Les enceintes urbaines de Chartres, entre Bas-Empire et haut Moyen Âge. État des connaissances et hypothèses de tracés
The urban walls of Chartres, from Late Antiquity to the Early Middle Ages. State of knowledge and layout hypothesis
p. 19-36
Résumés
Mentionnée dans les textes dès le dernier quart du ve s. et décrite par le moine Paul, à la fin du xie s., comme constituée de hauts murs et pourvue de tours, l’existence d’une enceinte urbaine autour de Chartres dès le Bas-Empire reste cependant hypothétique. En revanche, les sources textuelles semblent confirmer l’existence d’une enceinte au plus tôt dès le ixe s. Le moine Paul considère que cette fortification, toujours visible au moment où il écrit, résulte d’une réduction de l’enceinte tardo-antique par un regroupement de la population “dans un angle de la cité”. Les différents auteurs qui rédigent du xviie au début du xxe s. s’accordent sur une défense ramassée sur la pointe de l’éperon formé par la confluence des vallées de l’Eure et des Vauroux. Une fouille menée en 2003-2004 dans le cadre de l’opération Cœur de ville a mis au jour, boulevard Chasles, un fossé large d’une dizaine de mètres à l’ouverture et au profil en V. Le mobilier découvert lors de la fouille, la présence de fours à chaux installés en bordure du fossé et de sépultures creusées dans son comblement indiquent une fourchette chronologique comprise entre le ive et le viiie s. La datation et l’identification de ce fossé jusqu’alors inconnu restent hypothétiques : enceinte du Bas-Empire ou fortification alto-médiévale ? En procédant à un examen morphologique du parcellaire, il est possible de définir pour l’enceinte alto-médiévale une hypothèse de tracé assez proche de celui proposé par l’historiographie. De plus, une prospection réalisée dans le cadre d’un projet de recensement des caves et cavités du centre-ville a révélé un mur daté du xie s. au nord de la cathédrale, pouvant correspondre à un vestige de cette enceinte. Ainsi, en replaçant le fossé du boulevard Chasles et le tracé restitué de l’enceinte alto-médiévale dans la topographie de la ville, le premier semble se présenter comme un barrage d’éperon, tandis que la seconde apparaît comme une réduction de son assiette. Cela nous autorise à reconsidérer de manière plus littérale les écrits de Paul, qui rédige son texte à peine deux siècles après les faits. Et si le fossé du boulevard Chasles était l’un des vestiges de l’enceinte du Bas-Empire ? Cette relecture des sources au regard des récentes découvertes archéologiques est une première étape dans la recherche de ces enceintes, que ce soit au cours des futures opérations ou en reprenant les données de fouilles anciennes.
Mentioned in texts from the last quarter of the 5th century and described by the monk Paul, at the end of the 11th century, as consisting of high walls and equipped with towers, the existence of an urban enclosure around Chartres from the Lower Empire remains hypothetical. On the other hand, historical sources seem to confirm the existence of an enclosure as early as the 9th century. The monk Paul considers that this fortification, still visible at the time of his writing, is the result of a reduction of the late antique enclosure by a regrouping of the population “in a corner of the city”. The various authors who wrote from the 17th to the beginning of the 20th century agree on a defence gathered on the point of the spur formed by the confluence of the valleys of the Eure and the Vauroux. An archaeological excavation carried out in 2003-2004 as part of the Cœur de ville operation uncovered a ditch about ten metres wide with a v-shaped opening and profile on the boulevard Chasles. The presence of lime kilns installed on the edge of the ditch and burials dug in its filling seem to indicate a digging prior to the 8th century, while its filling cannot be lower than the 4th century. The dating and identification of this hitherto unknown ditch remains hypothetical: a Late Roman enclosure or an Early Medieval fortification? By carrying out a morphological examination of the plot plan, it is possible to define a hypothesis for the Early Medieval enclosure that is fairly close to that proposed by historiography. In addition, a survey carried out as part of a project to identify the cellars and cavities in the town centre has revealed a wall dating from the 11th century to the north of the cathedral, which may correspond to a remnant of this enclosure. Thus, by placing the ditch of the boulevard Chasles and the restored layout of the Early Medieval enclosure in the topographical context of the city, the first seems to act as a spur barrier while the second appears as a reduction of its area. This allows us to reconsider in a more literal way the writings of Paul, who wrote his text barely two centuries after the facts. What if the ditch of the Boulevard Chasles was one of the remains of the Late Roman enclosure? This re-reading of the sources in the light of recent archaeological discoveries provides a basis for research into the evidence of these enclosures, whether during future operations or by taking up the data from old excavations.
Entrées d’index
Mots-clés : Chartres, enceinte, Bas-Empire, haut Moyen Âge, historiographie, fossé défensif, étude morphologique, cave
Keywords : Chartres, city wall, Late Antiquity, Early Middle Ages, historiography, ditch, morphological study, cellar
Texte intégral
1. Cadres géographique et historique (TL)
1Aujourd’hui préfecture du département d’Eure-et-Loir, en région Centre-Val de Loire, la ville de Chartres est localisée sur un promontoire formé par la confluence des vallées de l’Eure, à l’est, et des Vauroux, recueillant les eaux d’un petit ruisseau, le Couesnon, au nord-ouest. Dominant l’Eure de près de 30 m, cet éperon culmine à 156 m ngf et était probablement bordé à l’est par une petite falaise, progressivement masquée par le développement urbain.
2Chartres est connue dès l’Antiquité. Dénommée Autrikon ou Autricum, elle est la capitale de la cité des Carnutes (Joly, Willerval et Denat 2015 : 117). Elle devient siège épiscopal au cours du ive s.
3Après les vicissitudes de l’époque mérovingienne, qui provoquent le démembrement politique de la civitas Carnotum1, le diocèse retrouve son unité avec l’avènement des Carolingiens et Chartres devient la capitale d’un des huit pagi le constituant. Les frontières politiques se stabilisent à partir du xe s. lorsque le Chartrain devient partie intégrante du comté l’unissant au Blésois et au Dunois sous la houlette de Thibaud le Tricheur (v. 910 – v. 978) (Chédeville 1991 : 31‑38).
2. Sources et historiographie (TL)
2.1. Les sources
2.1.1. L’enceinte antique
4Nonobstant un grand fossé taluté entourant la ville au cours du Haut-Empire, ayant plus un rôle de délimitation de l’espace urbain que défensif (Joly, Willerval et Denat 2015 : 134‑136), l’existence d’une enceinte antique à Chartres n’a jamais été attestée.
5La première mention d’une ville fortifiée apparaît vers 470 sous la plume de Paulin de Périgueux. Dans sa vie de Saint Martin, il narre le récit d’un voyage du saint vers les “remparts des Carnutes” (carnutena moenia) (Paulin de Périgueux : iv, v. 255). Il s’agit cependant ici très certainement d’une simple licence poétique afin de respecter la métrique du vers.
6La Vita Sancti Betharii mentionne les “murs” et les “portes” de la ville, mise à sac par les troupes de Thierry II de Burgondie au début du viie s. (Acta Sanctorum Augusti : i, 170-171). Un autre manuscrit, vraisemblablement disparu en 1944, explique que le roi fait obstruer les aqueducs pour soumettre la ville en assoiffant ses défenseurs, ce qui suppose l’existence d’un système défensif difficilement franchissable (Chédeville 1991 : 401, n. 18). Cependant, la première mouture de la vie de cet évêque chartrain, dont semblent découler les quelques rares autres versions, paraît avoir été rédigée tardivement, dans la première moitié du xe s. Le siège de Thierry, qui ne semble pas franchement attesté, ne serait qu’une allégorie de celui de la ville par les Normands en 911 (Honet 1996 : 106‑111).
7Une enceinte antique est enfin évoquée par le moine Paul, qui compile à la fin du xie s. le cartulaire de l’abbaye Saint-Père. Dans la première partie, il décrit la ville telle qu’elle se serait présentée à la veille des invasions scandinaves. Cette “ville des Pierres”, défendue par une enceinte construite en grand appareil et pourvue de hautes tours, aurait résisté à Jules César, “son armée romaine et ses phalanges argiennes” pendant dix ans (Cartulaire de Saint-Père : 5). Il est évident que cette description toute littéraire n’est pas fondée sur une réalité physique et cherche à donner à Chartres un passé prestigieux comparable à celui de la ville de Troie.
2.1.2. L’enceinte alto-médiévale
8Si l’existence à Chartres d’une enceinte urbaine dès le Bas-Empire ne peut être attestée par les sources textuelles, on sait que la ville apparaît ceinte de murs à partir du ixe s. Le récit de la translation des reliques de saint Liboire (836) mentionne “le chemin qui mène, hors des murs de la cité, à l’oratoire où reposent les membres de saint Chéron”. En 885, ce sont les reliques de saint Wandrille qui sont mises à l’abri des murs de la ville face à la menace normande (Acta Sanctorum Julii : v, 289 et 422).
9Il est possible de rapprocher la fortification mentionnée par ces deux textes, contemporains des événements, de celle dont parle le moine Paul lorsqu’il évoque la ruine de la ville antique par “les barbares les plus impies” et le retranchement de la population dans “un angle de la cité encore circonscrit de murs”. Celui-ci est clos par un mur de fortune construit en pierres sèches, en réutilisant les décombres. Il semble toujours présent dans le paysage urbain lorsque Paul rédige son texte 200 ans après les faits (“ainsi qu’il est visible encore aujourd’hui”) (Cartulaire de Saint-Père : 5, n. 2).
2.2. Historique de la recherche
2.2.1. Les différentes hypothèses de tracé
10En se fondant sur le texte du moine Paul, Sébastien Roulliard, en 1609, est le premier à rechercher des traces de l’enceinte primitive de la ville. Il ne s’attarde pas sur la datation mais tente d’en déduire l’emprise en étudiant les différents titres religieux. Il remarque ainsi que les églises Saint-Michel, Saint-André, Sainte-Foy et l’abbaye Saint-Père apparaissent comme étant situées hors des murs de la cité. De même, il note que la tour comtale possède une issue vers la campagne. Ce périmètre trop restreint ne peut cependant pas correspondre, selon lui, à la fameuse “ville des Pierres”, qui devait s’étendre dans la vallée, au moins jusqu’au bras de l’Eure. Il ne pouvait s’agir que du réduit mentionné par le moine, mis en œuvre depuis le haut de la rue Muret jusqu’à l’église Saint-Michel (Roulliard 1609 : ii, f° 265v-268r).
11Jean-Baptiste Souchet, qui écrit dans la première moitié du xviie s. (publié en 1866), limite au seul promontoire l’assiette originelle de la ville (Fig. 1). Comme son prédécesseur, il ne s’étend pas sur les datations, mais dresse la première hypothèse de tracé de l’enceinte. Partant de la porte Saint-Michel, elle suit le sommet du coteau en passant par le chevet de l’église Saint-Aignan, le prieuré Saint-Vincent, le château, le chevet de la cathédrale et le haut de la rue Chantault. De là, elle part en direction du Châtelet puis rejoint la porte Saint-Michel en passant par la place des Halles (Souchet 1866 : i, 17).
Fig. 1 - Chartres, plan des différentes mentions historiques et observations archéologiques rattachées à une première enceinte urbaine.

Fond de plan parcellaire actuel.
Th. Lecroère, Service archéologie préventive du Conseil départemental d’Eure-et-Loir.
12Tout en proposant le même tracé que son prédécesseur, Vincent Chevard, en 1801, est le premier à proposer une datation de l’enceinte. En s’appuyant sur la tradition historiographique des “invasions barbares”, largement relativisée depuis (Whittaker 1995), il date sa mise en œuvre “dans les quatrième et cinquième siècles, durant les incursions et les ravages des Francs et des Vandales” (Chevard 1801 : i, 18‑21).
13En 1864, Louis-Gustave Guérineau de Boisvillette interprète les écrits du moine Paul comme une preuve de l’existence de murs “anté-normands” : les “grosses pierres carrées” (quadratis et immanissimis lapidibus) ne pouvant désigner qu’un grand appareil antique. Il décale également le tracé restitué vers le nord, faisant de l’église Saint-Aignan la limite sud de la ville et du couvent des Jacobins la pointe nord (Guérineau de Boisvillette 1864 : 254‑261). René Merlet reprend son hypothèse (Merlet 1899 : 275‑277). Pour ces deux auteurs, le mur créant le retranchement cité par Paul est à rechercher au nord du cloître cathédral, le long des actuelles rues du cardinal Pie et du Cheval-Blanc.
14Mesurant près de 800 m de long pour environ 250 de large, l’enceinte ainsi dessinée aurait enserré une superficie de près de 20 ha.
2.2.2. Les observations archéologiques
15Bien que l’existence et le tracé d’une enceinte antique ne soient fondés que sur des suppositions, certains auteurs ont tenté d’y rattacher diverses observations archéologiques (Fig. 1). En 1901, Albert Mayeux voit dans les murs des terrasses des jardins de l’Évêché un reste de l’enceinte gallo-romaine (Pv Sael : xi, 119). En 1921, les travaux pour la construction du monument aux morts, butte des Charbonniers, mettent au jour un “chemin de ronde” dallé en gros carreaux et accompagné d’un “parapet” construit en moellons liés au mortier de tuileau (Pv Sael : xiv, 106). Cela semble plutôt correspondre à un vestige de canalisation antique – pour lequel élément de datation n’est mentionné – rattaché par les observateurs à l’enceinte antique. Enfin, à la fin des années 1950, Marcel Couturier profite de travaux de réseau pour observer, au-dessus de Saint-Père, une maçonnerie comportant des blocs en remploi liés au mortier maigre. Pour lui, ce ne peut être qu’une fortification similaire “aux constructions hâtives de la fin du iiie s.” (Couturier 1961 : 285‑288). Sa datation ne paraît cependant pas s’appuyer sur d’autres éléments que sur l’idée préconçue des travaux réalisés en urgence pour faire face à “l’invasion” de 275, qui a perduré jusque dans le troisième quart du xxe s. avant d’être contredite par le renouvellement de la recherche (Boudeau 2009 : 24‑26).
16La matérialité des vestiges de l’enceinte alto-médiévale semble plus assurée. E. de Lépinois y associe la porte Cendreuse, située à l’entrée de la rue du même nom, détruite entre 1504 et 1566 (Lépinois 1854 : i, 308, n. 2). Sébastien Roulliard nous apprend que “quelques iambages de pierre” de cette porte sont toujours visibles au début du xviie s., “auprès la chappelle Sainct Vincent”. Avec Jean-Baptiste Souchet, ils précisent par ailleurs que cet endroit sert de station aux processions organisées le dimanche des Rameaux par les chanoines de la cathédrale et les moines de Saint-Père pour entonner le répons Ingrediente Domino, qui est chanté, selon la liturgie, à l’entrée dans la ville (Roulliard 1609 : f° 265v-266r ; Souchet 1866 : i, 17). Plus au nord, V. Chevard mentionne le reste de “masses” de la porte Évière, “vis-à-vis la pointe des bâtiments de Saint-Jean” (bas de la rue au Lait) (Chevard 1801 : i, 20).
17En 1889, l’abbé Hénault interprète les maçonneries s’étendant au pied de l’abside de l’église Saint-Aignan et certains murs de terrasse en contrebas de la place Billard comme des vestiges de l’enceinte du ixe s. Il décrit également des maçonneries, “un blocage d’une épaisseur de près de deux mètres facile à désagréger”, découvertes à l’occasion de travaux de voirie dans le haut de la rue Saint-Éman et au tertre de la Poissonnerie, ainsi qu’un pan de mur de facture identique, “d’une hauteur totale et apparente d’au moins treize mètres”, conservé dans une boutique à l’angle de la rue du Soleil-d’Or et de la place du Cygne (Hénault 1889 : 35-39).
18Enfin, la réalisation d’une tranchée de réseaux rue du Cardinal Pie, en 1934, mit au jour “un alignement d’une centaine d’énormes ladères2” que Maurice Jusselin interprète comme les “restes de cette muraille cyclopéenne hâtivement érigée […] que le moine Paul, vers 1085, voyait encore” (Jusselin 1940 : 133-134).
3. Une enceinte du Bas-Empire ?
3.1. Sur le plateau : une enceinte antérieure à celle du xiie s. (TL)
19Si l’historiographie positionne sur la pointe de l’éperon l’emprise d’une première enceinte urbaine, deux mentions attirent cependant notre attention quant à l’existence possible d’une autre enceinte antérieure plus à l’ouest, sur le plateau. La fortification qui le barre est mise en œuvre à partir de 1181, à la faveur d’un marché entre le comte Thibaud V et l’évêque Pierre de Celles (Cartulaire de Notre-Dame : i, 206, no 98 ; Souchet 1866 : ii, 512). Or, si l’on en croit l’obit de l’évêque, celle-ci semble suivre, au moins dans les environs de l’église Sainte-Foy, le tracé d’un fossé plus ancien (Cartulaire de Notre-Dame : iii, 46). La présence de fossés dans ce secteur est également mentionnée dans le Livre des Miracles de Notre-Dame de Chartres, où une communauté bretonne s’est établie en une “forteresce clouse des fosez sainte Foi” (Miracles de Notre-Dame : 102). Transcrit par Jehan Le Marchant dans les années 1260 à partir d’une source inconnue, ce poème parlant de la construction de la cathédrale pourrait remonter au xie ou xiie s. (Delisle 1856).
3.2. Les fouilles de Cœur de ville (HS)
20Le projet Cœur de ville, lancé sur le plan archéologique en 2002, comprend le réaménagement de la place des Épars et des boulevards Chasles au sud et Maurice Violette/Résistance au nord-est. Il a fourni l’occasion d’appréhender le passé de la ville sur une surface de quelque 8 ha. L’impact majeur sur le sous-sol est constitué par la création d’un parc de stationnement souterrain de 12 240 m² sous la place des Épars et le boulevard Chasles (Fig. 2). La fouille a été réalisée par l’Inrap en 2003-2004, sous la responsabilité d’Hervé Sellès, assisté de Jean-Michel Morin et de Vincent Goustard.
Fig. 2 - Chartres, plan de l’opération de fouilles archéologiques du parking Cœur de ville (2003-2004, RO : H. Sellès), avec la localisation du fossé du boulevard Chasles et des éléments annexes (Équipe archéologique Cœur de ville, Inrap/Direction de l’archéologie de Chartres Métropole).

21Dans l’emprise du projet, la conservation de la stratification présente de fortes variations. Sur la place des Épars, les niveaux antiques sont de l’ordre de 1 m au sud et de 1,50 m au nord et concernent pour l’essentiel des espaces d’habitats et de rues du ier au iiie s. Sur le boulevard Chasles, qui se présente sous la forme d’un long ruban étroit de 15 m de large par 500 m de longueur, la stratification antique est presque intégralement érodée. À l’exception de la partie la plus à l’est, les constructions du Haut-Empire ne transparaissent qu’au travers des structures en creux (fondations ou caves).
22Sur l’ensemble de la fouille, les indices d’une continuité d’occupation au Bas-Empire sont limités à quelques lambeaux de sols ainsi qu’une sépulture très dégradée mise au jour sur la place des Épars. Une fréquentation peut être déduite des rares fragments de mobilier (fragments de poteries, monnaies, verrerie, artisanat de la matière dure animale, et rare mobilier métallique) mis au jour dans le comblement des structures fossoyées médiévales postérieures. Ces éléments suggèrent qu’une rétraction urbaine massive s’est opérée au plus tard à la fin du iiie s.
3.2.1. Le fossé du boulevard Chasles
23Le secteur du boulevard Chasles est marqué par un changement structurel d’occupation de l’espace durant le Bas-Empire ou le début du haut Moyen Âge, matérialisé par un important creusement linéaire reconnu sur 415 m de long (Fig. 2). Sans lien avec l’organisation viaire antique, ce fossé est parallèle à l’enceinte urbaine édifiée au xiie s. et à son fossé. Il est ponctuellement interrompu à l’ouest du boulevard Chasles sur une longueur maximale de 8,15 m, interruption qui ne peut être mise en relation avec des éléments structurants antérieurs (rue antique) ou postérieurs (enceinte médiévale).
24Large de 6,40 m à 10,50 m au niveau du sommet du substrat, le fossé présente une largeur moyenne de 7 m pour une profondeur conservée de 2 à 3 m de profondeur. En raison de l’arasement général du terrain, son niveau de creusement initial n’a pas été reconnu. Son comblement à dominante de terre noire homogène a été appréhendé par une série de quinze sondages mécaniques répartis sur la longueur observée (Fig. 3).
Fig. 3 - Chartres, opération archéologique Cœur de ville, profils du fossé du boulevard Chasles.

Équipe archéologique Cœur de ville, Inrap/Direction de l’archéologie de Chartres Métropole.
25Le fossé présente un profil initial en V bien marqué. Le fond suit la pente générale du terrain depuis le point haut que constitue la place des Épars vers un point bas que matérialise l’extrémité est du boulevard Chasles au point de rupture de pente vers la vallée de l’Eure. Les différentes coupes laissent entrevoir plusieurs états successifs mais également une phase d’abandon marquée par un comblement massif, tout au moins dans la partie ouest.
3.2.2. Éléments de chronologie
26Le mobilier collecté est peu abondant, résultant notamment de la méthode d’approche limitée à des sondages mécaniques. Le fossé n’a ainsi livré que 306 fragments de poteries, dont 56 bords différents. Il s’agit pour l’essentiel de fragments résiduels du Haut-Empire associés à de rares éléments attribuables au Bas-Empire, parmi lesquels cinq tessons de céramique granuleuse dont un bord de pot Alzeï 27 et un unique fragment de coupe Chenet 320. Neuf monnaies constantiniennes ou imitations orientent également le processus de comblement au plus tôt au Bas-Empire.
27Deux éléments plus probants fournissent un cadrage chronologique plus précis concernant ce fossé.
3.2.2.1. Un ensemble funéraire alto-médiéval
28Un ensemble de 38 tombes a été mis au jour à l’extrémité nord-ouest du boulevard Chasles, dont 18 implantées dans le comblement final du fossé (Fig. 4).
Fig. 4 - Chartres, opération archéologique Cœur de ville, détail sur l’ensemble funéraire installé dans le comblement de la partie nord du fossé du boulevard Chasles.

Équipe archéologique Cœur de ville, Inrap/Direction de l’archéologie de Chartres Métropole.
29Ce petit ensemble funéraire présente les caractéristiques générales des sépultures du début du haut Moyen Âge (orientation des tombes, organisation en rangées, position des membres, calages latéraux…). Il rassemble sept individus immatures, de six à quinze mois pour le plus jeune à 19/20 ans pour le plus âgé, et parmi les adultes six hommes et huit femmes.
30Les datations 14C réalisées sur six de ces tombes indiquent une période d’inhumations comprise entre la fin du viie s. (689-753) pour la plus ancienne (1588) et le ixe s. (810-880) pour la plus récente (1584)3.
31Cet ensemble appartient à une aire funéraire plus vaste, se développant également sous et au nord de l’église Saint-Saturnin, détruite à la période moderne et située à l’articulation entre la place des Épars et le boulevard Chasles (Fig. 2). Quelques sépultures datées de la seconde moitié du viie s. et du début du viiie s. ont été reconnues au nord de l’église, dans un espace qui deviendra le cimetière paroissial médiéval et d’autres tombes des ixe-xe s. ont été identifiées sous les fondations de l’église paroissiale.
3.2.2.2. Les fo urs à chaux
32Le second élément venant appuyer l’origine ancienne du fossé défensif est constitué par la reconnaissance d’un ensemble de huit fours à chaux de structure identique et de même calibre composés d’une chambre circulaire d’environ 2,50 m de diamètre, traversée dans sa partie centrale par un alandier et prolongeant une aire de chauffe. Tous ces fours sont répartis sur l’étroite bande de 8,50 m comprise entre le fossé de ville identifié en rive nord de la fouille (tout au moins dans son état terminal) et celui reconnu dans le cadre de la fouille (Fig. 2).
33Sept d’entre eux sont disposés sur une distance de 100 m suivant un rythme régulier ; le dernier est isolé à 200 m au sud-ouest.
34Dans l’ensemble le plus important, trois alandiers ouvrent sur le fossé de ville, tandis que les quatre autres ouvrent sur celui reconnu lors de la fouille, tout comme celui du four isolé au sud-ouest.
35Cette organisation, même si elle n’est pas strictement démontrée4, indique que les fours sont mis en place alors qu’a minima le fossé sud constitue un élément structurant du paysage urbain.
36Quatre d’entre eux ont fait l’objet d’une datation archéomagnétique. Pour l’un (F2005), l’étude n’a pu être menée à terme. Les datations obtenues pour deux des fours groupés indiquent que la dernière chauffe a été réalisée entre le début du viiie s. et le milieu du ixe s. (705-845) pour les probabilités les plus hautes. Celui isolé semble d’un fonctionnement plus tardif, la datation retenue étant fixée entre 835 et 915.
3.2.3. Un fossé tardo-antique ou alto-médiéval ?
37L’important fossé reconnu dans le cadre de la fouille de Cœur de ville reste difficile à dater et peut contribuer autant à un système défensif du Bas-Empire qu’à un dispositif de la période mérovingienne, voire du début de la période carolingienne. L’interruption constatée au nord-ouest reste en outre inexpliquée. En tout état de cause, la partie ouest du fossé, lieu d’implantation d’une partie de la nécropole du haut Moyen Âge, a disparu du paysage urbain au plus tard au milieu du viiie s., alors que la partie sud-ouest était encore suffisamment marquée pour que les chaufourniers profitent des dénivelés pour implanter leur batterie de fours à chaux.
4. À la recherche d’une possible enceinte alto-médiévale : étude morphologique (TL)
38L’étude morphologique du parcellaire vise à mettre en évidence les différents éléments conservés dans la “mémoire du parcellaire” et à déterminer leur chronologie relative afin de restituer le processus de développement urbain. Il est nécessaire, pour cela, de travailler à partir des plans parcellaires les plus anciens connus, afin d’avoir un objet dépouillé de toutes ses modifications contemporaines (Gauthiez 1999). À Chartres, le plus ancien plan parcellaire disponible pour l’intégralité de la ville est le cadastre dit “napoléonien”, dressé en 18285 (Fig. 5).
Fig. 5 - Chartres, étude morphologique de l’enceinte alto-médiévale.

Fond de plan parcellaire de 1828.
Th. Lecroère, Service archéologie préventive du Conseil départemental d’Eure-et-Loir.
4.1. L’enceinte
39L’emprise de l’enceinte est matérialisée par une anomalie centrée autour de la cathédrale et de l’église Saint-Aignan, par ailleurs déjà mise en évidence par Louis-Gustave Guérineau de Boisvillette (Guérineau de Boisvillette 1864 : 257). Les continuités parcellaires dessinent un quadrilatère se développant sur un axe légèrement NNO-SSE d’environ 30° ouest. Il mesure à peu près 430 m de long pour 250 m de large et couvre une surface de 9,5 ha. Au nord, il reprend les limites du cloître cathédral telles qu’elles sont connues à la veille de la Révolution (Lecocq 1857 : 31-37), et qui sont d’ailleurs très nettement visibles sur le front sud-ouest, le long de l’actuelle rue Sainte-Même6 (Fig. 5, 1a). Le tracé se poursuit ensuite de la rue Percheronne jusqu’à l’église Saint-Aignan (Fig. 5, 1b), en passant par les places Marceau et de l’Étape-au-Vin, avant de remonter vers le nord en suivant le coteau. Le château, localisé place Billard, prend place à partir de 955 également le long du coteau, au centre du flanc est (Chédeville 1991 : 410) (Fig. 5, 1c).
40On note que le chevet de l’église Saint-Aignan, qui marque l’angle opposé de la forme, déborde largement le tracé restitué de l’enceinte. L’église actuelle est cependant reconstruite au xvie s., probablement à la suite d’un édifice plus modeste (Bulteau 1850 : 301-302).
41Un doublement du tracé situé à une quinzaine de mètres sur l’intérieur, dans la partie sud, pourrait correspondre à un chemin de ronde ou à l’emprise d’un talus, ainsi qu’on en retrouve en arrière des enceintes du Bas-Empire (Boudeau 2009 : 95-97) (Fig. 5, 1d).
4.2. Accès et cheminements
42La ville se trouve au carrefour de deux cheminements principaux. L’un, de direction NO-SE, relie Orléans à la Normandie (Évreux, Lisieux) et l’autre, NE-SO, arrive de Paris et se prolonge vers le Mans. Probablement hérités de l’époque antique, ils suivent la direction de la trame viaire telle que mise en évidence pour le Haut-Empire (Joly, Willerval et Denat 2015 : 123).
43Le cheminement nord-sud (rue des Grenêts/rue des Changes) marque l’axe central de la topographie urbaine (Fig. 5, 2a). Il représente un élément important du paysage liturgique et correspond à une “voie sacrée” empruntée par les évêques lors de leur première entrée en ville (Coulon 2008 : 257). Avant de quitter l’agglomération par la rue du faubourg Saint-Jean et la rue Muret, ce tracé est coupé par le massif occidental de la cathédrale, construit après 1134 (Martin 2015).
44Le cheminement est-ouest franchit le coteau en passant par deux talwegs situés de part et d’autre du château (Fig. 5, 2b). Judicieusement positionné au carrefour des deux axes principaux de la ville, il n’est d’ailleurs pas impossible que ce soit ce dernier, et non l’obstacle du coteau, qui ait provoqué la division du trajet. En effet, il transparaît l’existence d’un cheminement primitif passant par la rue du Soleil-d’Or, qui vient buter contre le château avant de se transformer en une petite ruelle secondaire (tertre de la Poissonnerie) (Fig. 5, 2c).
45Plusieurs cheminements secondaires permettent de contourner l’enceinte. Vers le sud, on emprunte la rue de la Tonnellerie, le tertre Saint-François et la rue aux Juifs (Fig. 5, 2d). En remontant vers le nord, on rejoint la voie de Rouen en passant par le fond de vallée devant l’église Saint-André (Fig. 5, 2e). Vers l’ouest et le nord, les rues Sainte-Même, du Cheval-Blanc et du Cardinal Pie semblent héritées directement du réseau viaire antique (Fig. 5, 2f). Vers l’est, on note un alignement entre la rue des Acacias et la rue Muret, probable témoin d’un ancien chemin longeant l’enceinte et privatisé lors de la création des jardins de l’évêché au xviiie s. (Lecocq 1857 : 23) (Fig. 5, 2i).
46Enfin, le tracé des rues de l’Épervier et des Vieux-Rapporteurs matérialise un itinéraire secondaire contraint, qui suit l’enceinte à l’intérieur (Fig. 5, 2j).
47La mise en évidence de ces cheminements permet de déduire l’emplacement des portes de l’enceinte. L’historiographie en dénombre cinq (Bonnard 1936 : 273). Deux se situent sur l’axe principal de la ville : au sud la porte Nivelon, matérialisée notamment par la place de l’Étape au Vin qui s’étend au-devant, et au nord la porte Neuve. L’axe perpendiculaire franchit deux portes sur le front est, dénommées Évière au nord et Cendreuse au sud (cf. supra 2.2.2). La porte Cendreuse est notamment matérialisée dans le parcellaire par une patte d’oie formée par les rues Saint-Pierre et des Écuyers, montant le coteau. On relève également que le passage du talweg s’accompagne d’un léger décroché dans le tracé de l’enceinte, dont l’origine est probablement à rechercher dans la présence à cet endroit du prieuré Saint-Vincent, peut-être d’origine mérovingienne (Chédeville 1991 : 402, n. 26). On rencontre le même cas de figure au sein du castrum Saint-Martin de Tours, où la présence d’une église a contraint les défenseurs à désaligner les deux tronçons de l’enceinte de chaque côté de la rue (Marot 2013 : 295-296). Enfin, sur le front ouest, la porte Percheronne est à l’origine d’une patte d’oie formée par les rues Serpente et du Soleil d’Or.
4.3. Autres indices
48Le tracé d’une possible enceinte alto-médiévale de Chartres semble confirmé par quelques autres indices.
49L’emplacement des marchés à la fin du Moyen Âge est connu par les textes ou déduit par la toponymie (Fig. 5). Ils sont majoritairement rejetés en dehors de l’enceinte, au niveau des portes, que ce soit au nom de l’exiguïté (Étape au Vin, au sud, une place formée par la convergence de rues) ou pour des questions sanitaires ou de tabou du sang (boucheries, situées entre les portes Évière et Cendreuse à l’est, porte Percheronne à l’ouest ou porte Neuve au nord) (Billot 1987 : 131-136).
50On note enfin que l’emprise de la paroisse de Saint-Aignan, telle que connue pour l’Ancien Régime, associée à celle du cloître canonial, recouvre peu ou prou l’assiette restituée de l’enceinte alto-médiévale (Denos et Boudet 1936). André Chédeville considère par ailleurs cette église comme l’une des plus anciennes églises intra muros hormis la cathédrale. Elle aurait été fondée au ve s. par l’évêque du même nom (Chédeville 1991 : 402).
5. Des vestiges dans les caves ? (VA)
51Dans le cadre du recensement des caves et cavités de la ville de Chartres initié en 2017, plus de 1 000 caves ont été documentées, photographiées et relevées en plan (Vivant-Fuster, Acheré et Pinhède 2019). L’ambition de ce travail de recensement est de restituer le parcellaire médiéval, de mieux comprendre l’évolution de la ville et de repérer les éléments plus anciens réutilisés ou intégrés aux maçonneries des caves médiévales.
52Entre 2019 et 2022, les caves des 1, 5, 7, 9, 13, 17 et 19 rue du Cheval-Blanc ont fait l’objet d’études à des degrés différents. La cave du 1 rue du Cheval-Blanc/1 rue de l’Horloge a bénéficié d’une étude archéologique antérieure (Lecroère 2022), les caves du 5, actuellement occupées par un restaurant, n’ont donné lieu qu’à une simple visite, les caves du 13 ont été observées dans le cadre d’une mise en péril7, les caves du 7, 9, 17 et 19 ont été documentées précisément.
53Le secteur de la rue du Cheval-Blanc est sensible à plus d’un titre. Outre le fait de se situer dans la partie la plus ancienne de la cité et de receler notamment des vestiges antiques dans quelques caves, il longe une portion du tracé de l’enceinte du cloître cathédral.
5.1. Le tronçon nord de l’enceinte canoniale : une origine plus ancienne ?
54Les chanoines se regroupent dans le cloître à partir du xie s. Le meurtre d’Évrard, sous l’épiscopat de Fulbert (1007-1028), dans le périmètre du cloître, sert de prétexte aux chanoines pour le clore, notamment en acquérant des maisons jointives et en comblant les vides par des murailles (Lecocq 1857 : 6-7). Neuf portes permettent d’entrer et de sortir du cloître. Mentionnée au xiie s. dans le cartulaire de Saint-Père sous le nom de “porte Neuve”, la porte de l’Horloge, située au centre du tronçon nord, serait une des plus anciennes (Lecocq 1857 : 31-37). L’historiographie considère en effet la limite nord du cloître canonial comme reprenant le tracé voire les fondations d’un mur plus ancien correspondant au “retranchement” mentionné par le moine Paul (cf. supra, 2.2.1). Aucun auteur ne signale la présence effective de ce mur, mis à part Maurice Jusselin qui l’aurait observé dans une tranchée de réseau en 1934 (cf. supra, 2.2.2).
5.2. Les découvertes dans les caves des 7 et 9 rue du Cheval-Blanc
55La maison du 7 rue du Cheval-Blanc est dite “de l’Homme Sauvage”, en référence au personnage figurant sur une des consoles soutenant l’encorbellement du premier étage. L’accès à la cave s’effectue par une trappe disposée derrière la porte d’entrée, rue du Cheval-Blanc (une autre entrée est située rue de l’Etroit Degré) (Fig. 6). Un escalier droit de 22 marches en pierre de Berchères permet d’accéder à une pièce dont le sol se situe à environ 4,40 m de profondeur par rapport à la rue du Cheval-Blanc mais à 3,30 m de la surface de la rue de l’Étroit Degré. Elle a une surface de 29,80 m2 pour une hauteur de 4,25 m. La partie est de la cave est voûtée d’arêtes en moellons de calcaire liés par un mortier brun très argileux. La voûte est soutenue en son centre par une colonne composée d’un fût à plusieurs tambours (Fig. 7). La partie ouest est remaniée, avec l’adjonction d’un plafond en bois soutenu par des poutrelles métalliques. À l’est, deux arcs formerets retombent sur l’imposte d’un pilier semi engagé, tandis que deux grands soupiraux rectangulaires assurent la ventilation et l’éclairage.
Fig. 6 - Chartres, plan des caves de la rue du Cheval Blanc, adossées à un mur plus ancien.

V. Acheré, Direction Études et travaux/SIG, Chartres Métropole.
Fig. 7 - Chartres, vue générale vers le sud de la cave du 7 rue du Cheval Blanc.

V. Acheré, Direction Études et travaux/SIG, Chartres Métropole.
56Des tessons de céramique du type “proto-Dourdan” retrouvés dans les maçonneries, associés à l’utilisation de la voûte d’arêtes et à celle d’un mortier brun gravillonneux permettent de proposer une datation pour cette cave du xie-début du xiie s.8. La présence d’une colonne à fût cylindrique couronnée par un astragale qui fait corps avec le chapiteau et non plus avec le fût renforce cette datation (Vergnolle 1998 : 169).
57Cette cave s’appuie au sud-est sur une maçonnerie antérieure, constituée de blocs de calcaire en grand appareil identiques à l’appareillage aperçu, très rapidement, au 5 rue du Cheval-Blanc (Fig. 8). Ce mur a été observé sur toute la hauteur de la cave, soit 4,25 m, mais sa base et son sommet ne sont pas connus : un glacis en recouvre la partie basse. En tout état de cause, il semble qu’un mur parallèle à la rue du Cheval-Blanc est présent dans, au moins, ces deux maisons mitoyennes, et qu’il est vraisemblablement antérieur au xie s.
Fig. 8 - Chartres, vue de détail du mur sud-est de la cave du 7 rue du Cheval Blanc.

V. Acheré, Direction Études et travaux/SIG, Chartres Métropole.
Fig. 9 - Chartres, vue de détail du mur sud-est de la cave du 9 rue du Cheval Blanc.

V. Acheré, Direction Études et travaux/SIG, Chartres Métropole.
58Les caves du 9 rue du Cheval-Blanc constituent un regroupement de deux lots de caves dont les trappes d’accès se situaient derrière les portes d’entrée (Fig. 6). Actuellement, seul un accès est encore en fonction. Leur datation est plus problématique en raison de nombreuses réfections (cuves à mazout, percement lors de la Seconde Guerre mondiale, sol en ciment). Un espace se situe au premier niveau et trois autres se développent au second niveau à 3,80 m du sol actuel. Hormis l’espace du premier niveau qui est plafonné, toutes ces pièces sont voûtées en berceau, et leur maçonnerie, hors réfection des xixe-xxe s., est composée d’un appareil de rognons de silex et de moellons de calcaire liés par un mortier orange et sableux. Par comparaison avec les autres caves étudiées à Chartres, cette maçonnerie pourrait être datée des xvie-xviie s. Au sud, un escalier en colimaçon desservant le rez-de-chaussée s’appuie sur une construction différente du reste des caves. Observée sur environ 2,50 m de haut, elle est constituée de blocs de calcaire et de grès en grand appareil (0,60 m) liés par un mortier assez terreux et pauvre en chaux, comparable au mur en grand appareil mis en évidence au sud des caves des 5 et 7 de cette même rue (Fig. 9). Deux prélèvements de charbon de bois ont pu être effectués au cœur du mortier. Les analyses ont déterminé une datation du premier échantillon se situant entre 892 et 1021, tandis que le second est daté entre 955 et 10459.
59Ce tronçon de mur aurait donc été élevé entre la seconde moitié du xe s. et la première moitié du xie s.
5.3. Une première clôture du cloître reprenant le tracé de l’enceinte alto-médiévale ?
60Le mur en grand appareil sur lequel viennent s’appuyer les caves des 5, 7 et 9 rue du Cheval-Blanc n’est pas observé aux 1, 17 et 19. Son absence au 19 est relativement logique puisque la cave et le bâtiment qui la surplombe ont été reconstruits au début du xxe s. Au 13, la question de sa présence éventuelle reste posée en raison des conditions d’observations décrites en introduction. Il semble que la cave, très proche dans sa construction de celle du 7, soit fermée au sud par un mur plus ancien en moyen appareil.
61Les relevés ne sont pas tous égaux en qualité, mais cette première observation permet d’affirmer qu’un mur en grand et en moyen appareil (au 13 rue du Cheval Blanc) liés par un mortier terreux pauvre en chaux, s’élevant entre 2,50 m et 4,25 m de haut pour une épaisseur inconnue, longe la rue de l’Étroit-Degré et est donc parallèle à la rue du Cheval-Blanc. Des caves du xiie s. viennent s’appuyer sur ce mur. La datation radiocarbone indique une construction effective entre la seconde moitié du xe s. et la première moitié du xie s., ce qui place l’édification de cette maçonnerie après l’enceinte dite “du ixe s.” décrite par le moine Paul et citée par Louis-Gustave Guérineau de Boisvillette. Les tronçons observés s’insèrent dans la chronologie de la construction du mur nord du cloître mentionné par Adolphe Lecocq (début du xie s.), mais ne remettent pas définitivement en cause l’hypothèse d’un tracé issu d’une enceinte alto-médiévale puisque les fondations de ce mur n’ont pas été observées. Il est intéressant de noter que l’historien Duparc, cité par Adolphe Lecocq décrivant l’enceinte du cloître, indique que contre cette forte muraille sont bâties hors du cloître de petites maisons appartenant aux habitants (Lecocq 1857 : 20). On serait tenté d’y voir les maisons actuellement en place rue du Cheval-Blanc.
62Une étude archéologique se révèle cependant nécessaire afin de reconnaître les fondations de ce mur et d’y déterminer ou non la présence de vestiges plus anciens. Cette étude pourra également permettre d’effectuer d’autres prélèvements à des fins d’analyses radiocarbone nécessaires à une datation plus précise de chaque tronçon, d’analyser les mortiers et d’effectuer une vraie étude du bâti approfondie.
6. Synthèse : une relecture des écrits de Paul (TL)
63Si l’existence et le tracé d’une enceinte antérieure à l’enceinte de réunion mise en œuvre à partir de la fin du xiie s. paraissent assurés, sa chronologie et sa matérialité restent largement inconnues. Elle ne semble pas récupérée, même, dans l’enceinte postérieure, ainsi qu’on peut le voir, entre autres, à Orléans, Tours ou au Mans10 (Galinié 2007 : 400 ; Joyeux 2014 : 61-62,88 ; Augry et Meunier 2022 : 142‑146). Sur ce point, Chartres semble plus proche de villes comme Poitiers ou Reims (Gerber et al. 2014 : 201-202 ; Neiss 2019), où l’enceinte tardo-antique est entièrement englobée dans l’enceinte de réunion médiévale.
64Les seules traces d’une possible enceinte tardo-antique ont été mises en évidence lors de la fouille du projet Cœur de ville, sous la forme d’un large fossé comblé entre le Bas-Empire au plus tôt et le ixe s. au plus tard. Il est tentant, bien que largement hypothétique, de rattacher ce creusement à un autre fossé que François Carré a mis au jour lors de fouilles réalisées îlot Jean Moulin en 1980 (Carré 1980). Il le date de la période tardo-antique, mais il est difficile, à la lecture du rapport, de comprendre sur quels arguments s’appuie son hypothèse. Quoi qu’il en soit, le fossé de Cœur de ville paraît dessiner une défense définissant un éperon barré en isolant le promontoire de Chartres (Fig. 10). Aucun élément d’enceinte maçonnée ne paraît avoir été mis en évidence. S’il n’est pas impossible qu’elle puisse ne pas avoir existé et que le fossé ait simplement pu être doublé d’un talus éventuellement palissadé, on note que la proximité de la fortification du xiie s. n’a peut-être pas favorisé sa conservation.
Fig. 10 - Chartres, plan de synthèse de l’hypothèse d’une enceinte tardo-antique réduite au haut Moyen Âge.

Courbes de niveau éq. 1 m.
Th. Lecroère, Service archéologie préventive du Conseil départemental d’Eure-et-Loir.
65S’appuyant principalement sur l’étude morphologique du parcellaire, la restitution de l’enceinte alto-médiévale reste également hypothétique et gagnerait à être confirmée – ou infirmée – par une étude plus poussée des données archéologiques et historiques. Notons cependant qu’en associant sur un plan la restitution de son tracé et celui du fossé de Cœur de ville, on s’aperçoit que la première semble induire une réduction de la surface enclose par le second. Pourrait-on dès lors y voir le “réduit” dont parle le moine Paul, regroupé à la pointe de l’éperon, “dans un angle de la cité” ?
66Cette étude se veut un état des lieux des connaissances sur le sujet et non un travail abouti. Elle offre néanmoins de nombreuses pistes de travail à explorer à la recherche des limites successives de la ville tardo-antique et alto-médiévale. En plus de reprendre les données des fouilles anciennes à la recherche d’indices passés alors inaperçus, il serait intéressant de mener des prospections approfondies, notamment dans les caves, afin d’identifier d’éventuels tronçons d’enceinte noyés dans le tissu urbain. Enfin, l’étude de la genèse et du développement des enceintes urbaines ne peut être détachée de celle de la fabrique urbaine, l’étude de l’extension de l’occupation aux différentes périodes pouvant fournir de précieux indices chronologiques11.
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Notes de bas de page
1Conformément aux règles de succession et de partage des royaumes mérovingiens, la civitas est partagée dès la deuxième moitié du vie s. entre plusieurs entités autonomes, qu’André Chédeville interprète comme étant l’origine des pagi de Chartres, Blois et Châteaudun. Le diocèse se retrouve divisé et un évêque est même sacré (brièvement) pour le Dunois. Au viie s., son territoire est à cheval entre les trois royaumes de Neustrie, d’Austrasie et de Bourgogne.
2Grès erratiques situés à l’interface entre les horizons yprésiens (Éocène inférieur) et les limons des plateaux superficiels. Il s’agit d’appellation locale.
3Centrum voor Isotopen Onderzoek, Rijksuniversiteit Groningen
- GrN-29980 : âge 14C BP : 1260 ±30 ; âge calibré : 689-753 ap. J.-C. (prob. 82,52 %) ; 760-775 ap. J.-C. (prob. 17,48 %)
- GrN-29979 : âge 14C BP : 1190 ±25 ; âge calibré : 782-790 ap. J.-C. (prob. 10,17 %) ; 810-880 ap. J.-C. (prob. 89,83 %)
4La méthode d’approche du fossé, terrassé mécaniquement sur la partie supérieure de son comblement, n’a pas permis de reconnaître de lien organique entre celui-ci et les fours à chaux. La double orientation des fours suggère également la possibilité d’un dispositif défensif appuyé sur un double fossé.
5Il est conservé aux archives municipales de Chartres sous la cote Gb2/317, et la version numérisée est consultable sur le site des archives départementales d’Eure-et-Loir (http://www.archives28.fr).
6Par souci de facilité de repérage, les différents éléments sont localisés par rapport à la toponymie actuelle.
7Un relevé a été effectué par le Bureau de recherches géologiques et minières (en attente).
8Cette typologie empirique est basée sur l’observation de plus en plus systématique des mortiers utilisés dans les constructions chartraines.
9Centre de Datation par le Radiocarbone, Université Lyon 1.
- Lyon-17687(GrM) : âge 14C BP : 1085 ±30 ; âge calibré : 892-1021 ap. J.-C. (prob. 95,4 %)
- Lyon-17688(GrM) : âge 14C BP : 1035 ±30 ; âge calibré : 897-921 ap. J.-C. (prob. 4,5 %), 955-1045 ap. J.-C. (prob. 88,8 %), 1086-1093 ap. J.-C. (prob. 0,6 %), 1105-1120 ap. J.-C. (prob. 1,6 %)
10On peut néanmoins objecter à cette remarque une lacune dans la connaissance matérielle de l’enceinte du second Moyen Âge.
11Par exemple, la fouille en 2014 de “l’îlot Montescot”, situé dans la partie sud de l’espace compris entre les deux enceintes restituées, a révélé un abandon progressif du quartier entre le iie et le ive s., avant un retour de l’occupation à partir du xie s. (Fissette, Acheré et Jouet 2019)
Auteurs
Service archéologie préventive du Conseil départemental d’Eure-et-Loir, UMR 7324 CITERES-LAT.
Service archéologie préventive du Conseil départemental d’Eure-et-Loir.
Direction Études et travaux/SIG de Chartres Métropole, UMR 7324 CITERES-LAT.

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