Les plantes de consommation et leur variation au cours du premier Moyen Âge (ve-xiie s.) en région Centre-Val de Loire
Food plants and their variation during the Early Middle Ages (5th-12th c.) in the Centre-Val de Loire region
p. 261-278
Résumés
Cette contribution recense les diverses plantes de consommation connues pour la période ve-xiie s., à partir de l’analyse des données carpologiques issues de 55 occupations situées en région Centre-Val de Loire. À partir des fréquences d’attestation et de l’abondance de ces plantes, tant cultivées que cueillies, l’économie végétale est discutée. Celle-ci se démarque singulièrement des périodes antérieures, tout en évoluant au cours de la période médiévale. Le blé nu est dominant tout au long de la période, tandis que l’orge vêtue, bien présente jusqu’au xe s., décroît par la suite au bénéfice du seigle. Les légumineuses, moins représentées, apparaissent diversifiées mais le pois, la féverole, la vesce et la lentille sont les plus importantes. La vigne et la viti-viniculture marquent également de leur empreinte la région tout au long de la période. Les fruitiers et autres légumes, aromates et plantes condimentaires, plus discrets, témoignent d’un recours non négligeable à d’autres catégories végétales dans l’alimentation. D’autre part, une réflexion sur les plantes alimentaires comme marqueur social a permis de montrer que certaines d’entre elles (quelques fruits, les plantes aromatiques), se rencontrent dans des sites assez aisés. À l’inverse, la présence des différentes céréales en fonction du milieu social est difficile à interpréter, en raison d’un manque de données précises pour les contextes urbains et du statut parfois ambigu des sites ruraux (consommateurs, producteurs).
This contribution lists the various known food plants for the 5th-12th century period, based on the analysis of carpological data issued from some 55 different occupations located in the Centre-Val de Loire region. Based on the frequencies and the abundance of these plants, both cultivated and gathered, the plant economy is discussed. It appears that it differs significantly from earlier periods, while evolving during the medieval period. Naked wheat was dominant throughout the period, while hulled barley, well represented until the 10th century, subsequently declined in favor of rye. Legumes, less represented, are diverse but peas, beans, vetch and lentils are the most important. Grapevine and wine-growing also left their mark on the region throughout the period. Fruit trees and other vegetables, aromatics and condiments are discreet but used to a significant extent. On the other hand, a reflection on food plants as a social marker has shown that some of them (some fruits, aromatic plants) are found in high status sites. The presence of specific cereal species is much difficult to interpret in regard of the social contexts, because of a lack of precise data in urban environments and because rural sites can be both consumers and producers.
Entrées d’index
Mots-clés : mérovingien, carolingien, début du Moyen Âge central, Centre-Val de Loire, carpologie, plantes cultivées, statut social
Keywords : Merovingian, Carolingian, 11th-12th century/High Middle Ages, Centre-Val de Loire, carpology, cultivated plants, social status
Texte intégral
1Depuis une vingtaine d’années, l’archéologie préventive et l’intégration de spécialistes dans les structures agréées, ont largement contribué à l’accroissement des études carpologiques sur le Moyen Âge (Ruas 2010). La région Centre-Val de Loire a bénéficié de ce dynamisme, ce qui permet de proposer aujourd’hui une première synthèse des données. Le colloque de l’AFAM tenu à Chartres a offert l’occasion de réunir celles accessibles à ce jour pour la période comprise entre le ve s. et le xiie s.1.
2Le présent article commente la gamme des espèces cultivées et ses variations dans le temps en posant la question de la relation entre les plantes utilisées et le statut ou la fonction sociale des occupants des sites.
1. Matériel et méthodes
1.1. Validité du corpus
3Les études carpologiques recensées proviennent de quarante-quatre sites archéologiques dont les données ont été regroupées en trois périodes : ve-viiiAe s. (époque mérovingienne) soit 12 occupations, viiiBe s.-xe s. (époque carolingienne) soit 29 occupations et xie-xiie s. (début du Moyen Âge central) soit 14 occupations. Au total, 55 occupations chronologiques sont ainsi disponibles (Fig. 1, Fig. 2) parmi lesquelles 7 contextes urbains, 3 péri-urbains, 1 castral et 42 ruraux.
Fig. 1 - Inventaire des études carpologiques réalisées en Centre-Val de Loire portant sur la période ve-xiie s.

c : carbonisation, m : minéralisation, i : imbibition.
Fig. 2 - Localisation des sites étudiés selon leur chronologie.

SIG infographie © L. Roubaud, Inrap.
4Le nombre de prélèvements effectués dans les occupations est assez faible, car majoritairement inférieur ou égal à 5 dans 59 échantillons, sur les 93 disponibles. L’époque mérovingienne, la moins échantillonnée, est également celle pour laquelle les découvertes archéologiques sont les moins fréquentes et dont le nombre de structures mises au jour est souvent restreint (12 prélevées) alors que 60 prélèvements ont été étudiés pour l’époque carolingienne et seulement 20 pour la période suivante (Fig. 3A). Quant aux volumes prélevés, hormis pour l’époque carolingienne, ils excèdent rarement 50 à 100 litres par occupation et sont particulièrement faibles pour l’époque mérovingienne (Fig. 3B).
Fig. 3 - Pratiques d’échantillonnage.

A. Nombre de prélèvements étudiés par occupation ; B. Volumes totaux de sédiment tamisé par occupation, en litres.
5Les restes carpologiques sont conservés selon trois modes : imbibition (11 294 restes), minéralisation (1 178 restes) et carbonisation (142 277 restes), ce dernier étant de loin le mieux représenté dans 52 occupations (Fig. 4). C’est sous cette forme que sont principalement conservés les vestiges carpologiques dans les sites archéologiques, en particulier ceux de céréales et de légumineuses. Les témoins gorgés d’eau ou minéralisés sont identifiés dans moins d’occupations : 16 pour les restes minéralisés, 9 pour les restes imbibés (Fig. 4). Ces deux états sont cependant plus favorables aux restes de fruitiers ou de plantes aromatiques.
Fig. 4 - Répartition du nombre d’occupations par période et selon l’état de conservation des restes, et nombre d’occupations dont le nombre minimum d’individus carpologiques (NMI) de plantes cultivées/consommées est supérieur à 100.

1.2. Quantification des carpo-restes
6Pour discuter des résultats quantitatifs et pondérer la sur-fragmentation des restes de certaines espèces, le nombre de restes carpologiques extraits est rapporté à un nombre minimum d’individus (NMI), l’individu étant considéré comme équivalant à une graine entière ou un fruit entier2.
7Pour les occupations dont le NMI de plantes cultivées/consommées est supérieur à 100, il est possible d’établir l’importance quantitative de ces diverses plantes. En dessous de cette quantité, les données sont considérées comme non fiables statistiquement et ne peuvent servir à certains calculs telle la proportion entre les diverses plantes. En revanche, l’ensemble des données carpologiques peut être utilisé pour raisonner sur la présence d’une plante mais aussi sur sa fréquence d’attestation, permettant, en intégrant la totalité des occupations, d’avoir une vision diachronique des variations de l’importance des céréales et des légumineuses. Le nombre d’occupations étant parfois restreint, la fréquence a été calculée à partir du nombre de prélèvements par période chronologique.
8L’origine des restes carpologiques n’est pas toujours la même. Ceux issus de l’accumulation régulière de divers types de déchets résultant d’activités qui s’échelonnent sur la durée d’occupation d’un site – préparations agricoles, déchets alimentaires, tout type de déchets attachés à des activités en lien avec le végétal, etc. – sont plus représentatifs de l’économie végétale d’un site dans son ensemble. D’autres résidus peuvent correspondre à des stocks incendiés, en place ou en position secondaire, présents sous forme de concentrations de semences. De par l’importance numérique des espèces qui les composent, les concentrations influent fortement sur la représentativité des plantes au sein d’une occupation. C’est pourquoi nous avons choisi, pour les restes carbonisés, de distinguer les déchets détritiques des concentrations de semences.
9Ainsi, pour les restes carbonisés, les données reposent sur une concentration et les résidus détritiques sur 12 occupations mérovingiennes. Parmi les résidus, aucun n’atteignant les 100 restes (en NMI) de plantes cultivées, les informations portent donc uniquement sur les fréquences d’attestation ou la présence des espèces. Pour les occupations carolingiennes, 23 concentrations et 27 résidus détritiques, dont 16 de plus de 100 restes, sont disponibles. Le xie-xiie s. est représenté par 13 occupations, soit 7 concentrations et 11 résidus détritiques, qui ont presque tous livré des NMI supérieurs à 100. Les restes imbibés sont rares et documentent seulement 2 occupations carolingiennes et 3 du début du Moyen Âge central, aucune pour l’époque mérovingienne. Enfin, des restes minéralisés ont été découverts dans 2 occupations mérovingiennes, 6 carolingiennes et 4 du début du Moyen Âge central.
10En prenant en compte les considérations méthodologiques et les données carpologiques disponibles, la période du ve au viie s. s’avère finalement mal documentée, tant par la faiblesse du nombre d’occupations étudiées que par l’insuffisance du nombre de restes (2 187 restes carbonisés et 142 minéralisés).
2. Les plantes de consommation en région Centre-Val de Loire
2.1. Les céréales et les légumineuses
2.1.1. Importance des diverses céréales et légumineuses
11Les céréales et, dans une moindre mesure les légumineuses, représentent une part importante de l’alimentation pour les populations du passé et fournissent, comme aux périodes précédentes, la majorité des apports caloriques (Gautier 2021). Loin d’être statique, leur diversification est perceptible à travers l’arrivée de nouvelles espèces au cours du temps mais également dans la progression et la diffusion de certaines d’entre elles, au détriment d’espèces anciennes.
12Dans la région Centre-Val de Loire, le blé nu (Triticum aestivum/durum/turgidum)3 commence à prendre de l’ampleur dès La Tène moyenne (Pradat 2010) et, plus généralement en Gaule, devient la céréale phare à l’époque romaine (Zech-Matterne, Wiethold et Pradat 2014). Au Moyen Âge, il est toujours dominant dans la région, tout au long de la période, tant par sa fréquence importante dans les prélèvements (de 50 à 71 % des échantillons) (Fig. 5) que par ses proportions dans nombre de sites. Pour l’époque carolingienne (Fig. 6), il est particulièrement prépondérant à Cléry-Saint-André – O11 (88 % du NMI des plantes cultivées), sur les sites de “Beaudisson” – O27 et “Angellières” – O33 sur la commune de Mer (87 et 70 %) et à Maillé “Villiers-la-Roche” – O48 (60 %). Il est également dominant, bien que dans des proportions un peu moins importantes, à Pussigny “Grouets” – O41 (48 %), La Croix-en-Touraine “Pièce du Thé” – O36 (44 %), Montigny – O13 (45 %), Marigny-Marmande-O46 et Marboué “Terres Ecoublanc” – O2 (37 et 36 %). Cette abondance dans les résidus détritiques est encore renforcée par la présence de concentrations constituées à plus de 80 % de blé nu, dans trois concentrations sur six, sur le site de Mer “Angellières” – O33, et à Marigny-Marmande “Psé” – O46 et Maillé “Villiers-la-Roche” – O48 (Fig. 8). À La Croix-en-Touraine “Pièce du Thé” – O36, trois concentrations présentent également des teneurs en blé nu supérieures à 60 %. Au xie-xiie s. (Fig. 7), il domine sur quatre sites – Artenay “Route de Patay” – O19 (96 %), Aschères-le-Marché “Marjolet” – O16 (73 %), Maillé “Villiers-la-Roche” – O49 (65 %) et Blois “Puits Neuf” – O25 (62 %) – et est également bien attesté à Trainou “Clos du Vieux Moulin” – O20 (31 %) et Saint-Épain “Autoroute A10” – O45 (23 %). Il apparaît en forte proportion dans une concentration à Garancière-en-Beauce “Les Houx” – O5 ainsi que dans une concentration composée de multiples espèces à Maillé (Fig. 8). Quand des rachis sont conservés, leur morphologie permet la plupart du temps de les attribuer au blé hexaploïde, blé tendre froment (Triticum aestivum). Néanmoins le groupe des blés durs – tétraploïdes (Triticum durum) – est aussi mentionné sur quelques sites carolingiens (O27, O33 et O31), toujours associé au blé hexaploïde, et dans des proportions inférieures à 15 %.
Fig. 5 - Fréquence d’attestation des céréales et des légumineuses dans les prélèvements.

Fig. 6 - Représentation des proportions des diverses céréales et légumineuses dans les occupations carolingiennes contenant plus de 100 restes NMI de plantes cultivées.

SIG infographie © L. Roubaud, Inrap.
Fig. 7 - Représentation des proportions des diverses céréales et légumineuses dans les occupations des xie-xiie s. contenant plus de 100 restes NMI de plantes cultivées.

SIG infographie © L. Roubaud, Inrap.
Fig. 8 - Concentrations de semences de céréales et/ou légumineuses dans les occupations par période chronologique.

Infographie © B. Pradat, Inrap.
13L’orge vêtue (Hordeum vulgare), céréale remarquable durant l’âge du Fer et l’époque romaine en région Centre-Val de Loire (Pradat 2010, 2013 et inédit) tout comme en Gaule (par ex. Matterne 2001 ou Bouby 2014), figure également parmi les plantes importantes au Moyen Âge. Elle est très fréquente à l’époque mérovingienne et à l’époque carolingienne (présente dans 53 et 59 % des échantillons) (Fig. 5). Bien que moins prépondérante que le blé nu, elle se manifeste à hauteur de 30 à 50 % dans les occupations d’Allonnes “Mare des Saules” – O1 (39 %), Neuville-aux-Bois “Église Saint-Symphorien” – O7 (59 %), Aschères-le-Marché “Marjolet” – O15 (49 %) et Blois “19-21 Vallée Maillard” – O23 (33 %) (Fig. 6). Une concentration de grains d’orge a par ailleurs été mise au jour à Mer “Angellières” – O33. Cette céréale est également attestée dans d’autres concentrations de semences en mélange avec du millet et de l’avoine à Pussigny “Grouets” – O41 et avec du blé nu à La Croix-en-Touraine “Pièce du Thé” – O36 (Fig. 8). Au xie-xiie s., la fréquence d’attestation de l’orge diminue (49 % des échantillons) (Fig. 5). Elle devient discrète comparativement aux autres plantes cultivées (Fig. 7) puisqu’elle n’atteint les 10 % que sur deux sites : Blois “Puits Neuf” – O25 et Maillé “Villiers-la-Roche” – O49. Elle apparaît dans des concentrations à Orléans “Rue Saint-Flou” – O55, mêlée à de l’avoine, et dans le mélange multiple à quatre céréales de Maillé “Villiers-la-Roche” – O49 (Fig. 8).
14L’avoine (Avena sativa) et le seigle (Secale cereale), apparaissent localement au sein de contextes de la moitié nord de la France dès La Tène pour l’avoine et sur des sites gallo-romains pour le seigle. Ils s’affirment dans les cultures en France au Moyen Âge (Ruas 1992a et b ; Ruas et Zech-Matterne 2012). En région Centre-Val de Loire, on les rencontre à l’époque romaine, mais de façon sporadique.
15Pour les périodes qui nous concernent, l’avoine est déjà fréquente à l’époque mérovingienne dans les occupations (dans 28 % des échantillons) et sa fréquence s’accroît jusqu’au xie-xiie s. (41 et 42 %) (Fig. 5).
16Elle est abondante à l’époque carolingienne où elle domine, à égalité avec le blé nu, à Saint-Denis-en-Val “Rue Beaulieu et Dinetard – O10” (24 %) et atteint 25 à 30 % sur trois autres sites : Marboué “Terres Ecoublanc” – O3, Blois “19-21 Vallée Maillard” – O23 et Neuville-aux-Bois “Église Saint-Symphorien” – O7 (Fig. 6). Par ailleurs, elle apparaît prédominante dans deux concentrations à Marboué “Ecoublanc” – O3 et Mer “Angellières” – O33 dans des proportions de plus de 2/3 contre moins d’1/3 d’orge (Fig. 8). Au xie-xiie s., ses attestations sont encore fréquentes (Fig. 5). Elle est cependant moins abondante sur l’ensemble des sites (maximum 7 %) (Fig. 7). Ponctuellement, elle se manifeste en concentration, mélangée à de l’orge à Orléans “Rue Saint-Flou” – O55, à hauteur de 60/40, et à 90 % des grains à Bourges “Avaricum” – O53 (Fig. 8).
17Le seigle, quant à lui, est attesté dans 19 % des échantillons de l’époque mérovingienne (Fig. 5). Ses attestations augmentent pour atteindre plus de la moitié des échantillons au xie-xiie s. Sa culture se développe à l’époque carolingienne mais il n’est jamais dominant dans les assemblages. Ses taux sont faibles puisqu’il n’atteint les 20 % que dans trois sites : Allonnes “Mare des Saules” – O1, Saint-Gervais-la-Forêt “Le Tertre” – O31 et La Croix-en-Touraine “Pièce du Thé” – O36 (Fig. 6). Il est en revanche le principal grain dans trois concentrations à Saint-Gervais-la-Forêt “Le Tertre” – O31, dans une concentration à Mer “Angellières” – O33 et une autre à Blois “Rue Robert Houdin” – O26 (Fig. 8). Au xie-xiie s., le seigle domine à Trainou “Clos du Vieux Moulin” – O20 (51 %) et est assez important à Blois “Puits Neuf” – O25 et Saint-Épain “Autoroute A10” – O45 (27 et 24 %) (Fig. 7). Il est présent dans deux concentrations à Garancière-en-Beauce “Les Houx” – O5 et Maillé “Villiers-la-Roche” – O49 mais sans y être majoritaire (Fig. 8).
18Les millets – millet commun (Panicum miliaceum) et millet des oiseaux (Setaria italica) – se manifestent tant dans les ensembles détritiques que dans les concentrations, à l’arrière-plan des autres céréales. Le millet commun, s’il est assez fréquent aux époques mérovingienne et carolingienne, avec des taux compris entre 22 à 28 % des échantillons (Fig. 5), n’apparaît plus que dans 10 % des échantillons au xie-xiie s. Il est numériquement plus discret que les céréales précédentes. Il est toutefois bien représenté à l’époque carolingienne à Marboué “Remise Saint-Martin” – O2 (42 %) et à Saint-Gervais-la-Forêt “Le Tertre” – O31 (32 %) (Fig. 6). Sur ce dernier site, c’est d’ailleurs l’espèce prédominante dans deux des concentrations, et à Pussigny “Grouets” – O41 – il se trouve en mélange avec de l’orge (Fig. 8). Au xie-xiie s. son importance se limite au site de Saint-Épain “Autoroute A10” – O45 (34 %) (Fig. 7).
19Le millet des oiseaux, non attesté dans les niveaux mérovingiens, est rare ensuite (6 % puis 1 % des échantillons) (Fig. 5) et toujours en faible quantité, excepté à Saint-Gervais-la-Forêt “Le Tertre” – O31, où le millet commun domine, et Saint-Denis-en-Val “Rue Beaulieu et Dinetard” – O10 où il atteint autour de 15 % des restes à l’époque carolingienne (Fig. 6). Au xie-xiie s., il est insignifiant au regard de nos données (Fig. 5 et 7). Il n’est pas systématiquement attesté lorsque du millet commun est présent.
20Les blés vêtus, épeautre (Triticum spelta), amidonnier (T. dicoccum) et engrain (T. monococcum), céréales importantes à l’âge du Fer mais tombées en désuétude à l’époque romaine en région Centre-Val de Loire, ne semblent pas connaitre de renouveau au Moyen Âge, bien au contraire. Sans disparaître totalement, leur fréquence apparaît très faible tout au long de la période, entre 1 et 9 %, sauf pour l’engrain dont les attestations s’élèvent à 16 % des échantillons du xie-xiie s. (Fig. 5). Leur taux par rapport aux autres espèces cultivées est négligeable (Fig. 6 et 7).
21De façon générale, les légumineuses sont beaucoup moins attestées que les céréales dans les sites archéologiques. Elles n’en constituent pas moins une part importante de l’alimentation mais cette discordance relève d’un biais taphonomique lié au fait que le nettoyage des récoltes de légumineuses s’effectue sans traitement thermique. Les assemblages de restes carbonisés comptent moins souvent de légumineuses en général. Toutefois, on relève une augmentation de leur consommation au cours de la période romaine dans le nord de la France (Lepetz et Zech-Matterne 2018) qui s’accentue au Moyen Âge (Ruas 1992a et b). Dans la région, les occurrences montrent que le pois (Pisum sativum), la féverole (Vicia faba var. minor), la vesce (Vicia sativa) et la lentille (Lens culinaris) sont les plus utilisées et qu’elles augmentent à l’époque carolingienne (Fig. 5). Elles sont peu courantes à l’époque mérovingienne, si ce n’est un amas de féveroles découvert dans le fond d’un silo à Étrechet “Marchats” – O50. À partir du viiie-xe s., elles sont plus fréquentes, alors que leurs quantités ne dominent jamais dans les résidus détritiques et sont faibles dans les occupations (< 4 %) excepté à Pussigny “Grouets” – O41 où le taux de féverole atteint 29 %, à Saint-Denis-en-Val “Rue Beaulieu et Dinetard – O10” où la lentille occupe 15 % des plantes cultivées, à Blois “19-21 rue de la Vallée Maillard” – O23 où le pois et la vesce atteignent 4 % chacun (Fig. 6). À la même période, une concentration d’un mélange pois/féverole (43 %/24 %) a été découverte à Marigny-Marmande “Psé” – O46 ainsi qu’un résidu de pois dans un fond de fosse à Blois “19-21 rue de la Vallée Maillard” – O23 (Fig. 8). Au xie-xiie s., les mentions de lentille se raréfient (Fig. 5 et 7).
22La fouille d’un souterrain du xiie-xiiie s. à Aschères-le-Marché “Marjolet” – O16 a révélé un stock composé de pois (73 %), d’ers (Vicia ervilia ; 15 %), de féverole (4 %), de vesce (3 %) et de gesse (Lathyrus cicera/sativa ; 3 %) (Fig. 8) (Gilotte et Preiss 2011). Cet exemple témoigne de la culture de l’ers, de la vesce et de la gesse, discrètes sur les autres sites. L’ers, absente à l’époque mérovingienne, et la gesse, sont présentes mais peu attestées dans les sites des diverses périodes et en très petites quantités (Fig. 5-7). Ce sont des cultures minoritaires, à moins que, comme pour les blés vêtus, certaines ne soient des adventices d’autres cultures de légumineuses.
2.1.2. Conclusion sur les céréales et légumineuses
23Les paramètres pris en compte montrent que l’économie végétale médiévale ne reproduit pas les schémas des périodes antérieures et qu’elle se modifie entre le ve et le xiie s. Le fonds agricole est dominé par le blé nu tout au long de la phase explorée. L’orge vêtue est bien présente jusqu’au xe s. et décroît par la suite. En parallèle, le seigle augmente à partir du xe s. Ce changement peut résulter de plusieurs facteurs tels, entre autres, les besoins en fourrage ou en chaume, les facilités de culture du seigle en comparaison des exigences du froment, la meilleure conservation du pain de seigle dans un système où la cuisson du pain devient moins fréquente car réalisée dans des fours communautaires et non plus dans le cadre familial (Derreumaux 2014). Cette évolution céréalière peut encore être la conséquence directe d’une demande croissante en pain à partir du ixe s. Cette requête entraîne en effet un essor du froment et du seigle, à partir desquels on obtient des pâtes levées, au détriment d’autres espèces non ou peu panifiables telles l’orge vêtue et les millets (Gautier 2021).
24Le millet des oiseaux, particulièrement discret, ne semble pas forcément lié à la culture du millet commun car, même s’il est notable dans le site de Saint-Gervais-la-Forêt – O31, qui a livré une forte quantité de millet commun, dans celui de Saint-Denis-en-Val – O10 qui a lui aussi livré de grandes quantités de millet commun, le millet des oiseaux n’occupe plus du tout la même place. Quand il est présent, il apparaît donc cultivé en tant qu’espèce à part entière. La discrétion de ces deux espèces dans les occupations médiévales suggère une place secondaire au sein du fonds agro-vivrier du Centre-Val de Loire.
25Les découvertes ponctuelles de blés vêtus posent la question de leur statut économique au Moyen Âge dans cette région : étaient-ils encore cultivés ou bien devenus de simples adventices des autres céréales ? Notons la découverte sur deux sites d’une soixantaine de caryopses d’engrain à Mer “Angellières” – O33 et Neuville-aux-Bois “Sud Monfort” – O14 où ils ne représentent cependant que 0,2 % et 4,6 % des plantes cultivées. Dans les deux cas, le statut cultural de cette céréale ne peut être avéré. À Mer “Angellières” – O33 les spécimens se trouvaient dans une concentration de blé nu. Dans le second cas, les grains proviennent de plusieurs structures dont l’une contient 20 caryopses et 14 furcas d’engrain contre plus de 2 700 rachis de seigle et plus de 500 d’orge et autant de blé nu. Ce caractère résiduel suggère que l’engrain persistait vraisemblablement comme adventice.
26La céréaliculture mise en évidence par ces études en Centre-Val de Loire apparaît différente de celle d’autres régions du nord de la France. En région parisienne par exemple, le duo dominant et récurrent est formé du blé nu et du seigle (Ruas 1992a et b), tandis que l’avoine et l’orge vêtue n’y sont jamais dominantes – excepté à Saint-Soupplets (Seine-et-Marne) où l’avoine est la principale céréale (Derreumaux in Besnier et al. 2020) – et que l’épeautre reste attesté comme culture jusqu’au ixe s. (Ruas 1992a et b ; Lepetz et al. 2002). En Bretagne et en Normandie, le duo dominant est l’orge vêtue et l’avoine ; les blés vêtus n’y sont pas notés comme cultures (Ruas et Zech-Matterne 2012).
27Au sein des légumineuses, la vesce se place parmi les plus fréquentes. En Île-de-France, ses occurrences augmentent à partir du ve-viie s., mais restent derrière celles du pois et de la féverole. Ses graines sont ponctuellement abondantes en mélange avec l’avoine comme au Mesnil-Aubry (xe s.) (Ruas et Pradat 2008). Il est difficile de statuer sur l’importance de l’ers et des gesses car leurs fréquences et leurs abondances réduites témoignent de leur rôle minoritaire dans les productions agricoles de la région. Il semble qu’elles étaient employées ponctuellement pour des besoins occasionnels.
2.2. Les restes fruitiers
28L’importation de fruits en Gaule tire ses origines de l’Antiquité gréco-romaine (Ruas 1996 ; Zech-Matterne 2010). Au Moyen Âge, certains fruits ont pu être acheminés dans la région Centre-Val de Loire via les routes commerciales sans avoir poussé localement, tandis que d’autres pouvaient être acclimatés. Parallèlement, des espèces sauvages ont pu être mises en culture et/ou simplement exploitées (Ruas 2016). Aussi le statut économique de certains fruitiers reste-t-il ambigu.
29D’un point de vue méthodologique, une réflexion basée sur les fréquences d’attestation des divers fruits dans les assemblages s’avère délicate car les contextes humides ou minéralisés, en particulier les latrines et fosses dépotoirs en eau, sont ceux qui livrent le plus de restes fruitiers. Or, ils sont peu nombreux et seulement présents dans deux sites de l’époque mérovingienne, sept de l’époque carolingienne et cinq pour le xie-xiie s.
30Une vingtaine d’espèces compose la gamme des fruitiers attestés dans la région durant cette phase chronologique. Seules sont commentées ici les plus particulières.
31La vigne (Vitis vinifera), plante emblématique, est attestée à l’époque romaine dans la région Centre-Val de Loire où elle est toutefois assez discrète. Elle est très fréquente dans les assemblages du Moyen Âge, et ce, quel que soit le mode de fossilisation concerné (restes carbonisés, imbibés et minéralisés) : elle apparaît dans 42 % des occupations mérovingiennes, dans 69 % des occupations carolingiennes et dans 64 % des occupations du xie-xiie s. En Occident, la culture de la vigne est en expansion et le commerce du vin répandu et florissant dès la fin de l’époque mérovingienne (Gautier 2021). Deux dépôts régionaux sont particulièrement remarquables, ceux de Cléry-Saint-André “les Hauts Bergerêts” – O11 et de Bourges “Avaricum” – O53. Constitués de concentrations de pépins, associés à des éléments de rafle et des lambeaux d’épicarpe (peau de la baie), ces éléments sont caractéristiques du marc de raisin (résidus de pressurage ou foulage du raisin) (Margaritis et Jones 2006 ; Ros et Ruas 2016). Ces dépôts témoignent de la fabrication de vin in situ. Datés respectivement du ixe-début xe s. et du xiie s., l’un est en milieu rural, l’autre en milieu urbain. Par ailleurs, une étude sur l’ADN conservé dans des pépins provenant du site de “La Madeleine” à Orléans – O17 a permis d’en caractériser le cépage comme étant du savagnin blanc (encore appelé Traminer), actuellement cultivé principalement dans les vignobles du Jura (Ramos-Madrigal et al. 2019). Les vignerons ont donc su conserver ce cépage égal à lui-même, par bouturage ou greffage, depuis des siècles4.
32La diversité morphologique des noyaux de prunier domestique (Prunus domestica) identifiés à Blois “Puits Neuf” – O25, en milieu urbain, et à Orléans “la Madeleine” – O17 – en contexte monastique fontevriste – révèle l’existence de plusieurs variétés. Cette diversité variétale pouvait satisfaire à la fois aux plaisirs gustatifs et permettre d’échelonner les récoltes selon les périodes de maturation des fruits, voire de disposer de fruits aux propriétés différentes pour une utilisation spécifique.
33Le Moyen Âge signe l’arrivée de certaines espèces fruitières en région Centre-Val de Loire.
34Concernant les petits fruits rouges, les mûres de ronces (Rubus agg. fruticosus) et les fraises du fraisier sauvage (Fragaria vesca) sont avérées dans la région bien antérieurement à l’époque médiévale (Pradat inédit). Ces deux petits fruits sauvages ont fait l’objet d’une cueillette. Le cas du framboisier (Rubus idaeus) est autre car il est commun en région montagneuse mais plus rare en plaine. Il est attesté dans deux sites à l’état imbibé. À Joué-lès-Tours – O39, ce ne sont pas moins de 1 800 pépins de framboise qui ont été mis au jour dans un prélèvement de seulement 2,5 litres, contenant par ailleurs des pépins de raisin et une centaine de pépins de mûre de ronce. La fosse dont ils sont issus est en lien avec le presbytère au viiie-ixe s. et donc avec l’alimentation du desservant de la paroisse. L’autre découverte (436 NMI) provient d’une fosse urbaine d’un milieu aisé à Blois “Puits Neuf” – O25, des xie-xiie s., qui a aussi livré un grand nombre de restes fruitiers (plus de 3900 restes) dont de la fraise (803 NMI) et de la mûre de ronce (129 NMI). La framboise soulève des questions quant à son origine qui n’est en effet pas forcément issue de plants locaux. Au xe-xie s., en contexte castral à Neuvy-Deux-Clochers – O54, on observe une grande quantité de pépins de fraise en mélange avec des espèces rares – pin pignon, gourde calebasse. L’association des vestiges de ces fruits dans des contextes de milieu social susceptible de posséder un espace horticole soulève la question de leur origine cueillie ou culturale, probablement locale. Les sources iconographiques et textuelles médiévales illustrent la transplantation de fraisiers sauvages, de framboisiers dans les jardins seigneuriaux aux xive-xve s. (Higounet-Nadal 1989 : 134 et 142). Leur abondance dans des occupations des siècles antérieurs suggère qu’ils devaient avoir été plantés bien que les auteurs Latins ne mentionnent pas leur culture à Rome ni en Gaule romaine (Ruas 2016).
35La mûre ronce bleue (Rubus caesius) n’est quant à elle pas attestée avant les xie-xiie s. où elle a été mise en évidence à Blois “Puits Neuf” – O25 – et, avec moins de certitude, à Orléans “La Madeleine” – O17. Elle est néanmoins présente dans le nord de la France dès l’époque gallo-romaine et bien antérieurement dans l’est de la France (Zech-Matterne et al. 2017).
36Parmi les espèces pour lesquelles se pose la question d’une culture locale ou d’une importation figurent le figuier, le pêcher et le néflier. Quoique pouvant être cultivées dans la région, leurs vestiges sont rares dans les spectres carpologiques régionaux et leur présence est sporadique d’une manière générale, ouvrant un débat sur leur importation éventuelle.
37Le néflier (Mespilus germanica), dont l’indigénat n’est pas avéré en France, pourrait être attesté depuis l’âge du Fer. Les découvertes limitées de noyaux dans les niveaux romains du Haut- et Bas-Empire évoquent plutôt une provenance commerciale des fruits (Ruas 2016), avant d’être probablement mis en culture au Moyen Âge. En Centre-Val de Loire, quelques noyaux sont attestés à l’époque carolingienne sur le site de Maillé, Fondettes et Saint-Gervais-la-Forêt en contexte rural – O48, O37 et O31, puis en grand nombre (285 NMI) aux xie-xiie s. à Blois “Puits Neuf” – O25 – dans une fosse, en milieu urbain.
38La pêche (Prunus persica), fruit à chair fragile, supporte mal les transports à longue distance. Mises dans du vin ou en saumure d’après une recette romaine, les pêches pouvaient être conservées, voire exportées (André 1981 : 89). Des noyaux sont avérés en Gaule du nord dans quelques occupations romaines et apparaissent de façon sporadique dans les niveaux médiévaux. Le Capitulare de villis cite le pêcher parmi les fruitiers à cultiver dans les domaines carolingiens. La concentration exceptionnelle d’une cinquantaine de noyaux extraits d’une fosse dépotoir du xie s. à Saint-Germain-des-Fossés (Allier) témoignerait-elle de telles plantations mais plus tardives (Ruas 2000) ? Force est de constater qu’en France du nord, les découvertes sont rares et les quantités de restes impliqués infimes. Trois sites en ont livré dans la région : Neuvy-Deux-Clochers, Neuville-aux-Bois “Sud Monfort” et Trainou – O54, O18 et O20.
39Si la figue fraîche (Ficus carica) est également fragile, sous forme séchée, elle se stocke et se transporte facilement. Ses fruits produisent un grand nombre d’akènes qui se conservent bien en contexte humide ou à l’état minéralisé. On peut ainsi supposer que si le figuier était acclimaté et développé dans la région, on retrouverait plus fréquemment ses akènes au sein des assemblages humides/minéralisés. Or, la figue n’apparaît qu’à Orléans “la Charpenterie”, Blois “Houdin” et Neuvy-Deux-Clochers entre le ixe et le xie s. – O8, O26 et O54.
40Les vestiges de pêche et de figue se manifestent en Gaule du nord au changement d’ère, après la Conquête romaine. Ces fruits ne sont que très peu attestés dans la région à l’époque gallo-romaine : un noyau de pêche à Amboise “Rue Rouget de l’Isle” (Indre-et-Loire) (Pradat inédit) et à Saint-Romain-sur-Cher (Loir-et-Cher) au iie-iiie s. (Pradat in Salé et Fournier 2004), quelques akènes de figue à Brion (Indre) au ier s. (Pradat inédit) et à Mignières (Eure-et-Loir) au iiie s. (Derreumaux in Gibut et al. 2012). Leur rareté et les contextes de découvertes en milieux plutôt urbains et/ou aisés, laissent penser que leur culture n’était peut-être pas régionale et que ces fruits provenaient d’un commerce. Pour le Moyen Âge, on note la présence de pin pignon (Pinus pinea) à Neuvy-Deux-Clochers – O54, espèce du Bassin méditerranéen, qui atteste un commerce de denrées alimentaires avec des régions du Sud.
2.3. Les plantes aromatiques et condimentaires
41Une dizaine de taxons a pu être utilisée dans l’alimentation pour leurs saveurs aromatiques ou comme condiments : aneth (Anethum graveolens), céleri (Apium graveolens), cumin des prés (Carum carvi), anis vert (Pimpinella anisum), sarriette (Satureja hortensis), origan (Origanum vulgare), fenouil (Fœniculum vulgare), coriandre (Coriandrum sativum), moutarde noire (Brassica nigra) et genévrier commun (Juniperus communis). Ces plantes ont pu être cultivées dans des jardins ou, pour certaines, spontanées dans la région, être glanées dans la nature. Fenouil, sarriette, coriandre et anis, espèces allochtones de la région, proviennent soit de commerce soit de cultures locales. Le site rural de Saint-Gervais-la-Forêt – O31 a livré 109 semences de sarriette. Pour les autres espèces, hormis dans ce même site où 45 semences d’aneth ont été mises au jour, le faible nombre de leurs restes ne permet pas d’assurer de leur emploi. La nature des déchets dans lesquels se trouvaient les semences de sarriette et d’aneth, composés en grande partie de résidus agricoles (vannes de céréales), laisse douter de leur consommation. Toutefois, sur ce même site sont attestés le céleri, le fenouil, la moutarde noire et le genévrier, plantes aromatiques et condimentaires également.
42La moutarde comme condiment, réalisée à partir de grains de moutarde noire, est très prisée au Moyen Âge (Bonnaire 2021). Elle est utilisée dans les sauces d’hiver dans la cuisine médiévale, mais jugée de rang inférieur par rapport aux épices consommées par l’élite comme le gingembre, le macis ou la cannelle (Laurioux 1983). Dans la région, des graines sont préservées sur plusieurs sites, mais seule l’occupation de La Croix-en-Touraine – O36, datée du ixe-xe s., en a livré un nombre important : 240 semences dont 205 présentes dans une concentration formée de blé nu et d’orge vêtue (plus de 3700 restes au total dont 130 semences de plantes sauvages). Son usage en tant que plante condimentaire demeure ici incertain car, dans ce cas précis, elle pourrait avoir été une adventice des cultures.
43La coriandre, aromatique marquante de la romanisation, n’est attestée que dans le site castral de Neuvy-Deux-Clochers – O54 qui contenait par ailleurs d’autres plantes particulières (gourde calebasse, figuier ou encore pin pignon).
44Aucune espèce exotique non cultivée en France, tel le poivre, n’a à ce jour été mise en évidence dans la région.
2.4. Les plantes “légumes”
45Le pourpier (Portulaca oleracea) est présent dans plusieurs sites à l’époque carolingienne et aux xie-xiie s. Son statut est difficile à définir car si la plante est consommée pour ses feuilles ou ses graines (Hwess et al. 2017), elle pousse aussi très facilement à l’état naturel dans les cultures sarclées ou les zones rudérales. Elle est connue pour ses vertus médicinales dans l’Antiquité et est également mentionnée comme plante alimentaire à confire dans du sel et vinaigre par Columelle (livre 12, xiii-2) et par des agronomes hispano-arabes (Hernandez Bermejo et León 1994 : 326). Dans la région, le pourpier est attesté sur quelques sites urbains et ruraux et plus particulièrement à Blois “Puits Neuf” – O25 – par 167 graines minéralisées et 130 imbibées, dans une fosse contenant un grand nombre de restes de fruitiers suggérant sa consommation. Qu’il ait été cultivé ou simplement cueilli de manière opportuniste, le pourpier est un indicateur de la pratique de cultures en jardin.
46Une autre plante a pu être mise en culture pour ses feuilles : le cresson alénois (Lepidium cf. sativum), attesté à Orléans “La Madeleine” – O17. Les identifications ne sont cependant pas complètement assurées pour 24 exemplaires sur les 34 découverts au total. Il est auparavant présent dans la région à Mer “Beaudisson” au iie s. (Pradat 2018).
47La gourde calebasse (Lagenaria siceraria) est une espèce tropicale qui, durant l’Antiquité, pouvait provenir d’Afrique ou d’Asie. À l’état de graine ou d’écorce de fruit, elle est repérée dans les assemblages de la Gaule romaine (Bouby 2014 : 202). Dans la région, l’unique attestation à ce jour, toutes périodes confondues, est localisée à Neuvy-Deux-Clochers – O54, dans un contexte castral. Sa chair est comestible et, une fois séchée, le péricarpe épais (écorce) de la gourde pouvait servir de récipient. Citée comme culture dans le Capitulare de Villis du ixe s. et dans une recette du Ménagier de Paris daté du xive s., elle est consommée comme légume et produite dans les jardins péri-urbains entre le xiie et le xve s. (Ruas, Bouby et al. 2006). Elle est toutefois peu fréquente dans les assemblages carpologiques avant le bas Moyen Âge, probablement en raison du faible nombre de contextes en eau (latrines et puits à eau).
2.5. Les plantes oléagineuses/ à usages textiles
48Quatre espèces peuvent avoir été utilisées pour la fabrication d’huile à partir de leurs semences oléifères : la caméline (Camelina sativa), le pavot (Papaver somniferum), le chanvre (Cannabis sativa) et le lin (Linum usitatissimum).
49Outre les propriétés oléagineuses des semences de chanvre (chènevis) et de lin, de leurs tiges sont extraites des fibres pour la confection de textiles. Un nombre important de semences de chanvre (660 individus) a été mis au jour à Saint-Gervais-la-Forêt – O31. Le site étant localisé à moins de 4 km de la Loire, un lien entre sa culture et une activité textile est proposé, pour la fabrication de voile ou de cordage en rapport avec la batellerie (Pradat à paraître).
50D’autres plantes attestées dans les assemblages du corpus peuvent avoir été utilisées dans l’artisanat tisserand. La cardère (Dipsacus sp.) est une plante épineuse sauvage proche du chardon. Les capitules mûrs, une fois séchés, peuvent servir à carder la laine avant de la filer. Toutefois, cet usage est souvent impossible à mettre en évidence car l’espèce est courante dans les lieux cultivés ou en friche et seules quelques semences dispersées sont généralement exhumées. C’est le cas à Blois “Puits Neuf” – O25, aux xie-xiie s. où cinq semences gorgées d’eau étaient conservées. Le seul autre élément archéologique pouvant alimenter la discussion quant à l’existence de cette activité sur le site est un peson. Par ailleurs, des semences de carthame des teinturiers (Carthamus tinctorius) ont été découvertes à Maillé – O48. Originaire du Proche-Orient et documentée par de nombreuses découvertes du Néolithique au Moyen Âge dans le sud-est de l’Europe (Hofmann-de-Keijzer et Heiss 2019), cette plante tinctoriale et oléagineuse a pu être cultivée pour l’huile contenue dans ses graines et/ou un colorant aux tonalités rouge/rose/orangé – le “rouge de carthame” – obtenu à partir de ses fleurs. La présence sur ce même site de vestiges de lin et de chanvre, ainsi que de fusaïoles et d’un peson, témoignerait qu’une partie des activités était orientée vers l’artisanat textile. Une autre plante, la gaude (Reseda luteola), dont on extrait une teinture jaune des tiges et des feuilles, est attestée sur le site carolingien de Marboué “Terres Ecoublanc” – O4 et celui du xiie s. à Bourges – O53. Cette espèce avait déjà été mise en évidence par quelques graines dès l’Antiquité dans la région à Amboise au ier s. (Pradat in Laruaz 2018) et en très grand nombre au iiie s. à Ymonville (Bonnaire 2020). D’autres plantes attestées dans les dépôts étudiés ont pu servir dans l’artisanat textile en plus de leur rôle alimentaire : le noyer (Juglans regia), dont le brou peut être utilisé pour l’obtention d’une teinture brune ou encore les fruits de sureaux (Sambucus sp.) ou de cornouiller sanguin (Cornus sanguinea) à fort potentiel tinctorial.
3. Plantes et statut social
51Certaines plantes semblent plus particulièrement rencontrées en contextes urbains ou élitaires. À ce titre, il est intéressant d’explorer les éventuelles relations entre celles-ci et la position sociale des occupants des lieux. Le statut des sites a été distingué en cinq groupes à partir des données précisées dans les rapports de fouille : sites élitaires (1 occupation), sites à aisance financière (13), sites intermédiaires (8), sites modestes (16) et sites ecclésiastiques (2) ; pour 15 occupations, ce statut demeure inconnu (Fig. 1).
52L’affiliation de certaines plantes uniquement avec des contextes aisés ou au moins à statut intermédiaire est tangible. C’est le cas du figuier, du framboisier et de la ronce bleue. Même si cette dernière ne semble a priori pas exceptionnelle, les deux sites dans lesquelles elle a été trouvée – O17 et O25 – contenaient également de la mûre ronce et de la fraise, ainsi que de la framboise à Blois – O25. La diversité dans les petits fruits rouges, ajoutée à celle des variétés de prunes sur ces deux sites, est remarquable. À l’inverse, le raisin n’apparaît pas comme un marqueur social : on le rencontre aussi bien dans les milieux aisés ou élitaires que dans les milieux modestes.
53D’autres plantes ne sont attestées qu’en milieu urbain ou rural relativement aisé tel le probable cresson alénois, le pourpier et les plantes aromatiques. C’est ce qui avait déjà été observé pour l’aneth, le céleri, la coriandre, le carvi, le fenouil et la sarriette dans les sites médiévaux de l’Europe du Nord-Ouest (Livarda et Van der Veen 2008).
54Les semences de chènevis se conservent généralement mal lorsqu’elles sont exposées à la chaleur en raison de leur teneur en substance huileuse. Cela pourrait expliquer leur faible fréquence dans les sites archéologiques même si dans la région le chanvre est attesté sous forme carbonisée dans quatre sites sur les sept qui en contiennent. L’observation de cette plante uniquement en milieux aisés ou intermédiaires est inattendue. Au xive s., l’huile de chènevis, utilisée comme huile d’éclairage, est citée dans les inventaires après décès en Bourgogne rurale chez des paysans aisés (Piponnier 2007). Bien qu’il soit possible d’envisager un biais taphonomique, il pourrait être séduisant de considérer que le chanvre était l’apanage d’une certaine catégorie sociale. Ceci pourrait s’expliquer par la chaîne opératoire de fabrication des tissus de chanvre nécessitant la possession d’outils spécifiques au traitement des fibres et de métiers à tisser (Piponnier 2007).
55Que peut-on constater à propos des céréales, plantes du fonds agricole, et des caractéristiques sociales des lieux de découvertes des différentes espèces (Fig. 9) ? Le blé nu comprend le blé tendre et le blé dur dont les farines ont des propriétés différentes. Avec celle du blé tendre était obtenu un pain blanc, particulièrement recherché pour son goût et sa finesse et exigé par les plus riches (Gautier 2021). De même, à partir du xiiie s., la consommation quotidienne de pain blanc distinguait les citadins des populations rurales (Grieco 1996), les pains levés légers étant considérés comme convenant mieux aux oisifs au contraire des pains plus énergétiques répondant mieux aux besoins des travailleurs de force (Comet 1992 : 498). Les blés durs étaient transformés en pâtes sèches et semoule. Le seigle, adapté aux sols pauvres, fournit un pain noir plus rustique. On pourrait donc penser que les sites modestes livrent de plus grandes quantités de seigle tandis que les sites “aisés” contiennent plus de blé.
Fig. 9 - Comparaison entre les proportions de blé nu, de seigle et d’orge et le statut social des occupations.

56Les deux sites de Cléry-Saint-André – O11 – et Mer “Beaudisson” – O27 – présentant des taux de blé nu supérieurs à 85 % de l’ensemble des plantes cultivées, sont de statut assez aisé. Globalement, les occupations qui ont plus de 50 % de blé sont des sites où les occupants ont un niveau de vie relativement élevé (Fig. 9), excepté à Mer “Angellières” – O33 –, modeste, et où les proportions atteignent 70 %. En dessous de 50 %, le blé nu apparaît dans des sites aisés mais également dans de nombreux sites modestes. Il est par ailleurs présent sous forme de concentration dans les deux sites assez aisés de Maillé – O48 – et Marigny-Marmande – O46 – et dans le site modeste de Mer “Angellières” dans lequel son taux est important également en contexte détritique. Ainsi, hormis le site de Mer “Angellières” qui semble faire une exception, les sites contenant plus de 50 % de blé nu correspondent à des milieux sociaux plus aisés.
57Pour ce qui est du seigle, un seul site présente un taux supérieur à 50 % : Trainou – O20, site modeste. Ailleurs, quand les proportions de seigle oscillent entre 20 et 27 %, il ne semble pas y avoir de lien entre ces taux et la condition sociale des occupants puisqu’on le trouve aussi bien dans les sites aisés que modestes. Il est accompagné par une ou plusieurs autres céréales : millet, orge et, systématiquement par une proportion de blé non négligeable (au moins 20 %), et ce, même pour les sites modestes. Par ailleurs, des concentrations de seigle ont été mises en évidence à Blois “Houdin” – O26 – et à Saint-Gervais-la-Forêt – O31 – dans des sites assez aisés. La présence de seigle ne semble pas connectée au statut social des occupants d’un site. En l’état actuel, il est difficile d’affirmer que les très fortes teneurs en seigle, comme c’est le cas à Trainou – O20, soient liées à un statut modeste. D’autres découvertes permettront de vérifier ou d’infirmer cette hypothèse.
58Quant à l’orge, elle ne semble pas dépendre du statut social des occupants puisqu’elle est attestée aussi bien sur des sites aisés que modestes. Elle est découverte en association avec du millet, de l’avoine, du seigle ou encore du blé nu mais, dans ce cas, le blé n’est pas forcément dans des proportions supérieures à 20 % des restes. Elle apparaît sous la forme d’une concentration à Mer “Angellières” – O33, site modeste. Son utilisation comme grain fourrager peut expliquer sa présence dans des domaines seigneuriaux.
Conclusion
59Cette synthèse sur les plantes consommées au Premier Moyen Âge en région Centre-Val de Loire permet de dessiner le schéma économique de ce secteur géographique et révèle la diversité de plantes alimentaires cultivées localement, cueillies dans les environs des sites et, pour certaines, sans doute issues d’échanges commerciaux. Comme ailleurs, les céréales jouent un rôle de premier plan et le blé nu apparaît prépondérant au sein de cette polyculture céréalière. Le rôle des légumineuses, moins bien représentées dans le corpus et au second plan des productions agricoles, est mal éclairé. À leurs côtés, de nombreuses autres plantes aussi bien cultivées que sauvages devaient être exploitées pour l’alimentation humaine ou animale, ou entrer dans un processus artisanal.
60Plusieurs questions restent néanmoins en suspens. La question du statut social des consommateurs est généralement difficile à cerner. Elle doit prendre en compte plusieurs paramètres, notamment la conservation différentielle des restes carpologiques, la nature des activités à l’origine des déchets, les valeurs économiques accordées aux plantes selon le lieu et la période (Hallavant et al. 2017). La place attribuée à telle ou telle espèce dans le système technique, l’économie ou les activités des populations, qu’il s’agisse des céréales les mieux représentées ou d’autres espèces plus discrètes dans les assemblages, nécessite de prendre en compte non seulement leur importance numérique, mais aussi la nature des dépôts. Des rejets alimentaires indiquent une consommation in situ par les habitants du site. En revanche, des déchets de nettoyage de récolte signalent une culture locale qui peut être destinée à la consommation des occupants des lieux, et, si une partie de la production est soumise aux prélèvements de redevance, à celle de l’élite et de leurs animaux, les chevaux par exemple. La connaissance des relations entre productions rurales céréalières et consommation urbaine dans la région exige une documentation carpologique plus fournie, notamment à partir des dépôts urbains. À l’inverse, les informations sur les fruits ou les plantes condimentaires font défaut dans les milieux ruraux, faute d’échantillons provenant de puits ou latrines.
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Notes de bas de page
1La période choisie correspond au cadre chronologique du colloque.
2Pour calculer le NMI, sont ajoutés aux restes entiers les fragments divisés par deux, excepté pour les légumineuses et les fruits dont les fragments de cotylédons (de graine) ou de valves (de coque, de noyau) sont divisés par quatre.
3La distinction entre ces trois blés nus est impossible à établir sur base de la simple anatomie des grains.
4Communiqué de presse INRA du 11 juin 2019.
Auteurs
Inrap CEVE, Direction Scientifique et Technique, UMR 7209 AASPE CNRS MNHN.
Hadès, UMR 5608 TRACES.
CNRS, UMR 7209 AASPE CNRS MNHN.
UMR 7209 AASPE CNRS MNHN.
CRAVO, UMR 7209 AASPE CNRS MNHN.
Institut des Sciences Naturelles de Belgique, Bruxelles.
CNRS, UMR 5554 ISEM Université de Montpellier.

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