Les inhumations habillées en sarcophage : l’exemple de Neuillé-le-Lierre (Indre-et-Loire)
Burials dressed in sarcophagus : the example of Neuillé-le-Lierre (Indre-et-Loire)
p. 279-286
Résumés
Un diagnostic, réalisé par l’Inrap en novembre 2014, à proximité de l’église paroissiale de Neuillé-le-Lierre (37), a permis la mise au jour de quatre sarcophages. La fouille de l’un d’eux a livré deux ensembles distincts et complets de garnitures de chaussures ou de jarretières. Du point de vue chrono- logique, ce mobilier est parfaitement renseigné. Il couvre le viie s. de notre ère. S’il est courant de retrouver des éléments de parure ou des accessoires de la vie quotidienne avec les restes osseux de défunts de l’époque mérovingienne, les sépultures dites habillées sont essentiellement des inhumations à l’architecture légère. Par opposition, celles en sarcophage, dont on peut penser qu’elles constituent un bon marqueur social, contiennent très rarement du mobilier. En région Centre-Val de Loire, les quelques exemples de tombes de ce type sont, en grande majorité, des découvertes anciennes.
A survey carried out by Inrap in November 2014 near the parish church of Neuillé-le-Lierre (37) uncovered four sarcophagi. Excavation of one of them revealed two distinct and complete sets of shoe and garter trimmings. From a chronological point of view, this material is very well documented. It covers the 7th century AD. While it is common to find elements of finery or accessories for daily life with the bone remains of Merovingian-era deceased, so-called “dressed burials” are essentially burials with light architecture. In contrast, sarcophagus burials, which are thought to be a good social marker, very rarely contain any furniture. In the Centre-Val de Loire region, the few examples of tombs of this type are, for the most part, early finds.
Entrées d’index
Mots-clés : premier Moyen Âge, région Centre-Val de Loire, Indre-et-Loire, sarcophage, sépulture habillée, accessoire vestimentaire, plaque-boucle, contre-plaque, ferret
Keywords : Early Middle Ages, Centre-Val de Loire region, Indre-et-Loire, sarcophagus, dressed burial, clothing accessory, buckle plate, counter plate, ferret
Texte intégral
Les circonstances de la découverte
1Le projet d’enfouissement de lignes aériennes dans le bourg de Neuillé-le-Lierre, au nord-est de l’Indre-et-Loire, a entraîné la prescription d’un diagnostic archéologique (Pichon et al. 2015). Onze sondages d’un mètre de largeur, disposés au nord, à l’ouest et au sud-ouest de l’église Saint-Pierre ont été réalisés (Fig. 1). La superficie totale ouverte s’élève à 43,07 m².
Fig. 1 - Plan de localisation des inhumations découvertes en 2015 sur fond cadastral actuel.

DAO : B. Marsollier, Inrap.
2Six sondages se sont révélés négatifs. Dans les cinq autres, des tessons antiques ont permis d’envisager, à proximité, une occupation de la seconde moitié du iie s. Des fragments de céramiques du haut Moyen Âge et onze sépultures, notamment quatre en sarcophage et deux datées par analyses radiocarbones1, illustrent également une utilisation alto-médiévale du lieu.
3D’après Grégoire de Tours, l’occupation du secteur commencerait du temps de l’évêque Injuriosus, avec la fondation, vers 540, du vicus Noviliacus (La Ponce 1857 : 283). Toutefois, un doute quant à la localisation de celui-ci persiste (Zadora-Rio et al. 2008 : 25). Une incertitude topographique qui prévaut également pour la villa Edera, mentionnée au ixe s. et qui aurait donné son nom (Hedera signifiant lierre en latin) au village actuel (Carré de Busserolle 1882 : 372-373).
4L’église de Neuillé-le-Lierre n’est évoquée dans les sources textuelles qu’à partir du xiie s. Néanmoins, les plus anciennes parties de son élévation remonteraient au xe ou au début du xie s. (Épaud 2014). Plus encore, pour É. Zadora-Rio, au regard des écrits de Grégoire, l’existence d’un édifice de culte plus ancien, dès le vie s. au moins, est indubitable (Zadora-Rio 2008 : 25). Les sépultures reconnues en 2014 seraient ainsi installées dans le voisinage de cet édifice.
Le sarcophage F6
5Les quatre inhumations en sarcophage se concentrent dans un unique sondage d’environ 6 m², ouvert rue Noël-Decestre, à une dizaine de mètres au nord de l’église. Dans ce petit espace où seul F6 est visible dans son intégralité, ces tombes paraissent s’organiser en deux rangées globalement nord-sud (Fig. 2). Chaque coffre est installé dans une fosse individuelle entaillant le substrat argilo-sableux très riche en silex. L’altitude des rebords des cuves et l’état d’usure important des couvercles laissent supposer que les sarcophages étaient bien visibles en surface au sein de l’espace funéraire.
Fig. 2 - Ortho-photographie de la tranchée ouverte au nord de l’église et contenant les quatre sarcophages découverts en 2015.

N. Holzem, Inrap.
6Typologiquement, le corpus est homogène2. Les cuves sont du type le plus simple, à savoir des blocs monolithiques trapézoïdaux, a priori sans aménagement céphalique, ni traitement particulier ou décor. Les couvercles, toujours conservés, sont légèrement bombés sur le dessus et, comme les cuves, non décorés. Les examens pétrographiques indiquent que tous les blocs proviennent très vraisemblablement de la même carrière, mais de niveaux géologiques différents suivant qu’il s’agit d’une cuve ou d’un couvercle. Une origine vendômoise, à une vingtaine de kilomètres environ plus au nord, doit sans doute être privilégiée.
7Les modules très proches (longueurs, largeurs et épaisseurs) suggéreraient une réalisation assez rapprochée dans le temps. Par ailleurs, le bombement est parfois un marqueur chronologique. Il permettrait, dans le cas présent, d’attribuer la fabrication et l’installation des sarcophages étudiés au vie s. (Morleghem 2016 : 192).
8La cuve du sarcophage F6 mesure 2 m de longueur pour 0,68 m de largeur au niveau du panneau de tête et 0,33 m au ras des pieds. Haute de 0,58 m en extérieur, elle a été sommairement évidée sur 0,41 m de profondeur à l’aide d’un pic de carrier et d’un marteau taillant. L’épaisseur des parois varie entre 0,06 et 0,09 m.
9Les restes complets d’un seul individu y ont été retrouvés. Le corps s’est décomposé dans le sarcophage, en espace vide, et plusieurs déplacements osseux sont à noter. Les perturbations affectent principalement des éléments du thorax, des mains et des pieds. Elles s’expliquent par des processus taphonomiques naturels. Aucun signe de ré-intervention après décomposition, de réouverture du sarcophage, n’a été observé.
10Le défunt est un individu décédé à l’âge adulte et de sexe indéterminé. Il a été déposé sur le dos, probablement sur le fond de la cuve. Son membre supérieur gauche est très peu fléchi, la main étant placée sur l’aine homolatérale. Le droit affecte un angle brachial de près de 140° ; la main est positionnée sur le bas-ventre. Les membres inférieurs sont en rectitude, les pieds joints. Ces derniers sont accompagnés de plusieurs accessoires vestimentaires.
Les éléments de parure
11Le mobilier découvert dans le sarcophage F6 se compose de deux lots de trois éléments distincts : une plaque-boucle, une contre-plaque et un ferret (aussi appelé mordant) en alliage cuivreux (Fig. 3). Les deux ensembles présentent des morphologies très similaires, tant par leurs dimensions que par leurs décors.
Fig. 3 - Photographies (N. Holzem, Inrap) et dessins (J. Arquille, Inrap) des accessoires vestimentaires découverts dans le sarcophage F6, après leur restauration par le laboratoire Arc’Antique.

DAO : B. Marsollier, Inrap.
12Les plaques-boucles (iso 1 et iso 4) sont constituées d’une plaque trapézoïdale à bords festonnés3, ornée de décors géométriques (nids d’abeilles), floraux (rinceaux) et zoomorphes stylisés s’apparentant à un “style animalier II” dégénéré ou non maîtrisé. Sur le revers, le système de fixation, avec quatre tenons de maintien sur la lanière en cuir, est encore visible. Une boucle ovale, sans décor, et un ardillon scutiforme s’articulent ensuite sur cette plaque. Le décor étamé de l’ardillon de l’iso 1 dessine un visage d’homme, reconnaissable à sa barbe, alors que celui de l’ardillon de l’iso 4, reproduisant également une figure humaine mais sans barbe, peut suggérer une représentation féminine faisant le pendant au visage masculin.
13Les contre-plaques (iso 2 et iso 5) fonctionnant avec les plaques-boucles rappellent, par leur forme trapézoïdale4, leurs bords festonnés et leurs décors variés, les pièces précédentes. Le système de fixation à quatre tenons, sur les revers, est également similaire.
14Les ferrets (iso 3 et 6) sont linguiformes et allongés5. Ils sont décorés d’un ensemble d’entrelacs géométriques ou animaliers, organisés en registre. Deux emplacements de rivets sont visibles sur leur base supérieure.
L’interprétation du mobilier
15À l’instar des ossements des pieds, les éléments de parure issus du sarcophage F6 n’ont pas été retrouvés en position primaire et l’association entre les pièces reste incertaine. Les assemblages proposés ici, sur les photographies ou les dessins, sont aléatoires et arbitraires. Toutefois, l’amplitude des déplacements, des pièces osseuses comme de celles métalliques, apparaît relativement faible. L’hypothèse d’une position fonctionnelle au niveau des chevilles ou des pieds est donc très probable.
16Chaque lot de trois éléments (plaque-boucle, contre-plaque, ferret) se fixe sur une lanière en cuir. Leur relation avec les pieds du défunt incite à les considérer comme des garnitures de chaussure. À l’image de celles découvertes dans la tombe d’Arégonde, il est aussi possible que ce mobilier corresponde aux extrémités inférieures de lanières de jarretières qui se croisent sur et sous des escarpins (Périn 2015 : 1033). Néanmoins, l’absence de mobilier équivalent à hauteur des genoux, nécessaire pour tenir la partie supérieure des jarretières, nous conduit à envisager préférentiellement la première hypothèse.
17L’hésitation entre les deux hypothèses est également évoquée pour une paire de plaques-boucles en argent découvert dans un sarcophage lors de travaux dans l’église Saint-Martin-au-Val de Chartres, au xixe s. (Gardais et Stefani 1991 : 74). Leurs dimensions, 44 × 20 mm, sont équivalentes à celles des plaques-boucles de Neuillé-le-Lierre.
18Les six pièces forment un ensemble typologiquement et chronologiquement très cohérent. Ce type de garniture articulée, à plaque trapézoïdale et bords festonnés, en bronze coulé et avec étamage est fréquemment rencontré dans les grandes nécropoles mérovingiennes de l’est de la France et de Normandie. De manière non exhaustive, les sites de Goudelancourt-lès-Pierrepont, dans l’Aisne (Nice 2008), de Cutry, en Meurthe-et-Moselle (Legoux 2005) ou bien encore, de la Grande Oye à Doubs (Urlacher et al. 1998) ont livré des éléments similaires.
19Le mobilier correspond au code LPV 138 (Legoux, Périn et Vallet 2009). Ce type apparaît durant la phase MA3 (Mérovingien Ancien 3) et est très courant pendant les MR1 (Mérovingien Récent 1) et MR2 (Mérovingien Récent 2), soit une “représentativité maximum” entre 600 et 670 ap. J.-C. Il est intéressant de noter que cette datation est sensiblement postérieure à celle proposée pour la construction du sarcophage. Se pose alors la question du réemploi de ce dernier.
Les sépultures habillées en sarcophage dans la région Centre-Val de Loire
20Si la pratique de l’inhumation habillée à l’époque mérovingienne est bien représentée dans le nord de la Gaule, elle est moins fréquente entre Seine et Loire (Périn 2018 : 725). En Centre-Val de Loire, peu de tombes du premier Moyen Âge ont livré des objets liés au costume des défunts (Morleghem 2016 : 152, 191-192). Celles-ci se concentrent principalement dans le nord de la région. En effet, les deux tiers des sites funéraires alto-médiévaux d’Eure-et-Loir accueillent au moins une sépulture à mobilier (Sautereau 2014 : 122). Ce territoire marque ainsi la frontière entre des groupes culturels qui, au nord, déposent très souvent des objets dans leurs tombes et d’autres, au sud, pour qui ce geste est moins systématique.
21Parmi les milliers, voire dizaines de milliers, de sarcophages recensés en région Centre-Val de Loire pour le haut Moyen Âge (Morleghem 2016 : 150, pour cinq départements ; Sautereau 2013 : 99-100, pour l’Eure-et-Loir), moins de 70 seulement, selon un rapide inventaire bibliographique, auraient accueilli des défunts habillés (Fig. 4). Le sarcophage étant un produit onéreux (Morleghem 2016 : 49), il est facile de penser que ce contenant était employé par une population de rang social élevé, encline à parer ses défunts avec du mobilier de qualité et/ou en quantité. C’est le cas pour la sépulture mis au jour au centre de l’église de Perrusson, en Indre-et-Loire, dans laquelle ont été retrouvés des vêtements décorés de fils d’or, des plaques-boucles et un passe-courroie en alliage d’argent et de cuivre ainsi qu’un récipient de verre (Lelong 1976 : 228). Cependant, au regard de la faible corrélation qui semble lier les deux pratiques, force est d’admettre que le dépôt de mobilier, a fortiori dans une tombe en sarcophage, relève davantage de la sphère culturelle que sociale (Sautereau 2013 : 130).
Fig. 4 - Inventaire des sites de la région Centre-Val de Loire ayant livré des sarcophages accueillant des éléments de parure.

Conclusion
22La sépulture F6 de Neuillé-le-Lierre enrichit l’inventaire régional des inhumations habillées en sarcophage qui apparaît relativement réduit et plutôt constitué de découvertes anciennes. Dans ces références, l’absence d’informations quant à la localisation précise des objets pose des problèmes d’interprétation.
23Les accessoires vestimentaires retrouvés dans la tombe F6 étaient mêlés aux ossements des pieds. Ils forment deux probables garnitures de chaussure ou de jarretière qui se répondent par leurs décors. Les visages d’homme et de femme figurant sur les ardillons sont originaux.
24Si ce mobilier n’éclaire pas le statut social de l’inhumé ni de ceux reposant dans les sarcophages mitoyens, ce groupe de tombes, le plus ancien témoignage funéraire du secteur, se distingue de toutes les sépultures mises au jour lors de l’opération de Neuillé-le-Lierre.
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Notes de bas de page
1La sépulture F2 est datée, à 95,4 %, entre 715 et 940 ap. J.-C. (Poz-67810) ; la sépulture F9 est datée à 95,4 %, entre 773 et 968 ap. J.-C. (Poz-67811).
2Merci à Daniel Morleghem pour l’examen, à l’époque, des données collectées.
3Les dimensions des plaques-boucles sont quasi similaires (iso 1 : 43 × 26 × 7 mm ; iso 4 : 42 × 25 × 7 mm).
4Dimensions des contre-plaques : iso2 : 23 × 21 × 6 mm ; iso 5 : 25 × 21 × 7 mm.
5Dimensions des ferrets : iso 3 : 43 × 12 × 4 mm ; iso 6 : 45 × 22 × 9 mm.
Auteurs
-
Isabelle Pichon
Inrap Centre-Île-de-France, UMR 7324 CITERES-LAT.
-
Jérôme Livet
Inrap Centre-Île-de-France, UMR 5199 PACEA.
-
Séverine Chaudriller
Inrap Centre-Île-de-France.

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