Modes de construction durant l’Antiquité tardive à Bourges (Cher) au travers des trajectoires comparées de deux établissements agricoles récemment fouillés
Construction methods during Late Antiquity in Bourges (Cher) through the comparative trajectories of two recently excavated agricultural settlements
p. 31-48
Résumés
Les opérations d’archéologie préventive récentes ont permis d’explorer quasi in extenso deux villae de la proche campagne de Bourges : celle des “Boubards” (Saint-Germain-du-Puy ; fouilles Archeodunum et Service d’archéologie préventive de Bourges Plus) et celle de “l’Angoulaire” (La Chapelle-Saint-Ursin, fouille Bourges Plus). Si les deux possèdent une forme architecturale et une superficie comparables durant l’époque antique (villa de taille moyenne), leurs trajectoires durant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge diffèrent : la première est abandonnée sous sa forme antique durant le iiie s. et s’organise vraisemblablement en habitat groupé avec des bâtiments sur poteaux aux ive-début ve s. ; la seconde perdure sous sa forme domaniale au moins jusque dans la première moitié du vie s., en réinvestissant les bâtiments maçonnés antérieurs. En revanche, toutes deux adoptent de nouveau la construction en pierre à partir de la fin du vie s. ou du viie s., avec l’apparition de bâtiments sur solins.
Ces deux sites, et les quelques occurrences recensées localement parmi les autres établissements agricoles, ont ici été pris en exemple pour discuter de la continuité ou des ruptures dans les modes de construction en vigueur à et autour de Bourges durant l’Antiquité tardive, en lien direct avec la forme et le statut de leur habitat.
Recent preventive archaeology operations have made it possible to explore almost all of two villae in the nearby countryside of Bourges: that of “les Boubards” (Saint-Germain-du-Puy; Archeodunum excavations and Bourges Plus preventive archaeology service) and that of “l’Angoulaire” (La Chapelle-Saint-Ursin, Bourges Plus excavation). Although both had a comparable architectural form and surface area in ancient times (medium-sized villa), their trajectories in Late Antiquity and the High Middle Ages differed: the first was abandoned in its ancient form during the 3rd century and was probably organised as a grouped settlement with buildings on posts in the 4th-early 5th centuries; the second continued in its state-owned form at least until the first half of the 6th century, by reinvesting the earlier masonry buildings. On the other hand, they both adopted stone construction again from the end of the 6th or 7th century, with the appearance of buildings on flashing.
These two sites, and the few occurrences recorded locally among the other agricultural settlements, have been taken here as examples to discuss the continuity or breaks in the construction methods in force in and around Bourges during Late Antiquity, in direct relation to the form and status of their habitat.
Entrées d’index
Mots-clés : Antiquité tardive, Bourges, habitat rural, construction en dur, construction sur poteaux
Keywords : Late Antiquity, Bourges, rural housing, solid construction, construction on posts
Texte intégral
Introduction
1La question des modes de construction à Bourges durant l’Antiquité tardive aurait dû prendre la ville comme entrée analytique.
2Les données y sont malheureusement extrêmement rares, voire inexistantes : il est ainsi écrit dans le DEPAVF de Bourges, qui appuie sa synthèse sur un dépouillement arrêté en 1994, que, “aucune création de cette période de déclin n’est attestée” (Troadec 1996 : 31). Pour autant, il est dit que “si la ville d’alors est définie archéologiquement par absence, il paraît pourtant excessif d’en brosser un tableau apocalyptique”. Dans d’autres cas, c’est la réalité même de l’occupation postérieure au ive s. qui est remise en cause, les indices supposés d’une réoccupation n’étant alors envisagés qu’avec les constructions en pierre des xie-xiie s. (entre autres pour la fouille de l’îlot Victor Hugo : Ruffier et Troadec 19851). Ces constats d’absence, réalisés suite à des opérations de sauvetage d’urgence avec des conditions d’intervention souvent très difficiles, posent la question de la matérialité des modes de construction à cette période tardive et reflètent les difficultés d’identification et de caractérisation des vestiges en matériaux périssables.
3En ce sens, quelques nuances auraient dû être apportées. Ainsi, sur la fouille du “haut de la rue Moyenne”, des îlots urbains auraient perduré jusque dans l’Antiquité tardive, sans que l’on sache s’il y a une reconstruction ou des réfections tardives (Ruffier et Troadec 1987) ; sur celle de la rue des “Trois Maillets”, les explorations de Pierre Bailly reprises par Olivier Ruffier ont montré l’existence d’un bâtiment côté interne du castrum, recoupant les tranchées de fondation du rempart, et possédant dans ses propres tranchées de fondation, deux solidii des années 360-370 (Bailly 1980 ; Ruffier 1982). Enfin, dans bien des cas, on ne mentionne pas de terres noires et l’on n’envisage donc pas une autre forme d’architecture, désormais non plus minérale mais périssable et faite de matériaux légers (Fondrillon 2009).
4Ces maigres informations sont aussi et surtout la conséquence du peu d’interventions archéologiques en milieu urbain à l’intérieur du castrum depuis plusieurs décennies : avouons-le, la ville de l’Antiquité tardive nous échappe et est plus connue par ses franges et ses nécropoles que par son cœur urbain.
5Les fouilles les plus récentes sur ces portions exclues de l’enceinte tardive2 n’ont pas plus livré de bâtiments de cette période et correspondent à chaque fois à des espaces résidentiels occupés par de grandes domus, abandonnées au iiie s. et récupérées à partir de la fin du iiie et au ive s. Sur la ZAC Avaricum, on ne compte qu’un très hypothétique et lacunaire bâtiment sur poteaux avec foyer, perçant les derniers niveaux antiques et datés par une monnaie du ive s., une datation radiocarbone et la présence de céramique à engobe rouge brossé de la première moitié du iv e s. (Fondrillon et Marot 2013).
6Mais, puisque la ville ne doit pas seulement s’entendre à ce qui est limité par l’enceinte du ive s., à sa topographie chrétienne qui se met en place à partir du ve s. (Troadec 1996 : 33-34 ; Prévot et Barral i Altet 1989 : 16-19) ou à ses nécropoles périphériques, puisqu’elle peut aussi s’appréhender indirectement par le réseau d’établissements agricoles qui l’alimente, il est possible, pour cette question architecturale comme pour d’autres, de se déplacer dans la proche campagne de Bourges-Avaricum où les données sont plus nombreuses, même si, évidemment, inégales.
7On le sait par la synthèse de Cristina Gandini (2008), ce réseau est dense, existant depuis le Hallstatt final ou La Tène ancienne et est alors en pleine mutation, avec de nombreuses villae qui semblent disparaître selon un processus long, amorcé au milieu du iiie s. et achevé au ive s. (Fig. 1).
Fig. 1 – Réseau d’établissements antiques de la proche campagne de Bourges-Avaricum durant le Haut et le Bas-Empire (qualité informative et hiérarchisation selon Gandini 2008, actualisées par les recherches archéologiques préventives récentes).

Cartographie, DAO : X. Rolland, E. Marot, Bourges Plus.
1. Réseau d’établissements agricoles autour de Bourges
8La connaissance du réseau d’établissements agricoles autour de Bourges a été récemment renouvelée grâce à de nombreuses opérations d’archéologie préventive : outre celles déjà ancienne du “Noir-à-Beurat” (Bourges ; Barbé et Mairesse 1988 ; Ferdière 1981) ou de la RN 151 (“le Subdray” ; Fournier 1998), citons celle des “Coupances” (Saint-Doulchard ; Troadec, Germinet et Salin 2012), des “Boubards” (Saint-Germain-du-Puy ; Marot 2015 ; Segard 2012 ; Marot et al. 2015), de “Port Sec Nord” (Bourges ; Rouquet et Troadec 2015) et de “l’Angoulaire” (La Chapelle-Saint-Ursin ; Marot 2017) ; à l’inverse, la très grande villa de “Lazenay” (Bourges) est malheureusement peu documentée (entre autres Holmgren 2013 ; Ferdière et Marot à paraître), et celle de “Vouzay” (Bourges ; Durand 2015) n’a été que très partiellement explorée. Au moins cinq établissements, de taille moyenne, ont été fouillés intégralement ou quasi intégralement (Fig. 2), ce qui est une condition sine qua non pour appréhender les phénomènes de rupture ou de continuité d’occupation : en effet, il est fréquent que l’occupation s’y déplace durant l’Antiquité tardive soit dans l’emprise (généralement vers la pars rustica) soit à proximité de l’ancien établissement antique, excluant les parties anciennement bâties et privilégiant les espaces ouverts (Van Ossel 1997 : 97-98).
Fig. 2 – Comparaison de plan de villa moyenne de la proche campagne de Bourges.

DAO : E. Marot, Bourges Plus.
9Les trajectoires de ces établissements agricoles ne sont pas univoques :
quelques rares villae sont maintenues, a priori sous leur forme domaniale, du moins architecturale à la romaine (entre autres avec la double partition pars urbana/pars rustica), ce qui semble le cas de la villa de “l’Angoulaire” et peut-être de celle de “Lazenay” ;
la majorité des établissements agricoles périclitent (“Port Sec Nord”, “Coupances”…) ;
d’autres disparaissent sous leur forme classique et sont remplacés par un habitat groupé (Les Boubards) ;
certains s’effacent et, après un long temps de rupture, sont prolongés par une nouvelle forme d’occupation à l’époque mérovingienne (“Noir-à-Beurat”).
10Dans le cas d’une continuité d’occupation durant l’Antiquité tardive, la forme adoptée par les bâtiments peut alors être interrogée pour déterminer s’il existe une morphologie commune des bâtiments pour ces établissements et si ces derniers traduisent une fonction singulière et/ou un statut particulier.
2. “Les Boubards”, “l’Angoulaire” : deux trajectoires, deux réponses architecturales
11Parmi les établissements récemment fouillés, deux l’ont été quasi intégralement, et leur exploration a révélé la présence de bâtiments de l’Antiquité tardive. Tous deux sont globalement comparables par leur plan à deux cours alignées et par leur importance, somme toute modeste. En revanche, leur devenir durant l’Antiquité tardive montre deux trajectoires distinctes qui s’illustrent par des réponses architecturales différentes.
2.1. “Les Boubards”, Saint-Germain-du-Puy
12La villa des “Boubards” (Saint-Germain-du-Puy) est située sur la berge nord de la modeste rivière du Langis. Elle a été fouillée en deux temps, par la société Archeodunum en 2011 (pars urbana ; Segard 2012) et par le service d’archéologie préventive de Bourges Plus en 2013/2014 (pars rustica ; Marot 2015).
2.1.1. Chronologie
13Probablement construite durant la seconde moitié du ier s. ap. J.-C., la villa des “Boubards” succède à une ferme de La Tène finale abandonnée dans les premières décennies du ier s. ap. J.-C., puis à un enclos palissadé du ier s.
14Vers la fin du iie s. et la première moitié du iiie s., la villa atteint alors certainement son apogée, peut-être avec une extension plus à l’ouest. Mais, même sous cette forme, la villa des “Boubards” s’apparente à un type classique et à un établissement modeste, dont les activités économiques ne sont pas ou que peu connues, compte tenu de l’arasement important de la partie d’exploitation.
15La destruction de la villa durant le iiie s. (probablement durant la seconde moitié) n’est pas suivie d’un abandon total et définitif des lieux. Que ce soit par des travaux de récupération de matériaux dans la pars urbana, par la présence de foyers tardifs dans l’un des bâtiments, par un “bruit de fond” de mobilier du ive s. (céramiques et nombreuses monnaies3), par quelques fosses, par un radier formant une aire de circulation, et surtout par plusieurs bâtiments encore en élévation (Fig. 3), les lieux sont clairement réoccupés.
Fig. 3 – Site de Saint-Germain-du-Puy “les Boubards” : vestiges du ive-début ve s.

Cartographie, DAO : X. Rolland, E. Marot [Bourges Plus], d’après Segard 2012 : Fig. 13a et 13b pour l’opération Archeodunum.
16Après une phase mal documentée (seconde moitié ve-vie s.), le site est de nouveau massivement occupé par un hameau regroupant des bâtiments sur solins de pierre (fin vie/début viie s.-milieu viiie s.) en lien avec une zone funéraire à distance (Carron 2012). Une autre rupture intervient vers le milieu du viiie s. puisque le hameau est abandonné au profit d’une ferme à enclos palissadé, elle-même délaissée au plus tard au xe s.
2.1.2. État du ive-début ve s.
17La forme de l’occupation des lieux durant le ive s. et le début du ve s. se structure autour de bâtiments sur poteaux de même orientation, d’un probable bâtiment maçonné et de fossés palissadés.
– Bâtiment à architecture mixte
• Structure 2015
18Au cœur de l’ancienne pars rustica, plusieurs lambeaux de tranchées comblées de matériaux de destruction, englobant un semis de fosses très charbonneuses et de trous de poteau ont été interprétés comme les vestiges d’un bâtiment maçonné occupé au Bas-Empire et abandonné à la fin de cette période (St 2015 ; Fig. 4).
Fig. 4 – Site de Saint-Germain-du-Puy “les Boubards” : bâtiment St 2015, sols, fosses et trous de poteau associés.

DAO : E. Marot, D. Germinet, Bourges Plus.
19Le plan de l’édifice est lacunaire mais les tronçons de tranchées F 2092/F 2074 (EO ; 20,5 m de longueur) et leur pendant perpendiculaire F 2073/F 2076 (NS ; 14,5 m de longueur), remplis d’éléments de démolition triés, sont interprétés comme des tranchées de récupération et doivent donc évoquer les murs fantômes d’une structure maçonnée. Compte tenu des largeurs de tranchées reconnues et en se fiant aux modules les plus étroits (F 2074), ces maçonneries devaient faire 0,40 à 0,50 m de large. Les murs ne constituent probablement que des soubassements pour des élévations en matériaux légers (architecture mixte).
20Ce bâtiment fantôme est aussi restituable grâce aux lambeaux de sol conservé (séquence d’occupation et de démolition brutale) et aux structures en creux contenues exclusivement dans l’emprise des murs évoqués. On rattache à ce même ensemble, plusieurs fosses à fond légèrement rubéfié et des trous de poteau qui sont comblés par un sédiment limoneux similaire, par son aspect et sa composante charbonneuse aux niveaux de démolition précédents. Le comblement des fosses n’a révélé aucune battiture et très peu de graines carbonisées (très faible quantité de blé, de graminées, de cresson de fontaine, de brunelle commune, de bugle petit-pin, d’arroche), ce qui renvoie alors à de simples rejets de foyers domestiques.
21Les datations de la céramique et des monnaies convergent pour situer l’occupation et la démolition par incendie de ce bâtiment durant la seconde moitié du iv e et le début du ve s. ap. J.-C., sa récupération étant mal calée (ve s. ?).
22Quant à la fonction de cet unique bâtiment maçonné du Bas-Empire (a priori non existant auparavant), le seul usage artisanal est à exclure, qu’il soit lié à la métallurgie ou au stockage/traitement des céréales. Les outils rejetés (ou déposés) dans les tranchées de récupération se rattachent à différents travaux non spécifiques (travail de la terre, du bois et du métal) qui ont dû constituer l’outillage diversifié des occupants, probablement plus pour des activités relevant de l’économie domaniale. De même, les quelques rejets de découpe (plomb, alliage cuivreux), traduisent plus une activité annexe de récupération.
23Le bâtiment apparaît donc comme une structure mixte, probablement partitionnée et où se retrouvent toutes les activités du quotidien (domestique, outillage de base et petit artisanat).
– Bâtiments sur poteaux
24Plusieurs bâtiments sur poteaux porteurs (Bât 17 et 19, St 2004/2005, 2008 et 2011), de même orientation, investissent l’ancienne pars rustica : en comparant les plans de différents bâtiments (Fig. 5), issus des “Boubards”4, il en ressort une régularité d’un module rectangulaire à une nef, comprenant 8 à 12 poteaux, avec des largeurs de bâtiments comprises entre 3,6 et 4,5 m et des largeurs de travées oscillant entre 2,7 et 3,5 m. La surface ainsi délimitée varie peu, entre 40 et 56 m2. Aucun aménagement interne (foyer, cloison) ou périphérique (négatif de parois rejetées) n’a été observé, ce qu’il faut principalement imputer à l’érosion du terrain. En revanche, un appentis pourrait avoir existé sur le pignon oriental de St 2004/2005 (par ailleurs, objet de nombreuses reprises de consolidation), et une fosse-dépotoir prend place à l’est de St 2008.
Fig. 5 – Site de Saint-Germain-du-Puy “les Boubards” : bâtiments sur poteaux St 2004/2005, 2008, 2011, bâtiment 17 et 19.

DAO : E. Marot, D. Germinet, Bourges Plus, M. Segard, Archeodunum.
25La construction des trous de poteau est sensiblement de même type pour chaque bâtiment : les creusements font généralement 0,50 et 0,70 m de diamètre à l’ouverture, le poteau (négatif entre 0,15 et 0,35 m) est calé par des cailloutis calcaires, des meules et des TCA en remploi.
26Pour ces bâtiments, on suppose classiquement une couverture à deux pans longitudinaux. Les activités pratiquées semblent se limiter à la sphère agricole (outils de travail de la terre, du bois et des métaux) et résidentielle (avec un faciès de la céramique se rattachant à la seconde moitié du ive s. tout début ve s.).
2.1.3. Nouveau système agraire, nouvelles formes d’occupation
27Pour les “Boubards”, la forme carrée définie par l’enclos laténien trouve une continuité morphologique évidente dans l’enclos palissadé avec porche de l’établissement agricole du ier s., lui-même aboutissant à la forme minéralisée de la villa de la fin du ier-iiie s. Après l’abandon de la villa, cette filiation morphologique est rompue aux ive-début ve s. avec l’émergence d’une occupation désormais en habitat groupé, majoritairement à base de bâtiments sur poteaux plantés, à l’image de l’occupation tardive de l’établissement de “la Gueule” II à Mer (Couvin 2018 : période VI, fig. 101).
28Le cas des “Boubards” rejoint alors celui des établissements du plateau de Petite Beauce agricole d’Île-de-France, où l’abandon du modèle de la villa se traduit, non comme le déclin de l’économie agraire antique, mais comme l’émergence d’un nouveau système agraire et d’une nouvelle forme d’habitat (Ouzoulias et Van Ossel 2001 : 169‑172 ; Ouzoulias 2006 : 126). Rien ici, dans l’architecture ou dans les produits consommés, n’indique un statut particulier des occupants des “Boubards” durant l’Antiquité tardive. Le nombre de monnaies tardives en présence (49 ; fin iiie-ive s.) doit surtout correspondre, non pas à un statut aisé, mais à une période de frappe monétaire plus importante, et aussi peut-être à un commerce ne se faisant plus systématiquement à destination des marchés urbains, mais également tourné vers une échelle micro-locale, à l’intérieur même de certains sites ruraux (Doyen 2014).
2.2. “L’Angoulaire”, La Chapelle Saint-Ursin
29La villa de “l’Angoulaire” est connue par prospection aérienne et pédestre depuis 1976 (Holmgren et Leday 1980 : 8). À l’exception d’une portion centrale correspondant à la jonction des deux cours (emplacement d’une ancienne station d’épuration, et zone environnante hors prescription), la partie accessible de cette villa a été fouillée intégralement. En outre, son environnement immédiat a pu être appréhendé sur une surface de 2 ha, ce qui a révélé l’insertion de l’établissement dans un parcellaire quadrangulaire constitué par quatorze grands fossés délimitant huit ou neuf parcelles. La villa est implantée en bas de vallon sur un terrain contraint par l’humidité des sols.
30La conservation des vestiges est très inégale et la pars rustica apparaît, malheureusement encore, comme la plus altérée (forte érosion des pentes, aucun sol conservé).
2.2.1. Chronologie
31Bien que de taille modeste, cette villa est d’abord remarquable par sa chronologie : elle correspond à une création ex nihilo, et est construite dès l’origine “à la romaine”, durant les premières décennies du ier s., ce qui apparaît comme très précoce pour la cité biturige où les cinq villae documentées par des fouilles n’apparaissent que durant la seconde moitié du ier s. (Gandini 2008 : 394-396).
32Comme les villae qui suivront à proximité (“les Cachons”, “le Noir-à-Beurat”, Le Subdray/ “RN151”…), elle se situe dans les terres à près d’1 km de la voie Bourges-Argentomagus et contribue au maillage dense de ce secteur. Ce dernier est ainsi structuré, non par un grand établissement de rang 1 (du type de “Lazenay” sur l’Auron, ou de “Vouzay”/ “Vauvert” sur l’Yèvre), mais par un chapelet d’établissements de rang inférieur, dont on ne sait pas s’ils sont complémentaires ou concurrentiels. Sous cette forme maçonnée, la villa de “l’Angoulaire” perdure et atteint son apogée très tardivement, dans la première moitié du vie s., sans évolution substantielle des modes de construction. Cette économie domaniale est assurément abandonnée ensuite, dans un premier temps pour un modeste hameau (avec un pôle d’habitat et un autre lié à une activité de forge), puis, dans un second temps par la disparition de l’habitat et la viabilisation des terres agricoles.
2.2.2. États ive-début ve siècle
– Pars urbana
• Bâtiment résidentiel St 1001
33Les modifications la villa durant la période du ive-début ve s. (Fig. 6), porte peu sur le bâtiment résidentiel (St 1001 ; Fig. 7) : ainsi l’état précédent est simplement complété par trois nouveaux murs de refend (M 1086, M 1049 et M 1048) qui permettent ainsi la création de deux nouveaux espaces en partie arrière du bâtiment résidentiel (espace 1001-16 et 1001-17). Les murs partagent un mode de construction semblable, et correspondent à des fondations à double parement fait de moellons équarris posés en assises avec un liant de mortier sableux jaune orangé. Ces espaces sont remblayés et devaient supporter un plancher, alors que le restant de la villa possède des sols de calcaire damé.
Fig. 6 – Site de “l’Angoulaire” : état de la villa du ive-début ve s.

Cartographie, DAO : X. Rolland, E. Marot, Bourges Plus.
Fig. 7 – Site de “l’Angoulaire” : partie résidentielle de l’état du ive-début ve s.

Cartographie, DAO : X. Rolland, E. Marot, Bourges Plus.
• Autre bâtiment de la pars urbana, St 1002
34Un autre bâtiment maçonné (St 1002 ; cf. Fig. 7) se situe alors dans l’angle nord-ouest de la clôture maçonnée de la pars urbana, à près de 9 m au nord de St 1001. Il est accolé aux murs de clôture nord et ouest de la pars urbana. Son mur pignon oriental, hors emprise de fouille, n’a pas été observé.
35Les tranchées de fondation sont étroites, peu profondes (0,40 m) à fond relativement plat et bords évasés. Le remplissage inférieur est drainant, fait de pierres non liées au mortier, sur une épaisseur de 0,30 m. Aucune assise de réglage et encore moins d’élévation n’a été observée, preuve de l’érosion ou de l’ampleur du démantèlement de ce bâtiment. Une autre maçonnerie (M 1029), est attestée à proximité de M 1027 et pourrait correspondre au seul aménagement intérieur repéré de ce bâtiment.
36Ainsi restitué, le bâtiment est long d’au moins 15 m pour 7,6 m de large (hors œuvre), pour une surface intérieure d’au moins 84 m2. À l’exception de la maçonnerie indéterminée M 1029 (Fig. 7), aucun aménagement ou partition interne n’a été observé. Pour autant, la portée entre les deux murs gouttereaux est importante, et il n’est pas improbable que des systèmes de soutènement intermédiaire (maçonneries ou plots non fondés) aient supporté le poids de la charpente et/ou d’un étage, même si aucun argument ne vient étayer cette hypothèse.
37Le plan du bâtiment, allongé et à forte capacité, rappelle ceux des bâtiments de la pars rustica, encore plus vastes (St 6001 et 6002). L’analogie la plus pertinente est à faire avec les greniers ruraux de plan rectangulaire allongé, le plus souvent munis de contreforts sur les murs gouttereaux voire pignons (Ferdière 2015 : 12-19, type 2) dont la surface est comprise entre 70 et 530 m2 (moyenne autour de 100/120 m2). À défaut d’analyse carpologique étayant cette hypothèse et en l’absence de contreforts attestés dans le plan-type, on parlera ici d’un espace de stockage – et non exclusivement d’un grenier – sans argument sur les denrées stockées.
– Pars rustica
38Durant cette période, la modification de la partie d’exploitation est notable : ainsi, on passe de la forme classique et normée des pavillons multiples alignés en vigueur durant la fin du ier-iiie s. à une optimisation de la zone de stockage par la construction de grands bâtiments dans la cour d’exploitation mais aussi résidentielle. En outre, la clôture de la pars rustica est désormais maçonnée (M 6026/M 6036). Deux grands bâtiments en dur s’y implantent (Fig. 8).
Fig. 8 – Site de “l’Angoulaire” : partie d’exploitation de l’état du ive-début ve s.

Cartographie, DAO : X. Rolland, E. Marot, Bourges Plus.
• Bâtiment St 6001
39Deux fondations (M 6001/M 6037, M 6002) et deux trous de poteau (F 6029, F 6030) constituent ce bâtiment arasé qui vient s’accoler à l’est au mur de clôture de la pars rustica. L’ensemble a été fouillé dans des conditions difficiles et l’extrémité occidentale n’est pas conservée.
40Les deux murs correspondent ainsi à des tranchées de fondation étroite, remplies de cailloutis de calcaire en vrac, non équarris et sans modules, de rares TCA et galets siliceux, avec un liant d’argile blanche. Elles sont conservées sur 0,50 m de profondeur. Les deux maçonneries ont des largeurs qui varient entre 0,8 et 1 m. Aucun ressaut de contrefort n’a été observé, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur. Les deux murs gouttereaux sont globalement parallèles et distants de 5,5 à 6 m.
41À l’intérieur de ce vaste espace (250 m2 hypothétiques si on restitue M 6001 en pendant de M 6002, avec jonction contre M 6033), seuls deux trous de poteau ont été découverts (F 6029, F 6030). Ils se situent à équidistance des murs M 6001 et M 6002 et doivent constituer un alignement central d’étais. Ils sont distants de 5 m. Les deux trous de poteau sont de profil comparable et ont des fonds de creusement à la même altitude que M 6001 et M 6002. Les fonds sont en cuvette avec des bords verticaux. Le calage est similaire, fait de cailloutis de chant et de bloc, avec un bourrage de limon-argileux.
42Par analogie avec certains bâtiments allongés de Gaule Narbonnaise, l’hypothèse d’un chai avait été avancée (Gandini 2008 : 403), ce qui n’a pas été confirmé à la fouille. Les interprétations alternatives ne sont pas plus étayées. Seule la morphologie générale du bâtiment et sa taille sont des critères tangibles. Ainsi, comme pour la St 1002 dans la pars urbana, le moins improbable reste de considérer ce vaste bâtiment comme un espace de stockage. Quant aux élévations, elles peuvent être en matériau léger, au vu des éléments de torchis conservés dans les comblements des négatifs de poteau.
43Enfin, la datation de la structure ne peut être que relative, à défaut de mobilier dans les niveaux de construction et de démolition et de l’absence de couches d’occupation. C’est donc en se fiant au mobilier des séquences stratigraphiques précédentes, que l’on situera l’édification de ce bâtiment au plus tôt vers 170-240 ap. J.-C. et plus vraisemblablement aux ive-ve s. d’après quelques lambeaux de sol et une fosse à proximité (Us 60190/60336 ; F 6032).
• Bâtiment St 6002
44Directement à 8,5 m au nord de M 6001, un bâtiment analogue à St 6001 semble se développer (cf. Fig. 8). Il s’agit encore de deux fondations : tranchée étroite, remplissage en vrac sans liant de cailloutis calcaire et blocs de calcaire avec de rares TCA. Le plan est incomplet mais la taille de l’édifice l’apparente à St 6001, toujours sans contrefort externe, donc probablement sans étage. La datation et la fonction ne peuvent que s’appuyer sur les analogies de construction et de morphologie avec St 6001.
– Parcelles environnantes
45Deux bâtiments sur poteaux plantés se retrouvent dans les parcelles proches de la villa (Fig. 9). Tous deux ont une morphologie propre globalement comparable, mais bien distincte des bâtiments contemporains des “Boubards”.
Fig. 9 – Site de “l’Angoulaire” : bâtiments sur poteaux St 1003 et 5001.

DAO : M. salin, E. Marot, Bourges Plus.
• Bâtiment St 1003
46Quinze trous de poteau/piquet sont rattachables à cet ensemble architectural situé dans une parcelle à l’ouest de la villa, à proximité d’un fossé.
47Neuf des quinze trous de poteau découverts doivent participer de l’infrastructure du bâtiment (F 1104 à F 1106, F 1108, F 1110 à F 1114). Ils sont creusés dans le substrat limoneux (forme circulaire à ovale, diamètre compris entre 0,3 et 0,45 m), ont des profils à bords rectilignes (s’ils ne sont pas érodés), des fonds plats et des modes de calage identiques. Les profondeurs conservées sont sensiblement les mêmes (entre 0,3 et 0,4 m). Les calages sont très comparables : faits de quelques éléments sur chant, ils sont composés de cailloutis calcaires, de TCA, de galets siliceux, avec un bourrage de limon argileux. Les diamètres des négatifs sont constants et indiquent des pièces de bois de 0,10 à 0,15 m de diamètre.
48Ainsi restitué, le bâtiment forme un rectangle, globalement orienté SO-NE, de 6,3 m de long pour 4 m de large, soit 23 m2 de surface (hors œuvre). La portée entre les gouttereaux est donc d’environ 4 m : on suppose une couverture à deux pans avec une panne faîtière soutenue par les poteaux F 1110 et F 1108, même si ceux-ci (pas plus que d’autres) ne présentent pas un ancrage plus profond ou mieux assuré.
49Aucun aménagement particulier ne trahit une ouverture vers l’extérieur, même si on la supposera vers l’est, donnant sur l’appentis formé par les trois poteaux (F 1103, F 1109 et F 1115). Enfin au cœur du bâtiment rectangulaire, on retrouve trois trous de poteau comparables (0,3 m de diamètre), à fond globalement plat et bords verticaux. Tous sont trop érodés ou faiblement ancrés pour que le négatif du poteau soit lisible. Tous les trois peuvent correspondre à un aménagement intérieur du bâtiment.
50Une datation radiocarbone a été effectuée sur un charbon du comblement d’abandon de F 1112 avec résidus de poteau brûlé : l’intervalle de confiance le plus probable (95,4 % de probabilité) est de 257-421 (321-421 à 83 %). Le peu de matériel recueilli n’aide pas pour la caractérisation fonctionnelle de cette structure. Compte tenu de sa position au sein d’une parcelle, de son mode de construction en matériaux légers, ou du mobilier rejeté à proximité (en particulier issu du comblement du fossé F 1127), on proposera d’y voir une annexe agricole, aux activités variées (rejets de consommation du quotidien et/ou ceux d’une préparation bouchère experte (certes avec hippophagie).
• Bâtiment St 5001
51À l’est de la villa, on restitue un bâtiment rectangulaire (St 5001), globalement orienté SO-NE, d’environ 5,4 m de long pour 4,2 m de large, soit 24,5 m2 (hors œuvre), ce qui est comparable à son pendant à l’ouest. Le bâtiment pourrait être porté par huit poteaux dont un restitué à l’angle sud-est. Les poteaux les mieux conservés ont un diamètre à l’ouverture compris entre 0,52 et 0,62 m. Les calages – souvent doublés par un bourrage de terre à l’arrière, difficilement distinguable de l’encaissant – sont bien construits en couronne (cailloutis calcaire, galets siliceux et TCA ; à plat ou sur chant), et matérialisent des négatifs de poteau d’environ 0,2 m. Les poteaux sont centrés et verticaux, ancrés d’au moins 0,4 m de profondeur.
52On restituera alors une toiture à deux pans, la faîtière pouvant s’appuyer sur les poteaux intermédiaires des petits côtés (F 5017 et F 5021 ; portée de 5,4 m). L’entraxe des poteaux des murs gouttereaux est de 2,6 m ; celui des pignons est de seulement 1,9 m. L’ouverture de ce bâtiment n’est pas localisée.
53Au sud, les trois poteaux sont distants d’1 m du gouttereau sud : ils pourraient correspondre à un auvent bordant le côté sud de St 5001, même si des disparités morphologiques rendent l’ensemble peu cohérent.
54Trois faits ne sont pas rattachés fonctionnellement (F 5020 et F 5026 : aménagements intérieurs indéterminés ; F 5024, indéterminé).
55Le peu de mobilier à disposition dans la structure permet toutefois de situer son abandon durant le ive s. ou le début du ve s. Cette datation tardive est confirmée par celle des faits environnants (sépulture F 5031, datation radiocarbone de 257-421, à 95,4 % de probabilité) ou par les rejets dans le fossé F 5002 (381-début ve s.). Ces éléments rejetés dans le fossé proche pourraient indiquer une occupation plus probable du ive s. : outre les rejets du quotidien (vaisselle en céramique et ossements animaux), le matériel à disposition contient quelques éléments pouvant se rattacher au domaine de l’artisanat (poinçons, tôle repliée en plomb, voire meule). On propose d’y voir un bâtiment d’exploitation, mixte, c’est-à-dire contenant un espace habité et une activité de production (agricole ou artisanale).
2.2.3. État du ve-milieu vie s.
56La villa perdure étonnamment sous sa forme maçonnée jusqu’au milieu du vie s. Cela s’accompagne également par de la vaisselle fine d’importation lointaine que l’on rencontre très peu dans nos régions et généralement uniquement en milieu urbain (DSP et sigillée claire africaine5, dont 32 fragments récupérés en prospection pédestre par A. Leday).
– Pars urbana
• Bâtiment résidentiel St 1001
57Durant le dernier état (Fig. 10), le bâtiment résidentiel est repris sur ses deux façades. Les modifications internes sont minimes et les pièces précédentes semblent perdurer ; les nouveaux murs (M 1095, M 1065, M 1042, M 1023) correspondent à des reprises de maçonneries. Ils remploient systématiquement des éléments récupérés (blocs de mortier, TCA) et ne sont pas liés au mortier de chaux (absence de liant, ou liant de terre ou d’argile blanche). La galerie de façade orientale est de nouveau modifiée et agrandie après comblement de la canalisation F 1102/F 1144/F 1146. Le mur précédent est détruit et un nouveau mur est installé en tranchée (M 1025 et F 1138), tout en conservant les sols précédents. M 1025 présente un blocage interne de tout-venant, ici encore chargé en éléments récupérés (nombreuses TCA, nodules de mortier ; Fig. 11). Il est également très large (0,75 m), et ne présente ici encore qu’un liant de terre. Deux murs de même type complètent ce dispositif de façade pour créer trois espaces (M 1024 et M 1099). Un troisième mur de même acabit se prolonge assurément hors de l’emprise à l’est (M 1130) ; sa fonction est inconnue (partition interne ? avancée en porche ?).
Fig. 10 – Site de “l’Angoulaire” : partie résidentielle de l’état de la seconde moitié du ve-1re moitié du vie s.

Cartographie, DAO : X. Rolland, M. Salin, E. Marot, Bourges Plus.
Fig. 11 – Site de “l’Angoulaire” : mur de la galerie de façade M 1025 du bâtiment résidentiel reconstruit durant l’état du ve-vie s.

© Service archéologique de Bourges Plus.
58Enfin un trou de poteau (F 1043) et un trou de piquet (F 1066) sont présents dans la grande pièce de St 1001 : le premier est à équidistance entre M 1018 et M 1040, bien construit et profond, et pourrait correspondre à un aménagement interne ou un étaiement de charpente ou d’étage ; le second est décalé au nord et sa fonction est indéterminée.
59Faute de niveaux stratigraphiques propres à l’occupation de ce bâtiment (ici seulement recouvert par 0,20 à 0,30 m de terre arable), les seuls éléments de datation en lien avec cet état correspondent à la relation stratigraphique avec la canalisation antérieure (F 1102/1144/1146, mobilier attribuable aux ive s. premières décennies du ve s. dans les niveaux d’utilisation et de comblement) et à la présence de quelques tessons du four de potier St 3004 (en fonctionnement durant la première moitié du vie s.) dans le comblement de la tranchée de fondation de M 1025. Aucun mobilier plus tardif n’étant associé (décor à la molette seconde moitié vie-viie s.) et le bâtiment étant ensuite recoupé par des drains de l’époque carolingienne, on envisage une construction durant les derniers temps de cet ultime état, soit durant la première moitié du vie s. (début vie s. ?), avec une durée de vie courte.
60La surface de St 1001 atteint alors son maximum avec 463 m2 pour 15 pièces (Fig. 12). Une partie des élévations maçonnées doit être maintenue. Il est probable aussi que le recours au bois dans la construction soit plus important, ce que l’on devine par la forme des nouveaux murs – simple soubassement de sablières ? – ou par les quelques poteaux ou piquets plantés dont la fonction structurelle est inconnue.
Fig. 12 – Site de “l’Angoulaire” : vue aérienne de la villa dans son extension maximale durant l’état du ve-vie s.

© Camsky.
• Autre bâtiment de la pars urbana, St 1008
61Plus au nord, trois fondations d’un nouveau bâtiment (St 1008) ont été observées (cf. Fig. 10) : elles sont peu larges (0,45 m), en fondation étroite, à double parement de moellons de calcaire équarris, avec un appareil réglé (une seule assise conservée), un blocage de cailloutis et d’abondantes TCA en remploi. Le seul liant visible est de terre argileuse brune. Les deux murs d’axe nord-sud (M 1140 et M 1141) ne sont conservés que sur 2,3 m environ, avec un arrêt net au nord et une forte érosion au sud : aucun des deux ne fait jonction avec le lambeau M 1142 (0,95 m de long) qui leur est perpendiculaire et semble se développer plus à l’est. Aucune restitution de plan n’est possible. Aucun mobilier datant ou fonctionnellement discriminant n’est présent dans le fin niveau d’occupation associé. Le seul argument, fiable, tient aux modes de construction de cette structure et à son niveau de dérasement, totalement comparables au troisième état de la villa (et plus particulièrement de la seconde phase). En outre, stratigraphiquement, St 1008 est directement recoupé par un drain, F 1033, associé au réseau plus vaste St 1006 d’époque carolingienne. Ainsi, St 1008 est datée entre le début du ve s. et le milieu du vie s.
– Pars rustica et parcelles environnantes
62Aucune modification ne semble apportée sur les bâtiments de la pars rustica pour cette période, qui peuvent avoir perduré. En revanche, les bâtiments sur poteaux plantés des parcelles environnantes sont détruits (St 1003 et 5001).
2.2.4. Pérennisation de la forme classique : un statut particulier ?
63La longue trajectoire de cet établissement doit être vue comme la preuve de l’enracinement et le succès de cette création nouvelle. Il est probable que la famille qui s’implante sur ce territoire déjà maillé durant le premier tiers du ier s. ap. J.-C. est issue d’une élite urbaine, ici suffisamment acculturée et au fait des modes de construction more romano pour y établir un domaine pionnier, qui précède de plus d’un demi-siècle les autres villae de la cité biturige.
64Sous cette forme, la villa perdure et atteint son apogée très tardivement dans la première moitié du vie s., ce qui témoigne d’un statut particulier, également renseigné par la présence de vaisselle d’importation lointaine. Durant le ive s., la modification de la partie d’exploitation est notable, avec la construction de deux grands bâtiments. L’arasement et le peu de mobilier découvert interdisent de comprendre la fonction précise de ces grands édifices rectangulaires, le moins improbable étant d’y voir des espaces de stockage.
65Cette évolution de formes des bâtiments d’exploitation induit forcément un changement dans l’économie des lieux : y a-t-il, pour cette période, une spécialisation de la villa dans le stockage ou la redistribution de denrées ? Y a-t-il simplement un accroissement de la capacité de stockage en raison d’une demande urbaine plus forte ? Y a-t-il une sécurisation de ces biens (grains et bétail) ? Au vu de l’arasement des vestiges, on ne peut y répondre.
66On ne peut y répondre, mais on doit simplement constater que, si certaines villae périclitent à cette période, voire dès la fin du iiie s. (“Port Sec Nord”, “les Coupances” ; Troadec, Germinet et Salin 2012 ; Rouquet et Troadec 2015), et/ou abandonnent leur économie domaniale au profit d’un habitat groupé (“les Boubards” ; Marot 2015), celle de “l’Angoulaire” se maintient mais modifie en profondeur ses structures d’exploitations, preuve que la mutation qui affecte alors les campagnes de Bourges est profonde et généralisée, et que les réponses apportées sont multiples.
Conclusion
67Ces deux exemples de l’Antiquité tardive ne permettent pas de généraliser les pratiques de construction observées à l’ensemble de la proche campagne de Bourges, encore moins à l’espace urbanisé.
68On peut toutefois souligner que, si on ne peut pas observer la ville directement, la campagne de Bourges montre qu’il y a une mutation économique profonde amorcée, comme en ville6, dès le iiie s. avec différentes réponses en rupture ou en continuité (abandon, pérennité du système domanial, nouvelle forme d’exploitation). Chaque mode d’occupation prend alors une expression architecturale particulière, soit avec le maintien de la construction en pierre (à la romaine) pour les parties résidentielles, soit avec la construction en matériaux légers pour les bâtiments d’exploitation et pour l’habitat groupé (dans ce dernier cas, peut-être avec plan normalisé pour chaque fonction (Fig. 13).
Fig. 13 – Comparaison des données métrologiques des bâtiments sur poteaux de l’Antiquité tardive issus du site des “Boubards” et de “l’Angoulaire”.

69À la campagne, comme probablement en ville, la réoccupation des structures maçonnées antérieures est rare ou mal documentée, les nouvelles constructions maçonnées sont exceptionnelles et les bâtiments en matériaux périssables semblent être le lot commun : ces différences dans les modes de construction et les manières d’habiter soulèvent évidemment la question du statut et/ou du rôle de ces établissements durant l’Antiquité tardive. On ne pourra répondre à cette question qu’en ayant une approche surfacique suffisamment étendue pour apprécier les déplacements systématiques des lieux d’habitation, tels qu’ils ont pu être observés dans la région par exemple sur le plateau de Petite Beauce à Mer (établissements de “Beaudisson” et de “la Gueule” II ; Couvin 2018 : 82 et 145), et en adoptant une méthodologie de fouille adaptée à ces stratifications tardives, souvent ténues et qui peuvent s’apparenter et doivent être abordées comme les terres noires urbaines. L’effort doit donc désormais être porté sur cette parenthèse sédimentaire située entre les maçonneries antiques et les solins en pierres sèches du très haut Moyen Âge, qui marquent une nouvelle rupture à partir du milieu du vie s. dans l’occupation de la proche campagne de Bourges.
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Notes de bas de page
1Pour les autres grandes aires explorées dans le castrum, aucune mention n’est faite des découvertes post-antiques sur la fouille d’urgence de “l’enclos des Jacobins” (Goldman et Ruffier 2005), alors que sur celle de la “résidence Maxime Lebrun”, il n’est fait mention que de jardins médiévaux (Ruffier 1984).
2Sur de grandes surfaces, mentionnons la fouille du “35 rue de Sarrebourg” (Blanchard, George et Chollet 2006), de la ZAC Avaricum (Fondrillon et Marot 2013) ou plus récemment des pentes de “Séraucourt” (fouille 2016/2017, rapport en cours).
3Ce “bruit de fond” est fréquemment le seul témoin d’une occupation de l’Antiquité tardive (Durost 2011).
4Un autre bâtiment semblable pourrait exister sur la villa voisine de “Port Sec” Nord, directement sur l’autre rive du Langis (Rouquet et Troadec 2015 : 37, fig. 2-5) : il possède une nef (2 × 4 poteaux), est large de 3,9 m et long de 7,8 (30,42 m2 au sol). Sa datation tardive est, en revanche, très incertaine puisque le bâtiment serait recoupé par la construction du mur de séparation de deux cours de la villa du Haut-Empire (relation stratigraphique non assurée).
5En milieu rural, pour la région Centre-Val de Loire, un exemple de sigillée claire africaine est également connu sur le site d’Allonnes (Eure-et-Loir), “la Petite Contrée” (information Laurent Fournier).
6Les fouilles récentes effectuées sur les franges urbaines attestent une désaffection progressive de ces quartiers entamée dès le iiie s. (rue Carolus, début iiie s. Luberne 2013 ; rue d’Auron, milieu iiie s. Monnet et Chambon 1992 ; fouille des pentes de Séraucourt, milieu ou seconde moitié iiie s. rapport en cours ; Parc Saint-Paul, seconde moitié iiie s. Service d’archéologie municipal 1996). L’abandon effectif est légèrement plus tardif sur la fouille du 35, rue de Sarrebourg (fin iiie s. ; Blanchard, George et Chollet 2006).
Auteur
Musées-Patrimoine Historique de la Ville de Bourges, UMR 7324 CITERES-LAT

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