La céramique du pagus carnotenus : faciès culturels et aires d’approvisionnement de quelques sites chartrains (ve-xe s.)
Ceramics of the Pagus Carnotenus: cultural facies and supply areas of some Chartrian sites (5th-10th century)
p. 315-331
Résumés
Jusqu’à présent, la céramique du haut Moyen Âge et son évolution restaient difficiles à cerner dans le pagus carnotenus et plus précisément dans le secteur chartrain. Cette méconnaissance des céramiques chartraines pour cette période a une incidence négative sur la datation et la mise en contexte des structures ou des sites découverts en archéologie préventive. Mais bien plus, c’est tout un pan des dynamiques chartraines ou des échanges qui nous est fermé. La réalisation d’une étude typo-chronologique doublée d’une première analyse des pâtes au microscope numérique apporte un nouvel éclairage sur la céramique “chartraine” du haut Moyen Âge et permet d’esquisser si ce n’est un faciès chartrain au moins une aire d’approvisionnement et de circulation de ces céramiques.
Until now, the ceramics of the early Middle Ages and their evolution have remained difficult to identify in the pagus carnotenus and more precisely in the Chartres area. This lack of knowledge of Chartrian ceramics from this period has a negative impact on the dating and contextualisation of structures or sites discovered in preventive archaeology. But more than that, a whole area of Chartra’s dynamics or exchanges is closed to us. A typo-chronological study coupled with an initial analysis of the pastes using a digital microscope sheds new light on early medieval “Chartrian” ceramics and makes it possible to outline, if not a Chartrian facies, at least an area of supply and circulation of these ceramics.
Entrées d’index
Mots-clés : céramique, haut Moyen Âge, pagus carnotenus, Chartres
Keywords : ceramics, Early Middle Ages, pagus carnotenus, Chartres
Texte intégral
1. Présentation
État de la recherche
1L’intérêt porté à l’économie potière au haut Moyen Âge en région Centre-Val de Loire a pris une dimension tout autre depuis le début du xxie s. avec la tenue de différents colloques dont on retiendra notamment ceux de Caen (Hincker et Husi 2006) et de Douai (Thuillier et Louis 2015), mais surtout par la publication de synthèses régionales régulières, comme celles réalisées dans le cadre du PCR sur la céramique en vallée de la Loire Moyenne (Husi 2003 ; 2013 ; 2022).
2Notre approche ici s’inscrit pleinement dans le cadre de ces problématiques, l’espace chartrain ne présentant jusqu’à présent que des données relativement lacunaires dans le domaine et ce, malgré les dernières mentions faites sur l’Eure-et-Loir dans l’article sur les ateliers de potiers du haut Moyen Âge en région Centre (Bouillon 2015, Thuilliers 2015).
3Depuis la fouille de sites majeurs du haut Moyen Âge à Chartres et son agglomération de nouvelles données sont exploitables et permettent de revenir sur plus de 40 ans de découvertes.
4Avec un référentiel local en construction, c’est principalement vers les travaux menés dans l’Orléanais (Chambon 2014 ; Jesset 2013 et 2015), mais également en Normandie (Adrian 2002 ; 2006a ; 2006b), en région parisienne (Lefèvre et Mahé 2004), voire jusqu’en région Lorraine (Legoux, Périn et Vallet 2004) que nous nous sommes tournés pour définir les principaux caractères discriminants technologiques, typologiques et décoratifs en corrélation avec cet espace de consommation Chartrain entre le ve et le xie s.
5Cette initiative a pour dessein de cibler les groupes techniques correspondant à une production locale pour ces contextes du premier Moyen Âge et d’en esquisser l’aire potentielle de diffusion, et de dresser une ébauche de chrono-typologie des formes et faciès en consommation sur l’agglomération. Cette démarche voudrait s’inscrire dans le sillage des travaux réalisés au sein du PCR sur la céramique en vallée de la Loire Moyenne, dont certaines codifications sont par ailleurs reprises ici.
6La tenue de l’AFAM, à Chartres, était l’occasion d’en exposer les premières approches.
Protocole d’étude et présentation du corpus
7Pour cette recherche, nous nous sommes appuyés sur la base de données de la Direction de l’archéologie, sur un article de Cyrille Ben Kaddour (Ben Kaddour 2014) qui recense tous les sites mérovingiens découverts à Chartres jusqu’en 2013 et enfin sur un travail de Jonathan Simon sur la céramique de la fin de l’Antiquité à Chartres (Simon 2014).
8La première enquête recensait plus de 50 sites du haut Moyen Âge avec potentiellement de la céramique. Cependant, après un réexamen seulement 31 occurrences étaient associées à du mobilier céramique (Fig. 1). Trois sites récemment découverts ont retenu notre attention : l’un correspondant à une occupation domestique au cœur de Chartres (Le Bourgneuf), les deux autres se trouvant en périphérie sud-ouest de la ville (Gellainville et Mignières). Ces derniers incluent de possibles unités de production céramique avec, pour le site de Mignières, la présence de fréquents ratés de cuisson.
Fig. 1 - Carte des sites du haut Moyen Âge autour de Chartres.

9Le site du Bourgneuf (C352.2) à Chartres (Viret et Acheré 2019). Au Moyen Âge, cet espace correspondait à un faubourg dominé par la collégiale Saint-Maurice dont les origines remontent au vie s., selon la tradition ecclésiastique (J. Viret dans le présent volume). Une occupation du haut Moyen Âge est attestée dès les ve-vie s. Des sépultures carolingiennes et un puits suggèrent une continuité de l’occupation jusqu’au ixe s. (Fig. 2). Au total, les structures du haut Moyen Âge ont livré 388 restes dont 76 individus (388 NR, 76 NMI).
Fig. 2 - Plan général de l’occupation du haut Moyen Âge (C352.2).

10Le site du Radray (GE9) à Gellainville (Wavelet et al. 2008), est une installation du haut Moyen Âge qui succède à un habitat implanté dès le ier s. ap. J.-C. Le site est délimité par un enclos qui organise les différents bâtiments : habitats, greniers, fosse de stockage. Profitant d’un ancien fossé romain (encore visible dans le paysage au haut Moyen Âge), des fours sont installés. L’un d’entre eux se distingue des autres par sa construction et a peut-être servi de four de potier et quelques céramiques sont des ratés de cuisson mais elles sont rares sur le site. D’autres constructions sur poteaux s’installent sur le pourtour et, au sud-est, un petit espace funéraire est constitué de quelques tombes datées du viie s. La nécropole a seulement fourni un mortier quasi entier (Fig. 3).
Fig. 3 - Plan général de l’occupation du haut Moyen Âge (GE9).

11L’ensemble de ces structures a livré 641 fragments pour 180 individus (641 NR, 180 NMI) datés de la période mérovingienne. L’assemblage des formes est homogène pour l’habitat dont l’occupation se situe dans le dernier quart du ve- début vie s.
12Et enfin le site “le Clos de l’Ouche” (MIG100.2) à Mignières (Gibut et al. 2020), où ont été mis au jour une série de cinq fours domestiques et quelques fosses associées dans l’angle sud-ouest du site, à moins de 100 m de l’église paroissiale. Toutes ces structures excavées ont été installées dans les comblements d’abandon de deux fossés antiques perpendiculaires. Les couches d’abandon des structures domestiques ont livré un abondant mobilier céramique daté du haut Moyen Âge entre le ve et vie s. (Fig. 4). Pour conforter la datation des céramiques, des analyses archéomagnétiques complémentaires ont été réalisées sur les soles de trois fours par Yves Gallet de l’IPGP (Institut de Physique du Globe de Paris). Deux des trois prélèvements ont été jugés méthodologiquement non concluants. Le troisième corrobore la datation donnée par les céramiques. Les informations croisées proposent une datation relativement restreinte entre le début du vie et le début du viie s. (P. Gibut dans le présent volume).
Fig. 4 - Plan général de l’occupation du haut Moyen Âge (MIG.100.2).

13La céramique retrouvée à Mignières est particulière, puisque pratiquement tous les vases sont issus d’un raté de four (4490 NR, 966 NMI), les autres fragments appartiennent à une fosse (139 fragments dont 9 individus). Par conséquent, la poterie est très fragmentée, les pots sont déformés et les couleurs de pâte ne sont pas toujours représentatives.
Méthodologie
14La reprise du mobilier céramique a été appliquée sur l’ensemble des sites avec une même approche méthodologique dans un souci d’homogénéité des résultats. La quantification des céramiques s’est faite en nombre de tessons (NT - regroupant l’ensemble des fragments hors bords) et en nombre de bords (Nb). Enfin, trois types de comptage sont pris en compte : le nombre de restes (NR - calculé à partir du nombre de bords, panses, fonds, anses), le nombre minimum d’individus (NMI - calculé à partir du nombre de bords après remontage et sans pondération) et le nombre typologique d’individus (NTI - calculé par groupe technique à partir d’éléments de forme) selon le protocole établi lors de la table ronde de Bibracte en 1998 (Arcelin et Tuffreau-Libre 1998).
15L’analyse des pâtes s’appuie sur un examen au microscope numérique binoculaire de type Leica (grossissement 20×). Elles sont réparties par catégories et par productions afin d’en définir un groupe technique spécifique. Ce classement prend en considération le mode de façonnage (tourné ou modelé), la nature de la matrice argileuse (granuleuse, semi-granuleuse, sableuse, sa nature, sa taille, sa fréquence), l’atmosphère de cuisson (mode oxydant ou réducteur) et les éventuels traitements de surface (brute, lissée, bande lissée, peinture). Le tri de ces productions sera affiné, par la suite.
16La mise en place d’un tessonnier de référence pour Chartres (identification de groupes techniques – Fig. 5), permet de caractériser les différentes catégories de céramiques même si le lieu de fabrication est inconnu. L’objectif est de déterminer et de caractériser la production locale d’un secteur ainsi que son aire de diffusion à partir de l’observation macroscopique des pâtes. Enfin, à terme, ce travail de définition des groupes techniques permettra d’identifier des secteurs de distribution d’un type de pâte et ainsi de déterminer de potentiels secteurs de fabrication. Ces échantillons représentatifs permettent de classer les fragments par type d’argile et de dégraissants et aboutissent à la création de groupes et sous-groupes de pâte en lien avec la chrono-typologie pour ainsi générer une base référentielle pour chacun de ces sites.
Fig. 5 - Premiers groupes techniques chartrains du haut Moyen Âge.

17Le répertoire typologique se décline notamment entre formes fermées et formes ouvertes, puis par groupes principaux de forme : plats, mortiers, coupes, cruches, pots… Enfin, des sous-types sont différenciés, ils vont se distinguer par une variation ou un ajout à une forme (un bec verseur par exemple) ou par des caractéristiques morphologiques communes (présence d’une carène, orientation du bord par exemple).
18Le tessonnier ainsi établi s’inspire de celui recensant les productions du Bassin de la Loire Moyenne (ICERAMM). Ce premier travail nous permet de réaliser une comparaison avec les argiles et dégraissants inventoriés dans la base ICERAMM.
2. Premier aperçu des céramiques chartraines du haut Moyen Âge à travers trois sites d’étude
Le Bourgneuf
19De grandes tendances dans les groupes techniques, les formes et les décors se dégagent du corpus d’étude du site du Bourgneuf. Les groupes techniques (GT) identifiés sont très variés (Fig. 6). Cependant, ils peuvent être répartis entre trois grandes catégories : les pâtes sableuses et les pâtes granuleuses.
Fig. 6 - Échantillon des groupes techniques retrouvés au Bourgneuf.

20Quelle que soit la période, le type de pâtes est identique. Il existe donc trois à quatre grands groupes techniques : les céramiques sableuses à pâtes sombres (GT1a), à pâtes claires (GT1c) ou à pâtes brun clair (GT1d), et les céramiques à surface sombre et à pâtes rougeâtres (GT1b). Elles contiennent toutes du sable plus ou moins calibré. Enfin, il faut noter que les pâtes granuleuses héritées du Bas-Empire (GT3a ; GT3b) ne sont pas bien moins représentées sur ce site.
21Comme le montre le tableau récapitulatif des vases découverts au Bourgneuf, les formes principales retrouvées sur le site présentent la vaisselle d’un habitat (Fig. 7). Il en existe six différentes : des coupes à lèvre droite dont certaines se rapprochent de la coupe 8-1 (Husi 2013), des cruches dont une cruche à lèvre aplatie avec un décor lustré (Fig. 8 : 4611.101) identique à celle retrouvée en Normandie (Adrian 2015 : 188), des gobelets biconiques (Fig. 8 : 4614.101), des tèles/mortiers (Fig. 8 : 7269.101) et surtout des pots à cuire qui se rapprochent du type Pot 2-6/7 (Husi 2013) (Fig. 8).
Fig. 7 - Fonction de la vaisselle au Bourgneuf (NMI).

Fig. 8 - Planche des principales céramiques du Bourgneuf.

22Les décors de la période mérovingienne reprennent ceux des vases communs à cette époque avec des croisillons ou des décors à la molette. Les décors retrouvés sur les poteries à pâte sableuse (GT1a ou GT1c) sont peu variés. Il s’agit principalement de décors à la molette, de décors en V tête-bêche de type Legoux 420/421 ou à motif M (Husi 2013).
23Un autre type de traitement de surface se rencontre sur une cruche sombre et à pâte rougeâtre (GT1b) à la période carolingienne mais aussi sur des pâtes sombres sableuses (GT1a). Il s’agit de décors de croisillons lissés. Ce type de décor se retrouve à la même époque en Normandie et en Île-de-France mais sur des pâtes sombres et claires (Lefèvre et Mahé 2004 : 125).
Gellainville
24Si nous retrouvons de la céramique granuleuse héritée du Bas-Empire (GT3a et GT3b), les groupes techniques dominants restent des pâtes semi-granuleuses ainsi que des pâtes sableuses. L’une d’elles est spécifique au site de Gellainville. Il s’agit d’une pâte orangée (semi-granuleuse – GT2e ou granuleuse - GT3d) qui prédomine parmi les pâtes en cuisson oxydante du corpus (beige rosé ou brunes) à laquelle s’ajoutent des pâtes sableuses sombres brutes ou lissées – GT1a (Fig. 9).
Fig. 9 - Échantillon des groupes techniques retrouvés à Gellainville.

25Dans cette étude, aucune distinction n’a été faite entre le mobilier issu de l’habitat, de la nécropole et du rejet de four de potier. En effet, les vases issus du comblement du four ne diffèrent pas des autres poteries retrouvées sur le site (Fig. 10).
Fig. 10 - Fonction de la vaisselle à Gellainville (NMI).

26Les vases retrouvés sur le site concernent la vaisselle de table (assiette, plat, coupe carénée de type 6-9 à lèvre déjetée (Husi 2013), pichet). La vaisselle culinaire est majoritaire avec des jattes et surtout des pots à lèvre en poulie (Fig. 11 : 2047.104) avec un col peu développé qui se rapproche du type 2-21 (Husi 2013) (Fig. 11). Ces derniers éléments sont surtout en pâtes semi-granuleuses. Ces formes sont typiques des ve et vie s. Elles se rapprochent de celles présentes en région Centre-Ouest, la ressemblance est plus marquée avec les faciès d’Île-de-France (Lefèvre et Mahé 2004) et de Normandie (Adrian 2002).
Fig. 11 - Planche des principales céramiques de Gellainville.

27Les décors retrouvés à Gellainville sont peu nombreux et peu variés (GT1a, GT1c). En effet, les décors sont ondés anguleux doubles (Legoux 418) datés du vie s., ou au poinçon en rosace (Legoux 409) ou rouelle B (Husi 2003) datés des ve-vie s. Dans le lot, on ne retrouve qu’un seul décor animalier (Legoux 427) qui est attribué au vie s. (GT1c).
Mignières
28Il s’agit ici principalement de ratés de cuisson dont l’examen et la caractérisation des groupes techniques restent assujettis aux différents stigmates résultant d’une cuisson mal maîtrisée. Sur le même pot, on peut avoir une couleur grise, une autre face “craquelée bleutée” et sur une autre de couleur blanche. Il existe également des céramiques à surface grise et une pâte rose clair. Mais dans ce cas-là, c’est encore un raté de cuisson puisque ces pâtes sont mal cuites et ont tendance à se diluer dans l’eau et à retourner à l’état d’argile au lavage. Il semblerait tout de même que la cuisson préférentielle soit en atmosphère réductrice (GT1), la majorité des productions affichant des pâtes sombres grises et des pâtes gris clair à blanches (Fig. 12). En revanche, on observe que la matrice sableuse et les dégraissants sont identiques d’une forme à une autre. Elle est majoritairement sableuse avec des inclusions de grains plus ou moins réguliers de sable blancs.
Fig. 12 - Échantillon des groupes techniques retrouvés à Mignières.

29Parmi les quelques formes en pâte claire, on retrouve des pâtes de couleur brun clair sableuses, ainsi que quelques céramiques à pâte orangée (GT2e), qui semblent être identiques à celles retrouvées sur le site de Gellainville (Fig. 13).
Fig. 13 - Fonction de la vaisselle à Mignières (NMI).

30Dans ce contexte de production les profils typologiques apparaissent relativement standardisés avec trois formes principales (Fig. 14). La première est une forme ouverte de plat/coupe de type Plat 11-1 (Husi 2013) à lèvre arrondie mais plus haute et sans incision sous la lèvre avec ou sans décor interne. Les deux autres formes sont fermées, il s’agit d’un pot à lèvre “tombante” qui serait dans la mouvance des pots de type 2-1 avec un col quasi inexistant et un rebord à inflexion externe (Husi 2013) ainsi que des gobelets biconiques lissés ou non, avec ou sans décor. D’autres formes sont associées à ce lot comme des cruches, mais elles sont minoritaires.
Fig. 14 - Planche des principales céramiques de Mignières.

31Les décors sont identifiés sur quelques vases, notamment sur des gobelets mais aussi sur des plats et des coupes. Les motifs retrouvés sont soit des fleurs, soit des molettes à points mais aussi un assemblage de décors à petits carrés au sein d’un rectangle voire des feuilles sur un plat. Cependant, la majorité reste des décors poinçonnés ou à la molette où on retrouve un décor ondé double avec des rectangles et rosaces dans les ondes de type Legoux 417 (Fig. 15).
Fig. 15 - Planche des décors retrouvés à Mignières.

3. Synthèse
Diffusion des céramiques du haut Moyen Âge dans l’espace chartrain
32La complémentarité de ces trois sites récemment fouillés offre un échantillon de la diversité des céramiques en usage dans le secteur chartrain au haut Moyen Âge. Ce premier travail a permis de poser les bases des caractères discriminants technologiques des céramiques en consommation dans ce secteur sud-ouest de l’agglomération chartraine, celles d’une production locale comprise, au regard des nombreux ratés de cuisson prélevés à Mignières, lesquels présagent de l’implantation d’une unité de production sur site.
33En effet, le site de Mignières nous permet d’avoir une information sur un atelier de potier par l’entremise de cette dernière cuisson ratée. Le croisement d’informations recueillies entre l’analyse céramologique des ratés de cuisson de Mignières et l’analyse archéomagnétique des soles de fours domestiques associés nous permet d’obtenir une datation plus précise d’une production potière dans le secteur chartrain. Ainsi, la fourchette de probabilité la plus vraisemblable serait “526-630 ap. J.-C.” donnée d’une part par les analyses archéomagnétiques et corroborée d’autre part par les types de vases et leurs décors. Ces formes et ces décors se retrouvent également sur d’autres sites chartrains.
34Les premières investigations mettent en lumière seulement quatre grands groupes techniques. Le premier groupe à pâte sableuse (GT1), le deuxième groupe à pâte semi-granuleuse (GT2), le troisième groupe à pâte granuleuse (GT3) et enfin un dernier groupe de pâtes diverses (GT4). Dans chacun des différents groupes, les cuissons peuvent être en mode oxydo-réducteur et réducteur.
35Le plus marquant dans le secteur chartrain est la présence de pâte sableuse (grise, claire ou brun clair GT1a à GT1d). Sur l’ensemble des sites étudiés, cette production représente plus de 20 % de la production totale d’un site. Cette argile en pâte claire ou en pâte sombre avec ou sans traitement de surface, nous rappelle qu’elle était très utilisée dans notre secteur à la période antique. Seuls les dégraissants du haut Moyen Âge sont sensiblement différents des dégraissants de la période antique (sables roulés) et ont un aspect plus anguleux. Le choix des bancs d’argile des potiers est donc différent de ceux des périodes précédentes.
36Cependant, deux de ces trois sites présentent des différences notables. Pour Gellainville, nous notons qu’il existe de nombreuses variantes, notamment des pâtes sableuses, semi-granuleuses ou granuleuses, même si nous ne pouvons confirmer la production in situ de vase à pâte orangée.
37Le même type de pâte se retrouve également à Mignières, mais reste anecdotique compte tenu de la taille du site. De plus, les productions de Mignières et de Gellainville ne se retrouvent a priori pas à Chartres. Des recherches sont en cours pour confirmer cette hypothèse.
38Les observations faites sur les productions du site du Bourgneuf montrent des pâtes sableuses et granuleuses à surface sombre et cœur rouge (GT1b et GT2b). En effet, aucun des sites du haut Moyen Âge dans le secteur chartrain n’aurait livré à ce jour une telle production.
39D’après nos données et analyses, les productions des grands ateliers, comme celui de Saran (45) (Jesset 2013 et 2015 ; Bouillon 2015), n’alimentent pas le secteur chartrain. En effet, aucune céramique de Saran n’est reconnue à Gellainville, site le plus méridional de notre étude. De même, plus au nord, l’atelier de Chérisy (28) ne diffuse pas ses productions à Chartres. Celui de Dangeau diffuserait à Chartres mais seulement à partir du ixe s. Pour le moment, les céramiques chartraines ne présentent pas les mêmes argiles ou les mêmes dégraissants recensés dans la base des régions du Centre Ouest. En revanche, cette première étude sur les groupes techniques a permis de mettre en évidence des traits communs d’un site à l’autre sans connaître la diffusion réelle dans l’espace environnant.
Un “aperçu des faciès céramiques dans le secteur chartrain”
40Les formes retrouvées sur chacun des trois sites sont typiques des faciès typologiques que l’on retrouve principalement en Normandie, en Île-de-France et, avec des variantes, en région Centre Ouest. Si l’évolution des formes suit les traditions des différentes périodes, que ce soit pour la période mérovingienne ou carolingienne, elle révèle une continuité de l’héritage antique. Tout au plus peut-on noter, pour cette période de transition, la présence du mortier qui semble être plus marquée dans notre secteur chartrain (Simon et Wavelet 2008).
41En ce qui concerne les décors étudiés sur les sites chartrains, on notera qu’ils sont assez communs. Les décors estampés et poinçonnés ou réalisés à la molette sont les plus nombreux dans notre secteur.
42On remarque cependant pour le site de Bourgneuf, un décor lissé de croisillons croisés pour la période carolingienne.
43Dans le cas de Mignières, des décors combinent deux variantes : à savoir le décor ondé anguleux double de la variante Legoux 418 (décor plus commun) et le décor de “palmette à nervure” décor plutôt local (Fig. 15 nº 15813.102). Ce décor se rapprocherait du décor à palmette à nervure relief et petite palme simple (palmette B ; Rigoir 2563) (Husi 2003). Pour le dernier type de décor, certains exemples rappellent fortement ceux retrouvés dans le Dunois ou dans l’Orléanais (Chambon 2014 : 159-160). Ce type de décor ne se retrouve pas sur d’autres sites chartrains.
44Si des similitudes sont évidentes avec les régions voisines, une même évolution des formes serait commune au cœur du secteur chartrain. Les formes chartraines auraient un faciès plus proche de celles retrouvées en Normandie et en Île-de-France. Quant aux différents groupes techniques, les pâtes sableuses sont majoritaires dans le secteur chartrain. Les pâtes grises (lissées ou non) de type GT1a, les pâtes claires (beige rosé ou brun clair) de type GT1c/GT1d se retrouvent sur l’ensemble des sites. Les granuleuses ou semi-granuleuses sont présentes mais en quantité moindre. Ce que l’on constate, comme étant plus spécifique, ce sont les pâtes orangées de type GT2e/GT3d qui sont attestées sur le site de Gellainville et en petite quantité à Mignières. Autre élément particulier, ce sont les pâtes sableuses rouges et surface sombre (GT1b/GT2b) qui ne se retrouvent que sur le site du Bourgneuf et apparemment sur un ou deux sites de la ville de Chartres. Ce type de pâte ne se diffuserait a priori pas dans les campagnes environnantes.
Conclusion
45En conclusion, l’étude de la céramique menée sur trois des sites les plus importants du haut Moyen Âge dans le secteur chartrain a permis de poser les bases de futures recherches sur la typo-chronologie et les faciès des céramiques retrouvées localement.
46Cette première étude nous a permis (grâce à des découvertes récentes) d’avoir un premier aperçu de l’évolution morphologique des poteries du début du haut Moyen Âge jusqu’à la fin de la période carolingienne et l’apparition des premières oules médiévales, pots sans anse avec un rebord en bandeau (pot 2b). Au terme de cette première étude, deux axes de recherche futurs sont à approfondir.
47Le premier concerne l’approfondissement de nos connaissances sur les pâtes du haut Moyen Âge. L’étape chrono-typologique a permis la constitution de groupes techniques ce qui a révélé la présence d’au moins un groupe technique (GT1a) sur l’ensemble des sites. Selon les conclusions du colloque de Douai (Chapelot 2015 : 699), les ateliers diffusent dans un rayon compris entre 10 et 15 km. Cela ne semble pas toujours être le cas dans notre secteur. Cependant, ce travail d’identification des pâtes sur les sites de consommation est nécessaire. Pour reprendre les conclusions de Jean Chapelot, qui rappelait la nécessité d’étudier le matériel issu des fouilles anciennes urbaines ou rurales “c’est grâce à la céramique qu’il sera possible de préciser les aires de diffusion des ateliers et de comprendre les changements techniques et les évolutions du vaisselier” (Chapelot 1990 : 683). Cette étude intègre la reprise du mobilier d’anciens sites et appuie ses résultats sur des découvertes récentes dans un contexte clairement identifié permettant aujourd’hui une meilleure compréhension de la céramique de cette période dans le secteur chartrain.
48Le deuxième axe, le travail sur la typo-chronologie chartraine (domaine peu ou pas étudié), est en cours et nous permettra, à terme, d’harmoniser les données sur les travaux existants en région Centre-Val de Loire, en Normandie ou en région parisienne. Ainsi, il sera possible de préciser, dans notre secteur, des datations qui sont actuellement fluctuantes notamment lorsque le lot étudié est trop faiblement fourni. En effet, des ateliers ne sont pas pour le moment avérés à Chartres ou dans les faubourgs proches. En revanche, deux ateliers potentiels ont été découverts, le premier à Gellainville et l’autre à Mignières. Les autres ateliers à Marboué ou Cherisy (plus éloignés) ne semblent pas diffuser leur production à Chartres. Pour celui de Dangeau (Bouillon 2015), quelques céramiques se retrouvent pour la période carolingienne mais pour le secteur du Parvis de la Cathédrale de Chartres.
49Cette première publication n’est qu’une première étape. En effet, l’analyse de ces indices de production du haut Moyen Âge obtenus à partir de contextes stratigraphiquement bien phasés a guidé la mise en œuvre des premiers jalons d’une chrono-typologie locale.
50Afin de vérifier la pertinence des résultats et des comparaisons entre les trois sites récemment découverts, une reprise des données anciennes a été effectuée rapidement sur l’ensemble des sites datés du haut Moyen Âge à Chartres. Il ne s’agissait pas de réinterpréter les résultats (quand le rapport existe) mais bien d’uniformiser chaque étude sur la même méthode et surtout de réactualiser son interprétation en fonction de l’état actuel des connaissances.
51En somme, l’étude de la céramique du haut Moyen Âge à Chartres offre de nouvelles perspectives de réflexions. L’étude des diffusions des céramiques et des aires d’approvisionnement des sites permettrait de replacer Chartres au sein de son territoire mais également dans un réseau plus vaste. Les ateliers de potiers produisaient certes des céramiques destinées à de la consommation locale, mais ces céramiques sont-elles aussi vouées à l’exportation vers d’autres régions ?
52Si Chartres est un grand centre artisanal de production de céramiques à l’époque romaine largement diffusées sur son territoire, qu’en est-il de la céramique du haut Moyen Âge ? Est-elle diffusée dans un rayon plus restreint ? Si oui, lequel et à quelle distance ? Quelles sont la place et l’influence de la ville de Chartres à cette époque ? Ces céramiques sont-elles fabriquées dans de petits ateliers locaux ou, au contraire, Chartres s’inscrit-elle dans un réseau d’échanges plus large, régional voire national ? Des recherches plus approfondies pourraient conduire à une meilleure compréhension des échanges commerciaux entre les différentes régions, ainsi que des influences technologiques et culturelles sur la production de poterie chartraine.
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Auteurs
Direction de l’archéologie de Chartres Métropole.
Éveha.
Direction de l’archéologie de Chartres Métropole.
Direction de l’archéologie de Chartres Métropole.
Direction de l’archéologie de Chartres Métropole.
Yves Gallet (collab.)
Institut de physique du Globe de Paris.

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