ressources engendrées par le pèlerinage, qu’une petite communauté religieuse qui aurait vécu en marge du monastère64.
50Une enquête reste à mener au sein des monastères bénédictins pour détecter d’autres situations similaires. À ce jour, nous connaissons un seul autre exemple, celui du monastère de l’Île Barbe, fondé au début du 5e siècle sur une petite île de la Saône, quelques kilomètres en amont de Lyon. Ce lieu remarquable fit l’objet d’une thèse d’archéologie soutenue à Lyon (Gaillard 2016). Comme toutes les fondations monastiques du haut Moyen Âge, l’Île Barbe comptait plusieurs églises, dont une dédiée à saint André qui devint le siège d’un prieuré cité pour la première fois en 1284, quand l’abbé Girin de Sartines modifia les statuts du monastère. En 1334, le prieur bénéficie d’une exemption de dortoir, de réfectoire et des offices quotidiens en raison de son éloignement du cloître : le prieuré est situé à l’extrémité orientale de l’île, sur la terrasse haute où sont regroupés l’église, le logement du prieur et des bâtiments annexes. La dédicace à saint André est bien antérieure à la fondation du prieuré puisqu’elle pourrait correspondre à la première dédicace du monastère (Gaillard 2016 : vol. 1, 218-224).
51La comparaison entre Marmoutier et l’Île Barbe touche même l’origine du lieu de culte puisque l’église Saint-André eut dès le haut Moyen Âge une fonction funéraire et mémorielle importante : elle est considérée par la tradition monastique comme ayant accueilli les tombes des deux premiers abbés, légendaires, de la communauté, et la fouille a montré le désir de préserver de nombreuses sépultures du haut Moyen Âge lors des transformations de cet édifice au 10e siècle. Comme à Marmoutier également, cette église devint un lieu de pèlerinage à la suite du développement du culte de Longin, fondateur apostolique du monastère, et de sainte Anne attesté à partir du 15e siècle, le vocable de sainte Anne prenant peu à peu le pas sur celui de saint André aux 17e et 18e siècles (Gaillard 2016 : vol. 1, 418-422).
Notes de bas de page
55Pour tout ce qui concerne la chapelle et ses abords nous renvoyons le lecteur au chapitre 2.
56Pour une description détaillée des sondages réalisés, voir Marmoutier 2017 : 71 ; Marmoutier 2021 : 14‑15.
57Pour une description détaillée des sondages, voir Marmoutier 2018 : 31‑34 ; Marmoutier 2021 : 15‑16.
58La Chronique des prieurés de Marmoutier rédigée en latin autour de 1625 par Jacques d’Huisseau, moine de Marmoutier, rapporte : « le prieuré des Sept-Dormants, situé près de l’église, dans l’enceinte des murs du monastère : ses revenus sont très-modiques. […] Vivoin, abbé de Marmoutier, restaura ce prieuré en l’an 711#, et lui assigna des revenus et des terres près de Tavant, pour l’entretien de six religieux. Mais tous ces revenus sont disparus par le temps et les guerres, et le prieuré ne possède plus que vingt livres de rente léguées par Louis Cerclet, prieur des Sept-Dormants et de Bellème, et en outre la maison, les jardins, trois quartiers de vigne et un demi-quartier de pré ; de plus le prieur est exempt de toute charge et de toute réparation » (Salmon 1854 : 130-131).
59Seconde moitié du 15e siècle : l’abbé Guy Vigier fait « recouvrir l’oratoire » ; première moitié du 16e siècle : l’abbé Gautier fait « lambrisser » l’édifice.
601649 : le prieur Bertrand Viette fait faire une châsse en argent pour les reliques de saint Léobard ; 1690 : dom Alexandre Thérin, qui projetait de vivre en ermite dans la chapelle ou à proximité, finance une partie de sa restauration.
61Cette histoire – conservée jusqu’à la fin du 18e siècle dans la bibliothèque de l’abbaye (ms. 157) – a été traduite du français en latin par dom Jacques d’Huisseau, grand prieur de Marmoutier : Supplément à la chronique des abbés de Marmoutier, dans Salmon 1854 : 381-390.
62BM Tours, ms. 1380 (ms. 158 de la bibliothèque de l’abbaye), détruit lors de l’incendie de la bibliothèque en juin 1940.
63Le logement est semble-t-il loué depuis 1709 : « Bail à M. Gareau d’un logis sis dans l’enclos du ]monastère, […] au-dessous des Dormans et proche de la porte de la ville » (Chevalier 1875 : t. II, p. 557).
64Nous remercions Bruno Dufaÿ d’avoir suggéré cette interprétation.

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