Introduction
p. 9-23
Texte intégral
1. L’abbaye de Marmoutier : présentation générale
1Marmoutier, le « Grand monastère » selon l’appellation que lui donna Grégoire de Tours et qui perdure depuis la fin du 6e siècle, est la deuxième communauté monastique établie en Gaule, après Ligugé. Elle tire aussi son origine dans la volonté de Martin de vivre « au désert », avec quelques frères, avant comme après son élection sur le siège épiscopal de Tours en 371. Ce qui fut fondé comme un ermitage, un lieu de refuge pour l’évêque loin de la foule qui l’assaillait dans la cité, devint peu à peu le lieu de vie d’une communauté grandissante qui comptait 90 frères à la mort de Martin. Le site est situé sur la rive droite de la Loire, à quelques lieues en amont de la cité où se dressait la première cathédrale de Tours. Présenté par Sulpice Sévère, le biographe de Martin, comme un endroit reculé, entre Loire et coteau et difficilement accessible, ce lieu présentait en réalité bien des avantages qui ont pu guider le choix de l’évêque, si choix il y eut. D’une part, il est possible que le pont édifié en face de la porte nord de l’enceinte tardo-antique de la cité ait été encore en service dans le dernier tiers du 4e siècle, facilitant grandement les allées et venues entre les deux rives (Fig. 1). D’autre part, la fouille a révélé une occupation sous la forme de bâtiments maçonnés remontant à la fin du 1er siècle ap. J.-C., des constructions dont la fonction précise demeure indéterminée mais qui ont pu être mises à profit par la communauté naissante. Enfin, le coteau comme la Loire constituaient des atouts majeurs, le premier permettant le creusement de cellules exposées plein sud – comme le rapporte Sulpice –, la seconde facilitant l’approvisionnement de la communauté et le déplacement de ses membres.
Fig. 1 – Localisation de l’abbaye de Marmoutier, sur la rive droite de la Loire, en amont de Tours.

C. Scheid, UMR 7324 CITERES-LAT, 2014.
2Un petit nombre de plans et de vues cavalières d’époque Moderne permettent, couplés aux textes, de restituer l’environnement et l’organisation topographique du monastère à la veille de la Révolution (Fig. 2 ; Lorans 2014). L’enclos monastique présente deux parties distinctes : dans la vallée, entre coteau et Loire, s’étendent tous les bâtiments nécessaires à la vie des moines ainsi que jardins et cimetières ; sur le plateau de Rougemont, se dressent depuis le milieu du 14e siècle le logis de l’abbé et ses dépendances : soit 11 ha dans la vallée et 6 ha sur le plateau qui font de Marmoutier un établissement très vaste, établi sur un chemin longeant le pied du coteau et menant de Blois à Tours. Juste à l’extérieur de l’enceinte, à l’ouest, s’étend le bourg, partiellement troglodytique, de Sainte-Radegonde, qui dépend de l’abbaye, tout comme le bourg de Saint-Symphorien au débouché du pont médiéval, un peu plus à l’ouest.
Fig. 2 – Plan restitué du monastère à la fin du 18e siècle.

La chapelle des Sept-Dormants, située sur les terrasses occidentales (no 27), avait déjà disparu à cette date.
UMR 7324 CITERES-LAT, 2023.
3Dans la vallée, le monastère est structuré autour de l’église abbatiale édifiée depuis le 9e siècle au moins au pied du coteau, à proximité immédiate du Repos de Saint-Martin, l’appellation donnée par la tradition à des grottes qu’aurait occupées Martin quand il séjournait sur place (Creissen et Lorans 2019). Au sud de l’église plusieurs fois reconstruite, s’étend le cloître. À l’ouest, où l’on situe l’entrée principale sans doute sur l’axe de circulation déjà nommé, une grande hôtellerie fut édifiée sous l’abbatiat d’Hervé de Villepreux (1179-1189), délimitant une vaste cour rectangulaire entre l’enceinte à l’ouest, les terrasses au nord (cf. infra, § 2) et l’église à l’est (Fig. 3). De l’autre côté du cloître, se dressaient l’infirmerie et l’église Saint-Benoît, église funéraire du monastère, en ruine en 1699 et détruite cette même année. L’infirmerie avait déjà été transférée au sud du cloître, qui fut doublé par les mauristes. Enfin, au sud-ouest, se dressent depuis le début du 13e siècle la grange et les écuries attenant aux deux portails connus à l’époque Moderne sous les noms de portail de la Crosse – le plus au sud, conservé – et portail de la Mitre, détruit après la Révolution comme l’essentiel des bâtiments monastiques.
Fig. 3 – Vue de détail de l’angle nord-ouest de la partie basse du monastère montrant la chapelle Notre-Dame-des-Sept-Dormants, la tour des Cloches, la façade sud de l’Hôtellerie et l’extrémité occidentale de l’église ; entre 1672 et 1689.

BnF, ms. Lat. 11818-11821.
2. Les recherches archéologiques
4Marmoutier fit l’objet d’investigations archéologiques conduites par Charles Lelong, maître de conférences en histoire de l’art du Moyen Âge à l’Université de Tours, entre 1974 et 1983, des recherches limitées à l’emprise de l’église abbatiale gothique dont la moitié nord, en gros, fut dégagée des remblais accumulés depuis la démolition au début du 19e siècle. Ponctuellement, des sondages profonds furent réalisés ici et là.
5C’est en 2005 que le Laboratoire Archéologie et Territoires reprit le travail sur le terrain avec pour ambition d’étudier non seulement les vestiges monumentaux mais aussi de mieux comprendre l’organisation spatiale du monastère dans le temps long et l’impact de la Loire sur sa topographie. La majorité des campagnes de fouille ont porté d’une part sur les églises abbatiales successives (Fig. 2, n° 23) et d’autre part sur la grande hôtellerie et les bâtiments qui l’ont précédée (Fig. 2, n° 25) ; toutefois, en 2013 le coteau fit l’objet d’un repérage général avant que ne soit entreprise la fouille des terrasses occidentales (Fig. 2, n° 27) conduite pour l’essentiel de 2016 à 2018 et achevée en 2021 par des sondages complémentaires (Fig. 4)1.
Fig. 4 – Plan général actuel des terrasses occidentales avec l’emprise des sondages et études réalisés.

Plan du premier niveau de terrasse : D. Morleghem, 2013/2016 ; plan des deuxième et troisième niveaux : Ch. Lelong et SIG Marmoutier.
6Enfin, l’étude de la tour des Cloches, clocher séparé de l’abbatiale romane édifié dans la seconde moitié du 11e siècle (Lorans 2014 : 318‑322) et qui forme la limite orientale des terrasses occidentales, fut conduite dans le cadre d’un mémoire de master 1 par Clémence Dussol en 2014. Cette publication n’inclura pas l’étude fine de cette construction qui dominait le monastère et le signalait aux voyageurs et aux fidèles mais il y sera fait allusion puisqu’elle était adjacente à l’oratoire Notre-Dame puis à la chapelle Notre-Dame-des-Sept-Dormants (Fig. 5).
Fig. 5 – Vue depuis le sud des restes maçonnés de l’abside de l’oratoire du haut Moyen Âge contre lesquels fut édifiée la tour des Cloches.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2016.
7Cet ouvrage est donc centré sur l’usage de la partie occidentale du coteau, qui dominait l’entrée du monastère, et qui fut aménagée en terrasses pour accueillir une chapelle funéraire partiellement troglodytique et dédiée à la Vierge, restaurée en 846, et une série de tombes rupestres. Cette fonction commémorative fut amplifiée par le développement du culte des Sept-Dormants de Marmoutier à partir du milieu du 12e siècle qui déboucha sur la fondation d’un prieuré au sein même du monastère. Ce culte fut étudié dans le cadre d’un programme de recherche franco-allemand, Coenotur, porté par Philippe Depreux (Université de Hambourg) et Élisabeth Lorans (Université de Tours). Plus précisément, on doit à Jean-Hervé Foulon, maître de conférences en Histoire médiévale à l’Université d’Aix-Marseille, un nouvel examen de la Vie des Sept-Dormants, connue sous une forme courte, la première rédigée au sein de la collégiale Saint-Martin vers le milieu du 12e siècle, et sous une forme plus longue, rédigée à Marmoutier à la fin du siècle. Cet ouvrage bénéficie donc de cette analyse à nouveaux frais, fondée sur une nouvelle édition et traduction de la version courte (Foulon à paraître b).
3. Les terrasses occidentales de l’abbaye
3.1. Un site rupestre contraint et dense
8L’état actuel du coteau est assez éloigné de ce qu’il était avant la fondation de Marmoutier, du fait de son aménagement (terrassements, creusement de structures troglodytiques) et exploitation (carrières, caves), mais aussi d’effondrements résultant d’aléas climatiques ou encore des creusements réalisés par l’homme. Originellement, la partie occidentale du coteau de Marmoutier présentait un profil convexo-concave ponctué, à peu près au premier tiers depuis l’ouest, par un léger talweg orienté nord-sud (Fig. 6). Sa hauteur est d’environ 30 m, la cour en contrebas, fermée par le portail Sainte-Radegonde à l’ouest, l’hôtellerie au sud, l’église abbatiale à l’est et le coteau au nord, étant située à 53,90 m NGF environ, et les vignes de l’abbé sur le plateau étant elles à 83 m NGF environ.
Fig. 6 – Proposition de restitution de la topographie du coteau occidental de Marmoutier avant les premiers aménagements du haut Moyen Âge.

1, coteau à pic ; 2, talweg ou dépression nord-sud ; 3, replats successifs plus ou moins marqués ; 4, coteau à pic avec « rampe » au pied.
M. Chartier et D. Morleghem, UMR 7324 CITERES-LAT, 2018.
9Le développement maximum de cette partie de l’abbaye, délimité à l’ouest par l’enceinte monastique et à l’est par la tour des Cloches, est atteint aux 16e-17e siècles : la chapelle romane, les tombes rupestres, les habitations et dépendances troglodytiques et maçonnées, les jardins et les vignes qui constituent le prieuré Notre-Dame-des-Sept-Dormants se répartissent alors sur cinq terrasses, dont la quatrième est construite et non pas creusée dans le substrat rocheux (Fig. 7). Il ne reste plus aujourd’hui que de maigres ruines de la chapelle et du prieuré détruits dans le courant du 18e siècle (chute du rocher en 1747 et démolition de la chapelle en 1786), tombées dans l’oubli après la Révolution avant d’être redécouvertes et restaurées dans la seconde moitié du 19e siècle par les Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus (Fig. 8).
Fig. 7 – Proposition de restitution du prieuré des Sept-Dormants dans la première moitié du 17e siècle.

M. Chartier et D. Morleghem, UMR 7324 CITERES-LAT, 2018.
Fig. 8 – Vue aérienne des terrasses occidentales depuis le sud à l’issue de la campagne 2017.

Cliché UMR 7324 CITERES-LAT, 2017.
3.2. État actuel du site
10Le visiteur qui se rend aujourd’hui sur les terrasses occidentales de Marmoutier suit presque pas à pas le parcours des experts ayant réalisé l’estimation du monastère le 7 décembre 1797 (Chevalier 1874-1875 : t. II, p. 627-628 ; Source T). Les principales transformations opérées depuis consistent dans la construction des rampes occidentales et la restauration, dans un style néo-roman, de la chapelle des Sept-Dormants et des cavités de la première terrasse, comme des grottes de Saint-Patrick et de Saint-Léobard sur la deuxième terrasse.
11On accède à la première terrasse, amputée depuis 1747 d’environ la moitié de sa surface, en passant devant la tour des Cloches. Au pied de celle-ci et adossés au rocher sont conservés les vestiges d’une abside semi-circulaire en petit appareil (M.6007), que l’on peut attribuer à l’oratoire alto-médiéval dédié à Notre-Dame attesté par quelques creusements dans le roc et une charte du milieu du milieu du 9e siècle. On passe ensuite devant la façade néo-romane en tuffeau blanc (M.6001) de la chapelle restaurée par les Sœurs en 1881, qui clôt ce qu’il restait alors de la partie troglodytique du sanctuaire dédié aux Sept-Dormants. À ses pieds se trouvaient quelques tombes rupestres, encore visibles avant le début des fouilles et comblées à l’issue de nos investigations dans un souci de préservation. Un espace quadrangulaire d’environ 54 m2 correspondait à une partie de la nef de la chapelle romane ; au nord, une galerie creusée dans le roc et délimitée par une maçonnerie percée de trois arches (M.6003) peut être considérée comme un collatéral et dessert, à l’est, la partie troglodytique de la chapelle et à l’ouest plusieurs cavités. Elles furent partiellement détruites après l’effondrement de 1747 et largement reconstruites en pierre et béton dans la seconde moitié du 19e siècle ; à l’ouest, un escalier construit par les Sœurs permet d’accéder à la terrasse suivante.
12La deuxième terrasse se développe sur environ 50 m de longueur d’ouest en est et 7 m de largeur du nord au sud. À l’est, la tour des Cloches et un haut mur en moyen appareil soutenant le coteau (M.6013) correspondent aux rares vestiges maçonnés du 11e siècle conservés dans cette partie de l’abbaye. Au débouché de l’escalier de la première terrasse, une façade en briques et tuffeau jaune de style néo-byzantin (M.6014) ferme la grotte de Saint-Léobard, une cavité d’origine médiévale en forme de U, qui a été restaurée par les Sœurs (dallage, ornementation, autel). En continuant à l’ouest s’ouvre dans le sol un escalier, également réalisé par les Sœurs, menant à l’intérieur d’une petite cavité, appelée la grotte de Saint-Patrick, elle aussi certainement médiévale et à laquelle on accédait originellement depuis le sud. À l’extrémité ouest de la terrasse, deux maçonneries perpendiculaires en moyen appareil de tuffeau blanc (M.6015 et M.6017) appartiennent sans doute à un bâtiment de l’époque Moderne.
13En poursuivant à l’ouest, après avoir passé un petit portail, on trouve les rampes permettant de monter directement de l’entrée du site jusqu’aux troisième et quatrième terrasses. La troisième terrasse est également la plus occidentale : elle prend la forme d’une cour d’environ 12 m de diamètre autour de laquelle s’ouvrent plusieurs espaces troglodytiques (une habitation et plusieurs petites dépendances). La quatrième terrasse est accessible depuis un escalier maçonné : elle mesure un peu moins de 11 m de côté et ne conserve comme seuls vestiges que ceux d’un mur en petit appareil (M.6024/6036) et d’un escalier taillé dans le roc. Au-dessus se trouve une autre petite terrasse tandis qu’à l’est un chemin en pente mène jusqu’au sommet de la tour des Cloches et sur le plateau de Rougemont.
3.3. Des sources matérielles lacunaires par nature
14La position à flanc de coteau et le caractère semi-rupestre voire complètement troglodytique de la majorité de ces constructions et aménagements font des terrasses occidentales de l’abbaye un site archéologique particulier tant en termes de gestion de l’espace, de techniques de construction et de stratification, qu’en ce qui concerne sa conservation.
15L’aménagement des terrasses s’est fait davantage par enlèvement de matière que par l’édification de murs ou de bâtiments entiers. Ces derniers peuvent constituer un simple complément aux espaces souterrains, pour fermer une cavité par exemple (oratoire alto-médiéval, grotte de Saint-Léobard). C’était une nécessité dans le cadre d’un projet architectural ne pouvant être que partiellement excavé (chapelles romane et contemporaines), ou un choix, en particulier à l’époque Moderne et dans un cadre domestique (maison du prieur des Sept-Dormants), en lien sans doute avec une détérioration de l’image du troglodytisme perçu au fil des siècles comme moins confortable et/ou moins ostentatoire.
16L’étagement en plusieurs terrasses constitue une autre particularité du site, tant en termes d’implantation des bâtiments que de circulation entre les espaces. La chapelle Notre-Dame-des-Sept-Dormants, notamment, était érigée à cheval sur les première et deuxième terrasses et englobait une partie du rocher. Pour l’édifier, il a fallu réaliser un important nivellement du rocher et adapter la structure maçonnée à la topographie (type de fondation, hauteur et contrefortement des murs).
17La compréhension des espaces souterrains et des structures rupestres (trous de poteau ou d’encastrement, fosses, niches, simples ressauts, etc.) se heurte à plusieurs contraintes qui résultent de la manière même dont ils ont été réalisés. Il faut d’abord rappeler que la création d’espaces souterrains ne laisse aucun autre témoin que le creusement lui-même, les déblais étant évacués afin de ne pas obstruer les lieux. La stratification y est limitée, que l’on considère le faible apport de matériau, l’usure importante des sols due au piétinement ou encore le nettoyage ou le curage des espaces, réalisé de manière régulière ou à l’occasion d’un agrandissement. Ainsi, si la construction ou l’agrandissement d’un bâtiment peuvent habituellement être perçus à travers la démolition de murs ou de sols préexistants, le creusement d’une tranchée de fondation et la maçonnerie elle-même (qui peut n’être que partiellement conservée), les choses sont plus complexes en milieu souterrain où les témoins de cette construction ou de cet agrandissement se limitent le plus souvent à de légers ressauts (1 ou 2 cm parfois) et à une organisation différente des traces d’outils au sol, sur les parois et/ou au plafond. En l’absence de recoupement ou de recouvrement stratigraphique, il est par ailleurs très difficile de mettre en relation les aménagements du site, de caractériser certains aménagements, d’établir un phasage et, partant, de restituer les usages et fonctions des différents espaces au cours du temps. À cela s’ajoute la disparition du dernier état de la stratification causé par l’effondrement de la première terrasse en 1747, la démolition des ruines de la chapelle en 1786 et les fouilles opérées par les Sœurs dans la seconde moitié du 19e siècle.
3.4. Quelques sources iconographiques modernes et contemporaines
18À partir du milieu du 17e siècle, une demi-douzaine de documents iconographiques permet d’appréhender le prieuré et la chapelle des Dormants à trois moments-clefs de leur histoire. Le potentiel informatif de chaque œuvre dépend de son contexte de réalisation (in situ ou de mémoire, représentation de l’existant ou d’un projet), du point de vue et de la technique de l’artiste. Sans mener une description détaillée, chaque document étant mobilisé au long des chapitres qui suivent, il a semblé important de présenter dès maintenant la teneur principale de chacun.
19Le document le plus ancien correspond à un dessin du peintre néerlandais Lambert Doomer, daté de 1646, qui représente l’intérieur de la « grotte des Sept-Dormants » (Bibliothèque de l’université de Leiden, PK-T-192 ; Buij et Stins 2008 : 164-165) ; il s’agit de l’unique représentation de l’intérieur de la chapelle Notre-Dame-des-Sept-Dormants (Fig. 9). L’allure générale de la scène rend certainement bien compte de l’ambiance de la partie souterraine de la chapelle, mais la disposition et la typologie des tombeaux ne correspondent pas du tout à d’autres descriptions des 17e et 18e siècles.
Fig. 9 – Cave of the seven sleepers, Marmoutier Abbey, dessin de Lambert Doomer.

Bibliothèque de l’université de Leiden, PK-T-192 ; 1646.
20Deux vues générales de l’abbaye datant de la seconde moitié du 17e siècle montrent les terrasses occidentales. L’analyse de ces deux vues se heurte d’une part aux libertés prises par les artistes pour représenter les terrasses et les bâtiments (topographie simplifiée et échelle des bâtiments non respectée notamment), d’autre part aux divergences qui existent entre elles. La vue cavalière du Monasticon gallicanum, réalisée probablement entre 1672 et 16892, dessiné depuis le sud, figure à la fois des bâtiments existants et les projets de construction des Mauristes (Fig. 3). Sur les terrasses, deux bâtiments sont visibles : le « Sacellum 7. Dormientiú » (L) et la « Domus Domini 7. Dormientium » (5). La vue de la collection Gaignières, réalisée depuis l’est, représente quant à elle le monastère tel qu’il était en 1699 (Fig. 10). Seule la « chapelle des 7. Dormans » (14) y figure, ce qui laisse supposer que le projet de maison priorale n’a pas encore été concrétisé à la fin du 17e siècle.
Fig. 10 – L’entrée occidentale du monastère sur la Vue de Gaignières, 1699.

BnF, VA.407.
21En 1707, la tour des Cloches est frappée par la foudre (Chevalier 1874-1875 : t. II, p. 556). Il existe aux Archives Départementales d’Indre-et-Loire un relevé du clocher éventré, à la base duquel on peut observer la « couverture de la chapelle des Sept Dormants » dont le négatif est conservé sur le mur occidental de la tour des Cloches (Fig. 11 ; Marmoutier 2016 : 80‑82).
Fig. 11 – Relevé de la tour des Cloches après le coup de foudre de 1707, figurant en B la « couverture de la chapelle des Sept Dormants » et le rocher.

ADIL-H.229 ; 1707.
22Le plan de l’abbaye réalisé en 1749 par H. Cassas (Fig. 12), deux ans après l’effondrement d’une partie du rocher qui a entraîné dans sa chute une grande partie de la chapelle, représente de manière très schématique les terrasses occidentales. Son intérêt tient dans les éléments représentés ou non : on y remarque notamment l’absence de bâtiment(s) à l’ouest en haut du coteau, au-dessus de la maison du portier.
Fig. 12a – Plan de l’abbaye de Marmoutier réalisé en 1749 par H. Cassas.

Document disparu, publié dans Mercier 1930.
Fig. 12b – Extrait du plan de l’abbaye réalisé en 1749 par H. Cassas.

a) la maison du Portier ; b) une tourelle située à l’est de sa cour ; c) des entrées de cavités (carrières, grotte de Saint-Patrick sans doute) ; d) la chapelle Notre-Dame-des-Sept-Dormants ; e) la tour des Cloches.
23Les ruines de la chapelle des Sept-Dormants ont été dessinées par L.-F. Cassas, fils du précédent, lors de son passage à Marmoutier en 1776 (Fig. 13). Il s’agit de la représentation la plus réaliste et détaillée des terrasses occidentales de Marmoutier entre l’effondrement de 1747 et les restaurations des Sœurs un siècle plus tard. À l’ouest, on remarque l’absence des rampes d’accès et de bâtiments au sommet des troisième et quatrième terrasses où sont seulement représentés un tronçon d’enceinte (d’après le crénelage du mur) et une tour circulaire ou polygonale (tour d’enceinte, tourelle).
Fig. 13 – Dessin des ruines des terrasses occidentales de Marmoutier par L.-F. Cassas, 1776.

© Musée des Beaux-Arts de Tours, D. Couineau.
24Enfin, en 1821, J.-J. Delusse dessine la partie occidentale du coteau de Marmoutier, depuis la porte Sainte-Radegonde jusqu’au Repos de Saint-Martin, sous le titre « les restes ruinés de l’ancienne abbaye des bénédictins de Marmoutier » (Fig. 14). Le dessin est fantaisiste tant par ses proportions que par le style architectural des bâtiments, mais il s’agit, avec le cadastre « napoléonien » (1811), de l’une des premières représentations des rampes occidentales qui mènent de l’entrée de l’abbaye jusqu’au plateau de Rougemont.
Fig. 14 – « Restes ruinés de l’ancienne abbaye des bénédictins de Marmoutier » par J.-J. Delusse, 1821.

Musée de la marine de Loire, Châteauneuf-sur-Loire, Loiret, M 2781 A 67.
3.5. Des sources écrites médiévales et modernes peu nombreuses
25Les sources écrites, elles aussi peu nombreuses, sont de natures diverses (actes capitulaires, bulle pontificale, chroniques, Vitae, états du prieuré, pièces comptables, récits de voyage, procès-verbaux). Elles apportent des informations variées, le plus souvent laconiques (notamment chez dom Martène), lacunaires ou redondantes (l’état et les revenus du prieuré notamment), qu’il s’agisse du nom de certains prieurs, des dimensions de la chapelle, des travaux qui y ont été opérés aux 17e et 18e siècles, ou encore de la composition du prieuré (état de 1669) ou des terrasses (adjudication de 1797)3. D’un point de vue chronologique, il n’existe qu’une mention de l’oratoire alto-médiéval (charte de 846), les premières mentions du culte des Sept-Dormants à Marmoutier remontant au milieu du 12e siècle, tandis que les archives relatives à la chapelle et au prieuré des Sept-Dormants ne sont pas antérieures au milieu du 15e siècle.
26Les principaux faits concernant l’oratoire, la chapelle et le prieuré sont consignés dans L’Histoire de Marmoutier par dom Martène (Chevalier 1874-1875) ; pour la rédiger celui-ci a pu s’appuyer sur les nombreux documents disponibles dans le chartrier de l’abbaye et sur ses propres observations. Dom Abrassart, dernier secrétaire de l’abbaye (1785-1789), a ajouté à l’œuvre de Martène, arrêtée en 1708, de nombreuses notes infrapaginales qui permettent de suivre l’évolution du monastère au cours du 18e siècle. Casimir Chevalier ajoute encore lors de l’édition de cette Histoire ses propres notes et diverses annexes documentant entre autres le devenir du monastère après la Révolution. Une partie seulement de ces archives nous est parvenue4, conservée aux Archives Départementales d’Indre-et-Loire, en particulier dans un dossier intitulé « Prieuré des Sept-Dormants » (ADIL-H327). Certaines pièces ont été éditées in extenso, plusieurs chroniques médiévales ou modernes (Salmon 1854) mais aussi le procès-verbal d’ouverture des tombeaux en 1769 (Grandmaison 1855), ou encore celui de la visite des terrasses en 1797 (Chevalier 1874-1875 : t. II, p. 627-628). L’étude des pièces conservées aux Archives départementales d’Indre-et-Loire, dont le contenu était souvent évoqué en une courte phrase par dom Martène, a notamment permis de compléter la liste des prieurs, de préciser les dimensions et l’architecture de la chapelle, mais aussi de mieux connaître les possessions et les revenus du prieuré. Dans sa notice sur la chapelle (1881), le chanoine Poüan ne fait que reprendre l’ouvrage de dom Martène et, citant le Catalogue raisonné des manuscrits provenant de la bibliothèque de la ci-devant abbaye de Marmoutier… de Jean-Louis Chalmel5, ajoute deux informations inédites concernant des travaux effectués dans la chapelle dans la seconde moitié du 15e siècle et la première moitié du siècle suivant. Enfin, dans son étude sur les prieurés de Marmoutier (1910), dom Rabory nous donne une mention supplémentaire, en 1601, du prieur Bertrand Viette dont le nom est cité une dernière fois en 1649.
27Cet ouvrage s’organise en quatre chapitres correspondant aux grandes périodes et aux différentes échelles de l’aménagement du coteau occidental de l’abbaye. Le premier présente la petite nécropole rupestre installée sur le coteau, non loin de la retraite martinienne, au tout début du haut Moyen Âge, puis l’oratoire à vocation funéraire qui lui succède et ses transformations au cours de la période. Le deuxième chapitre, plus long et mieux documenté – malgré des sources peu nombreuses et lacunaires –, s’intéresse au développement dans le courant du 12e siècle du culte des Sept-Dormants et à la chapelle associée construite à la même période et qui fit l’objet de plusieurs campagnes de restauration et d’embellissement jusqu’à sa destruction au milieu du 18e siècle. Le troisième chapitre récapitule nos connaissances sur le prieuré des Sept-Dormants établi à une date inconnue à l’intérieur de l’enclos abbatial. Le quatrième et dernier chapitre évoque le devenir du site après la suppression du prieuré et la destruction de la chapelle, avec comme point d’orgue les restaurations conduites par les Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus dans la seconde moitié du 19e siècle. En fin d’ouvrage, on trouvera un plan général détaillé des terrasses occidentales de Marmoutier et un corpus de preuves constitué d’un tableau chronologique des événements marquants de l’histoire et de l’aménagement du coteau occidental de l’abbaye, d’une présentation synthétique des tombes rupestres et des données anthropologiques associées, et enfin des transcriptions des principales sources écrites relatives à l’oratoire Notre-Dame, ainsi qu’à la chapelle et au prieuré Notre-Dame-des-Sept-Dormants.
Notes de bas de page
1Voir également le plan hors texte en fin d’ouvrage sur lequel sont reportés les noms et numéros des différentes terrasses et cavités, ainsi que les nos de murs cités dans le texte. Nous invitons le lecteur à le déployer au cours de sa lecture et, en complément, à revenir autant que nécessaire aux figures 7 et 8 qui proposent pour la première une restitution planimétrique et 3D du prieuré à l’époque Moderne, pour la seconde une vue aérienne des première et deuxième terrasses.
2Pierre-Marie Sallé, qui a travaillé sur la formation du Monasticon Gallicanum dans le cadre du projet Emergence(s) « Le Paris bénédictin du xviie siècle, carrefour de l’Europe savante » (dir. J. Delmulle, IRHT), propose de dater sa réalisation entre 1672 et 1689, d’après la chronologie des cinq manuscrits où figure la vue de Marmoutier et en particulier sa présence dans le manuscrit latin 11821 (2e vol. , pl. 124) du département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (Sallé 2022 : 315).
3Vingt d’entre elles sont transcrites et parfois traduites dans le corpus de preuves.
4L’incendie de la bibliothèque municipale de Tours en 1940 a fait disparaître un certain nombre d’archives et de manuscrits concernant Marmoutier.
5Bibl. mun. Tours, ms. 1478, 1807, 279 p. ; détruit lors de l’incendie de la bibliothèque de Tours en 1940.

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Marie-Pierre Chambon, Sylvie Crogiez-Pétrequin, Alain Ferdière et al. (dir.)
2022
Rencontre autour des typo-chronologies des tombes à inhumation
Actes de la 11e Rencontre du Gaaf du 3 au 5 juin 2019 à Tours
Philippe Blanchard, Jean-Philippe Chimier, Matthieu Gaultier et al. (dir.)
2022
Le prieuré Saint-Cosme près de Tours (La Riche, Indre-et-Loire)
Histoire et archéologie d’un monastère satellite de Saint-Martin de Tours
Bruno Dufaÿ
2022
L’eau dans les villes d’Europe au Moyen Âge (IVe-XVe siècle) : un vecteur de transformation de l’espace urbain
Actes du colloque, université de Tours, 21-23 octobre 2021
Élisabeth Lorans, Thomas Pouyet et Gaël Simon (dir.)
2023
Se vêtir au premier Moyen Âge
Actes des 41es Journées internationales de l’AFAM. Chartres (Eure-et-Loir) – 29 septembre au 2 octobre 2021. Vol. 1
Bruno Bazin, François Capron, Alexis Corrochano et al. (dir.)
2024
L’archéologie des ve-xiie siècles en région Centre-Val de Loire
Actes des 41es Journées internationales de l’AFAM. Chartres (Eure-et-Loir) – 29 septembre au 2 octobre 2021. Vol. 2
Bruno Bazin, François Capron, Alexis Corrochano et al. (dir.)
2024
Marmoutier (Tours). De l’oratoire Notre-Dame au prieuré des Sept-Dormants
Recherches sur Tours volume 13
Daniel Morleghem, Élisabeth Lorans et Jean-Hervé Foulon
2024