Vivre aux abords de l’enceinte urbaine d’Orléans (ive-xiiie s.) : la fouille des Vinaigreries Dessaux (2019)
Living on the outskirts of the city walls of Orléans (4th-13th centuries): the Vinaigreries Dessaux excavation (2019)
p. 81-93
Résumés
L’opération archéologique réalisée en 2019 dans l’îlot des Vinaigreries Dessaux à Orléans a permis l’étude de la structuration urbaine d’un quartier dans la longue durée. Situé aux marges de la ville à la fin de l’âge du Fer puis pendant le haut Moyen Âge, ce secteur est pleinement intégré à l’espace urbain pendant l’Antiquité et la fin du Moyen Âge. L’élément structurant du quartier est l’enceinte construite au ive s. Cette dernière a modifié la trame urbaine mais elle a très vite été intégrée aux occupations du secteur. Loin d’être une limite, l’enceinte structure le quartier au cours du temps et attire les habitations et les activités humaines à son contact.
The archaeological operation carried out in 2019 in the Vinaigreries Dessaux district in Orléans (Loiret) made it possible to study the urban structure of a neighborhood in the longue durée. Located on the outskirts of the city at the end of the Iron Age and then during the Early Middle Ages, this sector was, on the contrary, fully integrated within urban space during the Roman times and at the end of the Late Middle Ages. The structuring element of the area is the city wall. Built during the 4th century, it modifies the urban fabric but is also very quickly integrated into the occupations of the sector. Far from being a limit, the enclosure structures the district over time and attracts houses and human activities in contact with it.
Entrées d’index
Mots-clés : urbain, Antiquité, Moyen Âge, fortification, habitat
Keywords : urban, Antiquity, Middle Ages, fortification, settlement
Texte intégral
Introduction
1Les opérations d’archéologie préventive réalisées en 2017 et 2019 sur le site des Vinaigreries Dessaux à Orléans ont mis en évidence une occupation inédite des vie-viie s., de part et d’autre de l’enceinte urbaine édifiée au ive s. Cette zone, au contact direct de la courtine, présente en effet des traces d’occupations domestiques tant à l’intérieur de l’enceinte qu’à l’extérieur, entre le mur et le fossé. Un édifice cultuel (Notre-Dame-entre-murs-et-fossé) et une zone funéraire du début du haut Moyen Âge sont en outre suspectés à proximité immédiate, grâce à plusieurs indices archéologiques et textuels. L’ensemble de ces observations effectuées sur moins de 200 m² est à mettre en perspective avec les opérations archéologiques antérieures qui ont particulièrement bien documenté les abords de l’enceinte urbaine pendant le premier Moyen Âge.
2Les données disponibles à ce jour permettent de comprendre comment l’enceinte a influencé l’organisation urbaine du quartier. Les habitants, loin de la considérer comme une limite, se sont approprié cet élément structurant de la ville en venant habiter au plus près des éléments défensifs. Les constructions observées correspondent pour la grande majorité à de l’habitat urbain.
1. Remise en contexte chronologique et spatial
1.1. L’opération archéologique
3Les fouilles à l’origine de cet article se sont déroulées en 2017 et 2019. La première a consisté en l’étude du bâti de l’enceinte tardo-antique et médiévale qui traverse l’îlot des Vinaigreries de part en part, à l’est de la ville romaine (O.256 ; Alix et Roux-Capron 2020). La seconde, en 2019, était initialement prévue en trois tranches. Seule la première a été réalisée à ce jour, en raison de la suspension du projet d’aménagement (Roux-Capron, Alix et Najera-Marcos 2021). L’emprise est située de part et d’autre de l’enceinte urbaine, dans un îlot qui a déjà fait l’objet de plusieurs opérations depuis les années 1980 (Fig. 1). Elle se superpose même avec les fouilles de sauvetage programmé réalisées en 1985 (O.008 ; Petit 1985). Plus au nord dans l’îlot, un diagnostic archéologique a été mené à la fin des années 2000 (O.177 ; Liégard, Canny et Fourvel 2008). Il avait par ailleurs donné suite en 2010 à une fouille dans la parcelle immédiatement à l’ouest de la rue Saint-Flou et portant le même toponyme (O.192 ; Josset 2011).
Fig. 1 - Localisation des opérations archéologiques menées dans le quartier des Vinaigrerie avec l’emplacement de l’enceinte urbaine tardo-antique.

É. Roux-Capron.
4Toutes ces observations sont donc complémentaires et ont nécessité une synthèse de l’ensemble dans le rapport de l’opération de 2019 (Roux-Capron, Alix et Najera-Marcos 2021). Cette dernière s’est déroulée dans un cadre technique particulier, à savoir dans l’enceinte du complexe industriel des Vinaigreries, encore en élévation aujourd’hui et dont les bâtiments s’appuient sur la courtine de l’enceinte urbaine tardo-antique. Ceci explique le morcellement des observations et la conservation différentielle des vestiges en fonction des espaces intérieurs ou extérieurs de l’ancienne usine.
1.2. Un secteur en marge de la ville antique
5La topographie du quartier est marquée par la présence de deux talwegs orientés nord-sud, débouchant sur le tracé de la Loire dont les berges se situent, avant le iie s., à moins de 50 m au sud des opérations archéologiques déjà citées (Fig. 2). À la fin de l’âge du Fer, le secteur se trouve en dehors de la limite orientale de la ville gauloise, matérialisée par le talweg ouest. Le cœur de l’agglomération gauloise est localisé 450 m plus à l’ouest en lien direct avec le fleuve et possède plusieurs quartiers périphériques bien documentés au nord et à l’ouest de la ville (Jesset et al. 2009 ; Roux-Capron 2015). À cette époque, la zone des Vinaigreries est occupée par des terres cultivées (Fig. 2, no 1 ; Roux-Capron, Alix et Najera-Marcos 2021 : 240).
Fig. 2 - Évolution des occupations entre la fin de l’âge du Fer et l’Antiquité tardive.

É. Roux-Capron.
6Au cours de l’Antiquité, le quartier est peu à peu intégré dans la ville puisque ses limites sont reportées 500 m plus à l’est de l’emprise de fouille. Sa physionomie change radicalement avec l’avancée progressive des berges de la Loire vers le sud (Fig. 2, no 2 ; Courtois et Roux-Capron 2021), par la création de terrasses artificielles orientées selon un axe est-ouest (Fig. 2, no 3) et par l’installation d’une rue nord-sud reliant probablement les berges du fleuve au decumanus principal de la ville situé 200 m plus au nord (Fig. 2, no 4 ; Roux-Capron, Alix et Najera-Marcos 2021 : 241-244). Au long de cette nouvelle rue, plusieurs parcelles sont créées au cours des iie et iiie s. pérennisées par un bâti en pierres maçonnées et au sein desquelles sont construites des caves, les seuls vestiges conservés de cette période (Fig. 4a). Ces constructions sont pour certaines délimitées par des murs de belle facture avec un appareillage soigné et sont probablement occupées par une population de commerçants attirés par la proximité du port situé quelques mètres au sud et par les voies de communication toutes proches.
Fig. 3 - Vue 3D de la cave ST2 à partir du relevé photogrammétrique.

J. Courtois, Ville d’Orléans.
Fig. 4 - Plan des vestiges identifiés lors de la fouille des Vinaigreries en 2019, Antiquité et haut Moyen Âge, 175-600.

É. Roux-Capron.
7L’une de ces caves (ST2) nécessite d’être décrite plus en détail car elle fut réutilisée pendant le haut Moyen Âge (Fig. 3 et Fig. 4a). Elle se présente sous la forme d’un rectangle de 4,75 m de long pour 4 m de large et une profondeur conservée de 1,60 m. L’escalier droit et hors œuvre se situe dans l’angle sud-est. Les murs sont construits avec soin avec un parement constitué d’une succession de trois assises de briques alternant avec trois assises de moellons calcaires. Les murs ouest et nord sont pourvus de niches couvertes par des arcs composés de claveaux en pierre extradossés par des briques. Cette cave a probablement été construite au cours du iie s. et, mis à part une reprise de l’escalier au cours du siècle suivant, l’ensemble n’a bénéficié d’aucune réfection. Son état actuel semble donc être celui de sa construction pendant l’Antiquité.
1.3. La mise en place de l’enceinte pendant l’Antiquité tardive
8Au ive s., la construction de l’enceinte vient largement modifier la trame urbaine antique et ce pour plusieurs siècles. Dans le quartier des Vinaigreries, la rue nord-sud créée au ier s. est réutilisée comme axe du tracé oriental de l’enceinte et son emplacement semble correspondre à la lice entre la courtine et le fossé (Fig. 2, no 5 ; Jesset, Joyeux et Massat 2008 : 294). La courtine est conservée aujourd’hui dans le bâti actuel. Son élévation est encore observable jusqu’à une dizaine de mètres de hauteur (Fig. 6 ; Alix et Roux-Capron 2020 : 73-100). Pour la portion observée lors des fouilles de 2019, ses fondations sont constituées d’un hérisson de pierres et de terres cuites architecturales remployées au sein d’une tranchée de 0,80 m de profondeur, au-dessus duquel des assises alternées de briques et de pierres se succèdent, selon des mises en œuvre différentes en fonction des tronçons de travaux (Roux-Capron, Alix et Najera-Marcos 2021 : 151).
Fig. 5 - Évolution des occupations au Moyen Âge.

É. Roux-Capron.
Fig. 6 - Proposition de restitution de l’élévation externe du mur de courtine avec les tours supposées ou attestées et les bâtiments adossés, Antiquité tardive et haut Moyen Âge, 600-900.

C. Alix, É. Roux-Capron.
9Le bâti situé à l’ouest de la voie est donc fortement affecté par cette construction. Une partie des constructions antiques existantes sont comblées ou détruites mais certaines sont cependant conservées, à l’exemple de la cave ST2 précédemment décrite (Fig. 2, no 6 et Fig. 4b). Aucune couche de comblement n’a été identifiée pour cette période dans cette structure. De plus, on observe la mise en place d’un mur de renfort sur son côté oriental pour conforter la tranchée de fondation de la courtine (Roux-Capron, Alix et Najera-Marcos 2021 : 136-151). La présence de ce mur confirme que la cave est probablement toujours utilisée, malgré la construction de l’enceinte, au moins du ive au vie-viie s., ce qui témoigne d’un exemple d’insertion d’un bâti préexistant à la construction de l’enceinte. Ceci pourrait suggérer une relation fonctionnelle entre la structure excavée et la fortification, mais aucun élément matériel ni aucune référence bibliographique n’étaye cette hypothèse. La localisation de la cave correspond certes à celle d’une tour supposée de l’enceinte, mais aucun indice matériel de celle-ci n’a été identifié lors de la fouille. En l’état des recherches, seule une mention de 1496 pourrait attester cet élément de la fortification à une époque tardive1 (Alix et Roux-Capron 2020 : 212). On pourrait donc y voir un indice du statut particulier de cette portion du bâti conservé en arrière de l’enceinte.
10À l’extérieur de l’enceinte, on peut localiser une lice et un fossé dont les vestiges ne sont pas conservés puisque le fossé médiéval, agrandi par rapport au tracé d’origine, a oblitéré toute trace de cet élément défensif antérieur (Fig. 2 ; Collectif 1994 : 79).
11À l’intérieur, le bâti antique est partiellement abandonné. Un des murs de terrasse, élément structurant du quartier, est démantelé en partie mais reste un axe majeur du quartier encore pour quelques siècles en raison de l’installation d’une rue immédiatement le long de son parement sud (Fig. 2, no 7). Cet axe est perpendiculaire à l’enceinte mais ne débouche sur aucune ouverture observée dans la courtine. En effet, cet emplacement correspond à une brèche dans la fortification réparée au cours des xiiie-xive s. et il n’est donc pas possible d’identifier un passage à cet endroit (Alix et Roux-Capron 2020 : 118). Les auteurs du rapport de l’îlot Saint-Flou suggèrent qu’il pourrait s’agir d’une rue ayant servi comme axe d’approvisionnement du chantier de l’enceinte (Josset 2011 : 408). La question reste donc ouverte.
2. Vivre aux abords de l’enceinte (ive-viie s.)
2.1. Entretenir l’enceinte pendant le haut Moyen Âge
12Les éléments de réparation observés sur le parement externe dans l’usine Dessaux (zone 2) s’ajoutent aux rares témoins de l’entretien de l’enceinte urbaine d’Orléans au cours du haut Moyen Âge (Petit 1983 : 62 ; Jesset 2015 : 118 ; Courtois et Joyeux 2019 : 318 ; Alix et Roux-Capron 2020 : 101). Un état de dégradation, peut-être lié à un abandon ou à un désintérêt du système défensif, fait place à une succession de campagnes de remise en état dont les plus précoces, à l’usine Dessaux, pourraient dater des viie-ixe s. si l’on confronte les datations des terres cuites architecturales aux datations radiocarbone des charbons de bois des mortiers (Alix et Roux-Capron 2020 : 101). Ces réparations correspondent au comblement de lacunes de matériaux avec une maçonnerie de petit appareil calcaire et de terres cuites architecturales imitant le parement original (Fig. 6 et 7). Ces terres cuites sont des tegulae et imbrices en remploi issues de l’atelier de Saran.
Fig. 7 - Vue de la maçonnerie de réparation (UC 2048) venant chemiser le parement antique externe de la courtine.

C. Alix.
2.2. Habiter aux abords immédiats de l’enceinte
13Malgré la limite que constitue l’enceinte, des occupations domestiques ont été observées de part et d’autre (Fig. 5).
14À l’intérieur de l’enceinte, la nature de l’occupation observée reste indéterminée. Plusieurs creusements ont été effectués à proximité d’une des deux caves antiques abandonnée (ST1) et ont ensuite été utilisés comme dépotoirs aux vie-viie s. (Fig. 4b et Fig. 5, no 1). Sur l’îlot Saint-Flou, un pôle d’habitat structuré semble exister dès le vie s., et perdurer jusqu’au ixe s., au sud-ouest de l’emprise (Josset 2011 : 549, Fig. 344c). De part et d’autre du mur de terrasse (Fig. 5, no 2), plusieurs fosses dépotoirs contenant du mobilier des vie-viiie s. ont été identifiées sans qu’une structuration particulière n’apparaisse. Il est difficile de restituer une organisation précise des espaces, mais le secteur reste occupé de manière relativement intense et prolongée.
15À l’extérieur de l’enceinte, plusieurs fosses utilisées comme dépotoirs ont été observées et sont datées par leur comblement des vie-viie s. (Fig. 5, no 3 et Fig. 4b). Elles ont été identifiées lors des opérations de 1985 et de 2019 (Petit 1985 : ill. 19 ; Roux-Capron, Alix et Najera-Marcos 2021 : 164). On en retrouve ainsi de part et d’autre du tracé restitué du fossé défensif, à la fois sur la lice et à l’extérieur de l’enceinte. Pour l’opération de 1985, la fonction et la datation exacte de ces fosses, dénommées “silos” par les auteurs du rapport, restaient à préciser par un réexamen du mobilier. En effet, une quantité importante de céramiques semble pouvoir être attribuée au haut Moyen Âge, avec des relevés des décors à la molette qui attestent deux périodes : vie-viie s. et fin ixe-début xe s. (Petit 1985 : ill. 18). Une boucle à ardillon scutiforme appartenant probablement à une plaque-boucle datée du viie s., type de matériel extrêmement rare hors des contextes funéraires, a aussi été découverte (Petit 1985 : ill. 19). D. Petit mentionne aussi la présence de monnaies et de céramiques (non représentées dans le rapport) datées des xiie-xiiie s. La localisation stratigraphique exacte de ce mobilier plus récent n’est pas précisée, mais il pourrait s’agir du comblement terminal des structures après tassement. Ces fosses à possible fonction d’ensilage restent de datation difficile, bien qu’on puisse noter que, pour la ville d’Orléans, elles sont généralement beaucoup plus représentées entre les viie et xe s., puis disparaissent ensuite. La présence de fosses à fonction de silos postérieures au xe s. n’étant par ailleurs pas connue pour la ville d’Orléans et ses abords immédiats, il est permis de questionner leur datation exacte. Ce type de structure est généralement beaucoup plus représenté pour les périodes du viie au xe s. dans ce secteur.
2.3. La question de l’église Notre-Dame-entre-mur-et-fossé
16En parallèle de la présence d’un habitat à la fois sur la lice et à l’extérieur du fossé, se pose la question de la localisation d’un éventuel espace funéraire peut-être à l’origine de l’église Notre-Dame-entre-mur-et-fossé attestée au début du xiie s. (ancien vocable de l’église Saint-Flou ; Fig. 5, no 4 et Fig. 6). À l’exception d’ossements humains et d’un accessoire vestimentaire retrouvés dans les fosses (cf. supra), aucune sépulture en place n’a été mise en évidence, mais il est fort probable que les niveaux de cette occupation aient été complètement arasés. Les arguments chronologiques restent à préciser, mais le fragment de plaque-boucle et la présence de mobilier des vie-viie s. suggèrent la présence d’un lieu d’inhumation dès le début du haut Moyen Âge. Ce type d’implantation n’est pas isolé pour la ville, puisque sur le front nord de l’enceinte, des espaces d’inhumation sont installés sur la lice durant le xe s. au pied de la tour Sainte-Croix (Petit 1983 : 63) ou près des églises de Saint-Pierre-Ensentellée, entre les xe et xiie s. (site de l’hôtel Pommeret, Petit 1988 : 73), et de Saint-Sulpice (Joyeux 2012 : 270).
17De la première église Notre-Dame-entre-mur-et-fossé, dont le vocable est attesté à partir de 11202, il pourrait ne subsister qu’une pierre de seuil permettant le passage vers l’ouest, à travers le mur de courtine (Fig. 6 ; Alix et Roux-Capron 2020 : 106). À partir du xiiie s., à cet emplacement se situe une tour-porche attestée par des découvertes du xixe s. et les fouilles récentes (Garsonnin et Soyer 1907 ; Liégard, Canny et Fourvel 2008 : 79). Ce passage a été fortement réaménagé par la suite.
2.4. Des vestiges et des activités non caractérisées
18Contre le parement interne de la courtine, une cave gallo-romaine (ST2) était probablement toujours utilisée au cours de l’Antiquité tardive (Fig. 4b et Fig. 5, no 5 ; cf. supra). À une période comprise entre le ive et le viie s., l’intérieur est modifié afin de créer un espace souterrain de 5 à 10 m de profondeur (Roux-Capron, Alix et Najera-Marcos 2021 : 166-174). En effet, un creusement (F2122) est effectué au droit des murs de la cave sur ses bords nord, sud et ouest et au droit du mur de renfort lié à la construction de l’enceinte urbaine à l’est (Fig. 8). Il présente des bords verticaux, taillés dans le calcaire marneux plus ou moins friable et a été fouillé manuellement et très partiellement. En effet, la mise en sécurité nécessaire pour explorer un tel ensemble, de plus dans l’emprise contenue dans un bâtiment ancien encore en élévation, a fortement contraint la méthode et l’emprise de la fouille (Fig. 9). Il est cependant certain que cet espace a été creusé sur au moins 5 m de profondeur d’après les observations effectuées lors de la fouille manuelle (Fig. 8) et il est possible qu’il se développe sur 10 m de profondeur d’après les explorations effectuées avec une caméra endoscopique. Avec la cave antique, c’est au minimum un espace souterrain de 7 m de profondeur pour 11 m² de surface qui a été aménagé. La très bonne conservation des maçonneries de la cave ST2 et l’absence de matériaux issus des parois en calcaire crayeux dans les couches de comblement suggèrent la présence d’un espace couvert au-dessus du creusement, à l’abri des intempéries.
Fig. 8 - Proposition de restitution de l’espace souterrain F2122.

É. Roux-Capron.
Fig. 9 - Vue vers le sud-est de l’espace souterrain F2122 en cours de fouille.

É. Roux-Capron.
19La chronologie précise de cette structure reste inconnue. On peut évoquer en premier lieu la chronologie relative. En effet, le creusement reprend les limites exactes de la cave antique ST2, et à l’est celle du mur de renfort F2027 installé entre le dernier quart du iiie s. et la fin du ive s., probablement lors de la réalisation de l’enceinte urbaine (Fig. 4b). Aucune couche d’occupation n’a pu être observée, puisque le fond n’a pas été atteint par la fouille manuelle. En revanche, le comblement massif en plusieurs séquences a livré un mobilier très hétérogène daté des vie et viie s. On peut donc situer la réalisation et l’utilisation de cet espace souterrain entre le ive et le vie s. en restreignant l’incertitude chronologique au minimum.
20L’interprétation de cette excavation reste soumise elle aussi à l’incertitude même si plusieurs hypothèses ont été avancées : effondrement naturel de type karstique, carrière d’extraction ou souterrain.
21Il ne s’agit pas d’un karst puisque ceux identifiés lors de l’opération ne présentent pas les mêmes caractéristiques, avec notamment des contours irréguliers très dissemblables des parois verticales et régulières de l’espace F2122.
22L’hypothèse d’une carrière d’extraction souterraine de calcaire a aussi été abandonnée car aucune structure de ce type n’est connue à Orléans avant le xe s. (Alix, Josset et Massat 2014 : 12 ; Alix et Morleghem 2019). Par ailleurs, les carrières orléanaises sont généralement situées en espace extérieur et présentent une dégradation importante de leurs parois, ce qui n’est pas le cas ici.
23Une dernière hypothèse serait celle d’un souterrain dont la fonction exacte ne peut être déterminée. Ce type de structure est bien connu pour la fin du haut Moyen Âge mais essentiellement en milieu rural (Épaud et al. 2019). Plusieurs types existent, de la cabane au bâtiment excavé en passant par les souterrains à plusieurs salles et galeries. Leur fonction de stockage est clairement attestée au xe s. avec une possibilité de transformation en refuge à partir du xe s. Leur absence dans les villes est notée par les auteurs. Certains exemples comme à Monfort (Maine-et-Loire) présentent une pièce enterrée quadrangulaire de 2 m de profondeur, point de départ d’une galerie souterraine (Hunot 2008 ; Épaud et al. 2019 : 201-206). On serait tenté de rapprocher cet exemple de l’espace F2122 mais la profondeur de ce dernier est beaucoup plus importante. En outre, la reconnaissance d’une galerie qui partirait des bords du creusement n’a pas été possible.
24En l’état, il est donc impossible d’interpréter cet espace excavé. On peut toutefois noter qu’il était sans doute couvert et protégé des intempéries, probablement par la présence d’un bâtiment conservé au-dessus. Le lien de l’édifice et de l’excavation avec l’enceinte urbaine nous échappe aussi.
3. De la périphérie de la ville à une urbanisation progressive (à partir du ixe s.)
3.1. Poursuite de l’occupation domestique au pied de l’enceinte urbaine (ixe-xe s.)
25Des latrines réutilisées comme dépotoirs entre le ixe et le début du xie s. au plus tard ont été identifiées lors de la fouille (Fig. 10a) et trouvent des parallèles immédiats dans l’îlot Saint-Flou, puisque des structures de ce type ont été identifiées sur l’ensemble de la parcelle fouillée, de manière plus ou moins structurée (Fig. 5 ; Josset 2011 : 549). L’habitat semble donc se développer depuis les parcelles en arrière de l’enceinte jusqu’au pied de la courtine, ce qui suggère que les abords immédiats de la fortification sont occupés par des habitations très tôt dans le Moyen Âge. On peut même noter que le creusement de ces fosses de latrines est tangent au nu du parement interne de la courtine, montrant un respect strict de la structure défensive.
Fig. 10 - Plan des vestiges identifiés lors de la fouille des Vinaigreries en 2019, Moyen Âge 900-1150.

É. Roux-Capron.
26De l’autre côté de l’enceinte, à l’est, de grandes fosses interprétées comme des silos ont aussi livré un abondant mobilier des ixe-xe s. mais ce dernier doit être réexaminé en même temps que les vestiges pour en déterminer la nature, la fonction et la datation exacte (cf. supra).
3.2. Vers le quartier médiéval (xie-xiiie s.)
27L’activité d’extraction de calcaire observée grâce à la présence d’au moins trois puits et une cave-carrière sur la parcelle fouillée peut être mise en regard de celle bien attestée sur l’îlot Saint-Flou (Fig. 5). Cette activité semble débuter avant les xie-xiie s. au plus tard pour s’achever au xive s. (Alix, Josset et Massat 2014 : 16). Les vestiges identifiés lors des opérations archéologiques de 2017 et 2019 s’insèrent totalement dans ce schéma d’exploitations successives, étalées dans le temps et répondant aux besoins en matériaux qui s’expriment au cours du Moyen Âge dans le quartier (Fig. 10b).
28C’est au xiiie s. que l’on voit clairement la mise en place d’un lotissement médiéval, organisé en parcelles laniérées le long de la rue Saint-Flou (Fig. 5). L’habitat est perçu par la présence de dépotoirs et il est imbriqué avec une activité d’extraction de calcaire qui perdure depuis la période précédente. Au long de la courtine, à l’est de la rue Saint-Flou, des maisons s’installent contre les installations défensives et cette proximité immédiate du bâti civil avec la courtine n’est pas un fait isolé. Plusieurs exemples orléanais montrent que le parement interne de l’enceinte est occupé par des maisons de particuliers au moins dès le xiie s. Ce phénomène trouve son origine dès la fin du haut Moyen Âge (cf. supra) et il est documenté par ailleurs à Orléans, au 14 rue Saint-Étienne, où une grande habitation est adossée au parement interne de la courtine dès les xie-xiie s. (Alix 2021). On peut citer aussi l’exemple du front ouest de l’enceinte, place Louis XI ou au 15 rue des Trois-Clefs (Alix 2016). Un tel processus trouve des parallèles par exemple à Tours le long de l’enceinte du castrum Saint-Martin (Marot 2020) et à Châteaudun, maison dite de la Vierge (Tournadre 2013). Dans ce dernier cas, une maison à pan de bois adossée contre la courtine possède un comble qui englobe le chemin de ronde. Cette extrême proximité entre habitat et fortification ne semble pas empêcher la continuité du rôle défensif de l’enceinte.
29L’examen des archives confirme le lotissement progressif de l’ensemble de la rue dès le xive s. (Philippe 2009 ; Carron et Collectif 2011 : 106 ; Alix, Jesset et Philippe 2014 : 23). Côté est, les parcelles sont toutefois de taille très réduite, ce qui justifie leur dénomination comme “magasins” ou “granges” jusqu’à la fin de la période moderne.
30À l’est de la courtine, et en dehors de l’enceinte, le vestige le plus évident d’une occupation domestique est la cave-carrière encore conservée aujourd’hui en sous-sol et dont l’accès d’origine devait se faire depuis l’ouest (Fig. 5, no 6). Cette cave, très bien datée de la seconde moitié du xiiie s. au xive s., illustre la présence d’un habitat entre le mur de courtine et le fossé d’enceinte avant la guerre de Cent Ans. Celui-ci est aussi le témoin de la continuité d’occupation observée pour l’ensemble du Moyen Âge sur ce secteur très particulier de la ville. En effet, il semble venir s’appuyer contre la courtine et de part et d’autre du fossé de l’enceinte comme le montrent les vestiges identifiés lors des fouilles de 1985, sous la forme de fosses dépotoirs comblées au plus tard au xiiie s. (Petit 1985 : 9). À l’extérieur de l’enceinte, contrairement aux abords de la rue Saint-Flou, il n’est pas possible de restituer un lotissement éventuel de l’espace, avec la documentation disponible. L’ensemble de ces constructions hors-les-murs sera néanmoins détruit au cours du xive s., car à cette époque l’enceinte retrouve clairement un rôle défensif, en lien avec la guerre de Cent Ans, comme en témoignent la réfection de pans entiers du parement externe ainsi que la reprise du parapet et le recreusement du fossé (Alix et Roux-Capron 2020 : 215-219).
Conclusion
31Le quartier des Vinaigreries à Orléans présente une continuité d’occupation du début de l’Antiquité à la période contemporaine. Malgré un changement majeur dans l’urbanisation de cet espace, avec la construction de l’enceinte au ive s., cette dernière ne constitue jamais une limite réelle. Un édifice cultuel est en effet installé à cheval sur l’enceinte au cours du haut Moyen Âge et l’habitat qui se développe de part et d’autre, et même au sein du système défensif que constituent la courtine, la lice et le fossé, montre les mêmes caractéristiques.
32Le rôle défensif de l’enceinte peut ici être questionné sur la longue durée avec la présence de constructions civiles contre la courtine et sur la lice. On voit que le degré du caractère militaire de l’enceinte fluctue d’une période à l’autre : en témoignent notamment les indices de réfection de la courtine observés à la fin du haut Moyen Âge et au xive s.
33Reste que l’organisation des circulations de part et d’autre de l’enceinte ne peut être évoquée à partir des indices archéologiques disponibles. Aucun passage dans la courtine n’est identifié dans le secteur concerné par les opérations archéologiques, à l’exception du portail de l’église Notre-Dame-entre-mur-et-fossé. L’occupation simultanée des espaces dans et hors les murs, perceptible par les mêmes types de structures archéologiques et un mobilier très homogène, suggère des contacts ininterrompus de part et d’autre de la courtine, nécessitant des circulations qui restent à découvrir.
34Une question reste en suspens à l’issue de cette présentation. La nature de l’espace souterrain situé en arrière de la courtine, reprenant une construction existante, ne peut être définie à ce jour. Espace de stockage ou élément défensif sont des interprétations possibles mais elles nécessitent d’être étayées avec des exemples extérieurs probants. Les observations archéologiques ont été effectuées et enregistrées et trouveront peut-être une mise en perspective avec des recherches archéologiques à venir.
Bibliographie
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Notes de bas de page
Auteurs
-
Émilie Roux-Capron
Inrap Centre-Île-de-France.
-
Clément Alix
Pôle d’archéologie de la ville d’Orléans.
-
Wendy Laurent
(collab.)
Pôle d’archéologie de la ville d’Orléans.
-
Didier Josset
(collab.)
Inrap Centre-Île-de-France, UMR 7324 CITERES-LAT.

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