Un habitat autour de l’an mil à Mer, Beaudisson (Loir-et-Cher)
A settlement around the year 1000 at Mer, Beaudisson (Loir-et-Cher)
p. 235-245
Résumés
À Mer (Loir-et-Cher), Beaudisson, un habitat est installé et occupé autour du milieu/seconde moitié xe s. Sa durée de vie d’une à deux générations tout au plus offre un quasi-instantané d’une unité d’habitat organisée et ouverte dont les principales composantes sont une probable cour, un bâtiment résidentiel ou mixte de 137 m2, d’autres constructions annexes et une aire d’ensilage aux fortes capacités de stockage. Le démantèlement définitif du bâtiment principal après 1020 implique une période d’abandon avant la remise en état des terrains. Les corpus de mobilier sont réduits. Si certains, comme l’alimentation carnée ne se démarquent pas des autres habitats ruraux de la région Centre-Val de Loire, d’autres comme les ensembles céramiques et carpologiques dénotent une culture matérielle et une consommation plutôt aisées. L’hypothèse d’un habitat d’une petite élite est discutée.
At Mer (Loir-et-Cher), Beaudisson, a settlement was installed and occupied around the middle/second half of the 10th century. Its lifespan of one to two generations at most provides a virtual snapshot of an organised and open settlement, the main components of which are a probable courtyard, a 137 m2 residential or mixed building, other ancillary buildings and a silage area with a large storage capacity. The final dismantling of the main building after 1020 meant that there was a period of abandonment before the land was restored. The corpus of artefacts is small. While some, such as meat consumption, do not stand out from other rural dwellings in the Centre - Val de Loire region, others, such as the ceramic and carpological assemblages, indicate a rather affluent material culture and consumption. The hypothesis of a residence for a small elite is discussed.
Entrées d’index
Mots-clés : Loir-et-Cher, premier Moyen Âge, habitat rural, résidence élitaire, ensilage, carpologie
Keywords : Loir-et-Cher, Early Middle Ages, rural settlement, elite residence, ensilage, carpology
Texte intégral
1. Beaudisson et son terroir
1Mer (Loir-et-Cher) est implanté en bordure du plateau de Petite Beauce qui domine la vallée de la Loire au nord. Son territoire, prospecté dès les années 1970, fait l’objet de multiples interventions d’archéologie préventive depuis le début des années 1990.
2Sur le plateau, aux habitats ouverts du Hallstatt-La Tène moyenne succèdent des occupations encloses à La Tène finale. Les premiers établissements antiques conservent une même forme, avant qu’à la fin du ier s. de n.è. apparaissent des villae et fermes mettant en œuvre une architecture en pierre. Le Bas-Empire voit le retour de la construction en terre et bois. L’habitat du premier haut Moyen Âge, très discret, se développe peut-être sur ces sites antiques. La période du second haut Moyen Âge est plus documentée avec des établissements ruraux qui s’affranchissent des occupations antérieures (Fig. 1).
Fig. 1 - Mer (41), localisation des sites et indices de sites du premier Moyen Âge (ve-xie s.).

V. Chollet et F. Couvin, Inrap, extrait de Couvin 2018.
3À Beaudisson, le décapage de 3,2 ha a porté principalement sur un établissement rural antique abandonné après le ive s. (Couvin 2013 ; Couvin 2018). La plupart des 1 060 vestiges étudiés s’y rattachent (Fig. 2). L’habitat du xe s. est implanté à l’écart de la villa abandonnée et dans l’emprise de l’enclos de La Tène finale qui la précède.
Fig. 2 - L’occupation médiévale (en rouge) de Beaudisson à Mer.

V. Chollet et F. Couvin, Inrap.
4Les terrains sont pratiquement plats, à une altitude moyenne de 100 m NGF, avec une très légère pente vers l’ouest, en direction du vallon du ruisseau de Beaudisson. Le substrat de calcaire et marne de Beauce (m1a), à bon potentiel agricole, permet une exploitation agricole intensive. Le paysage contemporain est très ouvert, avec quelques bois.
2. Une occupation limitée et structurée
5Une petite centaine de vestiges appartiennent avec plus ou moins d’assurance à cet habitat (Fig. 3). Assez concentré, il semble être intégralement décapé. Son organisation spatiale apparaît claire et simple du fait de l’absence d’autre occupation majeure dans ce secteur et de sa stabilité.
Fig. 3 - Plan de synthèse de l’occupation milieu/ seconde moitié xe s.

V. Chollet et S. Joly, Inrap.
6L’habitat apparaît ouvert. Alentour, une dizaine de fossés, très faiblement conservés, matérialisent un parcellaire assez régulier. Les faibles surfaces de ces parcelles évoquent des jardins ou vergers. La disposition générale montre une trame axée OSO-ENE, sans lien évident avec les états antérieurs mais préfigurant celui du cadastre de 1812.
7Les deux bâtiments identifiés sont disposés perpendiculairement. Le plus grand (L) correspond probablement à l’édifice principal, alors que l’autre (M), de seulement 7,2 m2 et qui reste mal daté, aurait une fonction annexe. Au nord-ouest et sud-est du bâtiment principal, des espaces sans vestige d’environ 500 m2, sont de possibles cours. Un silo isolé jouxte le bâtiment L. Plus au sud et à l’ouest, deux ensembles d’une quinzaine de trous de poteau, chacun d’environ 100 m2 et sans organisation évidente, attestent des structures et constructions annexes (petits bâtiments, gerbiers, clôtures). Cinq silos forment une petite aire d’ensilage en chapelet. Quelques rares fosses et trous de poteau épars, ainsi qu’un petit alignement de trous de poteau servant de probable clôture, complètent l’ensemble. La proximité du ruisseau de Beaudisson, à environ 200 m, et la profondeur de l’aquifère (à plus de 20 m) expliquent l’absence de puits.
3. Le bâtiment L
8Un ensemble de 35 trous de poteau forment un plan oblong orienté SO-NE de 17,8 m de long et 7,7 m de large (Fig. 4). Sa superficie atteint 137 m2. Les nettes différences morphologiques et leur agencement révèlent deux groupes distincts.
Fig. 4 - Plan et coupes du bâtiment L, daté milieu/seconde moitié xe s.

V. Chollet, S. Joly et G. Robert, Inrap.
9La file des trois vestiges médians structure l’espace interne. Leurs dimensions, et en particulier leurs profondeurs qui atteignent 0,66 et 0,72 m, montrent l’importance de leur rôle porteur. Ils sont régulièrement espacés de 4,7 m. Leurs comblements sont caractérisés par d’épais remblais déposés en cuvette, sans trace empreinte de poteau ou calage en place. Cette stratigraphie suggère une récupération des pièces de bois avant un nivellement définitif.
10Les 32 autres trous de poteau matérialisent les parois latérales. Au nord-ouest et sud-est, leurs alignements sont parallèles et équidistants à la file médiane. Au sud-ouest, une courbure affirmée témoigne d’un plan en abside alors qu’au nord-est, elle est moins nette. Certains vestiges sont disposés en léger retrait. D’autres sont en doublons, indices de possibles réfections ou aménagements. L’irrégularité des espacements ne permet pas d’identifier les accès. Ces trous de poteau latéraux ont des dimensions assez hétérogènes et plutôt modestes. Leurs profondeurs sont comprises entre 0,13 et 0,55 m ce qui dénote des rôles porteurs différents. Les formes sont assez semblables, alors que les comblements sont plutôt hétérogènes. Parfois la présence de fantômes de poteau avec des calages en place montre que ces pièces de bois se sont décomposées in situ sans arrachage.
11Selon sa durée d’enfouissement, la partie enterrée du bois peut présenter des altérations importantes (Zimmermann 1998 : 50). Ces altérations rendent un réemploi de peu d’intérêt dans toute sa hauteur originelle, sauf pour les éléments dont le diamètre et l’essence ont favorisé la conservation. Les poteaux centraux sont très certainement plus massifs et choisis dans une essence plus résistante (chêne par exemple) que ceux employés dans les parois. La récupération de certains et le pourrissement d’autres sont autant d’indices d’une certaine durée de vie du bâtiment. L’absence de tuile amène à supposer une couverture en matériaux périssables. Aucun aménagement (foyer, paroi) ou couche n’est conservé dans l’espace interne.
12La chronologie directe de cet édifice repose sur trois tessons frais et trois analyses radiocarbones sur charbons. Sa construction est postérieure au milieu du xe s. et sa récupération est postérieure à 1020 (Fig. 5). Les rejets de céramiques alentour confirment une brève occupation située au milieu ou dans la seconde moitié du xe s. Ce terminus post quem de 1020, qui ne tient pas compte d’un effet “vieux bois” des charbons, implique soit d’étendre la fourchette du mobilier céramique jusque dans le courant de la première moitié du xie s., soit de supposer une phase d’abandon. Le bâtiment déserté a pu perdurer de nombreuses années, sans préjuger de son habitabilité, avant son démantèlement définitif et le scellement des creusements. Des usages ponctuels, sans production de déchets, restent possibles pendant cet apparent abandon.
Fig. 5 - Datations céramiques et radiocarbones du bâtiment L, probabilité d’existence.

S. Joly, Inrap.
13Deux principales hypothèses de restitution sont envisageables (Fig. 6). Dans la première, la charpente repose sur un système à faîtière porteuse et parois semi-porteuses. Il s’agit d’une solution mixte entre ce que A. Zippelius, F. Audouze et O. Buchsenschutz définissent comme les bâtiments “à une nef” où toute la charge de la toiture repose sur les poteaux faîtiers, et les bâtiments à parois porteuses aux extrémités en croupe où les chevrons sont reliés par une faîtière qui joue seulement un rôle de liant (Audouze et Buchsenschutz 1989 : 70‑71). Le gabarit des trous de poteau médians justifie le rôle de support à la faîtière : les chevrons viennent s’appuyer dessus mais également en partie sur les parois latérales (Fig. 6, A). L’absence de poteaux faîtiers sur les extrémités sud-ouest et nord-est, ainsi que l’aspect plus ou moins courbe de celles-ci permettent de supposer une toiture à deux croupes. Cette toiture peut être également stabilisée par des entraits-retroussés. La très grande largeur du bâtiment et les profondeurs modestes des poteaux latéraux réduisent la hauteur possible des parois. Avec par exemple une hauteur de 1,5 m et une pente de toiture comprise entre 45 et 60°, conforme avec les exigences d’une toiture en chaume ou bardeau (Luley 1992), le faîtage atteindrait déjà 5,5 à 8 m de haut (Hodara 2005 : 71‑72). Toutefois, cette question de la hauteur des parois peut être aussi revue à l’aune des observations ethnographiques qui montrent des bâtiments construits avec une charpente à chevrons formant ferme, où les chevrons reposent directement sur le sol, ce qui confère à l’ensemble de la charpente une meilleure stabilité (Épaud 2009 : 132) (Fig. 6, B). Les parois, internes, peuvent alors être intégrées à la charpente même ou être protégées par celle-ci, améliorant l’isolation et formant des “combles perdus” latéraux.
Fig. 6 - Hypothèses de restitution schématisées du bâtiment L, vues en coupe, avec deux types de toiture différentes.

G. Robert, Inrap.
14La seconde hypothèse découle notamment du constat que dans l’architecture vernaculaire européenne, la file de poteaux médians ne supporte pas une faîtière mais plutôt un plancher ménageant un espace voué au stockage (Épaud 2019 : 184‑186). Toutefois, ces exemples sont des édifices à parois porteuses, avec des murs solides supportant le poids de la charpente. Les poteaux médians sont alors simplement posés à même le sol ou sur des dés. Or le constat est inverse pour le bâtiment L de Mer, où l’ancrage des poteaux médians est nettement plus important que ceux des parois. Par ailleurs, cela supposerait aussi la présence d’entraits, servant de solives pour l’installation du plancher (Fig. 6, C et D). Or les trous de poteau latéraux ne sont pas disposés en vis-à-vis, ce qui semble plutôt infirmer cette hypothèse. Au final, la question du rôle de ces trois poteaux centraux reste ouverte.
15La taille ne détermine pas en soi la fonction de l’édifice. Toutefois, le soin apporté au plan et la présence de constructions probablement annexes permettent d’y situer l’origine des rejets domestiques. L’hypothèse d’un bâtiment résidentiel ou à usage mixte est donc privilégiée.
16Ce type de plan à file de poteaux centraux est désormais régulièrement identifié en région Centre-Val de Loire, notamment aux “Cent Planches” à Mer (Salé 2022) ou en Touraine en particulier à Saint-Cyr-sur-Loire (Dalayeun 2018) et Pussigny (Joly en cours). La multiplication de leurs études permettra d’approfondir la question de leur restitution architecturale et de leurs fonctions.
4. Des silos volumineux
17Les six silos ont des volumes conservés compris entre 1,36 et 4 m3, la moyenne étant de 2,3 m3 et le total de 14 m3. Ces volumes individuels se démarquent nettement de ceux des sites ruraux habituels de la région, qui dépassent très rarement 1,3 m3 (Dabek 2014). Ils se rapprochent de sites plus particuliers comme par exemple les ensembles castraux de Betz-le-Château ou Chinon. Des rejets domestiques et un dépôt de bovin en connexion indiquent des réutilisations opportunistes et ponctuelles comme dépotoir, juste avant leur scellement par remblayage massif.
5. La culture matérielle
18Malgré la fouille intégrale et souvent manuelle de la plupart des vestiges, le mobilier reste peu abondant, probable reflet d’une occupation réduite et brève, mais aussi un indice de l’évacuation des déchets. L’essentiel du mobilier provient des rejets domestiques au sein de silos et de quelques fosses, formant des lots en position secondaire mais plutôt homogènes et modérément fragmentés.
5.1. La céramique
19Le mobilier céramique médiéval s’élève à 294 tessons (Fig. 7). Le nombre minimal d’individus (NmI) est de 62. Les six groupes techniques observés présentent tous des surfaces laissées brutes. Les céramiques blésoises 51 en pâtes siliceuses fines à semi fines ocres orangées dominent le corpus (67 % du NmI). Les poteries en pâte 1 grossière beige ocre correspondent aux productions tardives des ateliers de Saran (Loiret) et représentent 8 % du NmI. Les études régionales montraient jusqu’à récemment que ces ateliers cessaient d’employer les argiles saranaises vers le milieu du xe s. au profit des pâtes blanches à cœur noir de l’Orléanais dans la seconde moitié du xe s. (Jesset 2013 : 104‑105). Le site de la ZAC des Portes du Loiret montre la coexistence de ces deux types de pâtes dans la seconde moitié xe-première moitié du xie s. (Lejault 2019 : 1636‑1638, pâte 40, nos 6 et 7). Les rebuts de cuisson de la même période mis au jour rue du Lac à Saran présentent des caractéristiques technologiques similaires (Jesset 2020 : 65, 73). Enfin, les pâtes semi fines 49 et 50 blanches et 47 et 48 rosées pourraient être d’origine tourangelle (15 % du NmI). Trois d’entre-elles sont répertoriées en Loir-et-Cher à Blois, rue du Puits Neuf, et à Saint-Gervais-la-Forêt au xe-première moitié xie s. (Millet 2015 : 178).
Fig. 7 - Céramiques milieu/seconde moitié xe s.

S. Millet, Inrap.
20Le corpus des formes est limité. Pots à lèvres versées en gouttière (pots 2a) et cruches sont seuls documentés (pas de formes ouvertes, ni de luminaire). Les pots à cuire en pâte blésoise sont équipés de lèvres étirées à parement anguleux. Ce type de pot est toujours produit dans la seconde moitié du xe s à Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher), en face de Mer, sur la rive gauche de la Loire (Jaffrot 2016 : 72‑75). Les pots à cuire de Saran présentent des lèvres versées à l’horizontale à parement oblique. Les formes sont identiques sur le site de la ZAC des Portes du Loiret. Ils sont les seuls à présenter des décors à la molette de losanges ou à motif de deux lignes de traits obliques et de chevrons, décor rare parmi les productions du xe-première moitié xie s. (Lejault 2019 : 1673‑1674, 1698‑1699).
21Les cruches sont dotées de lèvres rectangulaires redressées, allongées pour les productions blésoises, courte pour l’exemplaire en pâte 49. Aucun système verseur n’est présent. La moitié des tessons en pâte claire de Touraine présentent des traces de peinture. Ces décors peints consistent en bandes obliques de couleur ocre orangé à rouge au tracé rectiligne ou de bandes aux tracés et largeurs irréguliers, réalisés au doigt (décor instinctif par application, caractéristique des dernières productions peintes de Touraine). Au total, la céramique décorée représente 7,5 % du NmI et les cruches constituent une part élevée du corpus (24 à 36 % du NmI contre 28 et 40 % pour les pots). Les indéterminés sont nombreux (24 %).
22L’occupation domestique, très courte au vu de l’homogénéité de la céramique, est à situer au milieu/seconde moitié xe s. L’absence de pot 2b à lèvre en bandeau et de pâtes dites de l’Orléanais ne va pas dans le sens d’une datation du début du xie s., sans qu’on puisse l’exclure totalement. Il s’agit d’une population assez aisée ayant accès à un approvisionnement en céramiques décorées et diversifiées. Les productions illustrent l’ouverture du site au commerce ligérien entre Orléans et Tours.
5.2. Les restes carpologiques
23Parmi la dizaine de prélèvements d’environ 10 litres, tamisés sur des cribles de mailles 2 et 0,5 mm, six ont livré des restes carpologiques conservés par carbonisation. Quatre contiennent moins de 10 restes et les deux autres environ 500 restes chacun (en NMI) (Fig. 8).
Fig. 8 - Carporestes exprimés en NMI (entiers + fragments/2 ou /4 pour les restes de fruits ou légumineuses).

B. Pradat, Inrap.
24Quatre espèces céréalières sont attestées : avoine (Avena sp.), orge vêtue (Hordeum vulgare), millet commun (Panicum miliaceum) et plus particulièrement le blé nu (Triticum aestivum/durum/turgidum) qui domine très largement. Outre les semences, des fragments de rachis sont attribuables à l’orge et au blé nu, dont certains sont caractéristiques du blé hexaploïde (type froment) et d’autres du blé tetraploïde (blé dur). Les légumineuses sont peu nombreuses : un exemplaire de pois, un d’ers et quelques fragments de fève. Seize pépins de raisin sont également attestés. De nombreux fragments de matière organique sont conservés. Ils présentent un aspect brillant, des cellules à peu près régulières mais non denses. Des traces de végétaux (tiges, peut-être feuilles) sont parfois visibles. Sans toutefois exclure définitivement l’hypothèse, ces résidus ne ressemblent pas à des restes de pain ou encore de bouillie. Peut-être s’agit-il d’un aliment (fromage ou autre type de préparation) mis à sécher sur un clayonnage ou un lit végétal.
25D’autre part, des plantes sauvages sont conservées, principalement en F.535, et sont attribuables à des adventices des cultures, des plantes de prairies et des plantes rudérales.
26Le blé nu domine dans les deux prélèvements les plus riches. Néanmoins, les assemblages ne sont pas identiques. L’un d’eux, la fosse F.667, est en effet essentiellement composé de caryopses de blé nu tandis que la couche du fond de silo F.535 est très hétéroclite. On y trouve un grand nombre de plantes sauvages (plus de la moitié des restes) constitué principalement d’adventices des cultures et de plantes de prairies dont beaucoup de fléoles (Phleum cf. pratense et Phleum sp.). Il n’est pas rare de les rencontrer dans les récoltes car elles poussent en touffe et il est difficile de s’en débarrasser dès la première année lorsque l’on retourne une prairie pour en faire un champ cultivé (Jauzein et Montegut 1983). Outre ces taxons, des résidus de vannes de blé – numériquement importants en comparaison du nombre de grains –, quelques légumineuses, du raisin et des résidus organiques sont présents. Le dépôt est vraisemblablement issu de restes culinaires ou de consommation (matière organique, raisin) mêlés à d’autres types de déchets tels des résidus de préparation agricole.
27En F.667, outre le blé nu, la forte teneur de grande cigüe (Conium maculatum) est à noter (74 semences, soit plus d’1/10 des grains de blé). Cette plante, qui croît dans les haies, au voisinage des habitations ou plus rarement dans les cultures, n’est pas très fréquente dans les sites du Moyen Âge de la région et jusqu’à présent non rencontrée dans des résidus de récoltes. Toutes les parties de la plante, et plus particulièrement les graines, contiennent de la coniine qui la rende toxique en provoquant salivation, vomissements, douleurs intestinales, paralysie musculaire pouvant aller jusqu’à l’asphyxie. Une dose équivalente à une cuillère à café de graines vertes provoque de forts troubles chez l’humain. La sensibilité des espèces animales à la coniine est variable : les vaches y sont plus sensibles que les chevaux et bien plus que les moutons (Bruneton 2005). Elle est très connue pour servir à l’élaboration de poison mais aussi pour ses vertus médicinales. Comment interpréter sa présence ici ? Comme adventice des cultures ? La graine de la grande cigüe, de couleur jaune dorée, est de forme allongée, aux extrémités arrondies avec une fente ventrale. Elle peut ainsi passer inaperçue parmi des grains de blé, quoique de taille inférieure, et se trouver mêlée aux caryopses sans qu’on le désire. Mais alors pourquoi y en aurait-il autant alors que les autres adventices sont peu nombreuses (4 taxons et seulement 16 restes au total) ? Le résidu carpologique correspond-il à un remède ? Hormis la cigüe, aucun autre élément n’évoque ce type de préparation. Si sa présence est involontaire, elle pouvait être dangereuse pour la santé des consommateurs.
28D’après le corpus, certes restreint, le blé nu pourrait être la principale production agricole. Les rachis de blé découverts suggèrent une mise en culture avec traitement des récoltes in situ. Si le blé nu occupe une place importante aux xe-xiie s. dans la région, il est particulièrement prépondérant sur les sites à statut social aisé, ce qui pourrait être le cas ici, et dénote une alimentation améliorée par rapport au monde rural commun (voir B. Pradat et al. dans le présent volume).
5.3. La faune
29Sans compter la carcasse du bovin, la faune comprend 467 restes dont 375 déterminés taxonomiquement (NRDt) pesant 3,2 kg. Les taxons de la triade domestique dominent très largement (88,5 % du NRDt et 99,4 % du PRDt) : surtout le bœuf (76,3 % du NRDt et 88 % du PRDt) devant le porc (10,1 % du NRDt et 9,7 % du PRDt) et les caprinés (2,1 % du NRDt et 1,7 % du PRDt). La carcasse du bovin mâle adulte (7-8 ans), non consommée ou découpée et témoin d’une possible épizootie, confirme cette prédominance du bœuf. Le reste du corpus montre une présence discrète de chien, d’un oiseau indéterminé et de microfaune. Aucun gibier ou, plus étonnamment, animal de basse-cour n’est identifié.
30Le bœuf constitue la quasi-totalité de l’apport carné. L’âge estimé, en particulier pour la carcasse, indique un usage tourné vers sa force de travail ou la reproduction. Un élevage sur le site est probable. Cette place majoritaire des bovins est classique dans les habitats ruraux non élitaires en Île-de-France et dans le nord-ouest de la France (Yvinec 2012), mais leur position ultra dominante ici semble néanmoins plus atypique. Elle reflète peut-être le choix de privilégier la production agro-pastorale (élevage ou force de travail) à une alimentation plus diversifiée ou de qualité.
5.4. Le reste : fer, verre et terre cuite architecturale
31La plupart des 11 objets en fer sont indéterminés. Un clou de fer d’équidé entier et n’ayant jamais été broché au sabot indique la présence d’un maréchal-ferrant et d’une monture. Les deux fragments de verre potassique découverts appartiennent à une forme ouverte rebrûlée correspondant sans doute à un verre à boire. Les 117 fragments de terre cuite architecturale antique collectés, pesant environ 8,5 kg, montrent que les résidents se sont ponctuellement approvisionnés sur la villa voisine pour y extraire des matériaux, sans que la destination de leur remploi ne soit établie.
6. Synthèse et discussion
32Cette fouille offre un quasi instantané d’une unité d’habitat ouverte installée ex nihilo autour du milieu/seconde moitié xe s. Elle est composée d’une probable cour, un grand bâtiment résidentiel (ou mixte), d’autres constructions annexes et une aire d’ensilage aux fortes capacités de stockage. L’ensemble est en relation avec des parcelles de jardins ou vergers. L’occupation est courte, une à deux générations tout au plus, son abandon intervenant dès la fin du xe s. La fin de cet habitat ne s’est pas accompagnée d’une remise en état immédiate des terrains, pour un usage agricole par exemple. Le bâtiment principal, resté à l’abandon de longues années, n’est finalement démantelé qu’après 1020.
33Les dimensions du bâtiment L en font une des plus vastes constructions de la région pour la période. Elles fondent l’interprétation d’un habitat particulier et ostentatoire d’une petite élite. Les activités agricoles semblent prédominantes, en particulier la culture du blé nu. Les rachis de blé suggèrent une mise en culture avec traitement des récoltes in situ. L’ensilage montre l’existence de volumineuses récoltes à conserver, d’où qu’elles viennent. Cette céréaliculture a pu être accompagnée d’autres activités ou productions n’ayant laissé aucune trace. La place du bœuf dans le bétail peut refléter un besoin pour les travaux des champs. Les corpus de mobilier, réduits du fait de la brièveté relative de l’occupation et d’une possible gestion rigoureuse des déchets, fournissent des marqueurs sociaux et économiques qu’il est indispensable de croiser et pondérer pour éviter toute surinterprétation. Les ensembles céramiques et carpologiques dénotent un niveau plutôt aisé par rapport à la masse des habitats ruraux de la région Centre-Val de Loire à la fin du premier Moyen Âge (ixe-xiie s.), sans pour autant atteindre celle des sites élitaires ou urbains. Les présences de verre à boire et d’équidé pourraient aussi aller dans ce sens mais elles restent quantitativement anecdotiques. L’alimentation carnée est au contraire parfaitement commune.
34La question de l’identification des résidences des élites reste délicate (Peytremann 2013 ; Hurard 2017). En région Centre-Val de Loire, une petite série d’occupations privilégiées de la fin du premier Moyen Âge ont été identifiées dont sept, incluant Beaudisson, ont été comparées pour tenter de valider leurs interprétations individuelles (Jesset et al. 2020). Leur diversité limite toute tentative d’établir des stricts critères communs de hiérarchisation. Comme pour Beaudisson, il apparaît qu’une partie de la culture matérielle et les activités pratiquées ne se différencient pas ou peu de ceux de leurs voisins, alors que les principales composantes de l’habitat, en particulier ici le bâtiment résidentiel, évoquent un statut privilégié. Cette distorsion pourrait notamment s’expliquer par des fonctions ne laissant pas de trace archéologique (administration par exemple) ou intermittentes (possession d’une élite n’y résidant que ponctuellement et entretenue par des dépendants au quotidien).
35Une mise en perspective avec les autres sites de la fin du premier Moyen Âge du terroir de Mer, dont les Ribets (Josset et Georges 2006) et l’habitat groupé des Cent Planches (Salé 2022), est indispensable pour mieux saisir les maillons intermédiaires de la hiérarchie sociale, en particulier la petite élite locale pressentie ici. À partir du xie s., la disparition de ces occupations sur le plateau est probablement à mettre en relation avec leur regroupement autour des centres paroissiaux.
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Auteurs
-
Stéphane Joly
Inrap Centre-Île-de-France, UMR 7324 CITERES-LAT.
-
Gaëlle Robert
Inrap Centre-Île-de-France, UMR 7324 CITERES-LAT.
-
Sébastien Millet
Inrap Centre-Île-de-France.
-
Bénédicte Pradat
Inrap CEVE, Direction Scientifique et Technique, UMR 7209 AASPE.
-
Fabrice Couvin
Inrap Centre-Île-de-France, UMR 7324 CITERES-LAT.
-
Alexandre Fontaine
(collab.)
Inrap Centre-Île-de-France.

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