Nouvelles données sur la topographie historique de Loches aux ve-viie siècles
New data on the historical topography of Loches in the 5th-7th centuries
p. 95-109
Résumés
Les opérations menées sur le promontoire de Loches depuis une dizaine d’années ont engendré des données archéologiques inédites sur l’occupation du site durant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge. Celles-ci permettent aujourd’hui de remettre en cause un certain nombre d’interprétations traditionnelles des textes anciens, et de proposer une nouvelle grille de lecture de la topographie historique du lieu aux ve-viie s. Elles supposent notamment que vicus et castrum, mentionnés par Grégoire de Tours, constituaient deux entités spatiales bien distinctes, et que chacune a connu, dès le très haut Moyen Âge, l’installation d’un lieu de culte. Avec la fondation d’un monastère aux marges de l’agglomération et de la fortification, ce n’est donc pas deux, mais trois établissements religieux dont aurait été doté Loches dès le vie s. Cet article est l’occasion de présenter les nouvelles données archéologiques ainsi que les réflexions ayant conduit à proposer ces nouvelles hypothèses de travail.
Over the past ten years, archaeological excavations on the Loches promontory have yielded unprecedented data on the site’s occupation during Late Antiquity and the Early Middle Ages. Today, these data allow us to question a number of traditional interpretations of ancient texts, and to propose a new grid for reading the historical topography of the site in the 5th-7th centuries. In particular, they assume that vicus and castrum, as mentioned by Gregory of Tours, constituted two distinct spatial entities, and that a place of worship was established in each of them as early as the early Middle Ages. With the foundation of a monastery on the outskirts of the town and the fortification, Loches would have had not two, but three religious establishments by the 6th century. This article presents the new archaeological data and the considerations that led to these new working hypotheses.
Entrées d’index
Mots-clés : Loches, haut Moyen Âge, habitat, castrum, vicus, églises, terres noires
Keywords : Loches, Early Middle Ages, habitat, castrum, vicus, churches, black earth
Texte intégral
1Occupant un vaste éperon rocheux de 4,7 ha entouré d’une fortification de 1,1 km, le château de Loches apparaît comme un véritable conservatoire d’architecture médiévale. Pourtant, la recherche sur ce site restait jusqu’à récemment constituée d’une juxtaposition d’analyses du bâti des éléments les plus remarquables. Quelques travaux parmi les plus récents et faisant à ce jour référence peuvent être évoqués à ce titre. La célèbre tour maîtresse a ainsi fait l’objet dans les années 1990 d’une nouvelle étude complète et de datations dendrochronologiques ayant permis d’asseoir la datation de sa construction entre 1013 et 1035 (Dormoy 1996 ; Mesqui 1998). La collégiale Notre-Dame des xie et xiie s. a bénéficié de plusieurs analyses ayant éclairé les caractéristiques de ses principales composantes architecturales (Fleury 1998, 1999 et 2000 ; Duret-Molines 2003). De même, les logis royaux des xive et xve s. ont été entièrement réétudiés dans le cadre d’une thèse d’archéologie du bâti (Bourocher 2015). Paradoxalement, il a fallu attendre les années 2010 pour que de nouvelles recherches soient entreprises, accompagnées de fouilles. Pilotées par le Service de l’Archéologie du Département d’Indre-et-Loire, elles associent opérations préventives et fouilles programmées (Fig. 1). L’un des objectifs essentiels, notamment des fouilles programmées de 2014-2018 dans le parc des logis royaux et de 2019-2020 dans la collégiale, portait sur la documentation des strates archéologiques antérieures à l’édification des principaux éléments monumentaux bien connus, et tout particulièrement le haut Moyen Âge. En effet, les connaissances sur cette période étaient auparavant limitées à l’interprétation des rares sources textuelles évoquant la localité. Sur ce plan, les apports des recherches récentes sur le promontoire permettent une relecture plus générale des textes anciens et invitent à poser de nouvelles hypothèses sur la topographie historique de l’agglomération de Loches dans son ensemble. Elles supposent notamment que vicus et castrum, constituaient deux entités spatiales bien distinctes, et que chacune a connu l’installation d’un lieu de culte dès le très haut Moyen Âge (ve-viie s.).
Fig. 1 - Plan général du château de Loches avec localisation des opérations archéologiques.

P. Papin, Sadil, 2021.
1. Les sources écrites et leurs interprétations traditionnelles
2Il convient d’abord de présenter les quelques sources écrites évoquant les origines de Loches. Les mentions les plus anciennes apparaissent dans l’œuvre de Grégoire de Tours (538-594). L’évêque mentionne le toponyme de Loches à deux reprises. La première pour la fondation d’une église par l’évêque Eustoche (442-458/9), dans un lieu nommé Lucas, qu’il qualifie alors de vicus1 – c’est-à-dire une agglomération. La seconde occurrence concerne la fondation d’un monastère par un moine nommé Ours, sous l’épiscopat de Volusien (488-496). Cette mention situe sa retraite dans une “montagne qui est maintenant dominée par un castrum2”. Ainsi que cela a été souligné par Élisabeth Lorans et Élisabeth Zadora-Rio, Grégoire de Tours sous-entend donc que la fondation du monastère eut lieu avant la construction de l’enceinte et que celle-ci est déjà édifiée lorsqu’il rédige son ouvrage (Lorans 1996 : 36 ; Zadora-Rio 2014 : 1).
3Un document plus tardif, la charte de fondation de la collégiale Notre-Dame par le comte d’Anjou Geoffroy Grisegonelle (960-987), datée entre 978 et 985, apporte une autre information importante (Boussard 1975). Le texte indique en effet deux éléments essentiels : d’abord la fondation de la collégiale n’est pas menée ex nihilo, mais constitue la reconstruction (raedificio) dans le castrum (in hoc castro) d’une église, dont l’ancien vocable de Sainte-Marie-Madeleine (sanctae Mariae Magdalenae) est remplacé par celui de Notre-Dame ; ensuite Geoffroy confirme dans son acte des donations très anciennes faites à la précédente église par Childebert Ier (511-558), donc au vie s. (Lorans 1996 : 59).
4De là, plusieurs interprétations opposées apparaissent. Selon la tradition la plus souvent reprise, l’église Sainte-Marie-Madeleine évoquée dans la charte de fondation de la collégiale, serait l’édifice fondé dans le vicus par Eustoche au milieu du ve s. On retrouve cette assertion dans presque tous les travaux évoquant les origines de la collégiale Notre-Dame, depuis le xixe s. (Dufour 1812 : 16-17 ; Bourassé 1844 : 139 ; Bardet 1862 : 5-6 ; Hat 1878 : 29 et 42 ; Lelong 1977 : 239 ; Héliot et Deyres 1987 : 22, entre autres). Ce postulat est encore repris par Élisabeth Lorans qui précise que le castrum “a pu enserrer un habitat perché, mais non fortifié jusque-là désigné par le terme de vicus” (Lorans 1996 : 59-60). En effet, selon ce point de vue, vicus et castrum seraient donc une seule et même entité : le sanctuaire primitif aurait été fondé par Eustoche dans une agglomération ouverte (vicus) située sur le sommet de l’éperon, et un peu plus tard englobée à l’intérieur d’une enceinte (castrum).
5Cependant, il existe une autre lecture des textes, moins fréquente dans la bibliographie. Celle-ci apparaît sous la plume de Jean Vallery-Radot qui, sans en tirer de conclusions définitives, mentionne le texte d’un chanoine du chapitre de la cathédrale de Tours, Jean Maan, auteur en 1666-1667 d’une histoire de l’église métropolitaine de Tours3 (Vallery-Radot 1926 : 5). Maan indique que l’église Sainte-Madeleine, précédant la collégiale Notre-Dame, a été fondée, non pas par Eustoche, mais par “Childebert, fils du roi Clovis4”. Or, ce document n’est pas le seul texte de l’époque moderne à indiquer cette information. On peut en effet en signaler plusieurs autres, dont un plus ancien. Le voyageur Dubuisson-Aubenay5, en 1646-1647, écrit que “l’eglise notre dame du chateau de Loches fut par luy, Childebert, fondée premierement et dediée soubs le nom de Ste Marie Magdeleine […]”. La même idée se dégage des écrits un peu plus tardifs de Dom Martène en 17176, de Jean-Aimard Pigagniol de la Force en 17537 ou de l’Abbé d’Expilly en 17668. Dans tous ces textes d’historiographes modernes, c’est Childebert qui est expressément indiqué comme le fondateur de l’église primitive du château. En outre, rappelons que la charte de fondation de la collégiale atteste que ce roi a effectué des dons à l’église Sainte-Marie-Madeleine.
6Considérés comme peu fiables, ces textes ont été souvent rejetés voire occultés par les chercheurs récents, à l’exception notable de Gérard Fleury, pour lequel l’hypothèse de la localisation de l’église fondée par Eustoche à l’intérieur de l’espace occupé aujourd’hui par le château apparaît “purement conjecturale” (Fleury 1998 : 442 et notes 7 et 9). Évoquant l’écrit de Maan, il se demande “comment et pourquoi” le chanoine de Tours aurait-il inventé cette fondation par Childebert ? Ainsi, d’après Gérard Fleury, il n’est pas du tout assuré que vicus et castrum soient bien une seule et même entité. Ce même doute a été plus récemment encore émis par Elizabeth Zadora-Rio, qui prend en revanche pour argument que “compte tenu de la fréquence des lieux de culte multiples à l’époque de Grégoire [l’église Sainte-Marie-Madeleine] ne doit pas nécessairement être identifiée avec l’église fondée par l’évêque Eustoche dans le vicus de Loches” (Zadora-Rio 2014).
7Si l’on suit cette idée, le vicus pourrait tout à fait se situer à l’écart de l’actuelle forteresse, et ce serait dans cette agglomération qu’aurait eu lieu la fondation d’Eustoche au milieu du ve s. Elle serait donc distincte du castrum édifié sur le promontoire à la fin du ve s., dans lequel Childebert, entre 524 (date à laquelle il récupère le “Royaume d’Orléans” de son frère Clodomir) et avant sa mort en 558, aurait fondé Sainte-Marie-Madeleine.
8Telles sont les interprétations traditionnelles de la topographie historique de Loches au très haut Moyen Âge à partir des sources écrites. Après dix ans de recherches récentes incluant des fouilles, celles-ci méritent donc d’être confrontées aux données archéologiques.
2. Les nouvelles données archéologiques alto-médiévales au sein du château
9De 2013 à 2020, les opérations programmées menées au nord du promontoire ont permis à plusieurs reprises d’atteindre le socle calcaire. Certes de manière restreinte en raison d’une grande épaisseur de la stratification, de la mise en place de paliers de sécurité et d’oblitérations par des constructions plus récentes, les ouvertures ont toutefois offert des fenêtres d’observation sur les niveaux les plus anciens.
2.1. La découverte d’une portion du castrum tardo-antique
10L’une des découvertes majeures eut lieu en 2017 (Papin 2018 : 65-69). Cette campagne a en effet vu, en marge de la fouille d’une partie de la grande salle des comtes d’Anjou du xie s., la réalisation d’un petit transect touchant l’actuelle enceinte, au nord-ouest de l’éperon (Fig. 2). Cette ouverture avait justement pour but d’étudier les modalités d’installation des enceintes et leur évolution. La fouille a ainsi occasionné la découverte d’une ligne de fortification située cinq mètres en retrait du mur actuel bordant le promontoire, démontrant que la fortification médiévale était constituée dans ce secteur de deux murs : une enceinte proprement dite perchée au sommet de l’éperon, et un mur de braie au-devant, le seul conservé actuellement. Or, la poursuite de la fouille en profondeur sur une surface de 5 m² au droit du mur de l’enceinte intérieure, a permis de découvrir que cette construction s’appuyait sur un ouvrage plus ancien. La section mise au jour, de seulement 1,60 m de long, apparaît clairement composée de cinq blocs de tuffeau blanc en grand appareil, montés à joints vifs, agencés sur une à deux assises (1,30 m de hauteur conservée au mieux, Fig. 3).
Fig. 2 - Profil topographique restitué des fortifications et de la grande salle du xie s. à partir des fouilles de 2016 à 2018.

P. Papin, Sadil, 2021.
Fig. 3 - Portion du castrum mise au jour en 2017.

Cliché Sadil, 2017.
11Le sondage a en outre permis l’exploration d’une série de niveaux archéologiques en lien avec ce mur en grand appareil. D’abord, sa tranchée de fondation a été reconnue, peu profonde (30 cm) et probablement associée à un trou de poteau. Puis ce niveau est recouvert d’une série de remblais plus ou moins chargés en cailloux, alternant avec des niveaux de sol piétinés mieux structurés. Deux faits archéologiques ont été perçus dans ces niveaux : d’abord un possible fossé, incomplètement identifié, qui semble disposé parallèlement au mur, puis, à la suite de son comblement, l’aménagement d’un alignement de blocs de grand appareil posés de chant formant une sorte de petite terrasse le long du mur. En définitive, les couches explorées renvoient l’image de niveaux de circulation extérieurs, le fossé puis l’aménagement de pierre matérialisant vraisemblablement la volonté de préserver, une bande circulable le long du mur en grand appareil.
12L’essentiel des éléments de datation de cette séquence repose sur la découverte d’un mobilier céramique relativement abondant. Uniquement dans les 5 m² fouillés, les restes d’au moins 55 récipients (NMI) ont été recueillis. Les productions apparaissent caractéristiques du très haut Moyen Âge, comme la Dérivée de Sigillée Paléochrétienne, la sigillée d’Argonne ou la céramique brossée, renvoyant à la seconde moitié du ve et au vie s. Ainsi, si l’architecture même du mur le laissait déjà présager, la datation du mobilier apporte la preuve qu’il s’agit bien là des premiers vestiges jamais découverts du castrum de l’Antiquité tardive mentionné par Grégoire de Tours. Si l’on prend en considération le fait que ses écrits indiquent une construction postérieure à la fondation du monastère par saint Ours entre 488 et 496 (cf. supra), alors la construction semble devoir être datée plus précisément de la toute fin du ve voire du début du vie s.
13C’est donc dans un cadre historique postérieur à la chute de l’Empire romain que s’effectue la construction. C’est alors le temps de l’expansion du royaume franc, d’abord au nord de la Loire, et qui aboutit après la bataille de Vouillé en 507 à la conquête de l’Aquitaine sur les Wisigoths. Avant cette date, la frontière entre les deux royaumes est traditionnellement placée au sud de Tours (Boussard 1973 ; 5 Ferdière 2005 : 334-336). En outre, les récits de Grégoire de Tours relatant les miracles de saint Ours évoquent des différends opposant les moines et un certain Silarius, qui est dit “ami” du roi Alaric II, à propos de moulins situés sur l’Indre. Selon Henri Martin, c’est même vraisemblablement lui qui décide de donner un peu de ses terres pour l’installation du monastère (Martin 1984 : 892). L’édification de la fortification pourrait donc être à mettre au crédit des Wisigoths, et ce dans le cadre des tensions frontalières avec les Francs.
2.2. Des niveaux de terres noires
14Outre la découverte de cette portion de castrum, les fenêtres ouvertes jusqu’au rocher lors des différentes fouilles programmées ont par ailleurs permis de faire partout le même constat. Sous les niveaux bien stratifiés datant au mieux de la fin du ixe et du xe s., les occupations les plus anciennes se présentent systématiquement sous la forme d’une couche “organique”, sombre et d’apparence homogène, plus ou moins caillouteuse, située au contact avec le rocher. Le mobilier archéologique y apparaît souvent abondant, frais, mais chronologiquement brassé, avec notamment une proportion significative d’artefacts préhistoriques et protohistoriques (silex et céramique), mais aussi du haut Moyen Âge. Seules quelques structures en creux ont été repérées dans ces niveaux, mais le plus souvent une fois le rocher atteint. Les caractéristiques de cette séquence permettent ainsi, en tout état de cause, de les qualifier de “terres noires”.
15Celles-ci présentent toutefois des variations en fonction des secteurs fouillés, aussi bien dans leur épaisseur que dans le spectre chronologique du mobilier rencontré. Elles apparaissent ainsi par lambeaux très peu épais (5 à 10 cm) à l’extrême nord de l’éperon (Papin 2015 et Papin 2016), et sont même totalement absentes d’un sondage de 2013 effectué au sud des logis royaux (Papin 2014). En revanche, cette couche a été observée sous la collégiale en 2019 sur une épaisseur d’une quinzaine de centimètres (Papin et Gaultier 2020), et jusqu’à 60 cm au sud-ouest du parc des logis royaux (Papin 2017 ; Papin et Riou 2019).
16Dans cette zone, située non loin de la portion de castrum mise au jour en 2017, un test de fouille fine sur une petite surface de 5,70 m² a été effectué en 2018, par passes mécaniques de 10 cm d’épaisseur, avec un tamisage systématique couplé à une analyse micromorphologique d’une colonne de sédiment9 (Papin et Riou 2019 : 67-71). Les observations etanalyses ont mis en évidence une stratification bouleversée au sein de cette séquence d’apparence homogène.
17En premier lieu, la fouille fine a permis d’identifier, au milieu de la séquence, un niveau de sol (niveau légèrement induré avec une surface cendreuse, et légère différence de couleur), et surtout l’apparition très nette d’un gros trou de poteau, repéré uniquement grâce à son calage (Fig. 4). Ces observations macroscopiques sont par ailleurs confortées par la micromorphologie, qui met en évidence le caractère très anthropisé des dépôts et une pédogenèse associée au développement de niveaux de surface. Le sédiment peu évolué révèle l’abondance de matières organiques qui impliquent des apports liés à l’accumulation de déchets d’activités (notamment de combustion et d’activités artisanales) et à la dégradation de matériaux périssables. Il ne fait ainsi guère de doute que nous avons bien affaire à des niveaux d’occupation déstructurés. Au regard du large spectre chronologique du mobilier présent, cette couche contient donc à elle seule l’ensemble des traces matérielles des occupations les plus anciennes de l’éperon de Loches, du Néolithique au haut Moyen Âge.
Fig. 4 - Zone de fouille des terres noires en 2018, avec l’apparition du trou de poteau.

Cliché Sadil, 2017.
18À ce titre, au vu du brassage du mobilier archéologique dans ces niveaux sombres, seul le tri chronologique et la quantification du mobilier permettent de distinguer des rythmes d’occupation du promontoire aux époques les plus reculées. Si l’on considère uniquement le mobilier céramique prélevé dans le carré test de 2018, on constate que sur les 963 tessons qui ont pu être convenablement datés dans les couches de terres noires, environ 30 % appartiennent aux époques préhistoriques et protohistoriques10, 9,8 % à l’époque gallo-romaine, 58,9 % à la période fin ve-début viie s. et enfin seulement 0,9 % à la période viiie-ixe s. (Fig. 5). Ainsi, la période du très haut Moyen Âge, avec ses quelque 569 tessons, apparaît de loin la mieux représentée. À ces éléments céramiques on peut également ajouter quelques objets métalliques (notamment une clé en bronze et quelques monnaies), ainsi que 19 fragments de gobeleterie en verre de qualité, typologiquement attribuables aux ve-viie s. Signalons également la découverte de plus de 400 scories de fer de petit calibre, attestant l’activité de forge11. Quatre datations radiocarbone ont été effectuées sur des charbons piégés dans ces scories, dont deux couvrent la période des ve-vie s.12 (424-555 et 353-538 cal. AD à 95 %).
Fig. 5 - Tableau de quantification de la céramique par période et par US dans les terres noires fouillées en 2018.

19Finalement, outre les informations inédites sur les périodes préhistoriques et protohistoriques, les données mobilières témoignent avec certitude d’une occupation soutenue de cette zone en lien avec la construction du castrum de la fin du ve ou au début du vie s. jusqu’au viie s. La présence du gros trou de poteau illustre vraisemblablement la présence de bâtiments en bois, tandis que les scories attestent des activités artisanales. La quantité et la qualité du matériel renvoient en outre l’image de l’installation, au sein du castrum, d’un habitat au statut social plutôt élevé.
2.3. La question de l’église Sainte-Marie-Madeleine
20L’un des objectifs essentiels des campagnes de fouilles 2019 et 2020 effectuées dans la collégiale Notre-Dame était de documenter archéologiquement les états antérieurs de l’église, notamment celui de la fondation originelle du lieu de culte dédié à Marie-Madeleine (cf. supra). Sur ce point, les explorations n’ont cependant pas été concluantes (Papin et Gaultier 2020 et à paraître, Fig. 6). Si le temps la fondation de la collégiale par Geoffroy Grisegonelle durant la seconde moitié du xe s. a parfaitement été identifié par un mur et des niveaux de sol, les vestiges antérieurs se sont en revanche révélés extrêmement ténus. Seul un lambeau de terres noires d’une quinzaine de centimètres d’épaisseur épargné par les constructions postérieures fut mis au jour livrant un seul tesson du haut Moyen Âge, ainsi que deux creusements : un fond de fosse qui a fourni trois tessons de poterie datables des ve-vie s. ; et un silo datable du ixe s.
Fig. 6 - Plan des vestiges du haut Moyen Âge mis au jour lors des fouilles dans la collégiale de Loches en 2019-2020.

P. Papin, Sadil, 2021.
21Toutefois, il ne convient pas de nier l’existence même du premier lieu de culte attesté par les sources textuelles. La faible surface d’exploration et les grands bouleversements engendrés par les constructions postérieures et l’occupation funéraire de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne, permettent plutôt de penser, soit que les vestiges de cette première église ont été totalement arasés, soit, et c’est ce qui paraît le plus probable, que l’église ne se trouvait pas dans l’emprise de 50 m² ouverte au sein de la nef. L’une des hypothèses possibles serait qu’elle fut légèrement décalée vers le sud, c’est-à-dire sous le bas-côté méridional actuel. Aussi, la très faible quantité de mobilier du haut Moyen Âge mise au jour dans les niveaux organiques sous la collégiale contraste avec l’abondance relevée dans les mêmes niveaux fouillés en 2018, 50 m plus à l’ouest. Cette donnée pourrait être mise en relation avec une réelle différence de nature d’occupation : le long du castrum à l’ouest, un habitat élitaire ; sous la collégiale, l’environnement d’un lieu de culte. À ce titre, la présence du silo du ixe s. interpelle. Il apparaît en effet totalement déconnecté du développement plus tardif des prémices du palais comtal qui s’installe au nord du site au xe s., et alors même qu’un hiatus d’occupation est constaté au cours des viiie-ixe s. dans toutes les fouilles effectuées plus au nord dans le parc des logis royaux (Papin 2022). Faut-il alors le mettre en relation avec le sanctuaire de Sainte-Marie-Madeleine ? La présence d’une telle structure de stockage, dans l’environnement d’une église, pourrait-il renvoyer au maintien d’un personnel desservant le lieu de culte ? Elle pourrait ainsi témoigner de la perduration de la fonction religieuse du lieu, lors d’une période plus générale de déprise de l’habitat au sein du castrum.
22Par ailleurs, une autre absence mérite d’être soulignée. Contrairement à ce qui pouvait être attendu dans l’environnement d’un lieu de culte ancien, aucun vestige funéraire antérieur au xive s. n’a été identifié sous la collégiale Notre-Dame. Même à partir de la petite zone ouverte, ce fait semble pouvoir être interprété de manière plus globale, dans la mesure où l’existence d’une zone sépulcrale du très haut Moyen Âge aurait nécessairement laissé des traces archéologiques (sarcophages, ossements, même en position secondaire, voire mobilier…). Par conséquent, si les sources écrites permettent d’être certain de la présence d’une église dès le très haut Moyen Âge dans ce secteur, il semble en revanche que ce sanctuaire primitif n’était pas associé à espace funéraire, destiné à accueillir les sépultures de la population d’une agglomération.
2.4. Hypothèses de restitution du castrum
23À partir de la découverte de la portion du castrum au nord-ouest de l’éperon, des informations topographiques à notre disposition et des données mobilières issues des niveaux organiques primordiaux, il est tentant de proposer une première restitution de cette fortification (Fig. 7). En effet, il est certain que celui-ci englobait à la fois l’habitat mis en évidence en retrait de la portion découverte en 2017, et l’emplacement de la collégiale, qui au xe s. selon la charte de fondation, a bien été construite dans le castrum (in hoc castro). En revanche, si la zone fouillée en 2018 a révélé la présence d’un épais niveau de terres noires renfermant un abondant mobilier des ve-viie s., dans toutes les zones ouvertes plus au nord (sondage 3 de 2013 et fouilles 2014-2015), on observe à l’inverse une quasi-absence de ces mêmes niveaux, de toute structure pouvant être attribuée au très haut Moyen Âge, mais également une très faible représentation d’objets de cette même époque. Ces informations suggèrent que la zone correspondant à l’extrémité nord du promontoire se situait alors extra muros.
Fig. 7 - Restitution du castrum de Loches de la fin du ve ou début du vie s.

P. Papin, Sadil, 2021.
24Une autre information archéologique, plus tardive, peut être prise en considération : les fouilles de 2016-2018 ont en effet permis de mettre en évidence les vestiges de l’installation d’une première phase de résidence des comtes d’Anjou à partir du xe s., précédant la construction d’une immense aula au début du xie s. Topographiquement, cette dernière s’implante de manière strictement parallèle au mur du castrum, alors encore en usage (la reconstruction de cette partie de l’enceinte n’intervient en effet qu’à partir de la fin du xie s.). Or, il est tentant de penser que la résidence, et a fortiori l’aula du xie s., s’installe alors dans l’angle nord-ouest de la fortification tardo-antique, tandis que le pôle religieux (église Sainte-Marie-Madeleine puis collégiale Notre-Dame au xe s.) occupe l’angle nord-est. Ces constructions formeraient ainsi les principaux éléments constitutifs du palais comtal, tout au long de la limite septentrionale du castrum.
25Quant à la localisation de la limite sud, celle-ci reste encore plus hypothétique. Cependant, quelques indices permettent de penser que la fortification ne s’étendait vraisemblablement pas jusqu’à l’actuel front sud du château, c’est-à-dire le secteur de la tour-maîtresse du début du xie s., dans lequel aucune trace de construction du très haut Moyen Âge n’a jamais été reconnue. Le seul ouvrage plus ancien est un rempart massif de terre et de pierre identifié lors d’un sondage de diagnostic en 2015, sur lequel la tour maîtresse a été construite, et remontant sans doute au xe s. (Papin 2022). Aussi, quelques indices pourraient indiquer que le front sud du castrum tardo-antique se situait plus au nord.
26Un premier argument peut être avancé à partir d’une analyse morphologique du parcellaire et de la répartition du bâti ancien du quartier canonial occupant actuellement la partie centrale du château. Il est en effet intéressant de constater que celui-ci paraît s’être développé dans un secteur fortement contraint par une limite sud située une centaine de mètres au nord de la tour maîtresse. Or, il est probable que le développement du quartier canonial se soit effectué au sein même du castrum. En effet, la charte de fondation de la collégiale indique que le comte d’Anjou Geoffroy Grisegonelle installe un collège de douze chanoines. La fondation a donc nécessairement dû s’accompagner d’une cession de terres pour l’installation des bâtiments communautaires et des maisons, à un moment où la seule fortification du site reste celle remontant à la fin du ve ou au début du vie s. Il est donc probable que le développement du quartier canonial a fossilisé des espaces concédés par le comte au xe s. au sein du castrum primitif. Certes, les maisons observables actuellement sont tardives (xive-xviiie s.), mais la plus ancienne identifiée, par des vestiges de style roman visibles actuellement dans un niveau semi-enterré d’une maison postérieure, remonte au xie ou xiie s. (Piffeteau 2017 : 41).
27En outre, de part et d’autre de cette limite sud du quartier canonial, on constate deux anomalies topographiques. De légers décrochements sont observables dans l’enceinte postérieure, qu’il paraît difficile d’expliquer autrement que par une adaptation à des éléments plus anciens aujourd’hui disparus13. De plus, des observations sur les affleurements du socle calcaire montrent, au moins côté oriental, une dépression dans le rocher, “habillée” par la suite de maçonneries, et qui pourrait constituer les traces d’un ancien fossé barrant l’éperon à cet endroit. L’ensemble de ces indices indirects invitent donc à formuler l’hypothèse que la limite sud du castrum se trouvait ici.
28En résumé, la construction d’un rempart au xe s. plus au sud, aurait consisté à augmenter l’espace fortifié, recréant ainsi une sorte de “marche” militarisée sur le front méridional, en parallèle de la création d’un espace canonial cédé par le comte d’Anjou dans un large angle sud-est du castrum primitif. Si l’on suit cette idée, alors il faudrait restituer un castrum plus resserré que la forteresse actuelle, de plan globalement trapézoïdal, avoisinant les 2 ha. Certes, on ne peut que concéder que ces réflexions sur la restitution du castrum restent conjecturales en l’absence de preuves décisives. Elles doivent surtout être prises comme des hypothèses de travail, qui mériteraient à l’avenir d’être vérifiées par des fouilles.
3. La question du vicus de Loches
3.1. L’insaisissable Loches gallo-romaine
29Un point sur lequel il apparaît important de s’attarder, est celle de la localisation encore très imprécise de l’agglomération secondaire gallo-romaine, fortement supposée sur le territoire communal de Loches (Hervé 2012 : 36). L’existence de vestiges de monuments gallo-romains dans le secteur apparaît en effet certaine, représentée notamment par des blocs architecturaux en réemploi. Deux éléments permettent au moins d’attester un pôle religieux : le premier est d’origine inconnue et correspond à un fût de colonne historiée du Haut-Empire servant désormais de bénitier à la collégiale, et qui a sans doute été rapporté sur l’éperon à une époque relativement récente ; le second est un fragment d’autel ou de pilier historié qui pourrait provenir d’un temple dédié à Jupiter, retrouvé en 1971-1973 dans les fondations de la première église du monastère Saint-Ours, dans le fort du même nom, en contrebas oriental de l’éperon (Lelong 1974 ; Provost 1988 : 38). On ajoutera à ce tableau la présence de blocs de grand appareil dans les fondations du castrum mises au jour en 2017, témoignant sans aucun doute d’une classique récupération massive de monuments romains pour la construction de la fortification.
30Or, un élément particulièrement intéressant méritant d’être souligné est l’absence de toute structure antérieure à la fin du ve, voire du vie s., mise au jour lors de l’ensemble des opérations conduites au sommet de l’éperon depuis 10 ans. Elle s’accompagne en outre d’une grande faiblesse numérique de traces mobilières gallo-romaines, notamment dans les terres noires. Dans le carré test de 2018, le mobilier des ier-ive s. représente ainsi moins de 10 % du corpus céramique bien daté. Autrement dit, aucun secteur ouvert dans le château de Loches n’a jusqu’ici révélé de réelle trace concrète d’occupation antique. Cela constitue donc indubitablement l’indice d’une occupation très lâche du lieu à cette époque, tout du moins d’un secteur non urbanisé. Les données des fouilles, on l’a vu, attestent en revanche que l’occupation du promontoire ne débute vraisemblablement qu’avec l’installation du castrum, à la fin du ve s. ou au début du siècle suivant. Il apparaît donc désormais certain que ce castrum n’avait pas pour but de protéger une agglomération préexistante qui s’étendait au sommet de l’éperon.
3.2. Castrum versus Vicus
31Partant, l’agglomération lochoise gallo-romaine et de l’Antiquité tardive (donc le vicus) doit donc être recherchée ailleurs. Ce constat ne s’accorde plus avec les interprétations des sources textuelles les plus citées dans la bibliographie. En effet, rappelons que celles-ci stipulaient que le premier lieu de culte mentionné à Loches fondé par l’évêque Eustoche entre 442 et 459 au sein du vicus pouvait être confondu avec l’église Sainte-Marie-Madeleine, et que, dans ce cas, vicus et castrum correspondaient à une seule et même réalité matérielle (cf. supra). Or, si tel était le cas on se serait attendu : premièrement à ce que les traces d’habitat antérieur à la fin du ve s. aient été beaucoup plus importantes au sommet de l’éperon ; deuxièmement à ce que le lieu de culte ait laissé plus de traces matérielles, avec notamment une vocation funéraire destinée à accueillir les morts de cette agglomération.
32Les données archéologiques, ou plutôt leur absence, donnent ainsi crédit aux doutes émis par Gérard Fleury et Élizabeth Zadora-Rio : vicus et castrum semblent bien renvoyer à deux entités distinctes. Dans ce cas, le lieu de culte primitif dédié à Marie-Madeleine sur les ruines de laquelle a été construite la collégiale Notre-Dame ne serait pas l’église du vicus fondé par Eustoche, mais plutôt une simple chapelle en lien avec l’habitat élitaire installé à quelques dizaines de mètres. Celle-ci aurait pu être élevée soit par l’autorité à l’initiative de la construction du castrum à la fin du ve ou au début du vie s., soit par Childebert Ier lui-même, ainsi que l’affirment les historiographes de l’époque moderne. Quoi qu’il en soit, cette interprétation générale d’un castrum qui ne doit pas être confondu avec le vicus semble désormais plus à même de rendre compte des faits constatés.
3.3. Données anciennes et découvertes fortuites à l’extérieur de la forteresse
33Quelques indices localisés à l’extérieur du château permettent par ailleurs de conforter cette idée que le castrum se trouvait bien à l’écart d’une agglomération antérieure. En effet, le plus logique serait de placer cette dernière non pas sur l’éperon mais plus certainement en contrebas, le long de l’Indre, et peut-être pour partie sur les coteaux de Vignemont au sud-est du château.
34En premier lieu, il convient de prendre en considération quelques découvertes anciennes dans ce secteur, où se situe encore à l’heure actuelle la chapelle dite de Vignemont, dont l’architecture est de tradition romane (Fig. 8). Mentionnée pour la première fois en 1173 comme dépendant de l’abbaye de Beaulieu, elle était en fait la chapelle du cimetière paroissial de Loches tout au long du Moyen Âge et de l’époque Moderne (Lorans 1996 : 200). Or, au pied de cette chapelle est mentionnée au xixe s. la découverte de “belles auges en pierre dure” ou “cercueils de pierre”, donc probablement des sarcophages, ainsi que des “débris de poteries romaines”, faisant dire à Edmond Gautier que le cimetière remonterait “à la plus haute Antiquité” (Congrès Archéologique… 1870 : 166 et 228).
Fig. 8 - La chapelle de Vignemont vue du nord-est.

ADIL, carte postale ancienne.
35Une seconde découverte fortuite survenue non loin au sud mérite d’être signalée. Celle-ci a été effectuée de manière originale par l’un des propriétaires des carrières de Vignemont, dont les accès sont encore en usage aujourd’hui à l’est du coteau. Lors du déblaiement d’une galerie dans les années 1980, le débouché d’un puits percé depuis le sommet du plateau a été mis au jour, que l’inventeur dit avoir vidé “par le dessous” (parcelle BD0332). Or ce puits contenait une quantité importante de mobilier gallo-romain : poteries, terre cuite architecturale crénelée (en dents de loup) avec engobe blanc, quelques bords de tegulae, plusieurs gros fragments de tubuli, fragments d’enduit peint et de mortier provenant de joints de tuiles de toiture, mais également les restes humains d’au moins deux individus14… Une petite partie du mobilier céramique a été récemment restituée et nous a été confiée (Fig. 9). Son étude15 indique des productions datables des ive-vie s., une vaisselle de présentation de qualité (belle imitation régionale de dérivée de sigillée paléochrétienne, sigillée africaine, bord de jattes du Bas-Empire). Autrement dit, cette seule découverte fortuite constitue un indice très significatif d’occupation tardo-antique du coteau de Vignemont, comprenant en outre des constructions importantes, notamment un hypocauste.
Fig. 9 - Dessin de la céramique des ive-vie s. mise au jour de manière fortuite dans le puits de la parcelle BD0332.

Dessin et DAO : L. Cinçon.
36Serait-ce donc ici, sur le coteau de Vignemont, que se trouve le vicus ? Par extension, la chapelle au pied de laquelle de probables sarcophages et des tessons antiques auraient été découverts ne pourrait-elle pas être correspondre à la reconstruction d’une église plus ancienne fondée dans le vicus ? Serait-ce sous cette chapelle qu’il faudrait chercher la fameuse église d’Eustoche du milieu du ve s. ? Ce sont en tout cas, en l’état des données, les hypothèses privilégiées aujourd’hui (Fig. 10). En outre, ces occupations de l’Antiquité tardive s’étendaient-elles assez loin vers le nord, en pied d’éperon, puisque les restes de plusieurs murs vraisemblablement antérieurs aux vie-viie s. ont été découverts dans la partie sud du fort Saint-Ours en 2004, à la suite de l’effondrement d’une portion de l’enceinte (Scheffer 2004) ? À moins qu’il ne s’agisse là des restes du monastère de Saint-Ours, dont les fondations de l’église primitive ont clairement été retrouvées lors de fouilles plus au nord en 1971-1973 (Lelong 1974 ; Bobin 1994). Quoi qu’il en soit, ce serait sur les marges nord de cette probable agglomération que le moine aurait fondé son monastère à la toute fin du ve s.
Fig. 10 - Nouvelles hypothèses sur la topographie historique de Loches au très haut Moyen Âge.

P. Papin, Sadil, 2021.
Conclusion
37Les recherches récentes offrent ainsi un nouveau regard sur la topographie historique de l’origine de Loches, ce qui n’est pas sans conséquences sur l’interprétation traditionnelle des textes. En effet, elles supposent d’une part que le castrum n’avait pas à l’origine pour vocation de protéger une agglomération préexistante (vicus) située sur la pointe de l’éperon.
38D’autre part, que l’agglomération se trouvait donc ailleurs. Enfin que la localité n’était pas dotée de deux, mais de trois établissements religieux dès le vie s. Autrement dit, lorsque Grégoire de Tours mentionne, dans deux écrits distincts, une église fondée dans un vicus et un monastère fondé au pied d’un castrum, il ne choisit pas sa terminologie au hasard, mais fait au contraire bien référence à des réalités matérielles et spatiales bien différentes. On aurait donc affaire à un habitat bipolaire : vicus d’un côté et castrum de l’autre. Loches se serait donc constituée, à l’origine, sous une forme polynucléaire, type d’habitat en définitive fréquent au haut Moyen Âge, dans les chefs-lieux de cités notamment, mais également dans les agglomérations intermédiaires.
39Le scénario, qui semble désormais prévaloir, s’articulerait donc autour de cinq éléments marquants. Premièrement, dès le Haut-Empire, une agglomération comprenant une partie monumentale (au moins un temple) se développe sur les bords de l’Indre et sur le coteau de Vignemont, au sud-est de l’éperon. Cette agglomération serait donc “l’ancêtre” du vicus mentionné par Grégoire de Tours, si l’on admet raisonnablement une continuité d’occupation jusqu’aux ve-vie s. Deuxièmement, une église y aurait été fondée par l’évêque Eustoche entre 443 et 460, qui pourrait être située à l’emplacement de l’actuelle chapelle de Vignemont. Elle aurait ainsi fixé les sépultures des habitants en ce lieu et aurait perduré jusqu’au xviiie s. comme cimetière principal de l’unique paroisse de Loches. Troisièmement, un monastère est fondé par le moine Ours, entre 488/89 et 495/96, sur les marges septentrionales de cette agglomération, au pied de l’éperon. Celui-ci, à la suite de sa donation à l’abbaye de Beaulieu en 1040, devient prieuré tout en assurant la desserte paroissiale de la ville. Quatrièmement, le castrum est construit sur l’éperon alors encore peu occupé, assurément après la fondation du monastère Saint-Ours, soit à la toute fin du ve ou au début du vie s. Cinquièmement, un lieu de culte dédié à Sainte-Marie-Madeleine, associé à un habitat élitaire, est construit dans le castrum, avant 558, date de la mort de Childebert Ier. L’occupation de ce castrum va connaître par la suite un déclin aux viiie et ixe s. (tout du moins la partie résidentielle), puis le site sera massivement réinvesti par les comtes d’Anjou à partir du Xe s. Ceux-ci y établissent alors l’une de leurs résidences principales et en font la puissante forteresse que l’on connaît, dotée d’une tour maîtresse au sud, d’une grande salle de plain-pied au nord, tout en érigeant l’ancienne chapelle Sainte-Marie-Madeleine en collégiale désormais dédiée à Notre-Dame. Il reste évident toutefois que le tableau présenté dans cet article émet un certain nombre d’hypothèses qui doivent avant tout être considérées comme de nouvelles pistes de travail pouvant orienter les recherches futures sur le château et la ville de Loches.
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Notes de bas de page
1“Eustochius ordinatur episcopus, vir sanctus et timens Deum ex genere senatorio. Hunc ferunt ecclesias per vicos Brixis, Iciodora, Lucas, Dolus”, Grégoire de Tours, Historia Francorum, X, 31, V. [Eustoche a été ordonné évêque, un homme saint et craignant Dieu issu d’une famille sénatoriale. On dit qu’il fonda des églises des vicus de Reignac, Yzeure, Loches et Dolus.]
2“[…] in recessu montis, cui nunc castrum supereminet, […]” Grégoire de Tours, M.G.H., Liber Vitae Patrum, XVIII, 1.
3Jean Maan - Sancta et Metropolitana Ecclesia Turonensis, sacrorum pontificorum suorum ornata virtutibus, et sanctisimis conciliorum institutis decorata, Tours, 1666-1667.
4“Basilicam Lucacensis Castri, quam Childebertus Clodovaei Regis filium erexerat primum D. Magdalenae, Godofredus Andecavorum Comes & Lucacium dominus, Grisagonella dictus, auctionerm multo & honoratiorem fecit, constituto in ea duodecim Canonicorum fodalitio […]”. J. Maan - op cit., p. 74. [La basilique du château de Loches, que Childebert, fils du roi Clovis, avait érigé en premier, dédié à Madeleine, Geoffroy, comte d’Anjou et seigneur de Loches, appelé Grisegonelle, la reconstruisit et lui fit beaucoup d’honneurs, en y fondant un collège de douze Chanoines […]]
5Bibliothèque Mazarine, Ms. 4405, Description de la ville et du château de Loches par Dubuisson-Aubenay, 1646-1647.
6E. Martène et U. Durand - Voyage littéraire de deux religieux bénédictins…, 1717, t. 1, p. 3.
7Jean-Aimard Pigagnol de la Force - Nouvelle description de la France, tome douzième, qui contient la Touraine, l’Anjou, le Saumurois […, Paris 1753. Article “Loches” p. 84-105.
8Abbé d’Expilly - Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, tome4, 1766. Article “Loches” p. 337-340.
9L’étude de Carole Vissac (GéoArchéon), achevée en 2020, sera intégrée dans le rapport de la campagne de 2021 en cours d’écriture (Papin et Gaultier 2024 à paraître).
10Aux tessons du Néolithique, on ajoutera la découverte de plus de 300 objets en silex taillés (éclats et quelques outils).
11Les études de mobilier des terres noires (céramique par Philippe Husi et Alexandre Longelin, du mobilier métallique par Jean Soulat, du verre par Céline Aunay, du mobilier lithique par Laure-Anne Millet-Richard et des scories par Solène Lacroix) figurent toutes dans le rapport de fouille de la campagne de 2018 (Papin et Riou 2019).
12Les deux autres sont un peu plus anciennes (36 av.-125 ap. et 258-420 cal AD), peut-être en raison d’effets “vieux bois”. Le rapport d’analyses du laboratoire CIRAM de 2020 sera annexé au rapport de fouille (Papin et Gaultier à paraître).
13L’enceinte actuellement visible est datable selon les dernières analyses du xiiie s. (Riou et Papin à paraître).
14Ces informations nous ont été rapportées par Alain Ferdière qui a été en contact avec l’inventeur. C’est également à lui que l’on doit la restitution d’une partie du mobilier en céramique. Nous l’en remercions vivement.
15Réalisée par Laureline Cinçon pour le Sadil, cette étude, hors cadre d’une opération, n’a pas été éditée dans un rapport. Les informations livrées ici sont donc inédites.
Auteurs
Service de l’Archéologie du Département d’Indre-et-Loire.
Samuel Riou (collab.)
Service de l’Archéologie du Département d’Indre-et-Loire.

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